Les modèles de traitement des nombres et du calcul Alain Ménissier Orthophoniste et praticien- chercheur alain.menissier@wanadoo.fr
Un premier modèle : la bosse des maths
Un million de million, c’est égal à… ? Cette question a été posée dans l’émission « Qui veut gagner des millions? » Mais comment pouvons-nous modéliser un tel traitement numérique de cette quantité? Un million de million, c’est égal à… ? dix milliards mille milliards cent milliards dix mille milliards
Extrait de l’émission télévisée : Qui veut gagner des millions? - Pour mieux comprendre l’écriture littérale, nous devons passer par l’écriture chiffrée, et donc effectuer un transcodage entre un code verbal alphabétique et un code numéral chiffrée (arabe) : un million de millions 1 000 000 000 000 mille milliards
Un modèle de traitement des nombres et du calcul boîte noire ? numéral arabe: ? numéral verbal oral: [trãtsis]
Un modèle de traitement des nombres et du calcul Agrandissons la boîte noire: Système de Compréhension des nombres Système verbal lexique phonologique (oral) Syntaxe lexique graphémique (écrit) Système des nombres arabes Syntaxe + lexique arabe
Les Mécanismes de calcul Mc Closkey et Caramazza ont proposé dès 1985 un modèle neuropsychologique présentant une architecture cognitive élargie qui englobe non seulement le traitement des nombres mais aussi l’arithmétique élémentaire. Ce modèle s’organise sous la forme d’une construction de trois systèmes.
Les Mécanismes de calcul Un système de compréhension des nombres et un système de production des nombres, agencés de façon semblable. Ils possèdent tous deux un sous-système verbal (où sont dissociées forme phonologique et forme alphabétique) et un sous-système des nombres arabes, eux-mêmes composés de modules de traitement lexical et syntaxique. On obtiendra une représentation sémantique de la valeur d’un nombre donné quel que soit le code d’entrée ou de sortie.
Les Mécanismes de calcul Un système de calcul qui se décompose en trois sous- systèmes : Un sous-système de traitement des symboles précisant l’opération à effectuer ; Un sous-système qui recherche les faits arithmétiques, comme par exemple, la connaissance des tables de multiplication ou les doubles en addition ; Un sous-système activant les procédures de calcul lorsque la réponse ne se trouve pas dans le stock des faits numériques.
Les Mécanismes de calcul Cette organisation en sous-systèmes est à mettre en relation avec la distinction entre les connaissances déclaratives factuelles et les connaissances procédurales, mais ne permet pas d’appréhender l’utilisation de stratégies opérationnelles comme processus de calcul (recours au mécanisme de commutativité et d’associativité notamment) ; le modèle de Mc Closkey requiert donc au minimum une extension du composant calcul, si l’on envisage de l’utiliser dans une optique développementale.
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres A ce titre, nous pouvons définir: Un lexique ou ensemble de symboles, d’éléments de base encore appelés, les « primitives lexicales ». Une syntaxe ou ensemble de règles régissant l’organisation séquentielle des nombres. Une sémantique des nombres (traitant de leur signification)
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres Les principaux codes sont: Le code numérique (chiffres arabes) qui a pour lexique l’ensemble [1, 2, … 8, 9, 0]. Ces primitives sont réunies en une seule catégorie et ordonnées de façon croissante de la position 1 à la position 9. Sa syntaxe est réduite à l’unique règle selon laquelle toute suite numérique est un nombre entier correct si elle ne commence pas par 0 [ 056 mais ne trouve-t-on pas écrit 05 / 03 / 2008 !]
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres Le code phonographique sous ses deux formes alphabétique (six mille) et phonologique [simil]. Ses éléments lexicaux (sauf zéro, cent, million et milliard) sont regroupés en 3 catégories: - les noms d’unité (U): un, deux, trois… neuf. - les noms de dizaine (D): dix, vingt… soixante. - les noms en Ze ou nombres particuliers (Z): onze, douze… seize. Ces noms sont ordonnés dans chaque catégorie de façon croissante (de la position 1 à la position 9 ou 6).
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres Les primitives lexicales du code phonographique se caractérisent donc par deux informations indépendantes: La catégorie La position Par exemple, dans la catégorie dizaine, la position 3 réfère sans ambiguïté à la primitive « trente « (et vice versa)
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres neuf huit sept six seize soixante cinq quinze cinquante quatre quatorze quarante trois treize trente deux douze vingt un onze dix Unités Particuliers Dizaines
Petit rappel sur les codes permettant de représenter les nombres Ces deux principaux codes (il existe d’autres codes, comme le code des chiffres romains ou les codes de civilisations anciennes) constituent des mini-langages caractérisés par : Un lexique réduit (10 chiffres, 24/ 25 mots) Une syntaxe simple à formaliser L’absence d’ambiguïté sémantique. Ces deux systèmes restant en relation bi-univoque, puisqu’à chaque forme de l’un correspond une seule forme de l’autre (excepté « dix huit cents/ mille huit cents »).
Un modèle de traitement des nombres et du calcul Retour à notre modèle et à notre premier système de modules: Système de Compréhension des nombres Système verbal lexique phonologique (oral) Syntaxe lexique graphémique (écrit) Système des nombres arabes Syntaxe + lexique arabe
Un modèle de traitement des nombres et du calcul Second système avant la sortie: Système de Production des nombres Système verbal lexique phonologique (oral) Syntaxe lexique graphémique (écrit) Système des nombres arabes Syntaxe + lexique arabe
Postulats de neuropsychologie Les neuropsychologues postulent la modularité d’un certain nombre de composants cognitifs: Nécessité de définir les modules. Nécessité de définir une architecture commune à tous ces modules. Le modèle pathologique reste un bon modèle pour comprendre le fonctionnement normal de la cognition (un système lésé fonctionne comme un système normal moins quelque chose : postulat de soustractivité).
Postulats de neuropsychologie Un module se définit comme « une unité cognitive qui traite des informations ». Chaque module est autonome et encapsulé (il n’est pas affectable par des modules extérieurs). relation de type sériel organisation parallèle A A B B
Un modèle de traitement des nombres et du calcul Système de compréhension des nombres Système de production des nombres Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique ? Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe
Un modèle de traitement des nombres et du calcul Système de compréhension des nombres Système de production des nombres Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique Représentation sémantique Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe
Modèle de Baltimore (Mc Closkey et coll., 1992) Système de calcul Traitement des symboles d’opérations Procédures de calcul Stock des faits arithmétiques Système de compréhension des nombres Système de production des nombres Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique Système verbal lexique phonologique Syntaxe lexique graphémique Représentation sémantique Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe Système des nombres arabes Syntaxe lexique arabe
Système de compréhension Système de production des nombres Un modèle pour comprendre les épreuves de transcodage présentes dans les tests: Système de compréhension des nombres Système de production des nombres Système NVO/NVE numéral verbal oral numéral verbal écrit Système NVO/NVE numéral verbal oral numéral verbal écrit Représentation sémantique Système des NA numéral arabe Système des NA numéral arabe
Comprendre et analyser les erreurs dans les épreuves de transcodage : L’erreur lexicale respecte le nombre de chiffres de la suite numérique, mais un ou plusieurs chiffres sont remplacés par un autre de la même pile (ou même catégorie lexicale U, Z, D) 42 pour 32, 600 pour 700 L’erreur syntaxique où le nombre de chiffres de l’item réponse est différent de celui de l’écriture de l’item de départ: - les chiffres (différents de 0) manquent (748 pour 7948) - ajout d’un ou plusieurs 0 (70003 pour 703) - erreur combinée: (8001007 pour 8197) L’écriture des dizaines complexes est lexicalisée (6012 ou 612 pour 72) Le 1 (suivi éventuellement de un ou plusieurs 0) s’ajoute en position de cent ou de mille (6143 pou 643, 61032 ou 610032… pour 6032, 41532 pour 4532)
Comprendre et analyser les erreurs dans les épreuves de transcodage : 3. L’erreur mixte combine à la fois une erreur syntaxique et une erreur lexicale: 615 pour 72. 4. Autres erreurs: n’appartenant à aucun des trois types précédents comme le remplacement d’un chiffre par une lettre ou par un mot : soixante 15 pour 75.
Exemple de difficultés de transcodage
Chloé D. [9 ans 6 mois] En CE 2, suivie pour difficultés dans l’acquisition de la lecture (troubles dans la mise en place du composant linguistique, difficultés en métaphonologie… Et… difficultés en mathématiques! )
Modèle de Baltimore (Mc Closkey et coll., 1992) Problème au niveau de la représentation sémantique ? Selon Mc Closkey, tout numéral réfère à ce niveau à une représentation sémantique abstraite, sous forme de puissance de 10 : 5237 = (5 x 103) + (2 x 102) + (3 x 101) + (7 x 100) Alors, les numéraux [mille huit cents] et [dix-huit cents] ont la même représentation sémantique car pour le second, on ne peut écrire 18 x 102 (18 n’est pas une primitive lexicale, de 1 à 9). Dans ce cas, leur transcodage erroné devrait conduire aux mêmes types et proportions d’erreurs. Chez l’enfant comme chez l’aphasique, on observe au contraire des variations de performances non négligeables en fonction de la forme verbale utilisée.
Modèle de Baltimore (Mc Closkey et coll., 1992) De même, la présence d’une dizaine complexe (soixante-dix /septante) entraîne un taux d’erreur significativement plus élevé chez les enfants français que pour les enfants belges (Seron & Fayol, 1994): septante = 7 x 101 soixante-dix = 7 x 101 ou (6 x 10) + (1 x 101) Un autre modèle est donc nécessaire pour rendre compte des variations de performance associées aux différentes dénominations verbales, et plus généralement de l’impact des codes.
Modèle du Triple-code pour le traitement des nombres (d’après Dehaene, 1992) forme verbale des numéraux Représentation analogique de la magnitude comparaison faits arithmétiques forme visuelle des numéraux arabes
Modèle du Triple-code: un fait simple: 3 + 2 routine verbale système verbal « cinq » faits arithmétiques forme visuelle des numéraux Après encodage, un problème simple active directement la routine verbale correspondante. « trois plus deux » 3 + 2
Modèle du Triple-code: un fait complexe: 9 + 7 système verbal ? faits arithmétiques forme visuelle des numéraux Un problème complexe n’est certainement pas stocké comme tel en mémoire. « neuf plus sept » 9 + 7
Modèle du Triple-code: un fait complexe: 9 + 7 Élaboration Sémantique: 9 proche de 10 9 + 7 = 10 + 6 système verbal « seize » faits arithmétiques forme visuelle des numéraux Des informations sémantiques peuvent être utilisées pour recoder le problème sous une forme plus familière. « dix plus six » 9 + 7
FIN