Le tympan de l’Eglise SAINte-Foy de Conques

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Transcription de la présentation:

Le tympan de l’Eglise SAINte-Foy de Conques Frédéric Hosteing – Collège François Mitterrand Noisy le Grand, Académie de Créteil Photos originales : www.ac-limoges.fr

L’église de Sainte-Foy de Conques ,dans le département de l’Aveyron (12), en région Midi Pyrénées, était une étape importante sur la route des pèlerins de St Jacques de Compostelle. Sa construction, commencée en 1041, a été achevée au XIIe siècle. Vue de l’église de Conques par avion. Cet édifice a été classé monument historique en 1840 puis au Patrimoine mondial en 1998 au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Au moyen-âge, la plupart des gens ne savaient pas lire Au moyen-âge, la plupart des gens ne savaient pas lire. On utilisait donc les façades sculptées des églises comme des « bandes dessinées géantes » pour raconter au peuple des épisodes de la Bible. Le tympan occidental de l’église de Sainte-Foy représente « le Jugement dernier », c’est-à-dire le moment où le Christ décidera du sort de chaque homme après la fin du monde. Rappel Le tympan est la pièce de remplissage d'une voûte, souvent utilisée pour présenter un haut-relief dans les églises d’architecture romane ou gothique. Le tympan se trouve au centre du portail d’une église ou d’une cathédrale.

Observez tout d’abord la profusion des personnages sculptés dans le calcaire : il y en a 124 en tout ! Vous remarquez peut-être que certaines sculptures portent encore des traces de peinture : en effet, au moyen-âge, les façades sculptées des églises et des cathédrales étaient peintes de couleurs éclatantes pour rendre les scènes plus vivantes et frapper l’imagination des fidèles… Hélas, le temps les a souvent effacées ! Intéressons-nous maintenant à la composition de ce tympan…

Par quelle partie du tympan l’œil est-il immédiatement attiré ? Si on surligne les bandeaux de pierre portant les inscriptions latines, on se rend compte que le tympan se compose principalement de trois grands registres horizontaux superposés. Registre supérieur Registre médian N.B. Le tympan de Conques est en fait constitué d’une vingtaine de panneaux de calcaire différents que l’artiste avait sculptés au sol avant de les assembler, comme une sorte de puzzle géant. Registre inférieur Par quelle partie du tympan l’œil est-il immédiatement attiré ?

Le regard du spectateur est naturellement attiré vers le personnage central, de proportion plus grande que les autres personnages du tympan, et qui représente le « Christ en majesté » venu pour juger les hommes à la fin des temps.

On retrouve les caractéristiques traditionnelles du Christ en majesté : ce dernier est assis sur un trône céleste en forme de mandorle étoilée (amande qui symbolise la lumière de la gloire divine), avec la mer de cristal à ses pieds. « Et voici, un trône se dressait dans le ciel, et, siégeant sur le trône, quelqu’un. Celui qui siégeait avait l’aspect d’une pierre de jaspe et de sardoine. Une gloire nimbait le trône de reflets d’émeraude. […] Devant le trône, comme une mer limpide, semblable à du cristal. » (Apocalypse IV, 2, 3, 6) Voir également le diaporama sur le tympan de l’abbaye de Moissac.

Le Christ est revêtu d’une tunique et d’un riche manteau (le pallium) échancré pour laisser voir le coup de lance que lui donna un soldat romain au côté pendant son calvaire. Il porte autour de la tête un nimbe crucifère, c’est-à-dire une auréole dans laquelle s’inscrit une croix, symbolisant à la fois sa divinité et son martyre. Sur le nimbe (aujourd’hui en partie abîmé), on pouvait lire en latin Judex et Rex : « Juge et roi ». En tant que souverain céleste, le Christ vient pour juger les hommes. N.B. On trouve mention de ce coup de lance dans l’Evangile : « Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » (Evangile de Jean, XIX, 34). L’évangile apocryphe de Nicodème (composé au Ive siècle) donnera plus tard un nom à ce soldat romain : Longin. Son histoire est également racontée dans la Légende dorée, écrite entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine. La blessure du Christ au côté droit n’est pas visible sur la sculpture. On peut imaginer qu’au moyen-âge, elle était peinte sur la pierre.

Revenons maintenant à une vue plus générale de ce Jugement Dernier… Les anges qui entourent le Christ sont ses « messagers ». Ceux à ses pieds portent des flambeaux, pour éclairer les ténèbres de la fin des temps. Ceux au dessus de sa tête brandissent les rouleaux (ou phylactères) qui contiennent le jugement divin, résumé sous forme d’inscriptions latines. La position du Christ est également symbolique : De la main gauche, il indique les profondeurs de l’Enfer aux damnés. «  Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses démons. » (Evangile de Matthieu, XXV, 41) De la main droite, il invite les élus dans le Paradis céleste. «  Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. » (Evangile de Matthieu, XXV, 34) N.B. Traditionnellement, la main droite (en latin dextera) a un sens positif dans l’iconographie chrétienne (c’est la main nourricière, la main qui bénit), tandis que la main gauche (en latin sinistra – qui a donné l’adjectif « sinistre » en français) a un sens plus négatif : selon la cabbale, c’est la main du jugement, de la condamnation. Dans l'art chrétien médiéval, un phylactère est une petite banderole sur laquelle se déploient les paroles prononcées par le personnage présenté (un peu comme une bulle dans une bande dessinée !) Les inscriptions latines sur les phylactères sont : à droite : PATRIS MEI POSSIDETE (SANCTORVM CETVS STAT XPISTO IVDICE LETVS) = « (Venez, les Bénis) de mon Père, prendre possession (du royaume qui a été préparé pour vous) » à gauche : DISCEDITE A ME = « Eloignez-vous de moi, (maudits) ! » Revenons maintenant à une vue plus générale de ce Jugement Dernier…

En schématisant la position des corps, on se rend compte que les personnages du Paradis se tiennent droit et/ou sont organisés de manière symétrique dans la composition. Cette construction équilibrée symbolise l’ordre, la paix, le calme, la sérénité et l’harmonie qui règnent dans les cieux…

Observons maintenant plus d’un peu plus près les scènes du Paradis… En revanche, les corps des personnages de l’Enfer sont tordus, agglutinés, torturés et dissymétriques : cela symbolise le chaos, la confusion, la violence et les souffrances qui se déchaînent dans les profondeurs infernales… N.B. On peut faire remarquer aux élèves que les scènes infernales sont minoritaires et n’occupent qu’un tiers de la composition. En effet, dans la conception chrétienne, le Mal est inférieur au Bien. Le diable (qui était à l’origine l’un des anges de Dieu) s’est laissé corrompre par son propre orgueil et s’est rebellé contre le Créateur, mais il n’est aucunement son égal et finira par être détruit. Observons maintenant plus d’un peu plus près les scènes du Paradis…

D’après la Bible, le Fils de l’homme viendra dans sa gloire accompagné « de tous les anges » (Matthieu XXV, 31). En effet, à côté du Christ en majesté, on aperçoit quatre anges : à droite, l’un montre le livre de vie (qui contient le nom des justes) et l’autre porte un encensoir. À gauche, deux anges armés (l’un d’une épée et d’un bouclier, l’autre d’une lance) contiennent les damnés de l’Enfer. N.B. - Le chiffre quatre « comporte la double idée de l’unité et de la totalité » (Encyclopédie des symboles, la Pochotèque, 1996) : ces quatre anges symbolisent donc tous les anges du ciel. - Le « livre de vie » est mentionné plusieurs fois dans l’Apocalypse. L’inscription latine qui y est mentionnée : SIGNATVR LIBER (VI)TE = « Le livre de vie est scellé. » L’encensoir est un brûle parfum utilisé dans la liturgie catholique : l’encens qui y est consumé symbolise la prière des justes, la purification et la montée au ciel. - L’ange armé d’une épée évoque peut-être les anges placés par Dieu à l’entrée du jardin d’Eden : « C'est ainsi qu'il chassa Adam; et il mit à l'orient du jardin d'Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l'arbre de vie. » (Genèse III, 24) Sur le bouclier de l’ange est inscrit en latin : EXIBVNT ANGELI ET SEPARA(BVNT) (MALOS DE MEDIO IVSTORVM) = « Les anges viendront et sépareront les méchants d'avec les justes. » (Matthieu XIII, 49)

Regardez tout en haut du tympan, juste au dessus du Christ en majesté : Reconnaissez-vous le symbole religieux qui occupe la plus grande partie de l’image ?

Il s’agit de la sainte croix, sur laquelle Jésus a été supplicié, le symbole des chrétiens. Sur la partie latérale, l’inscription latine ([h]oc signum crucis erit in celocum) signifie « Ce signe de croix sera dans le ciel » et renvoie à l’Evangile de Matthieu. Rappel du texte biblique « Alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel, toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et une grande gloire. » (Evangile de Matthieu XXIV, 30) N.B. Ponce Pilate est le préfet romain responsable de la Judée à l’époque de Jésus. C’est lui qui ordonna sa crucifixion. « Pilate fit une inscription, qu'il plaça sur la croix, et qui était ainsi conçue: Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville : elle était en hébreu, en grec et en latin. » (Evangile de Jean XIX, 19, 20) Au dessus, on aperçoit les mots (en partie effacés) Iesus Nazarenus Rex Iudeorum : « Jésus de Nazareth roi des Juifs. » Il s’agit de l’inscription que Ponce Pilate fit placer au sommet de la croix au moment du supplice. On la trouve plus généralement sous sa forme abrégée INRI.

La croix est soutenue par deux anges, qui tiennent également les instruments ayant servi au supplice du Christ : la lance (lancea) et les clous (clavi). N.B. La lance est celle du soldat romain dont nous avons parlé plus haut. De chaque côté de la croix , on aperçoit le soleil (sole) et la lune (luna) personnifiés, qui sont censés se cacher à la fin des temps : « Aussitôt après ces jours de détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière. » (Matthieu XXIV, 29)

Sur les côtés, en haut du tympan, on aperçoit deux anges sonneurs qui soufflent dans un cor (ou olifant) pour annoncer le retour du Christ. « Il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu'à l'autre. » (Matthieu XXIV, 31) Inscriptions latines À droite : SANCTORVM CETVS STAT XPISTO IVDICE LETVS = « L'assemblée des saints se tient, joyeuse, debout devant le Christ-Juge. » - À gauche : [H]OMNES PERVERSI SIC SVNT IN TARTARA MERS(I) = « Tous les pervertis sont ainsi plongés dans le Tartare. » (autre nom de l’Enfer).

Répondant à l’appel des anges, le cortège des élus s’avance Répondant à l’appel des anges, le cortège des élus s’avance. D’après l’Eglise, ce sont les chrétiens fidèles qui sont directement montés au Paradis, sans attendre le Jugement Dernier. D’autres anges brandissent des phylactères rappelant les 4 « vertus théologales » (c’est-à-dire les qualités qui viennent de dieu) en latin : FIDES, SPES, (« la foi » et « l’espérance » aujourd’hui effacées), CARITAS et (H)UMILITAS (« la charité » et « l’humilité »). Inscription latine En dessous du cortège : SIC DATVR ELECTIS AD CELI GAVDIA VECTIS  GLORIA PAX REQUIES PERPETVVSQ(VE) DIES = « Ainsi aux élus conduits vers les joies du ciel,  sont donnés la gloire, la paix, le repos et le jour sans fin. » Reconnaissez-vous les deux personnages qui mènent le cortège des élus ?

Il s’agit de la Vierge Marie, la mère de Jésus, qui s’avance les mains jointes vers son fils glorifié. Elle porte traditionnellement un manteau bleu, « de la couleur du ciel ». Derrière elle vient Saint Pierre, apôtre de Jésus et fondateur de l’Eglise catholique romaine. Il est généralement représenté avec clés du Paradis dans les mains. Rappel du texte biblique « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » (Matthieu XVI, 18, 19)

Les autres personnages du cortège sont davantage liés à l’histoire de l’église Sainte-Foy de Conques : l’ermite Dadon (qui fonda le premier une chapelle en ce lieu au début du VIIIe siècle), l’abbé Oldoric (qui commença la construction de l’église au XIe siècle) et Charlemagne (bienfaiteur de Conques). L’empereur est entouré de moines, qui attestent de ses bienfaits envers l’église. N.B. En fait, Charlemagne n’est jamais venu à Conques, même si la toute première église fut fondée par son fils Louis le Pieux. Si « l’empereur à la barbe fleurie » est représenté sur le tympan de Conques, c’est sans doute parce qu’il incarne une figure de fondateur prestigieuse, de nature à impressionner les visiteurs…

L’église doit son nom à Sainte Foy, jeune chrétienne martyrisée à Agen en 303 sous le règne de l’empereur Dioclétien. Comme elle était condamnée à être brûlée vive sur un gril, un orage miraculeux éteignit le gril. Sainte Foy fut finalement décapitée (à l’âge de 13 ans !) mais de nombreux miracles se produisirent sur sa tombe : elle rendit les yeux à un homme auquel on les avait arrachés et délivra des Maures (des envahisseurs musulmans) des prisonniers chrétiens qui lui avaient adressé une prière. C’est ce miracle que symbolisent les chaînes représentées sous les arcades de l’église. N.B. Les reliques sont les restes (très souvent les ossements) d’un saint ou d’un martyr, objets de dévotion et de vénération. Le vol de reliques est très courant au moyen-âge : les communautés religieuses, y voyant un moyen sûr d’attirer des fidèles, n’hésitaient pas à dérober celles des abbayes ou monastères voisins ! La Sainte est ici en prière, et Dieu tend sa Main vers elle en signe de bénédiction. Les reliques de Sainte Foy, d’abord conservées à Agen, furent volées au IXe siècle par un moine nommé Arosnide et ramenées à Conques. Leur vénération entraîna la construction de l’abbaye de Conques.

Le Paradis est représenté comme la Jérusalem céleste décrite dans l’Apocalypse : la cité de Dieu. On l’identifie à ses colonnes et ses arcades, surmontées de croix et de tours crénelées. Qui sont les habitants de cette ville sainte ? Rappel du texte biblique « Et il me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d'auprès de Dieu, ayant la gloire de Dieu. Son éclat était semblable à celui d'une pierre très précieuse, d'une pierre de jaspe transparente comme du cristal. Elle avait une grande et haute muraille. […] Il n'entrera chez elle rien de souillé, ni personne qui se livre à l'abomination et au mensonge ; il n'entrera que ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'agneau. » (Apocalypse XXI, 10-12, 27) Inscription latine (sur le toit) : CASTI PACIFICI MITES PIETATIS AMICI  SIC STANT GAVDENTES SECVRI NIL METVENTES La réponse est inscrite en latin sur le toit : « Les chastes, les pacifiques, les doux, les amis de la piété ; c'est ainsi qu'ils se tiennent, joyeux, en sécurité, sans rien craindre. »

Au milieu de la Jérusalem céleste, trône Abraham (1) tenant entre ses bras les Saints Innocents : il s’agit des jeunes enfants massacrés par le roi Hérode peu après la naissance de Jésus. Les prophètes (2), identifiables à leur barbe et aux rouleaux qu’ils détiennent, incarnent l’Ancien Testament. Les apôtres (3), glabres et tenant un livre, symbolisent le nouveau Testament. N.B. Les deux enfants dans les bras du patriarche Abraham évoquent aussi ses deux fils : Isaac, qu’il eut tardivement avec sa femme Sara (Genèse XXI, 1-3), et Ismaël qu’il eut avec sa servante Agar (Genèse XVI). Les Saints Innocents sont un thème très connu au moyen-âge. Ils incarnent la pureté. « Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages. » (Matthieu II, 16) On peut faire remarquer aux élèves que les hommes sont tous assis (on le voit à leurs genoux) et auréolés, tandis que les femmes sont debout et sans auréoles… Les deux seules personnages féminins auréolés sur le tympan sont la Vierge Marie et Sainte Foy, patronne de l’église de Conques. 1 2 3

Les martyrs (4) sont identifiables à leur couronnes et à leur palme Les martyrs (4) sont identifiables à leur couronnes et à leur palme. Tous deux tiennent une coupe, symbole de l’épreuve. Les Saintes Femmes (5) sont les premières à voir le Christ ressuscité, alors qu’elles venaient embaumer son corps (Marc XVI, 1-10). Voilà pourquoi elles tiennent un pot de myrrhe et un flacon d’huile parfumée. Les deux femmes qui tiennent un livre et des lampes allumées sont probablement les vierges sages (6) de la parabole (Matthieu XXV, 1-13). N.B. La palme et la couronne sont des symboles paléochrétiens de victoire sur la mort et le mal, systématiquement associés aux martyrs. Quant à la coupe, elle évoque l’épreuve face à la souffrance, selon les paroles du Christ évoquant sa prochaine passion dans le jardin des oliviers : « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! » (Matthieu XXVI, 39) Les Saintes Femmes sont nommées dans l’Evangile de Marc : « Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus. Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever. Elles disaient entre elles: Qui nous roulera la pierre loin de l'entrée du sépulcre? Et, levant les yeux, elles aperçurent que la pierre, qui était très grande, avait été roulée… » (Matthieu XVI, 1-4). Marie de Magdala (ou Marie-Madeleine), ancienne pécheresse, est généralement représentée avec un flacon de parfum : « C'était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux. » (Jean XI, 2) La myrrhe est une gomme-résine aromatique très prisée dans l’Antiquité. Elle fait partie des cadeaux offerts par les mages à l’enfant Jésus (Matthieu II, 11), et elle est également mentionnée lors de la mise au tombeau du Christ (Jean XIX, 39). La parabole des vierges folles et des vierges sages : « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d'huile avec elles ; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Comme l'époux tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent. Au milieu de la nuit, on cria : Voici l'époux, allez à sa rencontre ! Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes. Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent : Non; il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous. Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres vierges vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas. Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure. » (Matthieu XXV, 1-13) 6 5 4

Que se passera-t-il maintenant pour ceux qui ne sont pas montés directement au Paradis, comme les élus ? Le livre de l’Apocalypse l’annonce dans ce verset : « La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux ; et chacun fut jugé selon ses œuvres. » (Apocalypse XX, 13). C’est ce qu’on peut voir sur cette partie du tympan : des anges ouvrent les tombeaux et les morts en sortent pour être jugés.

La manière dont les morts sont jugés est expliquée par cette petite scène, juste en dessous du Christ en majesté. À votre avis, qui sont les deux personnages en haut, au centre de l’image ? Que font-ils ? Un petit indice : Reconnaissez-vous l’objet tenu par le personnage de droite ? Il n’en reste plus que deux plateaux…

Heureusement pour cette âme, la balance penche du bon côté… Il s’agit de l’archange Saint Michel et d’un démon : ils sont en train de peser les âmes des morts pour décider de leur sort. L’archange tient la balance (hélas très abîmée aujourd’hui), tandis que le démon essaie de tricher en appuyant son doigt sur le plateau ! N.B. L’archange Michel est mentionné dans le livre de l’Apocalypse (XXII, 7) : c’est le chef des armées célestes (d’où son titre d’archange : « le premier des anges »), présenté comme l’adversaire du diable. Son nom, qui vient de l’araméen Michael, signifie : « Qui est comme Dieu ? » Heureusement pour cette âme, la balance penche du bon côté…

Les justes sont accueillis par des anges à la porte du Paradis Les justes sont accueillis par des anges à la porte du Paradis. Effrayés par les horreurs auxquelles ils viennent d’échapper (montrées par la scène de gauche), ils se tiennent par la main et semblent presque se bousculer pour entrer !

Les damnés sont précipités la tête la première dans l’antichambre de l’Enfer. Ils sont accueillis par des démons qui les poussent dans la gueule du Léviathan. Le démon hirsute qui brandit sa massue semble désolé de voir les âmes des justes lui échapper… N.B. Le léviathan est un monstre biblique mentionné dans le livre de Job : « Tireras-tu le léviathan avec un hameçon, et avec une corde lui feras-tu y enfoncer sa langue ? » (Job XLI, 1). Sa forme n’est pas précisée : voilà pourquoi certains traducteurs l’associent à la baleine, d’autres au crocodile. Ce n’est qu’au moyen-âge qu’il est assimilé à l’entrée de l’Enfer et représenté sous la forme d’une gueule énorme qui dévore les âmes damnées.

La pesée des âmes (ou psychostasie) n’est pas vraiment un thème biblique. On la trouve notamment dans la civilisation égyptienne : le cœur du défunt était pesé sur une balance par Anubis, dieu des morts à tête de chacal. S’il était plus lourd que la plume posée sur l’autre plateau, il était livré à Ammout, « la dévoreuse » (à gauche de l’image). Ne trouvez-vous pas qu’Ammout a un petit air de ressemblance avec le Léviathan ? N.B. La notion de la pesée des âmes n’apparaît vraiment qu’une seule fois dans la Bible : lorsqu’une main divine inscrit sur un mur ces mots s’adressant au roi babylonien Belshazzar : MENE, MENE, TEKEL, UPHARSIN = « Tu as été pesé, et tu as été trouvé léger. » (Daniel V, 27) Papyrus du Livre des Morts d'Ani (1240 avant JC), British Museum, Londres

Voyons maintenant ce qui attend les damnés… L’Enfer est le royaume de Satan, qui trône dans les flammes au milieu du chaos des démons. Autour de ses jambes s’enlacent des serpents, symboles de la tentation et du péché originel. Avec un rictus mauvais et les yeux exorbités, il désigne de la main gauche le sort réservé aux pécheurs.

Au moyen-âge, on pense que les pécheurs seront punis « par là où ils ont péché », c’est-à-dire que leur châtiment sera en en rapport avec la faute qu’ils ont commise. Les sept péchés capitaux sont représentés ici : l’avarice, la paresse, le mensonge, la vanité, la luxure, l’orgueil et la colère… Sauriez-vous les reconnaître ? N.B. Pour l’Eglise, la vanité renvoie aux plaisirs futiles (inutiles) du monde des hommes. La luxure (ou le « péché de chair ») est la recherche des plaisirs sexuels.

L’orgueil (1) est représenté par un chevalier, désarçonné par deux démons munis d’une fourche. La paresse (2) est incarnée par l’homme couché aux pieds de Satan, surveillé par un crapaud. L’avarice (3) est pendue par un diable avec sa bourse autour du cou. Enfin, la colère (4) est précipitée dans un chaudron bouillant. N.B. La liste des sept péchés capitaux varie souvent au début moyen-âge. La liste la plus connue (qui comprend la gourmandise) a été fixée par St Thomas d’Aquin au XIIe siècle. Le chevalier est un personnage mentionné dans Miracles de sainte Foy : Rainon, seigneur du château d'Aubin en Rouergue, avait été excommunié par les religieux qu'il maltraitait. Une fois de plus il allait être violent envers eux, « lorsque, par un effet de la vengeance divine, son cheval se renverse subitement la tête dans la poussière. Le cavalier, précipité en avant, périt le cou tordu et le crâne fracassé. » Le crapaud est un animal maléfique au moyen-âge : dans les contes populaires, il représente les pauvres âmes qui n’ont pas été sauvées. C’est également un symbole de l’oubli : on croyait en effet que la bave du crapaud pouvait provoquer l’amnésie. Le message ici est donc clair : Malheur donc à ceux qui oublient les commandements de Dieu ! L’image du pendu renvoie également à Judas Iscariote, l’apôtre traître qui livra Jésus aux grands prêtres de Jérusalem pour trente pièces d’argent et se pendit ensuite, rongé par la culpabilité (Matthieu XXVII, 3-8). 1 2 3 4

La vanité (5) est symbolisée par ce musicien auquel un démon arrache la langue avec un crochet, après s’être emparé de sa harpe. La luxure (6) est représentée par un couple ligoté par le cou : un démon demande à Satan le supplice qui leur sera réservé… Quant au mensonge (7), il est incarné par cet homme assis dans les flammes, auquel un démon s’apprête à couper la langue… 5 6 7

Un braconnier est rôti comme un lapin à la broche par deux diables… Tous les pécheurs sont menacés par les tourments éternels, qu’ils appartiennent au peuple, au clergé ou à la noblesse. Par exemple, des mauvais moines sont capturés dans un filet, et l’un d’entre eux est obligé de se prosterner devant un démon. Un braconnier est rôti comme un lapin à la broche par deux diables… N.B. D’après certains commentateurs les trois clercs pris dans le filet représenteraient Etienne (évêque de Clermont et administrateur de l'abbaye de Conques au Xème siècle) et ses deux neveux, qui pillèrent le trésor de l’abbaye. Le moine prosterné devant le démon serait Bégon II, lui aussi abbé du monastère : il devait sa charge d'abbé à des agissements frauduleux, et il avait en plus dissipé les biens de l'abbaye. Le braconnage était condamné au moyen-âge : surtout celui qui avait lieu sur les terres possédées par l’Eglise !

Un faux-monnayeur est obligé par un diable à boire du métal en fusion… Un démon s’agenouille par moquerie devant un roi déchu, nu, dont il arrache la couronne avec les dents : même les puissants seront punis et humiliés ! Un faux-monnayeur est obligé par un diable à boire du métal en fusion… N.B. On a cru longtemps que la scène en haut à gauche représentait le péché de gloutonnerie (la gourmandise excessive). Or, lorsqu’on moula le tympan de Conques pour en faire une reproduction au Palais Chaillot, on découvrit dans le cylindre tenu par le personnage torturé le mot latin CUNEUS, qui désigne le « coin » (poinçon utilisé pour authentifier le métal précieux). Il s’agissait donc bien d’un faussaire, utilisant ce poinçon à mauvais escient !

Tout en bas du tympan, un ultime avertissement en latin : O PECCATORES TRANSMVTETIS NISI MORES IVDICIVM DVRVM VOBIS SCITOTE FVTVRVM «  Ô pécheurs, à moins que vous ne réformiez vos mœurs, sachez que vous subirez un redoutable jugement ! » Imaginez l’impression que devait produire une telle œuvre sur les pèlerins du moyen-âge qui venaient se recueillir devant l’église de Conques !