Chapitre 3 La croissance économique ESH ECE 2 Camille Vernet 2017-2018 Nicolas Danglade

1. Définition et mesures 1.1 Qu’est-ce que la croissance ? 1.1.1 Définir la croissance comme un phénomène quantitatif : l’augmentation du produit réel 1.1.2 Mesurer la croissance comme un phénomène quantitatif 1.1.3 La croissance accompagne les transformations de la société

1.1.1 Définir la croissance comme phénomène quantitatif : la hausse du produit réel François Perroux (1903-1987): « La croissance économique correspond à l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global net en termes réels ». Croissance : taux de variation positif du PIB réel Niveau de vie : variation PIB/habitants

1.1.2 Mesurer la croissance comme phénomène quantitatif Rappel pour mesurer le PIB Somme des valeurs ajoutées Somme des dépenses Somme des revenus Distinguer PIB nominal (valeur) et PIB réel (volume) PIB réel = PIB nominal – inflation

Comparaisons internationales ? Première difficulté : tout exprimer dans la même monnaie = il faut convertir une monnaie dans une autre à partir du taux de change = Que se passe-t-il si le taux de change varie ? Seconde difficulté : une même quantité de monnaie, le pouvoir d’achat est-il le même d’un pays à un autre ?

Solution : déterminer le PIB en PPA PPA = Parité de pouvoir d’achat Il coûte 100 dollars aux USA mais 90 euros dans l’UE Comment déterminer le taux de change en PPA ?

Le taux de change en PPA = 1 dollar pour 0,9 euro Il coûte 100 dollars aux USA mais 90 euros dans l’UE (prix du panier en euro/prix du panier en dollar) = 90/100 = 0,9 ce qui signifie qu’un dollar a le même PA que 0.9 euro Le taux de change en PPA = 1 dollar pour 0,9 euro

Taux de change en PPA : 1 euro vaut 1,11 dollar Il coûte 100 dollars aux USA mais 90 euros dans l’UE (prix du panier en dollar/prix du panier en euro) = 100/90 = 1,11 un euro a le même pouvoir d’achat que 1,11 dollar Taux de change en PPA : 1 euro vaut 1,11 dollar

Le taux de change le plus approprié pour comparer le PIB dans l’UE et aux Etats-Unis n’est pas le taux de change réel (1,3 dollar pour 1 euro en septembre 2017) mais le taux de change calculé en PPA, ici 1,11 dollar pour 1 euro Si le PIB de l’UE = 100 euros alors le PIB en PPA de l’UE en dollars est = 111 dollars

1.1.3 La croissance accompagne les transformations de la société Il ne faut pas étudier la croissance uniquement comme un phénomène quantitatif = Il faut déterminer les facteurs de la hausse du produit mais il faut aussi présenter les transformations qui accompagnent la hausse du produit

1.1.3 La croissance accompagne les transformations de la société Simon Kuznets (1971) discours réception du PN « La croissance économique d’un pays peut être définie comme une augmentation à long terme de la capacité d’offrir une diversité croissante de biens, cette capacité croissante étant fondée sur le progrès de la technologie et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’il demande » Il faut ouvrir la boîte noire de la croissance = les sources de la croissance

Une vieille interrogation des économistes !

Adam Smith Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776)

La croissance : source de bien être, de prospérité Extraits de Phelps et Deaton Croissance et prospérité Croissance et grande évasion

Angus Deaton (PN 2015) Le bien-être : désigner toutes les choses bonnes pour les individus, tout ce qui rend la vie meilleure. Cela inclut le bien-être matériel, comme le revenu et la richesse ; le bien-être physique et psychologique, représenté par la santé et le bonheur ; l’éducation et la capacité à participer à la vie civile par le biais de la démocratie et de l’Etat de droit.

Depuis 1960, presque tous les pays sont devenus plus riches et leurs habitants vivent plus longtemps. C’est peut-être le fait le plus important concernant le bien-être dans le monde depuis la Seconde guerre mondiale : les choses s’améliorent, les composantes « santé » et « revenu » du bien-être progressent avec le temps.

Edmund Phelps (PN 2006) Pour que l’économie d’un pays devienne majoritairement moderne, selon moi, il faut qu’elle ne se contente pas de produire des biens et des services déjà connus et spécifiques ; il faut qu’elle sache rêver de choses absolument nouvelles et qu’elle parvienne à concevoir la manière de produire des biens et services dont la production était jusqu’alors impraticable, voire inconcevable.

La croissance : augmenter le produit réel Simon Kuznets (PN 1971) Transformations structurelles Institutions Cadre idéologique diversifier l’offre / innovation et progrès technique / changement La croissance : augmenter le produit réel Edmund Phelps PN 2006 « La prospérité de masse » (2017) L’innovation chez l’homme = satisfaction personnelle / épanouissement à grande échelle Conséquences sur le bien être :+ espérance de vie, + éducation La « Grande Evasion » Angus Deaton (PN 2015)

1.2 La croissance économique depuis le 18ième siècle 1.2.1 Au 19ième siècle, la croissance s’accélère

La hausse du produit est supérieure à celle de la population

Cette accélération de la croissance est-elle la même dans tous les pays?

1.2.2 La dynamique de croissance est inégale : le creusement des inégalités internationales jusqu’aux années 2000

Avant la révolution industrielle et le décollage du début de la fin du 18ième/début 19ième siècle, les écarts de niveau de vie sont faibles car le niveau de vie est globalement faible partout La première puissance économique au 18ième siècle est certainement la Chine

Hausse niveau de vie Entre 0 et 1000 Entre 1000 et 1800 Entre 1800 et 1998 Europe Ouest, Japon, pays d’immigration européenne X 1 X 2,5 X 18 Amérique latine X 1,5 X 9 Asie (hors Japon) X1,25 X 5 Afrique X1 X 3

À partir des années 2000, les inégalités internationales se réduisent

1800/1990 : creusement écarts internationaux entre niveau de vie À partir de 1990/2000 : réduction de cet écart = convergence Convergence tirée par les grandes économies nationales Un phénomène historique !

François Bourguignon La mondialisation de l’inégalité La république des idées, 2012

Les inégalités changent de nature Avant 2000 : les inégalités sont essentiellement des inégalités entre pays riches et pays pauvres (inégalités internationales) À partir de 2000 : les inégalités tendent à devenir des inégalités entre riches et pauvres quel que soit le pays dans lequel ils habitent Les inégalités intranationales se creusent L’inégalité devient « mondiale »

2. Expliquer la croissance économique : du modèle de Solow aux modèles de croissance endogène 2.1 Une première modélisation qui met l’accent sur la quantité de facteurs de production : le modèle de Solow 2.1.1 Pour produire, il faut du travail 2.1.2 Pour produire, il faut du capital 2.1.3 L’équation de Solow: la croissance dans un modèle néoclassique 2.1.4 Portée et limites

2.1.1 Pour produire, il faut du travail Comment le travail détermine la production ? Évolution de la quantité horaire annuelle de travail effectué dans l’ensemble de l’économie : Durée annuelle moyenne du travail x nombre d’actifs en emploi

Quand la quantité de travail augmente, on s’attend à ce que la quantité produite augmente

Lien entre démographie et quantité de travail ?

La population européenne est > à celle des Etats-Unis … pourtant … le nombre d’heures travaillées dans la zone euro est inférieur de 13 % au nombre d’heures travaillées aux Etats-Unis La contribution du travail à la production aux Etats-Unis est supérieure à celui de l’UE (alors que la population totale est inférieure)

Evolution du nombre d’heures travaillées entre 1870 et 1998 55 075 30 292 52 421 43 570 1998 119 914 56 090 35 657 241 039 Variation + 117% + 85% - 32% + 553 % Evolution du nombre d’heures travaillées entre 1870 et 1998

Le cas français

En France, la baisse séculaire de la durée moyenne du travail n’est pas compensée par la hausse de la population active = la quantité totale de travail diminue jusqu’u milieu des années 1980 ensuite, elle reste stable

Une remarque Si Hausse population : 10% Si Hausse population active : 10% Si Hausse production : 10% Alors rapport (production/population) reste stable Si la population active augmente proportionnellement à la population Si la production augmente proportionnellement à la population active Alors la production par habitant restera stable : donc le niveau de vie n’augmente pas

Pour expliquer la hausse du niveau de vie (et pas seulement de la croissance), il faut d’autres facteurs

Augmenter la quantité de travail = permet de produire plus = croissance Si la production augmente proportionnellement à la quantité de travail = pas de hausse du niveau de vie Dans tous les pays baisse de la durée annuelle de travail par actif ; cette baisse est compensée par la hausse du nombre d’actifs Cas français : un des rares pays où la quantité de travail totale diminue sur le long terme (jusqu’aux années 1980, puis reste stable)

2.1.2 Pour produire, il faut du capital Le capital physique comprend aussi bien les machines, les ordinateurs, les logiciels, les véhicules, les bâtiments ou les infrastructures publiques, comme les routes et les ports C’est un facteur de production : il sert à produire des biens et des services. Il a lui-même été produit, au terme d’une opération que les économistes nomment l’investissement. Il se déprécie au fil du temps.

Quand le stock de capital (K) à disposition des actifs (L) augmente, on s’attend à ce que chaque actif produise davantage Rapport : K/L = intensité capitalistique

Évolution de l’intensité capitalistique (K/L) hors logement en milliers de dollars de 1990 Japon : x 75 Allemagne : x 10 France : x 10 Etats-Unis : x 8

En résumé, hausse de la quantité de facteurs Quantité totale d’heures travaillées : japon, Allemagne, France, Etats-Unis 1870 55 075 30 292 52 421 43 570 1998 119 914 56 090 35 657 241 039 Variation + 117% + 85% - 32% + 553 % Intensité capitalistique Japon : x 75 Allemagne : x 10 France : x 10 Etats-Unis : x 8

Dans la plupart des pays: hausse conjointe de la quantité d’heures travaillées et de l’intensité capitalistique Les économies utilisent plus de travail et de capital Dans le cas français, la baisse de la quantité totale d’heures travaillées est compensée par la hausse de l’intensité capitalistique L’économie française n’utilise pas plus de travail mais elle utilise plus de capital

2.1.3 L’équation de Solow : l’analyse de la croissance dans un modèle néoclassique Y, la production, L, la quantité de travail K, la quantité de capital Y = f(K ; L)

Hypothèse n°1 du modèle de Solow : L’évolution de la quantité de travail est primordiale mais elle ne s’explique pas par la croissance, l’épargne ou l’investissement; ce n’est donc pas une variable « économique » (ces déterminants = socio-démographiques) La seule variable économique : le capital, K Conséquence : la fonction se transforme Y = f(k) avec k=K/L

Dans le modèle de Solow Hausse de la production (croissance) Revenus Évolution de la population (L) : facteurs socio-démo Epargne Hausse de l’Intensité capitalistique : K / L Investissement (FBCF) Accumulation du capital (K) Facteurs « économiques » pris en compte dans le modèle

Hypothèse n°2 du modèle de Solow : L’utilisation du capital (K) suit des rendements marginaux décroissants : le rendement du capital investi est de plus en plus faible La hausse du stock de K fait augmenter de moins en moins vite la production = la productivité du travail diminue

Conséquence dans le modèle de Solow ? Hausse de la production (croissance) Revenus Productivité du travail Epargne Hausse de l’Intensité capitalistique : K / L Investissement (FBCF) Accumulation du capital (K) Facteurs « économiques » pris en compte dans le modèle

Baisse de la productivité du travail ? Quantité de capital par actif Y = PIB k = K/L , intensité capitalistique

L’état stationnaire Hausse de la production de plus en plus petite Hausse des revenus de plus en plus faible Productivité du travail de plus en plus faible 1) Hausse de l’Intensité capitalistique : K / L Épargne supplémentaire de plus en plus faible L’intensité capitalistique n’augmente plus L’épargne sert uniquement à remplacer le capital Le stock de capital à remplacer augmente

L’état stationnaire La conséquence de l’hypothèse de rendements décroissants du capital : Le stock de capital utilisé augmente La productivité du travail baisse La hausse du produit est de plus en plus faible L’épargne dégagée par ce produit est de plus en plus petite Elle ne permet même plus de remplacer le capital usé La production ne peut plus augmenter

État stationnaire : croissance nulle Quantité de capital par actif Y = PIB k = K/L , intensité capitalistique

Conséquence Les pays dont l’effort d’investissement est le plus élevé, dont le stock de capital est le plus élevé, vont rentrer les premiers dans la situation d’état stationnaire Les autres vont alors les rattraper = convergence des niveaux de vie entre économie nationale = rattrapage

Croissance rapide des pays émergents Croissance plus faible des pays leaders Quantité de capital par actif Y = PIB k = K/L , intensité capitalistique

Le modèle de Solow construit dans les années 1950/1960 : un modèle qui permet d’expliquer le rattrapage Quelle portée empirique ?

2.1.2 Portée explicative du modèle de Solow Intensité capitalistique augmente davantage aux Etats-Unis période 1950 / 1970 Est-ce que les Etats-Unis se font rattraper par les autres ? Observe-t-on une baisse de la productivité plus marquée aux USA ?

Quelles sont les économies en rattrapage ? Période 1960-2010 Période 1980-2010 Quelles sont les économies en rattrapage ? Période 1950/1970 Depuis 2000

Le modèle de Solow permet de donner une explication des périodes de rattrapage : Europe/Japon dans les années 1950/70 Asie depuis 2000 Mais : La croissance disparaît-elle chez les pays leaders ? La hausse de la quantité de facteurs suffit-elle à expliquer la croissance ?

La décomposition de la croissance à partir du modèle de Solow : Mesurer l’impact sur le produit d’une hausse de la quantité de travail (variable non économique) Mesurer l’impact sur le produit d’une hausse de la quantité de capital (variable économique)

Deux constats qui posent problème au modèle de Solow : La somme de la contribution travail + capital ne permet pas d’expliquer toute la hausse du produit = il y a un résidu ! La croissance américaine rebondit après les années 1980 !

Décomposition de la croissance Hausse de la production (croissance) Résidu Revenus Évolution de la population (L) : facteurs socio-démo Epargne Hausse de l’Intensité capitalistique : K / L Investissement (FBCF) Accumulation du capital (K) Facteurs « économiques » pris en compte dans le modèle

Le résidu tient une place importante : la hausse de la quantité de facteurs ne permet pas d’expliquer toute la croissance Le résidu augmente aux Etats-Unis dans les années 1990 et expliquer l’accélération de la croissance (fin du rattrapage) D’où vient-il ? De quoi s’agit-il ?

Un résidu ? D’où vient-il ? Modification de la fonction : Y = A.F(K/L) Solow : résultat du progrès technique mais ce progrès technique découle des hasards de la science Abramovitz (1956) «  a mesure of our ignorance »

Un résidu : la PGF Le modèle de Solow n’appréhende pas certains phénomènes économiques comme les externalités positives ou les économies d’échelle Ces phénomènes sont importants : alors qu’il n’y a pas d’investissements supplémentaires, ils permettent de produire plus = ils viennent s’opposer à la baisse du rendement marginal du capital Avec une quantité identique de facteurs = plus de production = c’est la définition de la Productivité Globale des Facteurs (meilleure utilisation des facteurs de production) D’où vient cette PGF? Pourquoi utilise-t-on mieux les facteurs de production?

2.2 Expliquer l’origine de la productivité globale des facteurs : les modèles dits de « croissance endogène » Les nouvelles théories de la croissance transforment la fonction proposée par Robert Solow en Y = A.F(K/L) (A) n’est plus un résidu exogène au modèle mais la variable qui incorpore l’effet de ces rendements d’échelles croissants/externalités. L’objectif est d’expliquer comment les décisions économiques des agents provoquent des rendements d’échelle croissants/externalités qui viennent contrecarrer la règle de l’épuisement du produit

Ce qui compte désormais, ce n’est pas uniquement la hausse de la quantité des facteurs mais aussi la façon dont ces facteurs sont utilisés et la qualité de leur combinaison. Les facteurs sont de mieux en mieux utilisés La hausse de la quantité de facteur a un effet extensif mais aussi intensif On produit plus car on utilise plus de facteurs mais aussi parce qu’on les utilise mieux

Variation de la quantité de facteurs Variation de la qualité de l’utilisation des facteurs Variation de la quantité de travail (a+b) Variation de la quantité de capital par actif (c) Variation de la PGF (d) Croissance de nature extensive Croissance de nature intensive

La décomposition permet de voir les sources de la croissance Etats-Unis UE Période 1990-1995 2,5 1,6 Période 2000-2004 2,4 1,5 Facteur déterminant 1990-1995 Heures travaillées : 1,3 Intensité capitalistique 0,7 Intensité capitalistique 1,3 PGF 1,2 Facteur déterminant 2000-2004 Intensité capitalistique 1,1 PGF 1,7 Heures travaillées 0,4 Passage d’une croissance extensive à une croissance intensive Passage d’une croissance intensive à une croissance extensive

Les travaux portant sur la croissance « endogène » montrent que : la hausse de la PGF vient de l’accumulation de différents capitaux par des agents privés (capital physique, capital technologique et capital humain) ; l’accumulation de ces capitaux résulte des décisions des agents économiques ; ces décisions des agents peuvent être sous-optimales et requièrent l’accumulation d’un quatrième « capital », le capital public ; les décisions des agents dépendent des règles du jeu, c’est-à-dire les institutions, notamment celles instaurées par la puissance publique.

2.2.2 L’accumulation du capital technologique 2.2.2.1 Les conséquences de l’accumulation du capital technologique sur la croissance 2.2.2.2 Les sources de l’accumulation du capital technologique

2.2.2.1 Les conséquences de l’accumulation du capital technologique sur la croissance Le progrès technique : l’ensemble des connaissances appliquées à la production de biens et services Innovation : de produits, de procédés, d’organisation, de commercialisation La destruction créatrice : « révolutionne incessamment la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs » Schumpeter

Les conséquences de l’accumulation du capital technologique sur la croissance Innovations : Procédés Organisation Produit Commercialisation Disparition des entreprises les moins performantes Mise au niveau des entreprises en retard hausse de la PGF hausse de la croissance

2.2.2.2 Les sources de l’accumulation du capital technologique D’où vient l’accumulation du capital technologique ? L’innovation ? L’innovation = obtenir un pouvoir de marché = price maker = une incitation pour investir en capital technologique

2.2.3 L’accumulation du capital humain  2.2.3.1 Les conséquences de l’accumulation de capital humain sur la croissance Le capital humain : stock de connaissances valorisables économiquement et incorporé aux individus. Ce sont non seulement des qualifications, mais aussi (et dans le cas des pays en voie de développement surtout) l’état de santé, la nutrition, l’hygiène.

Plus un Etat américain est proche de la frontière technologique, et plus l’investissement en troisième cycle universitaire stimule la croissance de la productivité dans cet Etat (c’est le cas de la Californie et du Massachusetts). Plus un Etat est loin derrière la frontière technologique (Mississippi, Alabama), et plus c’est le premier cycle universitaire (avec l’école et le collège) qui stimule la croissance de la productivité dans cet Etat. Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen, Changer de modèle

2.2.3.2 Les sources de l’accumulation du capital humain Theodore Schultz, « Investment in human capital » (1961) : « Ce que les économistes n’ont pas relevé, c’est une simple vérité : les gens investissent en eux-mêmes et ces investissements sont très importants. »

Révolution industrielle et capital humain (début 19ième siècle) Angus Deaton « Avec le début de la révolution agricole, (…) le revenu par tête commença à augmenter et, peut-être pour la première fois, une amélioration régulière de l’alimentation devint possible. Cette meilleure alimentation rendit les hommes plus grands et plus forts, ce qui permit une hausse de la productivité, créant une synergie positive entre le progrès du revenu et le progrès de la santé, chacun encourageant l’autre »

Angus Deaton La Grande évasion (2016) « Un travaillant mesurant un mètre quatre-vingt et pesant quatre-vingt-dix kilos aurait à peu près aussi bien survécu au 18ème siècle qu’un homme arrivé sur la lune sans combinaison spatiale »

2.2.4 Les défaillances dans l’accumulation des capitaux et le rôle du capital public Le capital public : ensemble des infrastructures possédées par les collectivités publiques : transports, télécommunications… On peut y adjoindre d’autres biens et services fournis par les collectivités publiques, telles la sécurité ou l’éducation.

Pourquoi faire appel à du capital public ? Capital public et accumulation du capital physique Les infrastructures de transport et de télécommunication réduisent les coûts de distance Or, ces infrastructures sont souvent des biens collectifs : les agents privés ne sont pas incités à les produire (problème du passager clandestin = problème de financement) Prise en charge par l’Etat

Capital public et accumulation capital humain L’éducation et la santé font augmenter le capital humain Or l’éducation et la santé génèrent des externalités positives (effet de contagion, R.Lucas) L’Etat doit inciter les agents à produire ces activités L’intervention de l’Etat permet de soutenir l’offre d’éducation et de santé Exemple: Londres et la lutte contre les microbes et le choléra au 19ième siècle

Capital public et accumulation de capital technologique La recherche pure a des effets sur la recherche appliquée en connaissances et idées La recherche pure n’a pas d’objectifs de rentabilité économique Pas d’incitation pour les entreprises privées L’Etat prend en charge cette activité

Capital public et accumulation capital technologique Le financement des activités innovantes est freiné par l’incertitude L’accès au crédit est réduit pour les jeunes PME innovantes L’innovation vient alors des grandes entreprises déjà installée : innovation moins radicale Défaillance du système financier L’Etat doit apporter une aide au financement des start-ups (banque publique d’investissement)

En résumé Le capital public : une réponse aux défaillances de marché L’allocation marchande « sous produit » des infrastructures, de l’éducation, de la santé, de la recherche fondamentale, du financement de start-up

Accumulation de capital humain = accumulation du capital technologique 2.2.5 L’accumulation du capital physique, du capital technologique et du capital humain s’auto-entretiennent Accumulation de capital physique = learning by doing (Paul Romer, 1986) Accumulation de capital technologique = accumulation de capital physique Accumulation de capital humain = accumulation du capital technologique Accumulation de capital public = capital physique + technologique + humain

Le lien capital physique / learning by doing Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

Synergies capital public, capital physique et capital technologique

Synergie capital humain et capital technologique

2.2.6 Les institutions ont des effets incitatifs sur les comportements des agents 2.2.6.1 Institution, incitations et croissance 2.2.6.2 Les incitations données aux agents ne sont pas toujours bénéfiques à la croissance 2.2.6.3 Définir les « bonnes » incitations : le cas du brevet

2.2.6.1 Institution, incitations et croissance Les institutions : les contraintes humaines qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales. contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes de conduite) règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété). Elles déterminent les coûts de transaction et de production, donc la profitabilité et la faisabilité de l’entrée dans l’activité économique

les institutions, à travers leurs effet sur les gains et les coûts associés aux différents choix des AE, génèrent les incitations à produire, à investir, à embaucher, à faire de la R&D, à réaliser des échanges… c’est le point de départ de l’accumulation des différents capitaux qui produisent de la croissance Douglass C.North Prix Nobel 1993

Institutions Incitations Accumulation des différents capitaux par les agents privés (capital physique, capital technologique, capital humain) ou par les agents privés (capital public) Performances économiques

Des règles meilleures que d’autres ?

Daron Acemoglu, revue du FMI (2003) Il existe des « bonnes » institutions: Garantir le respect des droits de propriété Limiter l’action des élites et des groupes dominants Promouvoir l’égalité des chances et la participation à l’activité économique = des institutions inclusives

Mais il existe aussi des « mauvaises » institutions : Une minorité capte les revenus de la société (rente) Résistance des élites au changement Faiblesse des incitations économiques = des institutions extractives Conséquence dans ces pays : instabilité politique = pour capter la rente La réussite des politiques de développement = faire disparaître les institutions extractives sinon toutes les politiques de libéralisation, privatisation des marchés sont en échecs

Le cas du décollage du 17/18ième siècle Différences d’institutions et décollage plus précoce de l’économie anglaise En France et en Espagne au 17ième siècle : économie de corporations = faiblesse du rôle de la propriété privée En Angleterre : protection des droits de propriété = essor des échanges ; « Statut des monopoles » voté en 1623 par le Parlement anglais  qui limite les pouvoirs (arbitraire) du Roi dans l’octroi de monopoles

La démocratie : un facteur essentiel pour avoir des institutions « inclusives » Daron Acemoglu « un politicien a tout intérêt à créer un monopole et à jouir de ses dividendes ; mais les citoyens, eux, n’y ont aucun intérêt. Aux Etats-Unis (mais non au Mexique), les électeurs sont en mesure de surveiller leurs élus et d’écarter ceux qui, profitant de leur poste, voudraient s’enrichir ou créer des monopoles pour leurs affidés. C’est pourquoi les monopoles bancaires ont fait long feu. La large distribution de droits politiques aux Etats-Unis, surtout par rapport au Mexique, garantit un accès équitable à la finance et aux prêts, qui peuvent donc profiter aux personnes souhaitant promouvoir une idée ou une invention. »

Les institutions : des règles « formelles » Ces règles = cadre législatif Mais ce cadre législatif peut être, ou ne pas être, démocratique Les bonnes institutions peuvent s’appuyer sur la démocratie Les mauvaises s’appuient sur l’absence de démocratie

2.2.6.3 Le cas du brevet : entre bonnes et mauvaises incitations Jean Tirole « Economie du bien commun » 2016 si toute découverte tombait dans le domaine public et était donc exploitable gratuitement par tous, chacun attendrait que les autres fassent les dépenses de R&D, plongeant l’activité créatrice dans un attentisme généralisé (passager clandestin) C’est pour cette raison qu’elle est apparue très tôt, les premiers brevets datant de l’Antiquité grecque, puis s’est développée au 15ième siècle à Florence et à Venise.

En protégeant la propriété intellectuelle, octroient à l’inventeur un pouvoir de marché, c’est-à-dire la possibilité de profiter financièrement de son invention, soit en vendant des licences de ses brevets, soit en faisant des marges bénéficiaires au-dessus du coût de production du produit final s’il produit et commercialise ce bien final = incitation

Pour créer une incitation à l’innovation en permettant à l’inventeur de tirer profit de son invention, la puissance publique renchérit le coût de l’utilisation de cette invention et limite donc sa diffusion : il y a tout simplement moins d’utilisateurs Mais c’est la contrepartie pour inciter l’innovateur

Elargissement du champ des brevets vers des nouveaux domaines : les logiciels, les algorithmes, la biotechnologie et les science du vivant, les méthodes commerciales Des brevets peu innovants mais apportant une rente importante : exemple, le one click d’Amazon

Le brevet One click d’Amazon : un commerçant du web puisse garder les informations du client afin de ne pas avoir à le lui redemander lors de l’achat suivant était une simple réplique de pratiques déjà bien connues de nombre de boutiques physiques. Mais cette idée a été brevetée ! Ce brevet fut rapidement invalidé par une cour de justice

Le législateur américain a par deux fois prolongé la durée de protection des droits d’auteurs, d’abord en 1976 en l’étendant à 50 ans après la mort de l’auteur, puis en 1988, où cette durée fut portée à 70 ans. Ce dernier Copyright Term Extension Act est parfois appelé le Mickey Mouse Protection Act en référence à la compagnie Disney qui risquait de perdre les droits d’auteur sur des films et des produits dérivés très rentables et fit un lobbying effréné pour que les droits d’auteurs soient prolongé.

Le brevet Brevet: droit de la propriété intellectuelle Pouvoir de marché Si le champ du brevet est défini correctement Si la politique de la concurrence élimine l’utilisation déloyale des brevets Incitation à innover Stimule l’activité éco Sinon : Incitation à adopter un comportement opportuniste Freine l’activité éco

Dans certains cas, le cadre du brevet = incitation aux comportements opportunistes = mauvaises performances économiques

Une minorité s’accaparent les richesses créées Institutions Extractives Inclusives Une minorité s’accaparent les richesses créées Désincitation activités privées

2.2.7 L’influence du capital social sur la croissance économique L’échange est donc marqué par l’incertitude, et cette incertitude peut avoir des conséquences importantes : sur la santé (quelle est la qualité des aliments ?), sur l’investissement réalisé (la maison que je viens d’acheter est-elle bien construite ?)… La confiance permet de réduire l’incertitude, facilite la coopération et l’échange.

Cette confiance peut provenir de la rédaction d’un contrat, de l’existence d’un « dispositif de réputation ». Mais la confiance provient également du degré de sociabilité des individus et des liens qui les unissent aux autres Ces liens peuvent être suffisamment forts pour conduire les individus à ne pas craindre des comportements opportunistes.

L’impact négatif de la défiance sur les performances économiques ?

Kenneth Arrow cérémonie de remise du PN (1972) « Une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens »

Y. Algan et P. Cahuc, La société de défiance, Edition ENS Rue d’Ulm, 2007

En résumé : les déterminants de la croissance Institutions (inclusives) : règles et confiance Capital public (en réponse aux défaillances de marché) Incitations Accumulation capital physique, capital humain, capital technologique par les agents privés Croissance

3. Les économies ont-elles besoin d’institutions identiques ? Les institutions « performantes » dans un contexte (le rattrapage économique) le sont-elles dans un autre (à la frontière technologique)? Les institutions qui ont permis à l’économie française de réaliser son rattrapage avec les Etats-Unis (1950-1980) sont-elles toujours efficaces lorsque le rattrapage est terminé ?

Les institutions performantes dans les économies en rattrapage Interventionnisme public direct important (subventions, financement, protection) Soutien aux champions nationaux (recherche d’économie d’échelle et intensité capitalistique) Les technologies des pays leaders sont copiées La hausse de la PGF vient de la « copie » des technologies des pays leaders, de la rationalisation de la production, des économies d’échelle

Cas des économies à la frontière technologique La puissance publique intervient parce qu’il existe des défaillances de marché = rôle du capital public, mais pas d’aides directes aux entreprises (plutôt action sur l’environnement) Rôle des innovations « radicales » qui transforment en profondeur les marchés (au sens de Schumpeter) / innovation disruptive L’accumulation de capital technologique est donc au coeur de cette croissance.

Le rôle de la concurrence est différent dans les deux types d’économie Dans les économies en rattrapage : présence de grandes firmes en oligopoles = concurrence réduite La croissance tirée par économie d’échelle / intensité capitalistique Hausse de la compétitivité prix de la production domestique et d’être performant dans les échanges internationaux. La puissance publique a intérêt à intervenir directement de manière à soutenir l’émergence de ces grandes entreprises, à orienter l’investissement vers ces entreprises et à protéger le marché intérieur pour que ces entreprises se développent.

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Suède vs Japon : la rupture des années 1990

Comment expliquer que le trend de croissance de certains pays s’affaisse après une période d’accélération ? Est-ce que les institutions « performantes » durant le rattrapage ne le sont plus après ? Est-ce que l’absence de concurrence sur les marchés devient nuisible à la croissance ?

Travaux de Philippe Aghion

Pays à la frontière : plus la concurrence avec l’étranger est forte, plus la croissance est forte Pays à la frontière : plus la concurrence avec l’étranger est forte, plus la croissance est faible

L’enjeu central pour les pays qui ont réalisé leur rattrapage : changer d’institutions ! Adopter des règles favorables à l’innovation radicale, à la concurrence L’intervention de l’Etat doit changer de nature : moins directe, plus sur « l’environnement » des entreprises Sinon : affaissement de la croissance / stagnation croissance