Les Balkans Le dessous des cartes 2004
Voici les Balkans, et la chaine de montagne qui porte ce nom Voici les Balkans, et la chaine de montagne qui porte ce nom. A l'exception de l'Albanie et de la Bulgarie, tous les Etats de la région ne formaient qu'un seul ensemble étatique entre 1945 et 1991. C'était la Yougoslavie, «le pays des Slaves du Sud».
Lorsque la Yougoslavie éclate en 1991, entraînant la plupart de ses habitants dans la guerre, cinq nouveaux Etats voient le jour : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie- Herzégovine, la Macédoine; et ce qui reste de la Yougoslavie , c’est à dire la Serbie-Monténégro.
La Bosnie- Herzégovine est au cœur des Balkans, presque totalement enclavée. Seul le port de Neum ouvre le pays sur l'Adriatique.
La fédération de Bosnie-Herzégovine couvre 50 000 km2, où vivent 4 millions d'habitants. Le pays est depuis les accords de Dayton en 1995 une Confédération séparée en deux entités: une fédération, croato-musulmane (en rouge sur la carte) qui couvre 51% du territoire bosniaque ; et une République Serbe (en bleu sur la carte), couvrant 49% de la Bosnie. La politique étrangère et le commerce extérieur sont gérés par l'Etat central. Mais chacune de ces entités a sa propre constitution, son armée, sa police, et gère directement ses relations extérieures avec ses voisins immédiats.
La Fédération croato-musulmane entretient des relations privilégiées avec la Croatie ; de son côté, la République serbe fait de même avec la Serbie- Monténégro. Ces deux entités ont tendance à se neutraliser au niveau confédéral, empêchant les décisions qui demanderaient un double aval.
Les trois composantes ethniques du pays se tournent le dos : la Bosnie compte 43% de Bosniaques , 31% de Serbes, et 17% de Croates. Ces communautés s'ignorent socialement, économiquement et politiquement : aux élections législatives d’octobre 2002, chaque communauté a élu des dirigeants nationalistes. Quant aux dirigeants nationalistes croates, ils ont déclaré autonomes les régions croates de la Fédération croato-musulmane. Ainsi, en Bosnie cohabitent 3 entités politiques.
C'est le pays le plus peuplé des Balkans avec 8 millions d'habitants, et une superficie de 88 000 km2 (soit à peu près celle de l'Autriche). Depuis la destitution de Milosevic fin 2000, la Serbie a entrepris des réformes, et elle bénéficie d'aides internationales, de prêts du FMI. Mais, la production stagne, l'inflation reste autour de 20%, le chômage est élevé, la corruption et les trafics restent très importants.
Au sein même du territoire de la Serbie, les relations de Belgrade, la capitale, sont difficiles avec la Voïvodine, le Kosovo et le Monténégro, Le Kosovo est une autre province serbe mais peuplée à 90% d'Albanais. Et depuis l'intervention de l'OTAN en 1999, décidée pour mettre fin au massacre des Kosovars par l'armée serbe, la province est sous tutelle administrative des Nations Unies, elle est sécurisée militairement par 21 000 soldats de la KFOR, c'est-à-dire des soldats de l'OTAN.
Si en droit, le Kosovo fait toujours partie de la Serbie, dans les faits, des institutions provisoires sont en place, et la gestion du budget, des impôts, ont été transférées aux autorités locales. Pour les Albanais, majoritaires au Kosovo, cela indique que l'on avance vers leur souhait d'un Kosovo indépendant. En revanche, pour les 10% de Serbes du Kosovo, ils redoutent un re-découpage des frontières. Ainsi, la région peuplée majoritairement de serbes du Kosovo serait rattachée à la Serbie. Quant à la partie albanaise du Kosovo, elle serait agrandie de la vallée du Présovo, qui est peuplée en majorité d'Albanais, tout en restant à l'intérieur de la Serbie. Pour l’instant, c'est la communauté internationale qui gère cette situation en prônant le statu-quo. Le salaire moyen se situe autour de 150 euros par mois, le chômage est élevé, de nombreux trafics ont lieu au Kosovo, et les réfugiés ne sont pas rentrés.
Une indépendance du Kosovo aurait plusieurs conséquences : d'abord sur la Bosnie, où les Serbes de la République Serbe pourraient demander leur intégration à la Serbie. Et ensuite, en Macédoine où vit une importante minorité albanaise. Cet Etat de 26 000 km2 a une population de 2 millions d'habitants, dont un quart est albanaise vivant essentiellement dans le nord et l'ouest. Cette minorité pourrait elle aussi être tentée par l'indépendance, ou bien se rattacher au Kosovo, ou encore vouloir former « une grande Albanie » (en violet sur la carte) avec tous les Albanais de la région.
Il est facile de comprendre pourquoi l'Union européenne est intervenue pour que le Monténégro reste lié à la Serbie, et renonce à son indépendance, afin d'éviter la fragmentation à l'infini de la Yougoslavie. Depuis mars 2002, une Communauté étatique très lâche a été instituée. Les institutions communes se limitent à la politique étrangère, à la défense et à la protection des minorités. Là aussi, cette Union Serbie Monténégro n'est pas définitive puisqu’en 2006, chaque entité aura le droit de la quitter.
Les Balkans et l’Union Européenne
La région semble aujourd’hui apparemment stable, mais c'est grâce à une grosse implication de la communauté internationale : les Nations Unies ont mis en place en Bosnie une administration civile avec un Haut Représentant qui assume la réalité du pouvoir depuis 1995 ; et au Kosovo, une administration provisoire, la MINUK, depuis 1999 ; l'OTAN maintient 12 000 hommes de la SFOR en Bosnie ; et au Kosovo, 21 000 hommes de la KFOR ; et en Macédoine, l'OTAN a conduit trois opérations militaires entre août 2001 et mars 2003. Enfin , 3ème acteur, l'Union européenne qui est elle aussi très présente financièrement, et pourrait devenir à terme le principal acteur politique et même peut-être militaire dans les Balkans.
De fait, la frontière Sud de la Slovénie avec la Croatie, qui était une simple limite administrative à l'époque yougoslave, devient l'une des frontières extérieures de l'Union européenne. La carte de l'Union en 2003, et des pays membres en 2004, montre bien que l'élargissement de l’Union Européenne du 1er mai 2004 rapproche géographiquement les Balkans de l'Union, puisque la Slovénie en devient l'un des membres.
La Croatie fait 56 000 km2, elle a 4,5 millions d'habitants, en majorité catholiques eux aussi. En 2002, sa croissance atteint 4%, grâce à son industrie chimique et textile et un très fort secteur tertiaire. Le tourisme est en pleine expansion avec la façade sur l'Adriatique et les nombreuses îles et cités vénitiennes, comme Dubrovnik ou Split. Le pays réalise plus de la moitié de ses échanges avec l'Union européenne, et depuis février 2003, la Croatie est candidate à l'entrée dans l'Union, en espérant même être dans le même wagon que la Roumanie et la Bulgarie en 2007. Avec 20 000 km2 et 2 millions d'habitants, majoritairement catholiques, la Slovénie était la plus riche des républiques de la fédération Yougoslave grâce à son industrie (électromécanique, chimie, pharmacie). Son PIB par tête est d'ailleurs au niveau de celui du Portugal et de la Grèce. Mais la Slovénie investit aussi vers ses anciens partenaires yougoslaves et pousse à une adhésion rapide de son voisin, la Croatie.
Trois points doivent être résolus avant que Bruxelles n'accepte cette adhésion: premièrement, la dette publique et le déficit commercial sont en augmentation, et le chômage est à plus de 20% de la population, deuxièmement, le retour de la minorité serbe de Krajina (en rouge sur la carte) expulsée de Croatie est loin d'être achevé. Selon le HCR, 100 000 des 280 000 serbes de Croatie seraient rentrés. Or, la reconstruction des logements fait défaut et la population croate s'oppose à ce retour des Serbes. Et troisièmement, l'équilibre politique du pays est toujours fragile. Le pays a peut-être tourné la page du nationalisme à la mort en 1999 du Président Franjo Tudjman, mais le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, se plaint du manque de coopération de la Croatie pour la livraison de criminels de guerre, notamment Ante Gotovina.
La Slovénie intègre l’Union Européenne, et la Croatie devrait suivre La Slovénie intègre l’Union Européenne, et la Croatie devrait suivre. Mais ensuite, il y a comme un trou. La carte montre bien une Grèce comme isolée, en tout cas par le manque de continuité territoriale au sein de l'Union. C'est d'ailleurs exactement l'expression de Chris Patten, le Commissaire européen aux relations extérieures : « la carte de l'Union européenne ne sera pas achevée tant que les Pays balkaniques n'y seront pas inclus ».
L'élargissement risque de marginaliser encore davantage l'Europe du sud-est, de la couper de la Hongrie et de la Slovénie, et en dressant une sorte de rideau d'argent entre européens riches et européens pauvres. C'est certainement ce qui a encouragé la Slovénie et la Croatie à sortir des Balkans, puisque ces pays se sentent plutôt Centre Européens. Mais c'est aussi ce qui a décidé Bruxelles en 2003 à accélérer le processus de stabilisation des Balkans, en mettant en place des partenariats d'intégration européens. La carte montre bien qu'une entrée de la Croatie placera la Bosnie juste aux frontières de l'Union, et cela exige évidemment une implication plus forte de l'Union européenne pour stabiliser cet état fragile.
Vu de Berlin ou Paris, les Balkans sont à la périphérie; mais vu de Rome ou d'Athènes, ce sont des voisins immédiats. Rome est favorable à la poursuite de l'élargissement européen vers les Balkans, car plus de stabilité et de richesse apportées par l'Union implique moins d'immigration illégale des Balkans vers l'Italie.