LART POUR LE DIRE Mireille Li-Kerlan, orthophoniste Chargée denseignement au centre de formation des orthophonistes de luniversité de Besançon
Vous vous appelez Danièle, vous avez 65 ans. La vieillesse vous hante, surtout depuis que vous êtes malade et impuissante pour dire vos pensées avec des mots. Avec les quelques mots que la maladie vous laisse, vous essayez de me dire et voilà ce que je comprends: « une dame âgée. Je ne suis pas encore si vieille. Mais cest un peu effrayant de vieillir…Jai peur, parfois, de la vieillesse…Elle pense, cette femme…Mais quand les pensées tourmentent … »
Vous êtes aphasique, vous comprenez tout. Vous pourriez dire mais les mots ne sortent pas. Avec vos quelques mots nous dialoguons. Je saisis vos mots comme des appuis au dessus du vide: « Une échelle…On peut monter, aller vers linconnu… On ne sait pas….Mais là avec mon fauteuil… » Vous faites un geste.
Cette image parle à votre mémoire comme à celle des gens de votre génération: - « Les barbelés, les gens traités comme des bêtes, empêchés de sortir. Cétait la guerre. Jy repense… » - -Oui, la guerre. Les camps…ça mintéressait. Lhistoire. Je me suis intéressée à lhistoire. »
Vous redémarriez dans votre vie: une nouvelle compagne, une nouvelle maison, un métier que vous aimiez et puis soudain, lAVC: « Là, cest bien solide, en bas, bien enraciné. Mais quel tourment dans la tête…la folie? »
« Je suis en colère: le calme est détruit. Cest insupportable, cette menace. »
-« ça pourrait être tranquille. Cela me rappelle des vacances, des moments heureux avec ma femme. - Oui, quand jétais enfant et quon allait aux champignons. - Oui, mais maintenant, on est enfermés…des barbelés. »
-« Un arbre beau à voir…mais il y a une barrière…entre nous et…en dessous…ces casiers noirs, tristes, vides…comme ma tête. -Moi, je ne veux pas la voir, cette menace. Cest beau, en bas. »
« On monte et après?...Non, on ne sait pas ce qui peut arriver … »
Cette fois, du fond de laphasie vous mavez parlé longuement même si vous cherchiez vos mots, même si vous deviez parfois reprendre ceux qui sortaient déformés: « Cest beau. Des palissades. Il y en avait comme ça…quand on gardait les bêtes, enfants. Nos parents nous donnaient à garder les bêtes. Les enfants, on samusait, mais on saidait pour rattraper les bêtes. »
« Une fenêtre éclairée. Cest bien le soir, quand on allume. Cest rassurant. »