Mise en voix de poèmes engagés Par les élèves de 3G Février 2016
PARIS, Louis Aragon (1944) par Charlotte Rien n’a l’éclat de Paris dans la poudre Rien n’est si pur que son front d’insurgé Rien n’est ni fort ni le feu ni la foudre Que mon Paris défiant les dangers Rien n’est si beau que ce Paris que j’ai Rien ne m’a fait jamais battre le coeur Rien ne m’a fait ainsi rire et pleurer Comme ce cri de mon peuple vainqueur Rien n’est si grand qu’un linceul déchiré Paris Paris soi-même libéré Où fait-il bon même au coeur de l’orage Où fait-il clair même au coeur de la nuit L’air est alcool et le malheur courage Carreaux cassés l’espoir encore y luit Et les chansons montent des murs détruits Jamais éteint renaissant de la braise Perpétuel brûlot de la patrie Du Point-du-Jour jusqu’au Père-Lachaise Ce doux rosier au mois d’août refleuri Gens de partout c’est le sang de Paris
FAMILIALE, Jacques Prévert (1946) par Emma et Léa La mère fait du tricot Le fils fait la guerre Elle trouve ça tout naturel la mère Et le père qu'est-ce qu'il fait le père ? Il fait des affaires Sa femme fait du tricot Son fils la guerre Lui des affaires Il trouve ça tout naturel le père Et le fils et le fils Qu'est-ce qu'il trouve le fils ? Il ne trouve rien absolument rien le fils Le fils sa mère fait du tricot son père fait des affaires lui la guerre Quand il aura fini la guerre Il fera des affaires avec son père La guerre continue la mère continue elle tricote Le père continue il fait des affaires Le fils est tué il ne continue plus Le père et la mère vont au cimetière Ils trouvent ça naturel le père et la mère La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires Les affaires la guerre le tricot la guerre Les affaires les affaires et les affaires La vie avec le cimetière.
LA GRASSE MATINEE, J. Prévert (1946) par Zoé et Marie trois jours trois nuits sans manger et derrière ce vitres ces pâtés ces bouteilles ces conserves poissons morts protégés par les boîtes boîtes protégées par les vitres vitres protégées par les flics flics protégés par la crainte que de barricades pour six malheureuses sardines.. Un peu plus loin le bistrot café-crème et croissants chauds l'homme titube et dans l'intérieur de sa tête un brouillard de mots sardines à manger oeuf dur café-crème café arrosé rhum café-crème café-crime arrosé sang !... Un homme très estimé dans son quartier a été égorgé en plein jour l'assassin le vagabond lui a volé deux francs soit un café arrosé zéro franc soixante-dix deux tartines beurrées et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon. Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim elle est terrible aussi la tête de l'homme la tête de l'homme qui a faim quand il se regarde à six heures du matin dans la glace du grand magasin une tête couleur de poussière ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde dans la vitrine de chez Potin il s'en fout de sa tête l'homme il n'y pense pas il songe il imagine une autre tête une tête de veau par exemple avec une sauce de vinaigre ou une tête de n'importe quoi qui se mange et il remue doucement la mâchoire doucement et il grince des dents doucement car le monde se paye sa tête et il ne peut rien contre ce monde et il compte sur ses doigts un deux trois un deux trois cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé et il a beau se répéter depuis trois jours Ça ne peut pas durer ça dure
BARBARA, J. Prévert (1946) par Clémence et Mathis Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
ETRANGES ETRANGERS, J. Prévert (1955) par Manon, Juliette, Anissa Esclaves noirs de Fréjus Qui évoquez chaque soir Dans les locaux disciplinaires Avec une vieille boîte à cigares Et quelques bouts de fil de fer Tous les échos de vos villages Tous les oiseaux de vos forêts Et ne venez dans la capitale Que pour fêter au pas cadencé La prise de la Bastille le quatorze juillet. Enfants du Sénégal Départriés expatriés et naturalisés. Enfants indochinois Jongleurs aux innocents couteaux Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés De jolis dragons d’or faits de papier plié Enfants trop tôt grandis et si vite en allés Qui dormez aujourd’hui de retour au pays Le visage dans la terre Et des hommes incendiaires labourant vos rizières. On vous a renvoyé La monnaie de vos papiers dorés On vous a retourné Vos petits couteaux dans le dos. Étranges étrangers Vous êtes de la ville Vous êtes de sa vie Même si mal en vivez Même si vous en mourez Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel Hommes de pays loin Cobayes des colonies Doux petits musiciens Soleils adolescents de la porte d’Italie Boumians de la porte de Saint-Ouen Apatrides d’Aubervilliers Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied Au beau milieu des rues Tunisiens de Grenelle Embauchés débauchés Manœuvres désœuvrés Polacks du Marais du Temple des Rosiers Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère Rescapés de Franco Et déportés de France et de Navarre Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre La liberté des autres. Esclaves noirs de Fréjus Tiraillés et parqués Au bord d’une petite mer Où peu vous vous baignez
VOUS QUI VIVEZ, Primo Levi (1947) par Anaël et Léna Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis Considérez si c'est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connait pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui pour un non. Considérez si c'est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu'à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N'oubliez pas que cela fut, Non, ne l'oubliez pas: Gravez ces mots dans votre coeur. Pensez-y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant; Répétez-les à vos enfants. Ou que votre maison s'écroule; Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous.
Projet réalisé en cours de Français avec Mme Kerbrat et Mme Leray