1517-2017 : 500e anniversaire de la Réformation II - Martin Luther
« Indulgence », avez-vous dit ? Les indulgences sont des attestations officielles que l’on peut acquérir à prix d’argent (au début : prières, pénitences, pèlerinages…) qui garantissent la remise de certaines peines imposées pour ses fautes (et l’absolution), pour soi-même ou pour des défunts (années de purgatoire). Objet de nombreuses discussions dans l’Église (absence d’une décision conciliaire). Les Réformateurs remettront en question la piété du Moyen-Âge et la valorisation des mérites dans le processus d’obtention du salut, pour redécouvrir l’accent paulinien de la justification par la foi seule. Le trafic des indulgences : porte atteinte à une pénitence sérieuse; mépris de la grâce et illusion du salut (vs culpabilisation).
Luther, lui-même confesseur, avait constaté que les indulgences portaient atteinte à une pénitence sérieuse. Lui et les réformateurs accusent la papauté d’excès de pouvoir quand elle prétend disposer des mérites du Christ (et des saints) et de pouvoir agir sur ce qui se passe au purgatoire. Aussi, cet argent servait tout autant aux œuvres civiles des princes et de l’Église qu’au financement de la construction de la basilique Saint-Pierre à Rome et pour renflouer les coffres du Vatican (colère de la bourgeoisie). C’est en s’attaquant à la pratique de la vente des indulgences que Luther déclenche un débat majeur avec la théologie de son époque.
Martin Luther (1483-1546) Né à Eisleben; élève brillant Son père (commerçant) veut qu’il devienne avocat Mais expérience mystique à 22 ans Entre dans les ordres et se fait moine augustin (1507) Étude en théologie et en philosophie; études sur la Bible Son père est furieux : « Le maître des Arts va devenir un fainéant. » Grave crise spirituelle (angoisse ambiante) : « Comment puis-je avoir la certitude d’être sauvé ? Comment aimer Dieu et le Christ adéquatement ? Comment interpréter la justice de Dieu ? »
Martin se réfugie dans l’ascèse; il multiplie confessions, mortifications, jeûnes, privations, les veilles… ne lui permettent pas de se libérer de son sentiment de culpabilité. Voyage à Rome (1510-11)… pas celles des martyrs, centre vivant de la communauté des croyants, la résidence du vicaire de Dieu, mais celle de Jules II Borgia : espoir et déception; abasourdi; la haine au cœur. Se replonge dans l’étude de la Bible 1513 : Docteur en théologie à l’Université de Wittenberg; Commentaires sur les Psaumes, Romains, Galates, Hébreux… 1515 : Nommé provincial de l’Ordre de Augustins
Finalement, la réponse !! La justice de Dieu dont parle l’Évangile n’est pas celle du Dieu juge, mais l’acceptation de l’être humain pêcheur par Dieu, la justification de l’être humain pas la foi en Christ (Rm 1,17) Un Dieu qui punit, celui de l’Église vs un Dieu qui fait miséricorde, celui de l’Évangile Les bonnes œuvres sont vaines; le salut est un don gratuit de Dieu ! Immense sentiment de libération et de gratitude : « Alors je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l’Écriture m'apparut sous un autre visage ». « Personne ne sera justifié par les œuvres de la loi. Par la foi, nous attendons le jugement avec confiance. » Luther prêche l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu : « Cessez de vivre dans la peur et l’affliction. Dieu vous rachète et vous pardonne sans cesse. »
C'est sa compréhension nouvelle de l’épître de Paul aux Romains qui lui procure le soulagement. Il écrira : « Alors je commençai à comprendre que la « justice de Dieu » est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification (de la lettre de Paul aux Romains au chapitre 1,17) était celle-ci : par l'Évangile nous est révélée la justice de Dieu..., par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi... » Romains 1,17 : C’est en lui en effet que la justice de Dieu est révélée, par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Celui qui est juste par la foi vivra.
Il commence à élaborer une nouvelle théologie : l’humain ne devient pas juste en accomplissant les bonnes œuvres, il réalise des œuvres bonnes parce qu’il est juste devant Dieu, par la foi. Tout le reste est inutile. La foi est une union intime avec le Christ; l’humain et juste ET pécheur Cherche à réformer l’Église en recentrant son action sur la Parole de Dieu La controverse déborde vite les indulgences pour se focaliser sur celle de l’autorité du pape. Il change son nom de Martin Luder à Martin Luther (eleutherios) ! 31 octobre 1517 : Il rend publiques ses 95 thèses contre les indulgences, la richesse, l’abus de pouvoir, les pratiques immorales, les excès… Il les envoie à l’archevêque Albert de Mayence… qui les transmet à Rome.
Diverses représentations de la scène mythique de Luther affichant ses 95 thèses sur la porte de la chapelle du château seigneurial de Wittenberg
La fameuse porte telle qu’on la voit aujourd’hui et l’intérieur de la chapelle où est enterré Martin Luther
L’église de Wittenberg : chaire d’où prêchait Martin Luther et une œuvre le représentant
Le célèbre retable de Lucas Cranach dans l’église de Wittenberg; on voit à droite dans le panneau central Martin Luther (avec la barbe) à la même table que les apôtres présidée par Jésus
Mais pourquoi donc, mais pourquoi donc le 31 octobre ? À cause de l’archevêque de Mayence… Et du dominicain Johann Tetzel… qui avaient organisé ce jour-là à Wittenberg de grandes cérémonies d’indulgences pleines et entières dont les recettes devaient servir à rembourser les dettes de l’archevêque.
La suite des événements… Juillet 1518 : Entrevue avec le légat du pape Thomas Cajetan : le pape et le concile ne peuvent se tromper; quiconque interprète l’Écriture différemment est hérétique… qui n’apporte guère de solution. Luther en appelle au concile Juillet 1519 : Dispute publique contre Johann Eck à Leipzig. (Arguments bibliques; l’église n’a pas besoin de chef terrestre) Convaincu d’avoir raison, Luther part à l’attaque sur d’autres problèmes : l’Église, les sacrements, l’état conjugal… Juin 1520 : Condamnation de 41 de ses thèses (pénitence, le pouvoir des clés, purgatoire) : « Lève-toi, Seigneur, juge ta cause, un renard ravage ta vigne. » vs « Tu te trouves là comme un agneau au milieu des loups. »
3 janvier 1521 : excommunication de Luther et de ses partisans Avril 1521 - Diète de Worms devant l’empereur Charles Quint (convoquée à cause des divisions dans son empire) : Il demande une nuit de réflexion. Le lendemain, il annonce son refus de se rétracter : « Votre Majesté sérénissime et Vos Seigneuries m’ont demandé une réponse simple. La voici sans détour et sans artifice. À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l'Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l'Écriture que j'ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. Me voici donc en ce jour. Je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide. »
Il ne peut reculer car ce qui est en jeu, pour lui, c’est le salut de l’être humain et la vérité de l’Évangile. Il est mis au ban de l’Empire : il perd tous ses droits civiques. Courage, audace, mais aussi aplomb et confiance en lui et aussi les réactions. Il reçoit la protection du prince Frédéric le Sage = Chevalier George. Traduction du Nouveau Testament (1521) à partir du grec; et de l’Ancien Testament (terminée en 1534) à partir de l’hébreux; œuvre maîtresse, qualités littéraires et religieuses; nombreuses gloses et préfaces. 430 rééditions jusqu’à sa mort Même excommunié, même mis au ban de l’Empire, les gens adhérent à ses idées
La formation de pasteurs : sacrements, prédication et éducation Nomination d’évêques : discipline et visites pastorales Abandon de la messe-sacrifice; dans la langue du peuple; chant de l’assemblée; eucharistie hebdomadaire; fermeture des monastères Écoles populaires pour tous : visée théologique, vision nouvelle de l’enfant et urgence en la matière Secours des pauvres et des indigents (importance de la personne) Il se marie avec Catherine de Bora en juin 1525
Les conflits… Carlstadt : Collègue de Luther; réforme radicale (communion, structures laïques, iconoclasme, spiritualisme…) Thomas Müntzer : interprétation de la Bible et réforme globale, révolte de paysans (1525) vs élite cléricale, millénarisme Anabaptistes : re-baptême, contre toute forme de violence (prise de Munster en 1533; (huttérites; mennonites; baptistes) Érasme : le salut n’est pas une affaire de volonté humaine, mais de grâce S’oppose au radicalisme de Zwingli
Les grands traités Sermon sur les bonnes œuvres : si l’être humain est sauvé par grâce, à quoi servent les œuvres ?... Elles sont bonnes si elles sont accomplies dans la foi. Manifeste à la noblesse chrétienne de la nation allemande : appel au concile et ordre du jour (simplicité du clergé, ordres, vœux, célibat, messe, fêtes…) Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église : les deux seuls sacrements institués par Christ; Église = communauté de croyants; pasteurs = interprètes) Traité de la liberté chrétienne : contre l’extrémisme et le libertinisme; si l’être humain est libre de la hantise du salut, il est libre de servir son prochain. Du serf arbitre, De la papauté de Rome, les deux Catéchismes…
La fin de sa vie Luther termine sa vie dans une relative sérénité et joie de vivre, malgré plusieurs périodes de dépression et d'angoisse dues à la mort de sa fille Madeleine ou aux querelles entre protestants. Professeur ET pasteur, il est très sollicité; il console, conseille, exhorte, prend position sur diverses questions; il n’a rien perdu de sa pugnacité Il découvre l’Apocalypse : les forces hostiles sont la papauté, les protestants dissidents, les juifs, les « Turcs » (il étudiera le Coran) A-t-il été conscient de son rôle dans l’histoire ? « Nous sommes des mendiants. C’est la vérité ». Il décède à Eisleben le 18 février 1546