Serge Volkoff, Céline Mardon Centre d’Etudes de l’Emploi, CREAPT Conditions de travail et structures d’âge, une approche statistique en Europe Serge Volkoff, Céline Mardon Centre d’Etudes de l’Emploi, CREAPT Idée générale : proposer une passerelle entre des connaissances sur les caractéristiques du travail connues pour être « sélectives sur l’âge », et des résultats de l’enquête européenne sur les conditions de travail de 2005 : UE25 (pour voir si ces mécanismes de sélection se retrouvent dans les chiffres), et surtout par pays (pour repérer des liens statistiques entre conditions de travail et taux d’emploi des seniors, d’un pays à l’autre). Pensare, 28 novembre 2008

Hypothèse générale de la démographie du travail : Les affectations de la main-d’œuvre à tel ou tel âge sont liées aux exigences du travail, qui déterminent en partie la possibilité (et le souhait) d’accéder à une situation de travail donnée, d’y demeurer, ou de s’en éloigner. Cette hypothèse renvoie à deux registres de connaissances, qu’elle permet de relier : des connaissances en physiologie ou psychologie du travail qui fournissent des éléments d’explications sur les difficultés et ressources des travailleurs vieillissants, dans telle ou telle situation (ces connaissances seront succinctement évoquées ici) Des analyses statistiques croisant âge * conditions de travail, à un instant donné (et par ailleurs en évolution, mais ce ne sera pas le propos de cette communication) Pensare, 28 novembre 2008

Un exemple très « local » : la régulation collective des contraintes dans une équipe d’assemblage d’avions Exigences posturales temporelles Principalement debout A genou, accroupi, debout-plié Prise en charge barque, premières opérations OP1 56 ans OP2 51 ans OP8 40 ans Opérations suivantes, jusqu’à livraison OP5 47 ans OP6 27 ans OP7 41 ans OP3 29 ans OP4 24 ans (il y a beaucoup d’exemples de ce type, en voici un) A ce niveau très micro, on voit comment dans une équipe de travail, où pourtant « tout le monde sait tout faire », les opérations les plus exigeants en termes de postures de travail d’une part, et de pression temporelle d’autre part, sont principalement prises en charge par les jeunes.

Changements dans le travail (polyvalence, mobilité, formation,…) Certaines exigences du travail ont été repérées comme « sélectives sur l’âge », et néanmoins progressent en même temps que le vieillissement : Horaires décalés Postures pénibles Pression temporelle Changements dans le travail (polyvalence, mobilité, formation,…) On retrouve peu ou prou ces quatre grandes têtes de chapitre dans la plupart des résultats en démographie du travail. N.B. Il ne s’agit pas de quatre « nuisances » : les postures pénibles en sont une sans aucun doute ; pour les horaires et la pression la situation est plus contrastée ; quant aux changements, ils ne sont « nocifs » que dans certaines conditions, et peuvent au contraire s’avérer précieux, à tout âge. Pensare, 28 novembre 2008

Pour quatre caractéristiques repérables dans l’enquête européenne sur les conditions de travail (fortes sollicitations physiques, travail de nuit, délais serrés, situations d’apprentissage) : Selon les connaissances disponibles, pourquoi ces caractéristiques posent-elles problème aux âgés ? Vérifie-t-on, sur l’ensemble de l’Europe, une affectation différentielle selon l’âge ? Y a-t-il un lien statistique entre le taux d’emploi des seniors dans un pays et : le niveau global atteint par chacune de ces contraintes dans sa main-d’œuvre ? et/ou le niveau atteint par cette contrainte pour les seuls salariés vieillissants ? C’est le plan de l’exposé Pensare, 28 novembre 2008

L’enquête européenne sur les conditions de travail (Gallup Europe, pour la fondation de Dublin) : Réalisée en 2005 (4e enquête) 31 pays (25 ici) 30 000 travailleurs interrogés : Environ 1000 dans 26 pays 600 dans 5 pays Trois niveaux de pondération (taille du ménage, non-réponses, pays) 82% de salariés « l’enquête vise à cerner les conditions de travail des travailleurs européens telles que ceux-ci les perçoivent et les décrivent » « toute enquête internationale basée sur des entretiens pré-codés se heurte à la difficulté posée par la traduction des questions dans des langues, des cultures et des contextes différents » Pensare, 28 novembre 2008

Classement des 25 pays de l’UE selon leur taux d’emploi des 55-64 ans (2005) élevé assez élevé assez bas bas C’est ce classement qui nous servira pour les comparaisons entre pays. Nous avons pris 25 pays parce que 1) c’était le format de l’UE à la date de l’enquête ; 2) dans ces pays l’enquête en était à (au moins) sa deuxième édition, donc avec des méthodes d’enquête peut-être plus rodées que chez des « débutants ». Pensare, 28 novembre 2008

Les postures pénibles : plus difficiles avec l’âge ? Moindre souplesse articulaire Douleurs plus fréquentes Besoin de se préserver Besoin de choisir ses gestes …. Dans cette diapo comme dans les autres analogues, il ne faut pas généraliser : par exemple, la prévalence de douleurs articulaires n’est pas négligeable chez les jeunes, ni voisine de 100% chez les âgés. Distinction entre un volet « déclin » (souplesse, douleurs), et un volet « expérience », ( choix de gestes), celle-ci permettant d’élaborer des stratégies de travail, dont les âgés ont appris à quel point elles sont nécessaires, pour assurer la production et préserver sa santé en même temps. Pensare, 28 novembre 2008

Question utilisée : Voulez-vous me dire dans quelle mesure votre travail principal implique des positions douloureuses ou fatigantes ? [pendant au moins « la moitié du temps »] Pensare, 28 novembre 2008

Postures difficiles au moins la moitié du temps, selon l’âge (salariés de l’UE des 25, 2005) Odds ratios sur l’âge (autres variables «explicatives» : sexe, pays, grands secteurs, taille entreprise, grandes catégories socioprofessionnelles) Petite explication technique sur les deux graphiques (en % et en OR) Constat : baisse « sur le tard » (dans le modèle), et baisse « au début » (dans les % ), cette dernière reflétant la structure sociale de la population salariée de moins de 25 ans. ** OR significativement différent de 1 au risque d’erreur de 1% * au risque d’erreur de 5% Pensare, 28 novembre 2008

Salariés exposés à des positions douloureuses ou fatigantes (dans l’ensemble, et chez 45 ans et +), selon les pays en Europe Explications techniques sur ce graphique : cf les deux sous-questions initiales : rôle des conditions de travail à tout âge, et/ou des conditions de travail des plus âgés ? On a l’un en abscisse (renvoyant plutôt aux politiques globales de prévention) et l’autre en ordonnée (traduisant de possibles politiques de prévention « ciblées » sur les seniors) ; pour ce dernier on a mis un seuil à 45 ans pour améliorer la puissance statistique, et parce que les effets des conditions de travail sont rarement immédiats ; chaque pays est un point du graphique ; sa couleur correspond à sa « tranche » dans le classement des taux d’emploi des seniors (d’autant plus « rouge » que ce taux est élevé) ; les coefficients « ρ sp » sont des corrélations des rangs (test de Spearman) : proches de 1 si les classements de pays par taux de positions douloureuses sont proches de leurs classements par taux d’emploi ; de – 1 dans le cas inverse ; de 0 si ces rangs sont indépendants ; Constats : Taux de postures douloureuses des seniors, et de tous les salariés, sont évidemment liés : les points ne sont jamais très loin de la diagonale principale les pays à fort taux d’emploi des seniors ont moins de contraintes posturales, pour les seniors comme pour l’ensemble (Spearman – 0.3, significatif à .05) ρ sp. = -0,32 Code couleurs : taux d’emploi des 55-64 ans bas assez bas assez élevé élevé ρ sp. = -0,31 Pensare, 28 novembre 2008

Le travail de nuit : plus difficile avec l’âge ? Fragilisation du sommeil Fatigue, difficulté à récupérer Perturbations de la vie familiale et sociale Statut spécifique dans l’entreprise …. Seule la fragilisation du sommeil est à proprement parler « indexée sur l’âge » ; les autres items correspondent plutôt à des difficultés perçues par des salariés de tous âges, mais qui peuvent devenir moins bien tolérées à la longue. Pensare, 28 novembre 2008

Question utilisée : [nombre > 0] Habituellement, combien de fois par mois travaillez-vous durant la nuit, pour au moins une durée de deux heures entre 10 heures du soir et 5 heures du matin ? : [nombre > 0] Pensare, 28 novembre 2008

Au moins une nuit travaillée par mois, selon l’âge (salariés de l’UE des 25, 2005) Odds ratios sur l’âge (autres variables «explicatives» : sexe, pays, grands secteurs, taille entreprise, grandes catégories socioprofessionnelles) Décroissance nette avec l’âge, plus nette et plus précoce que pour les postures ** OR significativement différent de 1 au risque d’erreur de 1% * au risque d’erreur de 5% Pensare, 28 novembre 2008

Salariés exposés au travail nocturne (dans l’ensemble, et chez 45 ans et +), selon les pays en Europe (techniquement : même graphique que pour les postures) Constats : les pays sont à nouveau près de la diagonale, mais la plupart sont en-dessous, car il y a « mise à l’abri » relative des âgés ; à nouveau une corrélation négative, ici entre extension du travail de nuit et taux d’emploi des seniors ; le Spearman n’est vraiment significatif qu’avec l’exposition des 45 ans et + ; donc la « mise à l’abri » du travail nocturne après la mi-carrière est importante chez les pays à fort emploi de seniors ; ρ sp. = -0,29 Code couleurs : taux d’emploi des 55-64 ans bas assez bas assez élevé élevé ρ sp. = -0,12 Pensare, 28 novembre 2008

La pression temporelle, les urgences : plus difficiles avec l’âge ? Ralentissement des processus élémentaires (?) Performances des organes sensoriels Attitudes de prudence Besoin de régularité Besoin d’anticiper …. Les explications neurophysiologiques (vitesse des impulsions neuronales) ne sont plus guère considérées comme probantes une raison importante des difficultés des âgés sous forte contrainte de temps est la performance (légèrement) moindre de leur vue et de leur audition, compensable seulement si des marges de manœuvre existent dans la programmation de leurs tâches, l’anticipation, etc., toutes stratégies qui se développent beaucoup avec l’expérience Pensare, 28 novembre 2008

Question utilisée : Pouvez-vous me dire si votre travail nécessite de travailler selon des délais très stricts et très courts ? [pendant au moins « la moitié du temps »] Pensare, 28 novembre 2008

Travail en « délais très courts », selon l’âge (salariés de l’UE des 25, 2005) Odds ratios sur l’âge (autres variables «explicatives» : sexe, pays, grands secteurs, taille entreprise, grandes catégories socioprofessionnelles) Décroissance à partir de la trentaine, en % comme en OR ** OR significativement différent de 1 au risque d’erreur de 1% * au risque d’erreur de 5% Pensare, 28 novembre 2008

Salariés exposés au travail en « délais très courts » (dans l’ensemble, et chez 45 ans et +), selon les pays en Europe La plupart des pays sont sous la diagonale (mise à l’abri des âgés)… Mais, à la différence des deux résultats précédents, les pays à fort taux d’emploi des seniors ont plutôt aussi une forte proportion de main-d’œuvre en « délais courts ». (NB. pour des lecteurs à ce stade du diaporama : nous vérifions spécialement ce résultat, mais il semble décidément exact). ρ sp. = 0,15 Code couleurs : taux d’emploi des 55-64 ans bas assez bas assez élevé élevé ρ sp. = 0,25 Pensare, 28 novembre 2008

Les apprentissages : plus difficiles avec l’âge ? « Mécanismes élémentaires » moins performants ? Perte d’habitude des situations d’apprentissage Incertitudes sur le « transfert » des compétences Réticences de l’encadrement Confrontation avec les jeunes Interrogation sur l’utilité des apprentissages …. À nouveau, les explications dans le registres des capacités de base (mémoire immédiate, attention,…) sont peu probantes En revanche tous les autres phénomènes sont amplement analysés dans la littérature en psychologie du travail, en didactique professionnelle, etc. Pensare, 28 novembre 2008

Question utilisée : À quel point êtes vous d’accord ou pas avec l’affirmation : au travail, j’ai des opportunités d’apprendre et d’évoluer [d’accord et tout à fait d’accord] Avouons qu’ici on dévie un peu : la préoccupation étudiée est de l’ordre de l’apprentissage plus ou moins contraint, alors que cette question renvoie à une approche plus autonome, à la liberté, aux marges de manœuvre…mais on n’avait pas mieux dans le questionnaire. Pensare, 28 novembre 2008

Opportunités d’apprendre et d’évoluer, selon l’âge (salariés de l’UE des 25, 2005) Odds ratios sur l’âge (autres variables «explicatives» : sexe, pays, grands secteurs, taille entreprise, grandes catégories socioprofessionnelles) On retrouve ici un résultat très général, qui se vérifie aussi quand on examine les taux d’accès à la formation continue, par exemple (attention, distinguer formation « pour » le travail et « dans » le travail) ** OR significativement différent de 1 au risque d’erreur de 1% * au risque d’erreur de 5% Pensare, 28 novembre 2008

Salariés ayant des opportunités d’apprendre au travail (dans l’ensemble, et chez 45 ans et +), selon les pays en Europe Toujours une proximité vis-à-vis de la diagonale, et il y a plusieurs pays où les seniors ont plus que d’autres des occasions d’apprendre Les pays à haut taux d’emploi des seniors sont ceux qui ont un haut niveau d’apprentissage tout au long de la vie (davantage encore que ceux qui ont un haut niveau d’apprentissage des seniors eux-mêmes) ρ sp. = 0,38 Code couleurs : taux d’emploi des 55-64 ans bas assez bas assez élevé élevé ρ sp. = 0,54 Pensare, 28 novembre 2008

Quelques enseignements de ces résultats (1): Pour l’ensemble de l’Europe, on constate les disparités usuelles entre âges : moins de postures pénibles, d’horaires nocturnes, de travail à délais courts, et d’apprentissages, chez les âgés. L’âge de début de cette décroissance avec l’âge, et sa « pente », varient selon la caractéristique étudiée Pensare, 28 novembre 2008

Quelques enseignements de ces résultats (2): Les pays pratiquant un haut taux d’emploi des seniors présentent des postures de travail moins pénibles (à tout âge, et chez les 45 ans et +), des horaires nocturnes plus rares (à tout âge, et chez les 45 ans et +), davantage de pression temporelle (mais corrélation peu significative) et surtout, beaucoup plus de possibilités d’apprendre tout au long du parcours professionnel Pensare, 28 novembre 2008

Quelques enseignements de ces résultats (3): Ces résultats méritent d’être consolidés (dans la limite des informations fournies par l’enquête) en examinant d’autres questionnements dans chaque domaine, et en précisant notamment le rôle de la répartition par catégorie sociale Les interprétations causales se discutent également : quel est le sens d’un lien entre l’état des conditions de travail dans un pays, et son taux d’emploi des seniors ? On retrouve cependant, avec des corrélations fortes, des constats provenant d’études de terrain, ou d’enquêtes sur les intentions de départ : restreindre ou aménager les situations de travail les plus astreignantes (sollicitations corporelles, rythmes biologiques), et développer les possibilités d’apprentissage à tout âge, constituent des pistes d’action essentielles, si l’on souhaite que ce taux d’emploi progresse. Pensare, 28 novembre 2008