Comment concilier récolte de la biomasse et fertilité des sols ?

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Transcription de la présentation:

Comment concilier récolte de la biomasse et fertilité des sols ? Rencontres techniques « Sols et Forêts » - 21/11/2012 Emmanuel CACOT Responsable CIAT Approvisionnement FCBA Délégation Centre-Ouest 87430 Verneuil-sur-Vienne 05 55 48 48 10 emmanuel.cacot@fcba.fr

Introduction Thématique principale : intensification de la récolte liée notamment au bois énergie (raccourcissement des révolutions, récolte des menus bois…) et gestion de la fertilité des sols Présentation basée sur plusieurs études et recherches, récemment terminées et en cours => conseils de récolte basés sur les connaissances techniques et scientifiques actuelles Ne pas oublier la prise en compte de la biodiversité fortement liée au mode de gestion forestière et aux bois morts Cf. Sylvogène Beaucoup de choses existent sur la récolte du BE à l’étranger, notamment pays nordiques mais contexte pédoclimatique différent et tout n’est pas extrapolable en l’état.

Plan de la présentation Bref rappel historique sur la gestion des forêts Les techniques de récolte du bois énergie Biomasse et minéralomasse, deux notions bien distinctes Cycle biogéochimique Les conseils pratiques de prévention (dans l’état actuel des connaissances techniques et scientifiques) Liste d’impacts potentiels sur l’écosystème forestiers. En partant d’une vision la plus large à la plus petite (échelle) puis élargissement avec biodiversité Ne représente pas la réalité sur toutes les chantiers d’exploitation. La grande majorité des chantiers n’engendrent pas d’impacts notables sur l’environnement. Les professionnels ont conscience de ces impacts (même si l’on peut encore s’améliorer), et des mesures sont prises au quotidien sur les coupes. Paysage : est-ce un impact environnemental ? => Coupe rase de 1 ha en Sologne vs Beauce Biodiversité : champs très large, évoqué rapidement Cf. cahier des charges national d’exploitation forestière : on retrouve ces impacts potentiels à travers les différentes rubriques, avec les impacts au patrimoine évoqué en plus (cf. Réglementation et organisation de chantier).

Bref rappel historique Des sols forestiers globalement pauvres du fait de la gestion forestière très intensive jusqu’au début du XXe siècle : Bois = seule ressource énergétique jusqu’au XIXe siècle Pratiques du soutrage (récolte humus), du pâturage, de la récolte du sous-bois (pour la litière des animaux domestiques)… Faible pression sur la fertilité des sols depuis une cinquantaine d’années Pression très importante pendant des siècles sur la forêt avec une surexploitation de la ressource => diminution de la surface forestière, appauvrissement des sols jusqu’à la fin du 18ème siècle. Puis période de “croissance” de la forêt avec l’utilisation du charbon (houille), du pétrole, uranium… Actuellement, nous sommes à une période charnière où la pression sur la ressource forestière pourrait augmenter de nouveau => ne pas faire n’importe quoi, surtout vu les enjeux de lutte contre le changement climatique, sauvegarde biodiversité… Localement, développement de la porcelaine : le four des Casseaux (un des plus gros de Limoges) : 100 st/cuisson tous les 4-5 jours Pendant des siècles, les modes d’exploitation étaient différents avec beaucoup de transformation directe des bois en forêt (sciage, charbon…) => ce n’était pas la même pression exercée aux écosystèmes, ni les mêmes méthodes de débardage et d’abattage.

Bref rappel historique Des forêts conservées globalement sur les sols les plus pauvres peu propices à l’agriculture Ex. local : FD de Chaux + FD de Perche-Trappes

Quelques notions de vocabulaire Tronc découpe 7 cm Cime Branches vivantes Branche morte Feuillage Souche et racines Arbre entier Arbre complet Bois fort Je parle bien ici de récolte arbre entier et non arbre complet, avec récolte des menus bois sans les souches. Si récolte BE = bois bûche, pas de problème par rapport à fertilité des sols.

Les techniques actuelles de récolte du bois énergie : la récolte par arbres entiers Système le plus utilisé Ne laisse pas beaucoup de biomasse au sol

Les techniques actuelles de récolte du bois énergie : la récolte séparée des menus bois ou Système moins utilisé car moins efficient Récolte de 40 à 70% des menus bois

Les techniques actuelles de récolte du bois énergie : la récolte des souches En France, système utilisé essentiellement dans les Landes, dans les coupes rases

Biomasse et minéralomasse Biomasse : ensemble de la matière organique d'origine végétale ou animale présente dans un milieu naturel donné Minéralomasse : contenu en éléments minéraux de la biomasse (Azote N, Phosphore P, Potassium K, Calcium Ca, Magnésium Mg et autres oligoéléments) Les petits compartiments de la biomasse (brindilles, feuillage), les jeunes arbres et l’écorce sont plus concentrés en éléments minéraux que le tronc :

Exemple d’un bilan de minéralo-masse : Douglas, 38 ans (données en kg/ha) Compartiments Biomasse N P K Ca Mg Troncs découpe 7 cm 288 704 275,4 43,0 168,6 278,9 36,0 Cime 2 088 2,3 0,4 1,4 2,1 0,3 Branches 23 937 94,9 12,2 43,5 114,2 10,1 Feuillage 9 666 134,4 13,5 44,5 78,3 12,6 Arbre Entier (sans souches ni racines) 324 395 506,9 69,2 257,9 473,5 58,9 Sol de 0 à 40 cm 11 475,0 58,7 231,5 5 013,0 234,9 Sol de 40 à 100 cm 5 580,0 16,7 217,2 3 668,0 66,0 Total sol (éléments assimilables) 17 055,0 75,4 448,7 8 681,0 300,9

Exemple d’un bilan de minéralo-masse : Châtaignier, 25 ans (données en kg/ha) Compartiments Biomasse N P K Ca Mg Troncs découpe 7 cm 96,9 141,3 9,3 61,0 353,3 32,7 Cime 4,2 5,5 0,3 2,4 7,6 0,9 Branches 19,3 108,1 9,8 51,8 240,9 25,0 Feuillage 2,8 47,5 6,2 35,4 31,2 8,4 Arbres vivants (total) 123,2 302,4 25,7 150,6 632,9 67,0 Arbres morts 27,7 2,0 9,2 100,5 10,2 Biomasse aérienne totale (sans souches ni racines) 150,9 349,8 27,6 159,7 733,4 77,2 Sol de 0 à 75 cm 4 195,1 26,7 499,8 1780,4 125,5 Sol de 75 à 100 cm 1 218,8 13,9 183,3 2094,2 64,8 Total sol (éléments assimilables) 17 055,0 75,4 448,7 8 681,0 300,9

Récolte de l’arbre entier et exportation minérale Du fait des concentrations minérales dans les petits compartiments de la biomasse, l’exportation minérale est accrue par l’exploitation par arbre entier La récolte par arbre entier (troncs + menus bois) = Une exportation de biomasse légèrement accrue = Une exportation minérale 1,5 à 3 fois supérieure à une exploitation conventionnelle (bois fort) Est-ce que les sols forestiers peuvent supporter une telle intensification de la récolte, sans remettre en question leur fertilité chimique et donc leur productivité?

Réponse donnée par l’analyse du cycle biogéochimique Cycle biogéochimique : circulation permanente des éléments minéraux entre les compartiments de l’écosystème, les végétaux et les horizons prospectés par la végétation totale (incluant les différentes strates), les couches humifères localisées à la surface du sol et à nouveau le sol minéral Ce cycle se mesure à l’échelle spatiale soit de la parcelle, soit du bassin versant, et pour un pas de temps correspondant à un cycle végétatif complet (un an sous nos climats). Le bilan le plus important pour la gestion des écosystèmes forestiers est celui établi pour la révolution complète.

Représentation du cycle biogéochimique Plus une essence est efficiente, plus le recyclage interne des éléments minéraux va être important.

Une méthode plus « simple » : l’analyse des bilans minéraux sur une révolution complète Bilan minéral = flux entrants – flux sortants Tout déséquilibre de ce bilan se rétablira au détriment de la productivité 3 éléments minéraux sont les plus susceptibles d’être en déficit : Ca, N, P

Une intensification de la récolte à raisonner suivant les sols La capacité des sols à supporter une intensification de la récolte dépend de la dynamique du cycle biogéochimique et de ses réserves Sensibilité d’un sol à l’intensification suivant différents paramètres (Augusto et al., 2000) : Composition du sol Variable Catégorie de sol Très sensible Intermédiaire Peu sensible Composition de la roche mère (a) (teneurs en % d’oxydes) Si (Si + Al) / (Fe + Mg) (Na + Ca + Fe + Mg) > 65 ≥ 10 ≤ 15 [65 ; 52[ [10 ; 5[ ]15 ; 25] ≤ 52 ≤ 5 > 25 CEC et taux de saturation du sol CEC (cmolc/kg) Taux de saturation (%) ≤ 10 ≤ 20 ]10 ; 25] ]20 ; 70] > 70 Acidité du sol (b) pHeau ≤ 4,2 ]4,2 ; 5,0] > 5,0 Présence de carbonates Effervescence à l’acide (HCl) Nulle Faible Notable à forte Recyclage des nutriments Accumulation de litière (t/ha) - Mull < 5,0

Guide sur la récolte raisonnée des rémanents en forêt Guide publié en 2004 par l’ADEME Objectif : avoir un guide national simple d’utilisation Il existe des guides similaires dans d’autres pays en lien avec les systèmes de certification PEFC/FSC (USA, Canada, Suède, Finlande, Royaume-Uni, Autriche…)

Classification des sols S/T S Pôle sableux L Pôle limoneux A Pôle argileux S1 S2 L1 L2 L3 A1 A2 K 2 Calcaire actif Pas d’effervescence de la terre fine à HCl dilué Efferves- cence 3 pH horizon A < 4 ]4-4,5] ]4,5-5[ [5-5,5[ [5,5-6[ [6-6,5[ [6,5-7[ > 7 1 Humus Mor Dysmoder Moder Dysmull Oligo-mull Méso- mull Eumull Mull calcique Mull carbonaté Sensibilité forte Sensibilité moyenne Sensibilité faible

Récolte raisonnée par type de sol Sols faiblement sensibles Sols moyennement sensibles Sols fortement sensibles Bonne richesse minérale Sol pouvant supporter une sylviculture relativement intensive Rester vigilant lors de la récolte des rémanents Pratiquer une seule récolte des rémanents dans la vie du peuplement Sols très pauvres Accompagner toute récolte de rémanents d’une fertilisation compensatoire au risque sinon de voir la production du peuplement forestier baisser Pas de fertilisation compensatoire nécessaire Au-delà d’une récolte des rémanents par révolution, fertiliser avec une quantité minérale égale aux exportations Fertiliser après récolte des rémanents avec une quantité égale à 1,5 fois les exportations + Conseils par essence et type de peuplement : sur la durée minimale entre 2 récoltes de rémanents sur les quantités minérales éventuelles à rapporter en fertilisation Des conseils, hors fertilisation compensatoire, qui sont précautionneux/conservatoires par rapport à la fertilité des sols. => Il y a des marges de manoeuvre et en appliquant ces conseils les risques sont très limités d’appauvrir les sols. On pourrait aller un peu plus loin dans la récolte des menus bois (et des souches) sans mettre en danger la fertilité des sols, et donc leur gestion durable.

Conseils de récolte Laisser sécher les rémanents sur la parcelle 4 à 6 mois avant leur récolte ou récolter les rémanents de feuillus en hiver : Les feuillages et les brindilles, très concentrés en éléments minéraux, restent sur le sol de la parcelle Le PCI des rémanents est augmenté La proportion de « fines » dans les plaquettes, dont le taux de cendre est élevé, est réduit Selon la sensibilité du sol, récolter les rémanents jusqu’à 2 fois maximum dans la vie du peuplement, sans apport de fertilisants : Les risques d’appauvrissement des sols et les autres conséquences potentielles (sur la faune et flore) sont limités Cf. guide ADEME pour plus de détails

Des conseils affinés par une modélisation sous Excel (projet FORGECO)

Les limites du bilan minéral Pertes d’exploitation largement sous-estimées dans les études Quel suivi assurer sur une révolution forestière ? Grande variation : suivant le peuplement (feuillus/résineux) et au cours de la vie du peuplement (hauteur des arbres, évolution des apports) Difficulté et imprécision sur la quantification de l’altération Quelle profondeur de sol prendre en compte ? Idem pour le drainage avec moins d’imprécision toutefois sur la quantification de ce flux => Etre modeste dans les conclusions avancées

En conclusion Des conseils de récolte des menus bois dans le guide ADEME : Précautionneux par rapport à la fertilité des sols (hors fertilisation) Qui mériteraient d’être affinés régionalement en fonction des conditions pédoclimatiques locales, des essences et des sylvicultures pratiquées Déjà intégrés dans les études de ressource sur le bois énergie (www.dispo-boisenergie.fr) Un besoin d’études complémentaires : Avoir des méthodes plus précises pour quantifier les flux du cycle biogéochimique Mener un observatoire de peuplements et sylvicultures types (intégrant différents scénarios d’intensification), à suivre dans le temps (> 10 ans) Etudier les compensations minérales par apport de cendres des chaudières bois (cf. Suède, Finlande)