Histoire du christianisme <1 <50 <100 <150 <200 <250 <300 <350 <400 <450 <500 <550 <600 <650 <700 <750 <800 <850 <900 <950 <1000 <1050 <1100 <1150 <1200 <1250 <1300 <1350 <1400 <1450 <1500 <1550 <1600 <1650 <1700 <1750 <1800 <1850 <1900 <1950 <2000 Histoire du christianisme An 1633 Procès de Galilée, Foi et science
Question cours 10 Urbain VIII (pape de1623 à 1644) a-t-il voulu sacrifier Galilée, le protéger d’une accusation de très grave hérésie ou protéger sa propre autorité menacée dans le contexte politique de la guerre de 30 ans? Relever les indices permettant de privilégier l’une ou l’autre de ces trois interprétations. Louis Rousseau
Contexte politique Le politique prend le pas sur le religieux dans les États européens : guerre de 30 ans Difficile coexistence confessionnelle Allemagne (Union évangélique vs Ligue catho), début XVIIe s. Insurrection protestante à Prague (1618) contre Empereur Habsbourg; défaite protestante (1620) : fin des rêves œucuméniques Politique française (Richelieu) s’allie aux princes protestants pour limiter l’Empire Restauration des terres et monastères enlevés aux catholique (Ferdinand II, 1629) Invasion du centre de l’Europe par roi luthérien de Suède (1631-1632) : dure jusqu’en 1648 1635 : France déclare guerre à Espagne contre avis curie romaine Paix de Wesphalie (oct. 1648) : Victoire de France et Suède; restitution des propriété dans état 1618 Structure confessionelle de l’Europe vers 1680 Jedin et all. Atlas d’histoire de l’Église, 93 Louis Rousseau
Contexte religieux Renaissance religieuse et dévote après les guerres de religion en France (1600-1650) Efflorescence mystique et pastorale : François de Sales, Bérulle, Condren, Olier, Jean Eudes, Vincent de Paul Absolutisme baroque romain Culture : joyeuse liberté des arts + enthousiasme spirituel Pouvoir : idéal patriarcal, gouvernement secret selon critères de « raison d’état » Faiblesse des Papes et des États pontificaux dans le jeu des rivalités entre États absolutistes (Espagne, France, Empire) Faiblesse politique, économique et militaire Tentatives courantes des États d’exercer un droit de veto dans les élections au pontificat (partis cardinalices inféodés) Un cas : la révolte du « parti espagnol » contre Urbain VIII Urbain VIII (Mafeo Baberini) Grandes maneuvres cardinalices pour l’élection de l’ex-nonce à Paris, contre le parti espagnol. « Fortes de ses victoires (guerres de religion gagnées en Hongrie et Bohème) et de la conscience politique et religieuse de ses dimensions mondiales, la Compagnie de Jésus sait que la fidélité à l’Empire est la meilleure garantie contre la Contre-Réforme. Elle se méfie des périlleuses aventures diplomatiques du nouveau pontife en direction d’un aventurier sans scupules comme Richelieu, nouvel astre naissant de la politique européenne. Pour les jésuites, c’est un moment délicat : [en 1623] ils risquent d’être isolés par le nouveau régime et de devoir céder leur traditionnelle influence au Vatican sur les questions politiques et culturelles aux mains d’un nouvel entourage intellectuel. » Redondi, p. 57 Dénonciation du clan espagnol (8 mars 1632) « ..au Conseil d’État du Vatican, le pape dut affronter la dénonciation ouvertement prononcée par le cardinal Borgia, protecteur de l’Espagne, épaulé par tous les cardinaux de son parti( ..). Il dénonçait l’alliance hérétique avec le roi de Suède (de Richelieu), il affirmati que Madrid voulait que le Pape fasse retentir sa voix apostolique comme une trompette souflant le rappel. Urbain VIII lui coupa la parole, lui ordonna de se taire et menaça de le déposer. Mais Borgia, plus encore que comme prince de l’Église, voulait parler en tant que représentant du roi catholique…Le pape de dire le dernier mot : »C’est à nous que revient le soin de la religion catholique, sur laquelle nous avons veillé et sur laquelle nous veillons. » Redondi, 258. Il faudra donner des gages au parti conservateur et c’est dans ce contexte que se place le procès de Galilée. Louis Rousseau
Contexte théologique : transsubstantiation et atomisme Le long effort (XIIe-XVIe s.) pour penser rationnellement la « nature » de la présence réelle du Christ dans le pain et le vin de la messe, débouche en 1555 (Concile de Trente) sur l’affirmation dogmatique de la « transsubstantiation » dont les concepts proviennent de la théorie aristotélicienne de la nature (repris par Thomas d’Aquin) Tout ce qui existe et est objet de sensation est composé d’une substance dont l’essence générale est connaissable par la raison, et d’accidents (apparence : étendue, couleur, poids, etc) qui inhèrent à la substance. La présence réelle (physique) du Christ est possible par substitution de substance et conservation de l’apparence du pain et du vin (l’aspect phénoménal, qui se voit) La lutte contre la Réforme fait de la théologie de l’eucharistie un enjeu majeur Dès 1612, Galilée s’intéresse aux perspectives élaborée jadis par les atomistes Lucrèce et Héron d’Alexandrie : pour lui l’atomisme « était une hypothèse de recherche légitime et féconde pour représenter les qualités de la physique aristotélicienne à travers les actions cinétiques et mécaniques de corpuscules matériels (des quantités). » Le Saggiatore (1623) offre une théorie corpusculaire de tous les éléments de la nature et de tous les phénomènes perceptibles à part ceux du son auxquels il réserve une interprétation de caractère ondulatoire. (Redondi, 22) Ce sont nos récepteurs sensibles qui attribuent des qualités (un « apparaître ») à ce qui les affecte (atomes) Traduction conséquente : impossibilité de permanence des qualités (accidents) sans permanence du sujet physique (substance) Canons du très saint sacrement de l’Eucharistie (session XIII du Concile de Trente, 1555, sous Jules III) Canon 2: « Si quelqu’un dit que dans le sacrosaint sacrement de l’Eucharistie la substance du pain et du vin demeure associée au corps et au sang de notre Seigneur Jésus Christ [Luther], et nie cette admirable et singulière conversion de toute la substance du pain dans le corps et de toute la substance du sang dans le vin, demeurant sauve toutefois les apparences du pain et du vin, laquelle conversion l’Église catholique nomme si judicieusement transsubstantiation, qu’il soit déclaré anathème.) Denzinger, p. 309 Louis Rousseau
Contexte scientifique : la « science nouvelle » 1543 : De revolutionibus orbum cœlestium, du chanoine polonais Nicolas Copernic [le soleil est au centre du monde] Accepté par le Pape Paul III, rejeté par Luther, Melanchton, Calvin, etc 1609 : Astronomia nova, de Joannes Kepler, savant protestant; explique les orbites planétaires, veut prouver la valeur des conceptions de Copernic (1564-1642) : Galiléo Galilei, astronome de la cour Toscane, expérimentateur et mathématicien. 1613 : Valorise la religiosité des « démonstrations nécessaires » et de l’« expérience sensible » qui imposent une nouvelle exégèse. Dénoncé. Ouvre les hostilités avec la philosophie officielle des jésuites en dénonçant la physique aristotélicienne et en la taxant de pur nominalisme (« que des mots ») 1616 : Saint-Office condamne l’héliocentrisme comme stupide et absurde en théologie et formellement hérétique, et la théorie du mouvement de la terre, erronée de fide. Communication personnelle du cardinal Bellarmin à Galilée : simple communication de la mise à l’index de Copernic ou interdiction de « le défendre ou soutenir »? 1623 : Présentation du Sagiattore à Urbain VIII (Barberini) : contre culture traditionnelle à base aristotélicienne. Triomphe de l’académie Dei Lincei 1632 : Dialogo, reprend les idées de 1623. Armée protestante aux frontières. Galilée au père Castelli (21 déc. 1613) L’Écriture sacrée et la nature procédant du même Verbe divin, celle-là comme dictée par le Saint-Esprit et celle-ci comme très respectueuse exécutrice des ordres de dieu », d’éventuelles contradictions entre les expressions littérales de la Bible et des conclusions de la philosophie naturelle sont dues seulement au sens figuré de certains passages des Écritures : « C’est l’office des sages interprètes de s’employer à trouver les véritables sens des passages sacrés, en concordance avec ces conclusions naturelles dont dans un premier temps le sens manifeste ou les démonstrations nécessaires nous avaient persuadés et assurés ». Dialogo : Paraît è Florence (février-mars 1632) après des années de révisions et de correction à la suggestion des censeurs théologiens. Bien reçu dans le milieu des académies romaines où on professe depuis des années les idées de Galilée sans mentionner son nom. « Ces idées sont celles des anciens pythagoriciens et des partisans de démocrites » (atomistes) 25 juillet 1632, interdit officieusement à Rome, suite aux dénonciations jésuites (pas de traces documentaires) 1 août 1632 : Commission jésuite interdit à tous les professeurs de la Compagnie d’enseigner quoi que ce soit qui touche à la théorie des atomes de la « nouvelle philosophie ». Un de leur plus grand savant l’enseignait à Prague (père Arriaga) Mi-août 1632 : Pape réunit Commission spéciale présidée par son neveu, le cardinal Francisco B. (et non Congrégation du Saint-Office dominée par le cardinal pro espagnol Borgia). On ne connaît rien de précis sur les accusations. Mi-septembre : La Commission donne son rapport (délibérations secrètes, non documentées) et soumet au Saint-Office une accusation bien documentée : la violation, dans le Dialogo, de l’interdiction fermement communiquée en 1616 à Galilée par le cardinal Bellarmin de défendre la théorie copernicienne condamnée par le Saint-Office. 12 avril 1633 : début du procès devant le Saint-Office (père Vincenzo Maculano da Fiorenzola, o.p. commissaire). Galilée semble faire dérailler l’accusation de désobéissance en montrant la lettre signée de Bellarmin. Le commissaire le voit en privé (aucun témoin, ce qui est extraordinaire) dans l’après-midi du 27 avril. Le lendemain Galilée se soumet à l’accusation en se livrant à une retentissante auto-accusation de copernicianisme. A-t-il eu peur qu’on l’accuse formellement d’hérésie contre la foi, cela même dont les dénonciateurs connus par la Commission l’auraient accusé (la théologie de la transsubstantiation?). 22 juin 1633 : Dans l’église de Santa Maria Sopra Minerva(dominicaine), Galilée abjure la doctrine de Copernic. Insatisfait de ce procès-farce, le Cardinal Borgia refuse de signer. Louis Rousseau
22 juin 1633 : jugement du Saint-Office et abjuration par Galilée « Nous disons, jugeons et prononçons que toi, Galilée, par les éléments révélés par le procès et confessés par toi, tu t’es rendu pour ce Saint-Office très fortement suspect d’hérésie, c’est-à-dire d’avoir accordé soutien et créance à une doctrine fausse et contraire aux Écritures sacrées et divines, à savoir que le Soleil soit le centre pour la Terre qui se déplace et qu’elle ne soit pas le centre du monde, et que l’on puisse tenir et défendre comme probable une opinion après qu’elle eut été déclarée et définie contraire à l’Écriture sainte. » Des mesures punitives s’abattaient en même temps sur différents acteurs liés à l’affaire : Les calomniateurs : Le père Orazio Grassi s.j. ennemi juré de Galilée, consulteur du recteur du Collège romain, savant officiel de la Compagnie. Il ne publiera plus une ligne jusqu’à sa mort. Le père dominicain Nicolo Ridolfi, maître général des Dominicains et Maître du Sacré Palais au temps du Saggiatore. Rétabli après la mort d’Urbain VIII. Le père Giovanni Guevara : admiré par Galilée, carrière ecclésiastique brisée. Les défenseurs Mgr Sforza Pallavicino, défenseur de G. contre les attaques de Grassi, en 1624, limogé en 1632, se convertit et devient jésuite ! Mgr Ciampoli, propagandiste de G. à la Dei Licei, expulsé de Rome avec sa bibliothèque en avril 1632. Rome récupère ses manuscrits scientifique au moment de sa mort et les fait disparaître. Son secrétaire a brûlé sa correspondance avec Galilée. Louis Rousseau
De quelques suites à l’affaire Galilée À l’aube de la « science nouvelle », mathématisant la nature, l’Église romaine se montre opposée au nouveau modèle du savoir : pas de liberté de recherche La « science nouvelle » pose une série de nouveaux problèmes à l’instance religieuse de la société occidentale Il peut y avoir une double source de la vérité, une tirée de la révélation biblique, l’autre tirée de l’étude rationnelle de la nature. Le XVIe siècle marque la fin de l’intégration totale entre théologie et sciences rationnelles élaborée aux XIIe et XIIIe siècles. Les grands savant resteront croyants dans leur vie, mais la vérité des sciences de l’observation et des nouvelles philosophies (Descartes, etc) se heurtera de plus en plus à la résistance des opinions religieuses traditionnelles. La valorisation de la nouvelle méthode scientifique exigera une approche interprétative nouvelle de l’Écriture. À partir du XVIIIe s. , les énoncés religieux seront jugés en manque de valeur universelle par les savants, dans le combat des « Lumières ». Les sciences de l’homme s’ajoutent alors aux sciences de la nature. Louis Rousseau