Le marchant, sévade du camp dAuschwitz. Depuis trois mille kilomètres, il marche vers Jérusalem.
Elle a raison la fleur. Nous sommes tous nés pour voir le jour. Notamment les enfants. « Je suis née pour voir le jour."
Les savants parlent de la mémoire de l'eau. Les norias tournent le temps. Les femmes parlent de la mémoire de lOronte. Hama sur Oronte.
Trois semaines de combats. En février 1982, lOronte coulait rouge. Les norias broyaient les os de leurs enfants. Ceux de Damas tuaient ceux de Hama. Et aussi leurs enfants, leurs frères, leurs voisins, leurs amis. Tout le monde tuait tout le monde. Certains parlent de trente mille morts. On ne saura jamais.
Puis est venu le temps des bulldozers. Cest hygiénique les bulldozers, ça nettoie lhistoire. Sur lemplacement du massacre, ils ont construit un hôtel quatre étoiles.
Tous les soirs, sur la grande place la vieille horloge indique lheure de la mémoire
Dans le silence de la nuit, on peut alors entendre le bois qui craque, les os qui parlent. Cest le gémissement des norias. Ce soir encore, vous pouvez dormir à lhôtel quatre étoiles. La vue sur l'Oronte est superbe. L'air est climatisé. Il reste de la place.
Devenir ce que nous sommes depuis toujours. Quitter le meurtre. Se laisser guider par le souffle d'Abraham… Partir au désert. Vomir, puis marcher.
Quand la terre est trop petite. Quand le meurtre est trop grand. Quand le marchant na plus despace pour prier, il part au désert. Palmyre
Au désert regarder le vide droit dans les yeux … et se laisser aspirer par l'apesanteur du temps. Mar Musa
Au désert, le temps sensible disparaît sous les pieds. Tendrement sans bruit, sans mot.
L'apesanteur du temps Au désert, le calme laisse sans poids et sans montre. Mar Musa
D'Auschwitz à Jérusalem, le mur du silence est si long ! La mémoire se perd. Jérusalem
Parti dAuschwitz, le marchant transhume tellement de destins quil les confond en une seule et même Jérusalem. Le destin d'un grand-oncle gazé à Auschwitz le 5 juillet 1944… Le destin de sa famille et de tous ses cancéreux… Le destin de ses enfants, et des enfants de ses enfants jusqu'à la septième génération...
Le destin des enfants de la Shoah, le destin des enfants de Palestine et dIsraël, le destin des enfants dArménie, du Cambodge, et, aujourdhui, le destin des enfants des norias.
DAuschwitz. à Jérusalem, le voilà guéri, aux portes du silence.
« Le marchant de bonheur, à pied dAuschwitz à Jérusalem » Éd. Le Mercure Dauphinois, mai