Lécocentrisme et lontologie des écosystèmes Présentation pour le colloque Fodar (UQAM, mars 2010) par Antoine C. Dussault (doctorant à lUniversité de Montréal.

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Transcription de la présentation:

Lécocentrisme et lontologie des écosystèmes Présentation pour le colloque Fodar (UQAM, mars 2010) par Antoine C. Dussault (doctorant à lUniversité de Montréal et prof. au Collège Lionel-Groulx) Contenu : 1.Lécocentrisme et son défi ontologique 2.Lécologie classique 3.Lécologie « déconstructive » 4.Comment réagir ? Aldo Leopold J. Baird Callicott

1. Lécocentrisme et son défi ontologique 1.1 Lécocentrisme classique Approche holistique : Valeur intrinsèque des touts biologiques Soppose aux approches individualistes : - Biocentrisme : Valeur intrinsèque de tout organisme vivant (P. Taylor) - Étiques animales : Valorisation de labsence de souffrance (P. Singer), ou valeur intrinsèque de tout mammifère individuel (T. Regan) Impératif écocentriste : « [u]ne chose est juste quand elle conserve la stabilité, lintégrité et la beauté de la communauté biotique. Elle est mauvaise lorsquelle agit autrement. » (Leopold 2000 [1949], p. 283). Éthique reprise et défendue par John Baird Callicott à partir des années 1980.

Deux raisons de protéger les écosystèmes : 1) Respect de leur valeur intrinsèque (raison morale) 2) Anthropocentrisme éclairé (raison instrumentale et prudentielle) : Nous dépendons de ces équilibres naturels, nous ne pouvons évaluer lampleur du risque impliqué par nos perturbations de ces équilibres, donc il est plus prudent de les respecter. Voie humble de gestion de lenvironnement : Meilleure façon dassurer notre propre bien à long terme est de poursuivre le bien de notre écosystème (maintenir son équilibre). Sinon « penser comme la montagne » Saccorde donc avec lidée intuitive de ce quest la protection de la nature suscité par la prise de conscience écologique.

1.2 Son défi ontologique La nature est changeante, les écosystèmes aussi. Deux problèmes ontologiques concernant les écosystèmes : 1)Individualité floue 2)Êtres changeants Obstacles théoriques à leur considérabilité morale Existent-ils ? Ont-ils une identité qui persiste dans leur changement, avec laquelle nos actions peuvent saccorder ou non ? Il semble quil faille pouvoir répondre « oui » à cette question pour que lécocentrisme soit possible.

Paul W. Taylor (1986) théorise très bien ce problème Taylor veut étendre la considération morale à tout organisme vivant individuel (sentant ou non). Il avance lidée que la condition minimale nécessaire pour quun être soit sujet dune considération morale est quil ait son propre bien. X a son propre bien lorsquil peut être sensé de dire quune action lui nuit ou lui est bénéfique. Les organismes vivants individuels ont cette caractéristiques parce quils sont des « centres téléologiques de vie », cest-à-dire quils ont un telos inhérent, au sens de programme inhérent de développement. Par rapport à ce telos les actions des agents moraux peuvent être bénéfiques ou nuisibles. Sans un tel telos le changement dun être est pure contingence.

Les touts biologiques remplissent-ils cette condition ? Selon Taylor : Non ! Les communauté biotiques nont pas de bien propre. Elles ne sont que des sommes dindividus. On peut parler du bien des touts biologiques « statistiquement » (Taylor 1986, p. 69). Ce bien se réduit à celui des individus qui le composent. Si Taylor a raison, lécocentrisme est impossible. A-t-il raison ? Allons voir ce que la science écologique nous dit sur les écosystèmes.

2. Lécologie classique (de Clements à Odum) Clements ( ) : Les successions biologiques se succèdent comme la croissance dun organisme vivant. Elton ( ) : Les espèces dans le milieu forment un réseau déchanges économiques (communauté biotique) et occupent chacune une niche écologique précise. Cest lécologie qui inspire Aldo Leopold. Tansley ( ) : Contre lidée de super-organisme. Reformule le holisme en inventant le terme « ecosystème ». Lindeman ( ) : Reformule tout ça en termes thermodynamiques. Les niveaux trophiques séchangent de lénergie. Rend lécologie quantitative. Eugene Odum ( ) : Fait la grande synthèse.

Lécologie de Odum Cest lécologie dOdum qui inspire dabord J. Baird Callicott (2002, p. 295). Écosystème : « une unité qui inclut tous les organismes (i.e. la « communauté ») dans une région donnée interagissant avec lenvironnement physique de manière a ce quun flux dénergie conduise à une structure trophique clairement définie, une diversité biotique, et des cycles de matière (i.e. des échanges de matière entre les parties vivantes et non vivantes) à lintérieur du système. » (Odum 1953) Les écosystèmes ont une « stratégie de développement […] dirigée vers lachèvement dune structure organique aussi grande et diverse quil lest possible à lintérieure des limites fixées par linput énergétique disponible et les conditions physiques dexistence qui règnent » (Odum 1969)

Critères de Taylor : Telos : Oui (« stratégie de développement ») Individualité : Oui (plus on sapproche de lhoméostasie).

3. Lécologie « déconstructive » Pickett & White (1985) ; Goodman (1975) ; Botkin (1990) ; (etc.). Réductionniste : Le milieu est une mosaïque dorganismes individuels qui parfois sassocient, mais temporairement et de manière contingente. Les successions biologiques sont imprévisibles et ne se répètent pas. Pas daccroissement de la cohésion. Pas de tout très intégré et ayant son telos. Axée sur les perturbations : Les perturbations (feu, tempêtes, espèces envahissantes, éruptions volcaniques) sont fréquentes dans la nature, et nécessaires au redémarrage de certaines successions (qui seront imprévisibles). Remet en question lhypothèse diversité-stabilité : Quelle valeur a alors la biodiversité ?

Conséquences : Worster (1993) : Lidée de « dommage environnemental » ne peut peut- être plus avoir de sens. Larrère (1997) : Plus de normes claires de protection/gestion de la nature.

4. Comment réagir ? 4.1 Tout concéder ? On fait de l« architecture écologique », et non de la « conservation » ou de la « restauration » des écosystèmes (Davis & Slobodkin 2004). Faisons de notre environnement ce que nous voulons en faire ! Seul critère sensé…

4.2 Une science en champ de bataille ? Il y a des dissidents à lécologie « déconstructive » Guerre décole entre les écologistes des communautés et les écologistes des systèmes, donc la première censure et occulte la seconde. (Salthe & Salthe 1989) Enjeu politico-économique ? Partisans dun telos fort : Ulaniwicz (1997), Jorgenson (1997) Concept de santé écosystémique : Rapport (1989), Costanza (1992) 163 définitions de 70 concepts de stabilité (Grimm & Wissel 1997)

Conclusion : Il y a certainement un travail de philosophie de lécologie à faire pour mettre de lordre dans les débats en écologie. En attendant : Si on concède : On perd la voie humble dAldo Leopold : perturber le moins possible la nature afin dassurer notre bien à long terme. Principe de précaution dans le choix des paradigmes scientifiques ?