PARTIE X – Chapitre 2 Le point sur la politique du franc fort (1986-1998)
Deux expériences successives de franc fort : La 1ère de 1986 à 1992 La 2nde, 1992-1998, initiée par la crise du SME de 1992, laquelle résulte de l’apparition des contraintes budgétaires. Politique de désinflation compétitive proprement dite achevée, puisque : l’inflation est vaincue les comptes des entreprises sont restaurés et, par conséquent, la compétitivité de l’économie française s’améliore.
La 1ère expérience du franc fort Se déroule du début 1987 au printemps 1992. Commence sous la 1ère cohabitation, suite à la victoire de la droite aux législatives de 1986 : gvt de Jacques Chirac (1986-1988). Deux sous-périodes distinctes : À partir de 1987 : Reprise économique : ↑ de 4,5 % du PIB réel en 1988 et ↓ du chômage : autour de 9 % de la population active. Dans un contexte euphorique de reprise de la construction européenne : Entrée en vigueur de l’Acte unique en juillet 1987 Projets préparatoires à l’union monétaire (Livre blanc de 1989, à l’initiative de Jacques Delors qui préside la Commission européenne) Adhésion du Royaume-Uni au SME en 1989
La 1ère vague de privatisations : À partir de 1990 : Europe atteinte par la récession qui a touché les Etats-Unis en 1989 Mais effets d’abord atténués par l’impact expansionniste de l’unification allemande, jusqu’à ce que la Bundesbank durcisse sa politique monétaire 1990 : libération complète des mouvements de capitaux dans la CEE Par ailleurs, les privatisations sont amorcées dès 1986 (Alain Madelin ministre de l’industrie), et deviennent un élément essentiel de la politique de désendettement de l’Etat. La 1ère vague de privatisations : concerne une dizaine d’entreprises industrielles (Saint-Gobain, CGE, Matra…) et financières (Société générale, CCF, Paribas, Suez…) est interrompue par le krack boursier de 1987.
Le krack boursier d’octobre 1987 présente les caractéristiques suivantes : Très brutal Concerne surtout le marché américain, et par contagion s’étend à d’autres pays N’a pas d’impact sur l’économie réelle. Arrivée à la tête de la Réserve fédérale d’Alan Greenspan en août 1987 (qui prend la suite de Paul Volcker) : Durcissement de la pol mon (↑ des taux courts) Car suite aux accords du Plaza (1985), les interventions concertées des pays du G7 ont permis une dépréciation de 50 % du $ (malgré les accords du Louvre en 1987 qui visent une réappréciation du $) L’économie américaine est alors en plein boom et les pressions inflationnistes réapparaissent L’annonce d’un creusement du déficit extérieur américain va précipiter la ↑ des taux longs et la chute des marchés boursiers. Le lundi 19 octobre 1987 (ou lundi noir) l’indice Dow Jones perd près d’1/4 de sa valeur.
La politique économique précédemment menée n’est pas infléchie. Fin de la 1ère cohabitation et retour d’un gouvernement de gauche : législatives de juin 1988 gagnées par la gauche, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale par F. Mitterrand après sa réélection à la présidence de la République. Plusieurs gouvernements se succèdent au cours de la période 1988-1993 : gvt. Rocard (puis Cresson), Bérégovoy Min. des Finances puis gvt. Bérégovoy, Sapin Min. des Finances La politique économique précédemment menée n’est pas infléchie. Politique dite du « ni, ni » : ni nationalisations, ni privatisations. On ne revient pas sur la 1ère vague de privatisations. La principale nouveauté en matière de politique sociale est la création du RMI (Revenu minimum d’insertion) en 1988 par le gvt. Rocard.
La 2ème expérience du franc fort (1992-1998) : la recherche de la crédibilité budgétaire La crise du SME de 1992-1993 : Point de départ : durcissement de la pol mon de la Bundesbank (↑ taux courts qui atteignent 10 %), face à l’accélération de l’inflation (5,5 %) consécutive à la réunification allemande À partir de septembre 1992, face aux attaques spéculatives contre les monnaies européennes (notamment menées par Le hedge fund de George Soros), anticipant une dépréciation par rapport au mark : sortie de la £ et de la lire du SME puis dévaluations (réajustements des cours-pivots) de plusieurs monnaies Puis élargissement des marges de fluctuations (jusqu’à ± 15 %). Le franc est ramené dans la marge étroite de fluctuation en décembre 1993.
La récession de 1993 : dégrade les comptes publics et fait repartir le chômage à la hausse le seuil des 3 millions de chômeurs est franchi en 1993, soit 12 % de la population active. Face au déficit des comptes de la sécurité sociale, création de la CSG (contribution sociale généralisée) en 1991 : assise sur l’ensemble des revenus (avant impôt) au taux initial de 1,1 %, qui sera augmenté par la suite.
Poursuite de la construction européenne : Signature en 1992 du TUE (traité sur l’Union européenne), plus connu sous le nom de traité de Maastricht, qui entrera en vigueur en 1993. Volonté de réaliser l’UEM (union économique et monétaire) à tout prix : Comme solution future aux problèmes présents (dont l’instabilité des changes qui nuit à l’intégration des économies) Mais aussi comme justification des sacrifices passés. Fixation de 5 critères de convergence nominale : Taux d’inflation Taux d’intérêt à LT Taux de change Dette publique / PIB < 60 % Déficit public / PIB < 3 % Ces dispositions seront par la suite prolongées par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC).
La 2ème vague de privatisations intervient à partir de 1993 : Echec retentissant des socialistes aux élections législatives de 1993 : faute de différences notables entre les politiques économiques menées par la gauche et la droite. La 2ème vague de privatisations intervient à partir de 1993 : elle débute sous le gvt. Balladur au cours de la 2ème cohabition, puis se poursuit au cours de la seconde moitié des années 1990 (cf. document n° 9). Mais afin d’éviter que la récession ne s’installe et ne s’aggrave, le gvt. Balladur (1993-1995) doit laisser filer le déficit budgétaire. D’où un fort accroissement de l’endettement public.
En mai 1995, Jacques Chirac succède à François Miterrand au poste de Président de la République, après avoir fait campagne sur le thème de la « réduction de la fracture sociale ». Cette élection présidentielle marque la fin de deux septennats de présidence socialiste. 1995-1997 : gouvernement d’Alain Juppé. En 1995, l’annonce du « plan Juppé » sur la réforme du système de sécurité sociale et la réduction des dépenses de santé, provoque un mouvement social d’une ampleur inédite depuis 1968. A partir de 1996, politique volontariste de restriction des déficits publics, afin de respecter les critères de Maastricht devant permettre d’accéder à la monnaie unique.
En raison du mécontentement social, la gauche emporte ces élections. Les élections législatives de 1997 ont lieu suite à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Chirac. En raison du mécontentement social, la gauche emporte ces élections. Cette victoire de la gauche conduit au 3ème épisode de cohabitation : Lionel Jospin, Premier ministre D. Strauss-Kahn (1997-1999) puis Laurent Fabius, Ministres de l’Economie et des Finances. Adoption de mesures volontaristes visant à réduire le chômage : création de 300 000 emplois-jeunes diminution à 35 heures de la durée légale hebdomadaire de travail (Lois Aubry). Baisse significative du chômage autour de 2 millions, soit 8,5 % de la population active en 2001, qui s’explique en partie par la reprise de la croissance (4 % en 2000). Un débat s’engage avec les syndicats sur le « partage des fruits de la croissance », alors que le ralentissement de la croissance intervient à partir de 2001.
Conclusion Inflation maîtrisée Compétitivité restaurée : excédent extérieur structurel à partir du début des années 1990 Le chômage n’est pas résorbé, puisqu’il se maintient en moyenne autour de 10 % de la population active. Deux épisodes de réduction du chômage interviennent respectivement à partir de 1988 et de 1998 ; entrecoupés par une hausse consécutive à la récession de 1993. Sorte d’hypocrisie de la désinflation compétitive (Lordon, 1997) : les sacrifices demandés aux salariés ont conduit à un partage de la VA plus favorable aux entreprises mais sans ↓ du chômage le maintien d’un taux de chômage élevé a même induit une pression à la ↓ sur les salaires.
On peut donc se demander si, au final, cette politique n’a pas fait porté l’essentiel du poids de la rigueur sur les salariés. Malgré : l’annonce d’une volonté de « réduire la fracture sociale », par Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995, puis la promesse de Lionel Jospin de ne pas sacrifier le social à l’économie, c’est désormais l’engagement européen de la France qui trace le cadre des politiques économiques menées par les gouvernements successifs (quelles que soient les majorités) : À partir du 1er janvier 1999, le passage à la monnaie unique (l’euro fiduciaire n’entrera en circulation qu’au 1er janvier 2002) conduit les Etats membres de la zone euro à perdre leur souveraineté monétaire au profit de la BCE : indépendante et dont l’objectif principal est la stabilité des prix; Afin d’éviter que les économies des pays de la zone euro ne divergent, les politqies budgétaires nationales sont encadrées par le pacte de stabilité et de croissance (PSC).
Bilan Dans l’immédiat après-guerre, la France a fait le choix : d’un régime de forte croissante avec inflation (Trente glorieuses) d’une économie mixte, combinant une forte présente de l’Etat et un modèle salarial protecteur et d’un engagement résolu dans la construction européenne et l’ouverture économique. C’est notamment ce dernier choix qui va conduire par la suite à la remise en cause du régime d’accumulation fordiste (école de la régulation), par l’acceptation progressive et douloureuse de la contrainte extérieure. La régulation conjoncturelle keynésienne est alors abandonnée, comme dans la plupart des pays développés, au profit d’une politique de lutte contre l’inflation et de rétablissement des grands équilibres, qualifiée de logique de la désinflation compétitive.
Une fois l’inflation maîtrisée, la politique de rigueur sera globalement maintenue : dans le cadre de la préparation du passage à la monnaie unique et pour faire face à la contrainte budgétaire de l’Etat. La lutte contre le chômage n’aura donc été que très temporairement l’objectif prioritaire de la politique économique française. Par ailleurs, la réalisation progressive du grand marché unique européen conduit de plus en plus à remettre en cause les choix faits par la France dans l’immédiat après-guerre d’une économie mixte et administrée. En effet, face à la relative passivité de la politique conjoncturelle, les politiques structurelles jouent dorénavant un rôle essentiel avec pour objectif l’instauration et/ou le respect des mécanismes de marché. Ainsi, la politique européenne de la concurrence conduit au démantèlement des services publics à la française.