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Transcription de la présentation:

- IV -

L'huître et les plaideurs Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent Une huître que le flot y venait d’apporter. Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent : A l’égard de la dent il fallut contester. L’un se baissait déjà pour ramasser la proie ;

L’autre le pousse et dit : « Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l’apercevoir En sera le gobeur ; l’autre le verra faire. Si par là on juge l’affaire, Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci ! Je ne l’ai pas mauvais aussi, Dit l’autre, et l’ai vue avant vous, sur ma vie. Eh bien ! vous l’avez vue, et moi je l’ai sentie. » Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l’huître et la gruge, Nos deux Messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit, d’un ton de président :

«Tenez ! la cour vous donne à chacun une écaille Sans dépens, et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. » Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ; Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles ; Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui, et ne laisse aux plaideurs que l’argent et les quilles.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE Un mal qui répand la terreur, Mal que le ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) Capable d’enrichir en un jour l’Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. On n’en voyait point d’occupés A chercher le soutien d’une mourante vie ; Nul mets n’excitait leur envie ; Ni loups ni renards n’épiaient la douce et innocente proie; Les tourterelles se fuyaient : plus d’amour, partant, plus de joie.

Le lion tint conseil et dit : « Mes chers amis, Je crois que le ciel a permis pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Peut-être il obtiendra la guérison commune. L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents On fait de pareils dévouements ; Ne nous flattons donc point. Voyons sans indulgence L’état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J’ai dévoré force moutons. Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense. Même, il m’est arrivé quelquefois de manger le berger. Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi. Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non ! Vous leur fîtes, Seigneur, En les croquant, beaucoup d’honneur; Et quant au berger, on peut dire qu’il était digne de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. » Ainsi dit le renard, et flatteurs d’applaudir.

On n’osa trop approfondir Du tigre, ni du loup, ni des autres puissances Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient des petits saints. L’âne vint à son tour et dit : « J’ai souvenance Qu’en un pré de moines passant, La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net. » A ces mots, on cria haro sur le baudet.

Un loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu’il fallait immoler ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable ! Rien que la mort n’était capable D’expier son forfait : on le lui fit bien voir… Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS Autrefois, le rat de ville Invita le rat des champs, D’une façon fort civile, A des reliefs d’ortolans. Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête, Rien ne manquait au festin. Mais quelqu’un troubla la fête Pendant qu’ils étaient en train. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit. Le rat de ville détale ; Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire. Rats en campagne aussitôt ; Et le citadin de dire. « Achevons tout notre rôt. » C’est assez ! Dit le rustique. Demain, vous viendrez chez moi. Ce n’est pas que je me pique De tous vos festins de roi.

Mais rien ne vient m’interrompre. Je mange tout à loisir. Adieu donc. ! Fi du plaisir Que la crainte vient corrompre.

LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU Un souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu, Fut presque pris au dépourvu. Voici comme il conta l’aventure à sa mère. « J’avais franchi les monts qui bordent cet État, Et trottais comme un jeune rat Qui cherche à se donner carrière, Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux : L’un doux, bénin et gracieux, Et l’autre turbulent et plein d’inquiétude. Il a la voix perçante et rude, Sur la tête un morceau de chair, Une sorte de bras dont il s’élève en l’air comme pour prendre sa volée, la queue en panache étalée. »

Or, c’était un cochet dont notre souriceau Fit à sa mère le tableau, Comme d’un animal venu de l’Amérique. « Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras, faisant tel bruit et tel fracas Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, En ai pris la fuite de peur, Le maudissant de très bon cœur. Sans lui, j’aurais fait connaissance Avec cet animal qui m’a semblé si doux.

Il est velouté comme nous, Marqueté, longue queue, une humble contenance ; Un modeste regard, et pourtant l’œil luisant ; Je le crois fort sympathisant avec Messieurs les rats ; car il a les oreilles En figure aux nôtres pareilles. Je l’allais aborder, quand, d’un son plein d’éclat, L’autre m’a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat Qui, sous son minois hypocrite Contre toute ta parenté D’un malin vouloir est porté. L’autre animal, tout au contraire, Bien éloigné de nous mal faire, Servira quelque jour peut-être à nos repas. Quant au chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras, De juger les gens sur la mine.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU Le chêne un jour dit au roseau : « Vous avez bien sujet d’accuser la nature ! Un roitelet pour vous est un pesant fardeau. Le moindre vent, qui d’aventure Fait rider la face de l’eau Vous oblige à baisser la tête. Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d’arrêter les rayons du soleil, Brave l’effort de la tempête. Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n’auriez pas tant à souffrir :

Je vous défendrais de l’orage Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. Votre compassion, lui répondit l’arbuste, Part d’un bon naturel. Mais quittez ce souci, Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots Du bout de l’horizon accourt avec furie le plus terrible des enfants Que le Nord eût porté jusqu-là dans ses flancs. L’arbre tient bon ; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts Et fait si bien, qu’il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

LE COCHE ET LA MOUCHE Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé, Six forts chevaux tiraient un coche. Femmes, moine, vieillards, tout était descendu. L’attelage suait, soufflait, était rendu. une mouche survient, et des chevaux d’approche ; Prétend les animer par son bourdonnement ; Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment Qu’elle fait aller la machine ; S’assied sur le timon, sur le nez du cocher ; Aussitôt que le char chemine, Et qu’elle voit les gens marcher, Elle s’en attribue uniquement la gloire ;

Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit Un sergent de bataille allant en chaque endroit Fait avancer ses gens, et hâter la victoire. La mouche, en ce commun besoin, Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ; Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire. Le moine disait son bréviaire : Il prenait bien son temps ! Une femme chantait ; C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !

Dame mouche s’en va chanter à leurs oreilles et fait cent sottises pareilles. Après bien du travail, le coche arrive en haut. « Respirons, maintenant ! dit la mouche aussitôt ; J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine. Ça, Messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine. » Ainsi certaines gens, faisant les empressés, S’introduisent dans les affaires : Ils font partout les nécessaires et, partout importuns, devraient être chassés.

Illustrations : Jean-Noël Rochut Musique : chanteurs russes - Kalinka Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix Jacky.questel@gmail.com http://jackydubearn.over-blog.com/ Site : http://www.jackydubearn.fr/