I.État des lieux en 2014 II.Les techniques III.Enjeux économiques IV.Santé et environnement V.Agriculture et alimentation VI.OGM et démocratie LES ENJEUX AUTOUR DES PLANTES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉES
Ce chapitre décrit de façon très simplifiée les techniques d’obtention des plantes OGM. Nous évaluons également le caractère « chirurgical » de la transgénèse, les similarités et différences avec l’amélioration conventionnelle des plantes. Nous tentons également d’expliquer pourquoi nos connaissances actuelles sur les caractères complexes suggèrent qu’il sera très difficile de les manipuler, même avec les nouvelles techniques actuellement en cours d’élaboration. Enfin, nous abordons la question des OGM « cachés », c’est à dire des plantes issues de techniques de modification génétique qui échappent à toute procédure d’évaluation.
SOMMAIRE 1.Comment fabrique-t-on une plante OGM ? 2.Une précision chirurgicale ? 3. Transgénèse et amélioration des plantes 4.Les difficultés de manipulation des caractères complexes 5.Les « nouvelles techniques » peuvent-elles de changer la donne ? 6.Les OGM « cachés »
Echelle de temps 07 ans 2 ans AGRONOMIE Echelle de temps : 1 an Identifier un gène d’intérêt, Isoler et multiplier le gène, lui accoler diverses portions d’ADN utiles, L’intégrer dans une construction génétique, la multiplier, L’introduire dans des cellules de plante, Sélectionner les cellules qui auront « intégré » le gène d’intérêt. Régénérer des plantes entières, étudier les propriétés de la plante produite, Choisir la plante présentant les meilleures caractéristiques (un « événement » optimal), Croiser avec des variétés existantes pour y introduire le caractère recherché. GÉNIE GÉNÉTIQUE II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE
Identifier un gène d’intérêt Prolongement des connaissances scientifiques et techniques On connaît depuis longtemps les bactéries Bt (Bacillus thuringiensis), utilisées dans le cadre de traitements biologiques contre la pyrale du maïs et d’autres ravageurs. Diverses souches de bactéries Bt expriment des protéines légèrement différentes, appelées Cry1, Cry2…, en raison des cristaux qu’elles forment ; chacune de ces protéines possède un spectre de toxicité particulier. Certaines sont toxiques pour la pyrale du maïs, d’autres pour le ver du cotonnier. Les gènes codant pour les protéines Cry ont été identifiés, clonés, séquencés, autour des années D’où l’idée d’isoler le gène pour le transférer au maïs dans l’espoir d’obtenir des plantes qui expriment la protéine toxique Cry et qui résistent à la pyrale. ( Exemple du maïs Bt ) 1 5 II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE
2 3 A B C D A B C D 6 Isoler et multiplier le gène, lui accoler diverses portions d’ADN utiles. L’intégrer dans une construction génétique, la multiplier. gène d’intérêt Construction génétique complète Plasmide contenant un gène de résistance à un antibiotique Promoteur CaMV 35S ADN terminateur La construction est introduite dans des bactéries pour être multipliée. L’ADN correspondant au gène Cry a été coupé du génome de B. thuringiensis, puis isolé et purifié. Des fragments d’ADN appelés « promoteur » et « terminateur », provenant de virus et d’autres bactéries, ont été rajoutés. Ils sont nécessaires pour permettre au gène de fonctionner dans la plante hôte. L’ensemble est inséré dans un plasmide (ADN bactérien) contenant un gène de résistance à un antibiotique. La construction génétique ainsi obtenue est ensuite introduite dans de nouvelles bactéries, qui sont à leur tour multipliées pour en obtenir un grand nombre d’exemplaires. II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE Schéma BEDE
4 Le canon à particules La construction génétique est enrobée autour de billes d’or ou de tungstène qui sont envoyées comme des obus sur les cellules végétales. Agrobacterium tumefaciens C’est une bactérie pathogène du sol qui attaque les racines des plantes et y injecte une partie de son ADN. D’où l’idée de l’utiliser pour injecter un gène d’intérêt à des cellules de plantes. Introduire le gène dans des cellules de plante. Introduire la construction génétique obtenue dans le génome de la plante. Les plantes entières, tout comme les cellules de plantes isolées, sont imperméables à l’ADN (heureusement !) ; il faut donc trouver un moyen artificiel pour y introduire la construction génétique. Deux méthodes possibles : 7 II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE
5 Culture de cellules isolées de feuilles de maïs Bombardement de la construction génétique dans les cellules végétales Addition d’antibiotique Quelques rares cellules survivent – Certaines se divisent et forment des cals : elles ont Infection par Agrobacterium ou Le gène de résistance à l’antibiotique est ajouté aux cellules : seules celles qui auront reçu la construction génétique comprenant le gène de résistance à l’antibiotique pourront survivre. Quelques rares cellules survivent. Certaines se divisent et forment des cals : elles ont intégré la construction génétique dans leur génome. Sélectionner les cellules qui ont « intégré » le gène d’intérêt. Pour perdurer, la construction génétique doit s’intégrer dans les chromosomes, ce qui est un événement extrêmement rare. Il faut donc utiliser une méthode de sélection : c’est pour cela que l’on rajoute souvent à la construction génétique un gène de résistance à un antibiotique. 8 II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE
Regénérer des plantes entières à partir des cellules OGM, étudier leurs propriétés. Choisir un « événement » optimal, c’est à dire la plante qui présente les plus grands avantages. Croiser avec des variétés commerciales pour y introduire le caractère recherché. II - LES TECHNIQUES 1 - COMMENT FABRIQUE-T-ON UNE PLANTE GM ? LES ÉTAPES DE LA TRANSGÉNÈSE ⑥ ⑦ ⑧ Rétrocroisements succesifs Lignée commerciale « élite » Lignée optimale
Pour la construction génétique : Bien que la construction génétique soit constituée d’un amalgame de séquences d’ADN provenant de divers organismes, son assemblage est d’une grande précision. Les chercheurs contrôlent sans aucune difficulté les positions et les séquences de chaque élément. OUI Par exemple, pour le maïs Bt Tout cela est assemblé dans un « plasmide » (partie jaune du schéma) provenant d’une autre bactérie encore… 10 Le gène d’intérêt Bt provient de la bactérie Bacillus thuringiensis. Le promoteur provient du virus de la mosaïque du tabac. Le gène de sélection est un gène de résistance à un antibiotique provenant d’une autre bactérie. II - LES TECHNIQUES 2 - UNE PRÉCISION CHIRURGICALE ?
Pour les étapes ultérieures On a vu que très peu de cellules intègrent la construction génétique dans leur génome, et cela se fait complètement au hasard. La construction génétique peut s’intégrer presque n’importe où dans les chromosomes, y compris à l’intérieur d’un gène important qui pourrait être inactivé. Dans ce cas, la plante finalement obtenue risque d’avoir un caractère déficient ou non désiré qui, parfois, ne sera identifié qu’après plusieurs années. Il arrive également de retrouver plusieurs copies, souvent partielles, de la construction génétique qui s’insèrent à des endroits différents du génome de la plante. Parfois, lors de la multiplication des plantes, certaines parties de la construction sont éliminées, parfois même à l’intérieur du gène d’intérêt, sans aucun contrôle possible. C’est ce qu’on appelle « l’absence de stabilité de la plante GM ». Toutes les étapes d'entrée et d'insertion du gène d'intérêt dans les cellules de la plante hôte sont aléatoires et conduisent à des résultats imprévisibles. NON 10 II - LES TECHNIQUES 2 - UNE PRÉCISION CHIRURGICALE ?
Collonnier et al. Poster présenté en colloque 7eme ICPMB (International Congress of Plant Molecular Biology), juin Variabilité du transgène, Des scientifiques du Laboratoire MDO pour les méthodes de détection de l’INRA Versailles et du Laboratoire de Biométrie et d’Intelligence Artificielle de l’INRA Jouy en Josas, ont analysé cinq lignées commerciales différentes approuvées (ou en cours d’approbation) en Europe. Les résultats ont montré que les transgènes s’étaient réarrangés, c’est-à-dire qu’ils ne correspondaient plus à la caractérisation génétique présentée initialement par les entreprises. Eric Meunier, Inf’OGM, Décembre ILLUSTRATION II - LES TECHNIQUES 2 - UNE PRÉCISION CHIRURGICALE ?
3 – TRANSGÉNÈSE ET AMÉLIORATION DES PLANTES L’argument souvent avancé par les promoteurs des OGM est que la transgénèse ne serait pas si différente des techniques utilisées depuis des milliers d’années par les paysans pour produire de nouvelles variétés, elle serait même similaire aux croisements et aux mutations qui se produisent spontanément dans la nature. L'affirmation selon laquelle fabriquer des OGM c'est comme ce que les paysans ont fait depuis des millénaires est donc manifestement fausse. Elle vise à banaliser une technologie qui n'a rien de naturel. Plusieurs faits vont à l’encontre de cette affirmation : L’amélioration des plantes se fait par croisement de gamètes mâle et femelle provenant de la même espèce ou d’espèces fortement apparentées. Il est impossible de croiser des espèces distinctes, fortement différenciées, donc d’introduire dans le génome d’une plante un gène provenant d’une autre espèce. C’est en partie grâce à cette barrière naturelle entre espèces que l’évolution a pu conduire à une telle biodiversité. 13 II - LES TECHNIQUES
4- ET LES CARACTÈRES COMPLEXES ? La quasi totalité des plantes OGM actuellement commercialisées expriment des caractères agronomiques simples, qui ne dépendent que d’un seul gène, comme la tolérance à un herbicide ou la production d’un insecticide. La recherche privée -souvent conduite par de grands groupes industriels- et une partie de la recherche publique, ont souvent défendu les OGM en vantant leurs capacités à améliorer la tolérance de certaines plantes à la sécheresse, ou encore leur potentiel nutritif. Néanmoins force est de constater qu’en la matière aucun résultat véritablement concluant n’a jusque-là été obtenu. Est-ce simplement un retard pris en raisons de difficultés techniques ? Les firmes annoncent régulièrement que les recherches devraient bientôt aboutir, depuis longtemps déjà. Est-ce du fait même de limites inhérentes à la transgénèse ? Ce type de caractère est beaucoup plus complexe que la résistance à un insecte ou un virus; de nombreux gènes participent à leur expression, ce qui est peu propice à une transgénèse efficace. 14 II - LES TECHNIQUES N’est-il finalement pas plus simple d’utiliser les méthodes traditionnelles d’amélioration des plantes pour obtenir de telles variétés ?
Deux exemples significatifs En 2011, Monsanto commercialise un maïs GM (MON87460) sensé être tolérant à la sécheresse. Le gain de productivité est estimé par la firme à 15%, mais l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) lui-même reconnaît qu’il ne dépasse pas 5%. De plus, l’USDA rappelle que plusieurs variétés conventionnelles sont au moins aussi efficaces dans la tolérance à la sécheresse que la variété transgénique de Monsanto. Source : ISAAA - Brief 44, 2012; USDA - Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops: 2012 Le fameux riz doré a été annoncé dès l’an 2000 comme la solution miracle pour lutter contre les déficiences en vitamine A et guérir des millions d’enfants dans les pays pauvres. Présenté comme une initiative de la recherche publique et désintéressée, il a été l’objet d’une forte controverse. Aujourd’hui, plus de 15 ans après, le riz doré est toujours promis… pour demain. Le Riz Doré POUR APPROFONDIR : Voir le diaporama : " AGRICULTURE ET ALIMENTATION " 15 II - LES TECHNIQUES 4- ET LES CARACTÈRES COMPLEXES ? (voir : Le Maïs Mon 87460
5- LES NOUVELLES TECHNIQUES SONT-ELLES PLUS PERFORMANTES ? Une enzyme bactérienne, Cas9, permet théoriquement de couper l’ADN au site choisi par l’expérimentateur. Ces techniques pourraient permettre de : Inactiver un gène en supprimant quelques nucléotides (pour permettre par exemple une tolérance à un herbicide). Modifier un gène en remplaçant une portion d’ADN par une autre. Introduire un nouveau gène d’intérêt exactement comme décrit jusqu’ici mais en choisissant le site précis d’intégration dans les chromosomes. Depuis quelques années, de nouvelles techniques sont en cours d’expérimentation. Elles reposent sur la découverte de nouvelles enzymes qui permettent de couper l’ADN de façon beaucoup plus précise et d’insérer des fragments d’ADN étranger à des sites déterminés à l’avance. Clivage précis de l’ADN d’un chromosome. Enzyme Cas9 16 II - LES TECHNIQUES Exemple du système le plus récent, appelé Crispr-Cas9. Schéma adapté de : Suk Namgoong, slideshare.net
L’inconvénient du caractère aléatoire de la transgénèse serait ainsi supprimé, ce qui permettrait d’éviter, selon leurs auteurs, les risques de modification non intentionnelle du génome des plantes. Des firmes qui développent ces nouveaux OGM tentent aujourd’hui de les exclure de toute évaluation avant commercialisation. Certains essais sont déjà autorisés aux États-Unis et au Canada, sans aucune évaluation préalable. Pourtant, la plupart des techniques utilisées sont encore à l’état d’expérimentation, et il est prématuré d’affirmer qu’elles supprimeront toute incertitude. Un débat a lieu actuellement au sein de l'Union Européenne pour déterminer si ces techniques doivent être évaluées ou non comme des plantes OGM " classiques ". 17 II - LES TECHNIQUES 5- LES NOUVELLES TECHNIQUES SONT-ELLES PLUS PERFORMANTES ?
II - LES TECHNIQUES 6- LA QUESTION DES « OGM CACHÉS » La définition des OGM selon la directive européenne 2001/18 englobe tout organisme dont le génome a été modifié d’une façon « non naturelle ». Des plantes obtenues par mutagénèse « aléatoire » provoquée artificiellement (rayons gamma, ou mutagènes chimiques) font partie des OGM tels que définis par la directive, mais ont été exclues explicitement de toute procédure d’évaluation. C’est pourquoi certaines organisations les définissent comme des « OGM cachés ». Les nouvelles techniques de coupure ciblée des chromosomes permettent de provoquer, selon leurs promoteurs, des mutations ciblées avec des modifications relativement discrètes du génome. Ils considèrent que les plantes ainsi produites sont assimilables aux plantes obtenues par mutagénèse aléatoire et devraient donc bénéficier du même régime d’exclusion des procédures d’évaluation. On pourrait donc assister dans les années à venir à une multiplication sans précédent "d'OGM cachés". 18