Partie I Événement et histoire

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Transcription de la présentation:

Partie I Événement et histoire UE 103-104 La fabrique de l’événement CM « Constructions de l’événement » Partie I Événement et histoire

I) L’histoire traditionnelle : le règne de l’événement Jusqu’au début du XXe, une histoire événementielle : histoire-récit, succession d’événements majeurs que l’historien associait pour former une intrigue ; Du coup, débat sur son statut: art ou science?

Art : faire renaître le passé par un souffle épique -> histoire à la Jules Michelet (1798-1874)

Histoire très littéraire : mouvement lyrique d’une nation tout entière; Michelet recherche l’ « âme des faits ». Bref, une histoire romantique, mais peu rigoureuse au regard de la reconstitution précise des faits. Le Peuple (1846), La Sorcière (1862).

Science: vision positiviste à la Auguste Comte (1798-1857)

Positivisme : doctrine qui se réclame de la seule connaissance des faits. Par le moyen d’observations et d’expériences répétées, mise au jour des relations entre les phénomènes, afin d’expliquer la réalité des faits.

Deux traits principaux de cette histoire traditionnelle: Animée par des événements politico-militaires : « batailles et traités » ; Centrée sur des « héros »  : individus exceptionnels, censés avoir changé le cours de l’histoire.

Les historiens « ne conçoivent pas que l’histoire puisse traiter autre chose que des événements, des faits individuellement déterminés » Krzysztof Pomian, L’Ordre du temps, 1984.

Ce lien prétendument naturel entre histoire et événement est critiqué de longue date: « Après avoir lu trois ou quatre mille descriptions de batailles […] je n’étais guère plus instruit au fond. Je n’apprenais là que des événements. » Voltaire, Nouvelles considérations sur l’histoire, 1744

De plus, les historiens « traditionnels » se concentrent sur ce qui est visible aux témoins ou acteurs contemporains des événements: mais est-ce là le plus important? Ex. situation des paysans sous l’Ancien Régime / Traités signés par tel ou tel roi de France.

L’historien attaché à l’événement est trop tributaire des témoignages des contemporains. Sa marge de manœuvre se réduit à la critique des témoignages : fiabilité, recoupements, contradictions.

Aussi, les premières critiques radicales surviennent à la fin du XIXème siècle, à partir de la remise en question de la scientificité de la discipline historique. En 1894, l’historien Paul Lacombe (De l’histoire considérée comme une science) déclare que l’événement, en tant qu’acte humain envisagé comme unique (exceptionnel), ne peut être objet de science.

La science est en effet fondée sur le repérage de similitudes constantes entre les phénomènes : les lois scientifiques. Si l’histoire se veut science, elle doit éliminer l’individuel, l’unique comme objet de savoir. Elle doit donc se détourner de l’événement, anti-scientifique car non-reproductible, non prévisible.

Se développe donc un courant, en France notamment, invitant à se concentrer sur  : le régulier au détriment de l’accidentel ; le social au lieu de l’individuel: ex. histoire sociale au lieu d’une histoire politique des seuls « Grands »; explications de la révolution.

Cf. Mouvement des Annales. Annales d’histoire économique et sociale, revue fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch. = revue historique la plus prestigieuse au monde (célébrité internationale de l’histoire française).

II) Les Annales et Braudel : la crise de l’événement 2.1. La révolution des Annales Leur essor dans l’entre-deux-guerres ne doit rien au hasard. Le premier conflit mondial + les difficultés de sociétés européennes dans les années 20-30 provoquent une crise du progrès et du sens de l’Histoire, sur lesquels s’appuyait l’histoire traditionnelle.

Oppositions à l’histoire événementielle: Problématisation de l’histoire : n’est plus un simple récit, doit questionner le passé ; doit en outre se questionner elle-même, ses propres postulats et méthodes ; Volonté de créer des liens avec les autres sciences humaines : géographie, économie, sociologie, etc.

Élargissement des sources, bien au-delà des sources écrites (problème des témoignages) : sources matérielles, archéologie, monuments ; Virage économique et social : histoire quantitative (scientifique), s’intéresser à l’ensemble de la société et aux conditions matérielles (inspiration marxiste : la superstructure n’est que l’expression la plus visible de l’infrastructure) ;

2.2. Fernand Braudel et la « longue durée » (1902- 1985)

Représente la seconde génération des Annales, dont il a repris la direction après la guerre, avec Lucien Febvre, puis seul. Monument de l’historiographie mondiale, sa thèse La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (publ. 1949), pousse plus loin la logique initiée par Lucien Febvre et Marc Bloch.

La Méditerranée de Braudel: un tournant historiographique

À l’encontre de l’histoire politique traditionnelle: Focalisation sur la Méditerranée et le « monde méditerranéen », sur une époque, et non sur le « grand » personnage, Philippe II ; Accent géographique, spatial : une « géo-histoire ; Distinction de trois temporalités,trois rythmes de l’histoire;

«  une histoire quasi immobile », presque minérale, « celle de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure »,« presque hors du temps ».  ; « une histoire lentement rythmée […], une histoire sociale, celle des groupes et des groupements »; histoire événementielle, politique (reléguée en dernière partie), « une agitation de surface », conjoncture, ex. Bataille de Lépante (1571).

Les événements ne sont que les manifestations visibles de la rupture ou du rétablissement d’équilibres plus profonds, ceux des structures : des épiphénomènes, en somme.

Il ne faut étudier l'histoire événementielle qu'après « avoir fixé ces grands courants sous-jacents, souvent silencieux, et dont le sens ne se révèle que si l'on embrasse de longues périodes de temps. Les événements retentissants ne sont souvent que des instants, que des manifestations de ces larges destins et ne s'expliquent que par eux » Fernand BRAUDEL, Écrits sur l'histoire, Paris, Flammarion, 1985, p. 13.

Dans les années 1950-1970, la recherche historique française se spécialise dans le « temps long », la « longue durée » les « structures  ». Histoire économique et sociale.

III) Une résurrection de l’événement ? 3.1. Une réhabilitation au sein des Annales La troisième génération, celle de la « Nouvelle histoire », fait renaître l’événement en histoire. Paradoxalement, en respectant le programme de Braudel.

L’événement est saisi comme un symptôme révélateur des structures de la société. Sous son apparence exceptionnelle, l’historien va chercher la structure du corps social. Ex. Georges Duby : Le Dimanche de Bouvines, 1973 -> Une bataille, certes, mais plus seulement présentée comme un moment décisif dans la formation de l’unité nationale mais comme un point privilégié d’observation du passé.

Bataille remportée en 1214 par le roi de France Philippe-Auguste contre une coalition anglo-germano-flamande emmenée par Othon IV. Malgré les apparences, Duby reste fidèle à l’esprit des Annales.

L’événement lui-même n’occupe qu’une partie, la première, qui n’est pas la plus fournie. la 2e partie est une analyse sociologique et ethnographique du fait militaire aux XIIe et XIIIe siècles. Duby montre qu’un événement – en l’occurrence la bataille de Bouvines – peut éclairer toute une époque. la 3e et dernière partie est une histoire analytique de la façon dont on a interprété et écrit cette bataille (par ex. 1ère victoire contre « Les Allemands »). Il s’agit de comprendre comment l’événement a été « fabriqué »et retravaillé au fil du temps. À travers un événement bien daté et bien localisé, ce sont plusieurs siècles, du XIIIe au XXe, qui sont étudiés: la « longue durée » est bien là.

3.2. Les « lieux de mémoire » et le « retour de l’événement » L’historien Pierre Nora théorise ce que devrait être selon lui une histoire contemporaine dans son article « Le retour de l’événement » (Jacques Le Goff, Pierre Nora, Faire de l’histoire I. Nouveaux problèmes, 1974) : Pierre Nora (né en 1931)

Selon Pierre Nora, en tant que rapport au temps, à l’histoire et à l’actualité, l’événement caractérise la modernité démocratique. Mais il n’envisage l’événement (au sens actuel), qu’à travers le rôle des médias. La « publicité » (fait de rendre public // médiatisation) est la « loi d’airain de l’événement moderne ». Les médias: « Dans nos sociétés contemporaines, c’est par eux et par eux seuls que l’événement nous frappe, et ne peut pas nous éviter. »

La médiatisation ne se contente donc pas de relayer l’événement La médiatisation ne se contente donc pas de relayer l’événement. Pour Pierre Nora, elle le fait exister : « Presse, radio, images n’agissent pas seulement comme des moyens dont les événements seraient relativement indépendants, mais comme la condition même de leur existence. La publicité façonne leur propre production. Des événements capitaux peuvent avoir lieu sans qu’on en parle ». Mais « le fait qu’ils aient eu lieu ne les rend qu’historiques. Pour qu’il y ait événement, il faut qu’il soit connu ».

1er événement moderne : l’Affaire Dreyfus (1894-1906, le « J’Accuse » de Zola dans L’Aurore ayant lieu en 1898) « Son apparition paraît dater du dernier tiers du XIXe siècle. Ainsi l’affaire Dreyfus constitue-t-elle peut-être, en France, la première irruption de l’événement moderne, le prototype de ces images d’Epinal sorties tout armées du ventre des sociétés industrielles et dont l’histoire contemporaine ne cessera plus de reproduire les exemplaires, à partir d’une matrice comparable. »

Par ailleurs, Pierre Nora popularise la notion de « lieux de mémoire » (volumes publiés entre 1984 et 1997). Ex. Lascaux, Alésia, Notre Dame de Paris, le coq gaulois, « Liberté, égalité, fraternité », Jeanne d’Arc, Charlemagne, etc.

Dès la fin des années 1970, il prend acte du fait que « l’histoire s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives », qui cherchent à « compenser le déracinement historique du social et l’angoisse de l’avenir par la valorisation d’un passé qui n’était pas jusque-là vécu comme tel ».

Il définit ainsi la notion de lieu de mémoire: « un lieu de mémoire dans tous les sens du mot va de l'objet le plus matériel et concret, éventuellement géographiquement situé, à l'objet le plus abstrait et intellectuellement construit. »

Monument, personnage, musée, archives, symbole, devise, événement, institution. Pour devenir un « lieu de mémoire », un objet doit rester dans la mémoire collective grâce à son appropriation, empreinte d’affect et d’émotion, par une collectivité : ex. plaques commémoratives, monument, cérémonies, ouvrages, associations de sauvegarde de la mémoire, etc.

L’événement, pure construction? Il n’existerait que par son rapport aux médias et/ou à la mémoire. Mais tout le monde n’est pas d’accord. L’événement n’existerait pas en soi : ou alors seulement en tant qu’événement historique, ignoré dans la société moderne selon Pierre Nora (ce qui est contesté par d’autres savants, l’événement existant dans les sociétés non modernes ->souvenir de famines, migrations, guerres, paix), il est universel ; L’événement n’est pas moderne: c’est juste la médiatisation qui est moderne. Il est construit par les médias.

Il serait construit par la mémoire : « L’événement ne signifie pas dans un vide » Alban Bensa, Eric Fassin, « Les sciences sociales face à l’événement » Terrain n°38 (2002), p.4 -> « contextes d’interprétation » dans lesquels il s’inscrit: acteurs, mais aussi scientifiques qui l’étudient et, aujourd’hui, publics qui s’en emparent, qui le font vivre dans la mémoire collective.

Mais critiques de cet aspect forcément construit de l’événement, et en même temps paroxysme du retour de l’événement : la discipline historique n’est pas qu’un jeu formel, pur langage, sans réalité extérieure. Paul Ricoeur dans La Mémoire, l’histoire et l’oubli (2000) envisage un type d’événement « supra-significatif » : hors du commun, caractère sans précédent, rôle fondateur, unicité incomparable -> ex. Auschwitz, événement « aux limites ». Mais pour établir cette unicité absolue de l’événement, recours paradoxal mais nécessaire à la comparaison.