Charles Baudelaire Le jet d’eau Par Nanou et Stan
Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! Reste longtemps, sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t'a surprise le plaisir.
Dans la cour le jet d'eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l'extase Où ce soir m'a plongé l'amour.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
Ainsi ton âme qu'incendie L'éclair brûlant des voluptés S'élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés.
Puis, elle s'épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu'au fond de mon cœur.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
Ô toi, que la nuit rend si belle, Qu'il m'est doux, penché vers tes seins, D'écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins !
Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour.
La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
Charles Baudelaire Nanou et Stan le 02/04/2017 Jusqu’à la fin de sa vie, Baudelaire sera sensible à la musique des carillons, à la chanson de l’eau dans une vasque, à la caresse d’une nuit calme : « Le Jet d’eau est une pénétrante élégie sensuelle, où la volupté se mélange tellement de repos qu’elle s’en purifie. » Charles-Pierre Baudelaire est un poète français, né à Paris le 9 avril 1821 et mort dans la même ville le 31 août 1867 (à 46 ans). « Dante d'une époque déchue » selon le mot de Barbey d'Aurevilly, nourri de romantisme, tourné vers le classicisme, à la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il occupe une place considérable parmi les poètes français pour un recueil certes bref au regard de l'œuvre de son contemporain Hugo (Baudelaire s'ouvrit à son éditeur de sa crainte que son volume ne ressemblât trop à une plaquette…), mais qu'il aura façonné sa vie durant : Les Fleurs du Mal. Au cœur des débats sur la fonction de la littérature de son époque, Baudelaire détache la poésie de la morale, la proclame tout entière destinée au Beau et non à la Vérité. Comme le suggère le titre de son recueil, il a tenté de tisser des liens entre le mal et la beauté, le bonheur fugitif et l'idéal inaccessible (À une passante), la violence et la volupté (Une martyre), mais aussi entre le poète et son lecteur (« Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ») et même entre les artistes à travers les âges (Les Phares). Outre des poèmes graves (Semper Eadem) ou scandaleux (Delphine et Hippolyte), il a exprimé la mélancolie (Mœsta et errabunda), l'horreur (Une charogne) et l'envie d'ailleurs (L'Invitation au voyage) à travers l'exotisme. Nanou et Stan le 02/04/2017