Atelier Famille : Je suis infecté par le VIH, que dire à mes enfants et quand ? Isabelle Funck-Brentano Psychologue.

Slides:



Advertisements
Présentations similaires
JOURNEE DE FORMATION INFIRMIERE
Advertisements

COMMENT ACCOMPAGNER Longtemps ? Solange Marcucci-Schmitt UMSP 05.
ANNONCE DU RESULTAT POSITIF, ROLE DE L’ENTOURAGE
Le Conseil en situation de crise Denis da Conceiçao – Courpotin
1 ANIMATION DE RÉUNIONS. 2 DÉFINITION Une réunion rassemble plusieurs personnes et peut avoir différents objectifs : Informer ; Informer ; Échanger ;
La Vitesse de la Confiance – Les Compétences
La Vitesse de la Confiance – Le Caractère
ABSENCE PATERNELLE ET SES EFFETS. 2 SAM. 13;14; 1 RS. 1.6.
L’aide psychologique pour les patients atteints de cancer
Cours 1MEA Fournier DU VIH 4 décembre 2007 Prise en charge psycho sociale des enfants infectés et affectés par le VIH « ses diverses composantes » C. Courpotin.
Module 2 Une relation de soins qui implique le patient ?
Justice et Injustice DIEU EST-IL INJUSTE ?
Adolescents nés et vivant avec le VIH en Thaïlande du Nord
Congrès annuel de lAIISQ La mort assistée et notre pratique professionnelle Québec, le 23 octobre 2010 Michèle Marchand, M.D., Ph.D. Secrétaire du groupe.
INFLUENCE DES PAIRS.
Formation validation pharmaceutique
41 leçons de vie Music: snowdream Nov 2009 He Yan.
Besoin et fonctionnement
Questionnez-vous ! Kasandra poirier.
Espace Investigation Prévention Accompagnement du Stress
Session 7 1 IST/VIH/SIDA.
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE
Faîtes de la négociation votre alliée
Commission Nationale des Parents - APF Mme M.M. CARBON Service Conseil Médical et Connaissance des Handicaps P.A ENQUÊTE FRERES ET SŒURS Commission Nationale.
LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE
Congrès SFLS St Malo – 6 et 7 Octobre 2005 « Père, mère,enfant et VIH » « Éthique et SIDA »
H. Poissant et al.-AQUETA- Mars Le trouble déficitaire dattention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et la dépression chez les enfants et les adolescents.
Formation soins palliatifs et qualité de vie
Cher Ami,         Aujourd'hui, c'est avec une grande tristesse que nous vous annonçons le décès d'un ami très cher qui se nommait " Bon Sens " et qui.
Les 15 clefs de l'amitié Anonyme.
Les sœurs envoyèrent dire à Jésus: Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. (Jean 11.3)
Association Dessine-moi un mouton
COUNSELING ET DEPISTAGE VOLONTAIRE ET ANONYME Renforcement des capacités Denis da Conceiçao – Courpotin 1DU BUJ 10 au 14 Nov 2008.
La jalousie amoureuse.
Comment rendre une femme heureuse…
Être acteur de son traitement
L’outil le plus utile qui soit face à tout patient ! LES BASES
AUJOURD’ HUI, JE VEUX REMERCIER TOUS
Travail de fin d’études
DANS LA RELATION SOIGNANT-SOIGNE
Les 8 commandements pour rester Zen avec ses parents !
Atelier N°1 9 acteurs Monter sur les skis
LE DISCOURS SCIENTIFIQUE
Questionnaire sur le racisme ADC 2011/2013
LA MAITRISE DE LA LANGUE
CHU de Clermont-Ferrand
Les techniques d’accueil Page 1 C1-DP1 – Version A Une mission partagée L’accueil au cabinet.
Béatrice Martin-Chabot Psychologue à Dessine moi un mouton
Atelier n°4 Le patient jeune en HDJ gériatrique : Une réalité Modérateur : Dr Florence BONTÉ (Paris) Animateur : Dr Marie-Hélène COSTE (Lyon) 31 èmes Journées.
FLOODCOM ATELIER EDUCATIF Water Cycle Defences Flood Detective.
CHARTE DU PARENT DELEGUE FCPE POUR LES CONSEILS DE CLASSE
Project Grundtvig Quels outils éducatifs pour la socialisation des jeunes?, QUESTIONNAIRE SUR LES PROBLEMATIQUES DES JEUNES Colegiul Tehnic de Alimentatie.
RESEAU.
Relations parents/enfants en France
Le Travail et les jeunes
Le SIDA & Le VIH Par: Avery MacDonald, Sara Renaud, et Priya Vaidyanathan.
Présenté par Dr Kathleen Allen-Ferdinand
L’approche psychologique de l’enfant et de l’adolescent drépanocytaire : réflexions après un an d’expérience à l’HUDE Jessica Frippiat, psychologue, Hémato-oncologie.
Souffrance des soignants Comment la prendre en compte? Préventica 2004 Préventica 2004 Dr ML LEPORI Dr ML LEPORI MTPH CHU NANCY MTPH CHU NANCY membre de.
la théorie de l'attachement
Guy Beauchamp, Cégep de l’Outaouais
Propos d’une étudiante IDE :
de l’attitude au travail, face à la nouveauté, à la difficulté, …
FASEout Project Le problème de l'épuisement dû au deuil et à la perte L'impact sur les parents et autres responsables d'enfants atteints.
Noto ANIMS- SFMC Les acteurs du secours face à la mort.
LE MALADE MENTAL Les émotions
ATELIER FAMILLE Le point de vue d’un psychiatre en oncologie ou J’ai un cancer : Que dire à mes enfants et quand ? Dr Etienne SEIGNEUR Psychiatre Institut.
Le Programme ENTRAIDE à la Résidence Les Adrets Retour d’expérience.
L’annonce de la maladie
Etude de cas (exposé des travaux) Un jeune homme vient dans votre structure et s’adresse à la secrétaire. La secrétaire, ne sachant quoi lui dire, lui.
Transcription de la présentation:

Atelier Famille : Je suis infecté par le VIH, que dire à mes enfants et quand ? Isabelle Funck-Brentano Psychologue Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris

Que dire ? La question « que dire » comporte déjà un élément de réponse : cette affirmation présuppose la conviction qu’il y a bien quelque chose à dire à l’enfant, dans son intérêt Si secret il y a, c’est sans doute qu’il a une fonction et des raisons diverses d’exister, parfois des bonnes, parfois des mauvaises La question du dévoilement n’est pas si simple

Dévoilement dans la littérature internationale Bruxelles, Nöstlinger 2004 Aids Care 165 parents, 279 enfants (7-18 ans) 68% HIV- : 10 % parents ignorant le statut HIV de l’autre parent : 29 % Europe, 10 centres Thorne, 2000 Child Health Care Dev 182 parents, 226 enfants (6-18 ans) 62% HIV+ : 11 % Suède, Assander 2004 Internat J Social Welfare enfants HIV- : 11 % Detroit, Vallerand 2005 Aids Patient Care 105 femmes, 19 enfants (10 -18 ans) HIV- : 54 % Atlanta, Armistead 2001 J Ped Psychol 87 femmes, 87 enfants (7-12 ans) HIV- : 30 % Los Angeles, Lee 2002 Aids 301 parents, 395 enfants (5-18 ans) HIV? : 10 à 60 % Washington, Wiener 1998 Child Welfare 17 parents, 17 enfants (6-13 ans) HIV+, HIV- : 41 %

Facteurs associés au dévoilement Âge de l'enfant et capacité de compréhension Sexe : les filles Parents malades, dégradés, en fin de vie Nécessité de prévoir l’accueil des enfants Mères veuves ou séparées Eviter que l'enfant n'apprenne l'information par d'autres Dévoilement forcé parce que l'enfant l'a appris par une autre source que par ses parents Rare que l’enfant pose directement la question du VIH n=1 Le dévoilement n’est pas lié à l’origine ethnique ni au niveau socioculturel

Impact du dévoilement : perceptions des parents Detroit n = 35 : effets + : communication, rapprochement 52 % effets - : peur et inquiétudes, changement de comportement 54 % Atlanta n = 26 : réactions + : acceptation et soutien 48 % réactions - : peur, tristesse, colère, rejet 40 % Washington n = 7 - Réactions des parents : 4 soulagés, 3 débordés par l’anxiété considèrent que leur vie a empiré parce qu’ils ne peuvent plus se protéger de la réalité de l’avenir, surtout quand l’enfant parle souvent - Réactions immédiates des enfants : 3 enfants ont posé des questions, 2 ont eu peur, 2 sans réaction - Réactions des enfants à long terme : 3 sans changements, 2 changements en mieux, 2 en pire - Family Environment Scale (Moos 1993) : les familles ayant informé ont une meilleure cohésion (engagement, aide, soutien moral) que celles qui n’ont pas informé (p=.08), pas de différence pour la communication

Impact du dévoilement : perceptions des adolescents Detroit n = 19 : effets + : 10 % rapprochement avec parents effets - : 68 % dont peur de perdre leur mère (58%), changement de comportement opposant-agressif (32%) prise de responsabilités à la place de la mère (26 %), peur d'être rejeté par autrui (16 %) Los Angeles : les adolescents informés (n = 313) ont plus de problèmes de comportement que les adolescents non informés (n = 82), mais au cours du temps leur nombre diminue tandis que les non informés rencontrent plus de problèmes. Les ados informés sont confrontés à plus d’événements familiaux malheureux ; ces événements diminuent au cours du temps. Les ados informés ne diffèrent pas des non informés sur échelles de détresse émotionnelle, estime de soi et attachement aux parents Washington n = 7 : Pas de différence entre les enfants informés et pas informés sur échelle d’estime de soi

Hypothèses Parents et enfants décrivent autant de bénéfices que d’incidences négatives du dévoilement Il est artificiel d’étudier de façon isolée l’impact du dévoilement sur le comportement des enfants et le fonctionnement familial Difficultés d’étudier simultanément d’autres variables comme le comportement et le fonctionnement de la famille avant le dévoilement, l’impact du dévoilement et des autres variables au cours du temps Le dévoilement de l’infection à VIH des parents engage des enjeux différents selon que les enfants sont infectés ou affectés

Dévoilement et enfants infectés Consensus : des informations doivent être données tôt à l’enfant sur son infection pour qu’il comprenne pourquoi il va régulièrement à l’hôpital et pourquoi il prend un traitement En général, c’est entre 11 et 14 ans que l’infection à VIH ou « virus du sida » sont notifiés Simultanément, la transmission du virus par la mère et donc l’existence de l’infection maternelle est toujours dite ou implicitement entendue Quand l’enfant est infecté, son intérêt à connaître l’infection parentale est assez évidente Avant l’adolescence et avant de connaître le nom de leur infection, si les parents sont bien portants, les enfants ne se préoccupent pas de savoir si les parents sont malades

Perceptions du dévoilement par les adolescents infectés (n = 38) Quand les parents sont bien-portants, les adolescents expriment rarement leurs sentiments sur l’infection des parents et la transmission maternelle : indicible, défenses et interdit de penser absence de réaction : n = 23 (60 %) Perceptions très influencées par la qualité du milieu familial : si la famille dysfonctionne, est décevante, défaillante alors l’adolescent utilise l’infection des parents et la transmission MF comme un motif de plus d’en vouloir à ses parents, de les attaquer réaction agressive, de colère, de rejet n = 4 Perceptions influencées par l’absence des parents : décédés dans leur petite enfance, ils constituent un vide, une source majeure de souffrance, réaction dépressive liée à l’absence : n = 8 (21 %) Le degré de sévérité de la maladie des parents, le désagrément, le caractère insupportable que cela représente envahissent la scène attitudes agressives, rejet, fuite ou protection et aide : n = 3

Perceptions du dévoilement par les adolescents infectés (n = 38) Des adolescents manifestent de l’empathie à l’égard de leur mère pour tenter de les déculpabiliser, réaction de soutien : (15 %) n = 6 Réaction dépressive à l’infection et transmission maternelle : n = 1 Réaction de peur à l’infection et transmission maternelle : n = 1 Envie, jalousie, sentiment d’injustice par rapport à la sœur HIV- n = 1 Refoulement et refus délibéré de savoir : n = 2 En revanche plusieurs adolescents souhaitent faire savoir à leurs pairs et à la société qu’ils ont été contaminés par leur mère pour prouver qu’ils n’en sont pas responsables et qu’on ne les juge pas comme les drogués ou les homosexuels Vécu du VIH : - Anxiété, dépression, préoccupations diverses : (44 %) n = 17 - Absence de difficultés, l’infection est bien assumée : (56 %) n = 21

Dévoilement et enfants affectés Quels sont les bénéfices / risques du dévoilement ? Lorsque l’enfant n’est pas infecté Le parent ne présente aucun stigmate de la maladie Le parent ne prend pas de traitement L’infection du parent ne limite en aucune façon sa vie quotidienne Le parent se protège lui-même en évitant d’y penser L’autre parent n’est pas au courant de l’infection La réponse est moins évidente et mérite le temps de la réflexion

Secret ou dévoilement ? Certains secrets sont bénéfiques et structurants Pour asseoir son individualité et son autonomie Pour préserver la dignité d’une personne : par ex. protéger la mémoire d’un défunt, c’est se protéger dans sa filiation Pour préserver l’intime, afin de se protéger contre l’accès par les autres à des informations qui ne sont pas directement importantes pour eux Dans les familles il y a des espaces d’intimité à préserver du côté des parents comme des enfants

Secret ou dévoilement ? Certains secrets sont destructeurs : Lorsqu’ils bloquent le récit de l’histoire du sujet Lorsqu’ils produisent des informations discordantes Ils génèrent alors chez l’enfant des troubles de la compréhension et du raisonnement logique Ils génèrent aussi une insécurité de base dans la confiance que l’enfant s’attribue à lui-même et à autrui => la question du dévoilement est alors pertinente

Le dévoilement de l’infection à VIH du parent C’est avouer à l’enfant sa responsabilité dans plusieurs écueils et les lui révéler de façon implicite : Le fait que le parent risque de lui faire défaut s’il est trop malade pour s’occuper de lui Le risque de l’abandonner s’il vient à mourir avant que l’enfant ne soit devenu adulte Le risque d’avoir transmis à l’enfant infecté certes le virus mais aussi les nuisances des traitements, de la maladie, et peut-être la mort => Lever un secret ne garantit pas de régler le problème et peut en aggraver les effets

Les risques du dévoilement Générer une angoisse trop débordante Produire chez le parent une trop grande culpabilité et la perte totale de l’estime de soi : «  si mon enfant apprend ma séropositivité, ma vie est foutue, je ne suis plus digne de m’occuper de lui » Empêcher encore plus le récit de se faire ; mise en place chez chacun d’un interdit de penser et de communiquer pour se défendre de l’insupportable Porter atteinte pour l’enfant à la construction de son identité

Le secret sur l’infection à VIH En amont de l’information sur l’infection du parent, il y a une autre information dissimulée : les circonstances de la contamination de la mère ou du père ; ce 1er secret incite à tenir secret aussi l’infection du parent de peur que la levée de ce 2ème secret n’entraîne la levée du 1er. La mère peut avoir caché au père sa contamination et la transmission à son enfant Le père peut ignorer le mode de contamination de la mère et ses circonstances précises et inversement Le parent infecté peut ignorer lui-même l’origine de sa propre contamination ce qui favorise le roman familial au risque qu’il devienne pathogène => Succession de création de secrets qui se superposent

Dès lors que dire, que dévoiler ? Du côté de l’enfant, la question devient alors de repérer en les distinguant : quelles sont les informations importantes et nécessaires à connaître par l’enfant pour qu’il puisse se construire ? quelles sont les informations qui ne sont pas importantes et nécessaires de connaître pour sa structuration ?

Dès lors que dire, que dévoiler ? Du côté des parents, il s’agit de repérer : Quelles sont les informations qui appartiennent à l’intimité des parents qu’ils ont besoin de préserver pour eux et pour l’équilibre familial S’ils choisissent de lever le secret, pourront-ils s’estimer encore suffisamment pour pouvoir assumer le regard de leurs enfants et leur fonction parentale ou vont-ils s’effondrer ?

La responsabilité des soignants Le thérapeute mis dans le secret du parent risque de faire « suinter » le secret, en laissant filtrer des informations partielles, verbales ou non verbales, indices qu’il existe un secret délibérément caché à l’enfant Cela pose le problème de ce que les secrets sécrètent à l’occasion de la circulation des informations entre les professionnels

Conclusion : quelle serait la bonne attitude pour les soignants ? Dire ou ne pas dire : il n’y a pas de réponse à la question Au lieu de prendre position par rapport à cette dialectique, l’objectif des soignants pourrait être de : 1. susciter chez les parents une réflexion sur eux-mêmes pour qu’ils prennent conscience des enjeux qui sous tendent leur question = interroger leur position subjective à chaque couche de la pyramide des secrets 2. être à l’écoute de ce que leurs enfants ont perçu de l’infection parentale et s’interroger sur ce qu’ils ont envie de savoir et de partager avec leurs parents ou des tiers Ainsi se clarifierait ce qui serait bon à partager et ce qui serait bon de préserver pour un temps ou pour toujours, sachant que rien n’est définitivement acquis