Tolérance Réunion préparée avec Marypierre Baylé, Martine Galibert, Mireille Loup, Daniel Amat et Michel Rumeau 1. Étymologie / Définitions 2. Notions / Concepts : La hiérarchie des ordres d’André Comte-Sponville 3. Questions / Discussion 4. En guise de conclusion
Étymologie et définitions Tolérance est issu du latin tolerantia, substantif de tolerare : tolérer, « être indulgent », « supporter »; le mot date du XIVe siècle. Définitions : Petit Robert : Le fait de tolérer, de ne pas interdire ou exiger, alors qu’on le pourrait ; liberté qui résulte de cette abstention. Attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser et d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même Dictionnaire philosophique de Comte-Sponville (extrait) : Tolérer, c’est laisser faire ce qu’on pourrait empêcher ou punir. Ce que je tolère, je peux aussi le combattre, en moi ou en autrui. Mais je m’interdis de l’interdire : je ne le combats que par les idées, point par la loi ou la force.
La hiérarchie des ordres d’André Comte-Sponville Primautés et primats /Angélisme et barbarie Enchaînement descendant des primats Ce qui est objectivement le plus important dans un enchaînement descendant de détermination. Le primat est explicatif : c’est l’ordre des causes et de la connaissance. C’est ce qui sert à comprendre. L’amour C’est l’ordre de l’éthique. C’est ce qui éclaire la morale. C’est la valeur suprême de « l’esprit ». Hiérarchie ascendante des primautés Ce qui vaut le plus, subjectivement, dans une hiérarchie d’évaluations. C’est l’ordre des valeurs et des fins, qui tend au meilleur ou au plus élevé. C’est ce qui sert à juger et à agir. L’ordre de la morale C’est l’ordre où l’on se pose la question du bien et du mal. C’est l’ensemble de nos devoirs : des règles que l’on se fixe soi-même. C’est parce que nous ne sommes pas ‘‘tout amour’’ que nous avons besoin d’une morale. L’ordre juridico-politique C’est l’ordre où l’on se pose la question du légal et de l’illégal. C’est l’ordre des lois de la vie en société. C’est parce que nous manquons de moralité que nous avons besoin de lois. L’ordre de l’Economie, des sciences et des technologies C’est l’ordre où l’on se pose la question du vrai et du faux, du possible et de l’impossible. C’est l’ordre de la « matière »; de la vérité par excellence. La dialectique (primat de la matière ou de la vérité/primauté de l’esprit ou des valeurs) vaut aussi bien à titre individuel que collectif. On ne passe du primat à la primauté qu’à la condition de le vouloir : c’est le mouvement ascendant du désir. Chaque ordre a sa logique propre : confondre les ordres entre eux est donc ridicule. Pour expliquer un ordre donné, on doit faire appel aux ordres inférieurs. Pour juger un ordre donné, on doit faire appel aux ordres supérieurs. La dialectique valeur / vérité s’exerce ainsi de proche en proche. Soumettre un ordre donné, avec ses valeurs propres, à un ordre inférieur : renoncer à la primauté, c’est de la barbarie. Prétendre annuler ou déstructurer un ordre donné au nom d’un ordre supérieur : oublier le primat, c’est de l’angélisme. Principales références : Le capitalisme est-il moral ? / Dictionnaire philosophique (primats et primautés)
QUESTIONS La tolérance : que n’est-elle pas ? La tolérance a-t-elle des limites ? La tolérance est-elle une vertu ? Etre intolérant : est-ce confondre valeur et vérité ?
La tolérance : que n’est-elle pas ? Animation Marypierre Baylé Indifférence, laxisme, lâcheté, condescendance, paternalisme, respect, scepticisme...?
1. La tolérance : que n’est-elle pas ? L’amour de la liberté n’est-il pas ce qui motive la tolérance ? Aimer la liberté pour soi-même; penser qu’être libre est un droit; ne pas en douter, n’est-ce pas, du même coup, reconnaître ce droit à tous ? Sans tolérance : la liberté de conscience et d’expression, le libre affrontement des arguments et des idées ne seraient-ils pas qu’utopies ? Penser qu’être libre est un droit pour soi, c’est reconnaître l’universalité de ce droit et la nécessité de la tolérance. Le scepticisme peut-il faciliter la tolérance ? Etre sceptique, c’est penser que nous n’avons accès à aucune vérité absolue. Cela n’interdit pas de penser : un sceptique n’est pas un nihiliste qui ne croit en rien. Au contraire, chercher sans relâche la vérité, cela oblige à penser toujours. Jamais certain de détenir la vérité, le sceptique est naturellement enclin à la tolérance. Si le scepticisme peut y aider et le respect en signifier l’esprit, tolérer c’est fondamentalement reconnaître à autrui le droit à la liberté. « La tolérance ne vaut que contre soi et pour autrui » dit C-S Aussi, peut-on penser que toute autre motivation qui pourrait conduire à un comportement apparemment tolérant, ne serait pas de la tolérance.
La tolérance a-t-elle des limites ? Animation Michel Rumeau Tolérer l’intolérance ? La tolérance en sciences et en économie a-t-elle un sens ?
2. La tolérance a-t-elle des limites ? Du domaine de la tolérance: Le problème de la tolérance ne se pose que dans les questions d’opinions ; quand il n’y a pas de preuves ; c’est pourquoi il se pose si souvent ! La tolérance n’intervient qu’à défaut de connaissance, de preuve ou de vérité. Quand la vérité est connue, notamment lorsqu’elle s’expérimente, la tolérance est sans objet. Dans leur domaine, les mathématiciens, les scientifiques, les comptables ...n’ont que faire de la tolérance. « Une science n’avance qu’en corrigeant ses erreurs; on ne saurait donc lui demander de les tolérer. » dit CS Dans l’ordre économico-techno-scientifique (ordre de la vérité par excellence), parler de tolérance n’a aucun sens. Doit-on tolérer l’intolérance ? Poussée à l’extrême, la tolérance se nie elle-même dès lors qu’elle laisse les mains libres à ceux qui veulent la supprimer. C’est ce que K Popper appelle « le paradoxe de la tolérance » La tolérance universelle ou infinie ça n’a donc pas de sens puisque ce serait aussi tolérer l’intolérance ! « Une tolérance universelle serait tolérance de l’atroce : atroce tolérance » dit CS On tolère par amour de la liberté. On ne saurait donc tolérer qu’on la nie ! C’est parce qu’on aime la liberté et qu’on en reconnaît le droit à tous que la tolérance est une valeur. Mais, nulle valeur ne saurait pour autant : Nier la vérité, Ni tolérer ce qui la nie.
La tolérance est-elle une vertu ? Animation Mireille Loup La vertu est l’effort pour se bien conduire, qui définit le bien par cet effort même.
3. La tolérance est-elle une vertu ? Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance ! Serait-ce si simple ?: La tolérance est une valeur, qui, comme toute valeur, vaut par elle-même. De même qu’on ne peut limiter sa générosité aux seuls généreux, on ne peut limiter sa tolérance aux seuls tolérants. Tolérer, c’est quelque part renoncer à son bon droit puisque c’est respecter une valeur que l’on aime pour elle-même par delà soi. Etre tolérant avec les tolérants, c’est la logique même, nul n’a besoin de « valeur » pour cela. Etre tolérant avec les intolérants, nul ne saurait y parvenir sans reconnaître une valeur à la tolérance. La tolérance est-elle une vertu ? Une vertu est une valeur vers laquelle on tend en s’efforçant parce qu’on l’aime. « La vertu est l’effort pour se bien conduire, qui définit le bien par cet effort même. » dit CS Toutes les valeurs que l’on s’oblige à respecter par devoir ressortissent à l’ordre de la morale. C’est pourquoi CS range la tolérance parmi les 18 vertus recensées dans son Petit traité des grandes vertus. Pourtant, on peut aussi estimer qu’il n’y a rien de plus normal que d’être tolérant et qu’il n’est par conséquent pas nécessaire d’être vertueux pour l’être. C’est pourquoi Jankélévitch et Comte-Sponville estiment que la tolérance, parce qu’elle est un minimum, est une vertu mineure. « Tolérer n’est évidemment pas un idéal, ce n’est pas un maximum, c’est un minimum » dit Abauzit « Que le respect ou l’amour vaillent mieux, c’est entendu » dit A.CS. Pourtant, tolérer d’être contredit, quand on pense avoir raison, ce n’est pas forcément si facile ! C’est pourquoi on peut penser que la tolérance est une vertu : disons mineure en soi; peut-être majeure pour certains !
Etre intolérant : est-ce confondre valeur et vérité ? Une vérité est l’objet au moins possible d’une connaissance. Que je l’aime ou pas, la vérité c’est ce qui est. Une valeur est l’objet au moins imaginaire d’un désir. Seul ce que j’aime a de la valeur.
4. Etre intolérant : est-ce confondre valeur et vérité ? De la disjonction des ordres valeur et vérité : La vérité relève de la connaissance. Quand bien même nous aurions accès à une vérité absolue (qui oserait le prétendre ?), à quel titre pourrions nous l’imposer en tant que valeur à respecter par tous ? « La vérité s’impose à tous, certes, mais n’impose rien » dit C-S. La valeur relève du désir, de ce qu’on aime et veut . Le bien n’est pas une vérité qui s’impose à tous. C’est quand nous aimons que c’est bien et non parce que c’est bien que nous aimons. Le bien ne se décrète pas ! C’est par quoi la morale n’est pas une loi (ni juridique, ni dogmatique) mais l’ensemble des devoirs qui engagent notre responsabilité pleine et entière. Disjonction des ordres valeur et vérité dirait A.C-S « La valeur de la vérité dépend du désir qu’on en a (primauté), mais sa vérité non (primat) » Ce n’est pas parce qu’on aime la vérité qu’il faut croire qu’on la détient. Aussi peut-on penser que la disjonction des ordres est l’essence même de la tolérance. De la confusion des ordres valeur et vérité : Autant, aimer la vérité est une valeur qui ne suppose pas qu’on la détienne. Autant croire qu’on la détient, c’est fatalement l’ériger en valeur universelle. Qui pourrait se permettre de nier ou bafouer la vérité ! C’est par quoi, totalitarisme et intégrisme qui estiment ne plus devoir délibérer au nom de vérités idéologiques ou révélées, sont des systèmes politiques intolérants par nature. Soumettre des valeurs de l’ordre de la morale à l’ordre juridico-politique; renoncer à la primauté, dirait CS, c’est de la barbarie ! C’est la disjonction des ordres vérité et valeur qui fonde la tolérance et les démocraties ( laïques évidemment ! ). C’est la confusion de ces deux ordres qui génère l’intolérance, l’anti-laïcité, le totalitarisme ou l’intégrisme.
En guise de conclusion « Que le respect ou l’amour vaillent mieux, c’est entendu. Si le mot tolérance s’est pourtant imposé, c’est sans doute que d’amour ou de respect chacun se sent trop peu capable, s’agissant de ses adversaires – or c’est vis-à-vis d’eux, d’abord, que joue la tolérance ...» André Comte-Sponville : Petit traité des grandes vertus (tolérance/extrait) « Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende pas la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. » Karl Popper
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