25 ans d’évolution des approches statistiques de la pauvreté

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Transcription de la présentation:

25 ans d’évolution des approches statistiques de la pauvreté Par D. Verger INSEE

Une pseudo définition en 1984 La délicate définition de la pauvreté : une quasi absence de définition. Définition (?) du conseil européen (1984) : doivent être considérées comme pauvres « les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles ou sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’État membre où elles vivent ». Peu opérationnelle et en contradiction avec les pratiques des statisticiens européens mais qui oriente plutôt vers des mesures de type « absolu ».

Une pratique atypique des pays d’Europe occidentale : l’approche par la pauvreté relative Pauvreté : avoir un niveau de vie en retrait de celui de la majorité de la population, soit avoir un niveau de vie inférieur à un certain seuil, à un certain pourcentage du niveau de vie réputé « normal ». Principale approche : pauvreté monétaire relative  Simple mesure d’inégalité. Notion arbitraire : choix de la mesure du niveau de vie (notion de revenu, choix des « unités de consommation »), de la valeur centrale censée représentée la « normalité » et des seuils, de la population de référence à retenir etc…

Explorer une autre voie : la pauvreté absolue Les approches absolues aux États-Unis, dans certains pays anglo-saxons comme l’Australie, et dans la plupart des pays de l’Europe de l’Est. Principe général : une norme de consommation fixe les besoins fondamentaux d’une société donnée à une époque donnée (=> « absolu sociohistorique »). Sont considérés comme pauvres ceux qui ne peuvent s’assurer ce niveau de consommation, aux prix les plus bas du marché Définition proche des représentations spontanées mais qui n’est pas à l’abri des critiques L’accessibilité des plus démunis aux prix les plus bas du marché risque de biais ethnocentriques ou tutélaires définition de la norme, des « besoins fondamentaux » : l’impossibilité d’échapper à un choix de société de nature politique

Des travaux de recherche innovants L’ADEPS adapte pour la France des approches étrangères : les travaux de P. Dickes dans la lignée des recherches de Townsend Une étape importante : le dossier Economie et Statistique de 1997 Une clarification des problèmes conceptuels : compréhension délicate de la « pauvreté relative » : des « paradoxes » ? si tous les revenus doublent, le taux de pauvreté ne change en rien. si les revenus de tous augmentent, la pauvreté relative peut augmenter, si le revenu augmente moins vite en bas de la distribution qu’en haut. Introduction dans la statistique publique de deux nouvelles mesures La pauvreté en conditions de vie La pauvreté « subjective »

La pauvreté en conditions de vie Construction d’un score de privations et définition des pauvres comme la fraction de la population subissant le plus grand nombre de manques. nécessité d’une axiomatique pour limiter les risques de subjectivité dans la liste des items retenus pour le score Le contrôle par la fréquence : sont acceptables pour le score les items qui sont répandus dans la majeure partie de la population Le contrôle par le consensus : sont acceptable les items qui sont considérés comme faisant partie du niveau de vie « normal » par la population concernement général : les domaines qui ne s’adressent qu’à certains ménages (ceux qui travaillent, ceux qui ont des enfants…) ne pourront être retenus

Malgré diverses difficultés…. absence d’unanimité des chercheurs, au niveau des axiomes de l’arbitraire dans la transcription concrète de ces axiomes Le traitement des manques choisis : le respect des goûts ascétiques ? Choix de la pondération des items : construit-on un score où chaque manque est pondéré par 1 ou par un coefficient, comme par exemple l’inverse du taux de diffusion, traduisant l’idée qu’un manque est d’autant plus cruellement ressenti qu’il porte sur un bien plus répandu ? …une mesure qui a bien des avantages Intègre certains effets du passé : Reflet des dépenses passées, des dons ou des héritages Dépend de la qualité des soins apportés à son entretien et incorpore un aspect « production domestique » négligé par ailleurs.

Approche dite « subjective » Est pauvre celui qui n’arrive pas à boucler ses fins de mois avec le revenu dont il dispose, qui considère qu’il lui faudrait pour (sur)vivre davantage de ressources... Une approche qui a aussi ses limites Évite tout jugement normatif extérieur mais accorde une valeur extrême aux préférences individuelles Le libellé exact des questions a une incidence très forte sur les réponses. Est-ce de la pauvreté ou un décalage par rapport aux aspirations ? ..mais qui doit aussi trouver sa place dans la batterie des mesures (Utilisation : école de Leyden ou indicateur synthétique)

Multidimensionnalité au moins les trois types de pauvreté, monétaire, en conditions de vie et subjective, étaient distinctes Si on regarde les 10 % de ménages situés au bas de chacune des échelles, l’intersection représente environ 2 % La prise en compte d’un lissage temporel ne permet pas de se ramener, même de loin, à un indicateur unidimensionnel On n’a pas affaire aux mêmes populations Certains sont pauvres monétairement (personnes âgées) et pas dans les autres dimensions (subjectivement en particulier : attrition des besoins ?) Une hypothèse : un décalage temporel Facteurs communs : faiblesses en compétences, difficultés d’insertion, problèmes de santé Pas plus de recouvrement avec d’autres approches (satisfaction ressentie, le fait de percevoir des ressources de pauvres) qui pourraient aussi permettre de définir la pauvreté

La création de l’ONPES en 1999 marque le début des publications régulières sur la pauvreté Deux publications annuelles depuis fin 2000 Le rapport de l’Observatoire Les travaux

L’élargissement aux comparaisons internationales Le colloque de Bratislava en juin 2000 : 13 études (la plupart à partir du panel européen) et 22 pays participants Le numéro d’Economie et Statistique de 2005 : 9 monographies dans une même méthodologie Le séminaire des pays de la CEI en 2005 Principales conclusions : le faible recouvrement des diverses approches n’est pas un phénomène purement français : il se présente a peu près de la même façon dans tous les pays Une première approche des aspects de causalité : une interrogation sur le rôle de la santé

La période récente marque de nouvelles avancées L’adoption des sources fiscales comme base de la statistique française sur la pauvreté (meilleure fiabilité des données) Reconnaissance des inconvénients des indicateurs trop synthétiques=> privilégier un ensemble de plusieurs indicateurs partiels Les indicateurs de Laeken Le sommet de 2001 : 15 chefs d’états de l’Union européenne Le but poursuivi : la lutte contre les exclusions => un tableau de 18 indicateurs ; puis 21 indicateurs (dont 12 primaires) Le tableau de bord français pour mesurer le degré de réalisation de l’objectif gouvernemental de réduction d’un tiers de la pauvreté (décret 2009)

La poursuite de l’effort de publication de l’Insee Les Insee-Référence : édition la plus récente 2009 En matière de collecte : Des opérations d’étude de la population des sans domicile (une enquête en 2001, rééditée à Toulouse en 2009 et qui sera reprise sur tout le territoire en 2012) ; Le nouveau panel européen (SRCV/SILC) avec un mélange de données d’enquête et de données administratives Une première française : une enquête sur les représentations du minimum vital L’article de Accardo-de Saint-Pol « Qu’est-ce qu’être pauvre aujourd’hui en Europe ? » Un minimum vital ascétique Dans certains pays, place spécifique pour l’enfant, mais pas en France

Et pour l’avenir ? L’ approche actuelle est perfectible : quelques exemples d’amélioration envisageables pour l’approche par la pauvreté monétaire : élargissement du revenu monétaire à une notion de ressources plus vaste ? Loyer fictif ou autre valeur d’usage du patrimoine Production domestique  Capital social, capital santé Services rendus par la collectivité Valeur du temps laissé libre par l’acquisition des ressources Pénibilité à obtenir le revenu, etc… Elargissement qui pose des difficultés techniques et conceptuelles => de la notion de revenu vers la notion d’utilité : revenu observé ou potentiel ? (cf rapport Sen-Stiglitz-Fitoussi)

Justifier le choix des approches retenues (nombre et nature) Sur la multidimensionnalité ; aller au-delà de ce qui est fait actuellement nécessite une investigation théorique encore très loin d’être aboutie : Clarifier les options sur la nature des inégalités qui doivent être compensées Justifier le choix des approches retenues (nombre et nature) Outre les trois dimensions (Insuffisances monétaires, Insuffisance de capital matériel, difficultés à faire face aux échéances), on pourrait penser à intégrer : Manque de capital social (parents, amis, isolement) Problèmes de santé Insuffisance de capital humain (illettrisme) Etudier les classements des ménages/individus selon les différents concepts et effectuer des choix normatifs –politiques et non scientifiques- sur les priorités à établir quand les positionnements sont différents

Besoins d’améliorer le dispositif statistique Le cumul des difficultés (par exemple trois sur six) permettrait de cerner la très grande pauvreté, Intérêt : Vulnérabilité forte des populations ainsi désignées aux évolutions de court terme => Consensus social pour solidarité publique, même si les individus en sont responsables (pas acquis pour la pauvreté monétaire) mais difficultés scores parfois peu homogènes, peu interprétables (exemple : situations apparemment semblables mais qui s’interprètent de façon opposée en termes d’exclusion –exemple du communautarisme) Besoins d’améliorer le dispositif statistique (exemple : observation plus systématique du réseau d’entraide et des produits de la production domestique)

Une recommandation qui tend à devenir générale Les pays qui ont une mesure absolue de la pauvreté pensent à se doter d’une mesure relative en complément Inversement les pays qui n’ont qu’une mesure relative ressentent de plus en plus le besoin de se doter également d’une mesure absolue => mouvement d’uniformisation qui se dessine, avec une double approche de la pauvreté, faisant une place à la fois aux approches relatives et aux approches absolues Mais aucune des deux voies ne permet d’échapper à la nécessité de choix de nature politique

Quelques statistiques récentes sur l’évolution de la pauvreté monétaire (relative) Une évolution dont la mesure est perturbée par des ruptures de série mais qui montre un lent mouvement de décroissance de 1996 à 2004 qui s’inverse depuis (derniers chiffres connus 2006) Au seuil de 60 % de la médiane : 7 860 000 « pauvres » en France métropolitaine en 2006 soit un taux de 13,2% (7,1 % pour un seuil de 50 % de la médiane) (hors sans domicile : 100 000 personnes ?) L’inversion de tendance un peu plus précoce sur l’indicateur d’intensité de la pauvreté (2002) La pauvreté en conditions de vie a plutôt tendance à diminuer sur la période récente

La France parmi les pays européens les moins touchés par la pauvreté : 19 % au Royaume-Uni 21 % pour la Grèce Certains pays de l’ex-bloc de l’Europe de l’Est ont des taux plus faibles (10% pour la république tchèque) mais avec des niveaux de seuil beaucoup plus bas