ELEC 2670 Convertisseurs thermoélectriques P. JACQUES
Remarque introductive: Production d’énergie électrique sur base des propriétés des matériaux
L’effet Seebeck
Historique Seebeck a découvert en 1821 qu’un circuit fermé constitué de deux métaux différents produit un champ magnétique quand on chauffe une des jonctions. En fait, ce champ est associé à un courant qui circule dans le circuit… ce que Seebeck n’a pas accepté bien que la liaison courant-champ ait été découverte un peu plus tôt (Oersted, 1819-1820). Actuellement, on considère que ce courant résulte de l’apparition d’une force électromotrice dans le circuit, et que c’est cette force électromotrice qui est reliée aux températures.
Mise en évidence La figure ci-contre schématise un tel dispositif. Pour étudier cette force électromotrice, on réalise un circuit ouvert que l’on connecte à un voltmètre. La figure ci-contre schématise un tel dispositif. Si T ≠ T0 et que le circuit est ouvert, le courant i est nul mais une tension apparaît entre P1 et P4 . Ce phénomène porte le nom d’effet Seebeck …. Bien que Seebeck ait utilisé un circuit fermé et a toujours considéré l’effet comme thermomagnétique … d’où une explication fausse du magnétisme terrestre.
Explication microscopique Lorsqu’un conducteur est soumis à un gradient de température, les porteurs ont tendance à se déplacer de la partie la plus chaude vers la plus froide. La force électromotrice dans un tel conducteur n’est donc pas données uniquement par la loi d’Ohm e = RI : elle comporte un terme thermoélectrique.
Observations Fait expérimental : La force électromotrice thermoélectrique n’apparaît pas dans le cas d’un circuit constitué d’un seul matériau dont les deux extrémités sont à la même température, quelle que soit la répartition de température le long du circuit. Conséquence : Si l’on veut faire apparaître l’effet thermoélectrique dans un circuit dont les deux extrémités sont à la même température (ce qui normalement le cas), et en particulier dans un circuit fermé, il faut constituer le circuit de plusieurs matériaux différents.
L’effet Seebeck : mathématisation Pour expliquer les propriétés de l’effet Seebeck par une théorie locale, on considère qu’il apparaît en chaque point des matériaux un champ électromoteur Eseebeck proportionnel au gradient de température en ce point, soit Le coefficient pA(T) , appelé pouvoir thermoélectrique, dépend de la nature du matériau (A) et de la température. Sur un tronçon formé d’un seul matériau, on a donc apparition d’une force électromotrice. où est une caractéristique propre au matériau A. Elle ne dépend que des températures aux extrémités du tronçon.
On notera que serait complètement définie si elle était connue avec une des deux températures fixée à une valeur de référence. On a en effet De même, la connaissance de EA(T,Tref) suffirait pour déterminer le pouvoir thermoélectrique du matériau
L’effet Seebeck : détermination expérimentale En fait, on ne peut déterminer expérimentalement avec précision que la différence En effet, le voltmètre qui mesure la tension aux bornes d’un circuit est lui-même constitué de conducteurs. Il n’y a un effet que si le circuit comporte plusieurs conducteurs différents. En pratique, pour que le voltmètre donne une mesure objective, il faut qu’il ne soit pas lui-même le siège d’un effet thermoélectrique. Ce sera le cas si ses deux bornes sont constituées du même métal et que sa température interne est uniforme. Note : Si le circuit est à température uniforme, la tension obtenue est nulle. Dommage, car il s’agirait d’un mouvement perpétuel de seconde espèce (ce qui est impossible selon les principes de la thermodynamique).
L’appareil de mesure de la tension EAB peut être relié au circuit par des conducteurs ordinaires, pourvu que la température des points P1 et P4 soit identique. La figure ci-dessous donne deux possibilités équivalentes. Attention ! Il faut veiller à ce que les températures de P1 et P4 dans le premier cas, de P2 et P’2 dans le second, soient rigoureusement égales : bornes en bon contact thermique entre elles et isolées thermiquement du milieu extérieur (en particulier pas de courant d’air à cet endroit).
EAB n’est pas une fonction de la différence de température, mais la différence entre deux valeurs d’une fonction prise respectivement à T et à T0 : EAB (T, T0) = EAB (T, Tref ) – EAB (T0, Tref) EAB s’annule quand T = T0 (dommage, on aurait un mouvement perpétuel sinon !) EAB n’est l’image de T-T0 que si fAB est linéaire dans la plage de température concernée. On peut décomposer EAB (T, Tref) en deux fonctions, chacune caractéristique de l’un des matériaux : EAB (T, Tref ) = EA (T, Tref ) – EB (T, Tref) . En pratique, on ne peut définir les fonctions EA(T, Tref) qu’à une fonction de T près (la même pour tous les matériaux !). Pour fixer cette fonction, on considère EA (T, Tref ) = EAC(T, Tref) où C est un matériau de référence (souvent Pb ou Pt) et Tref une température de référence (souvent 0°C ).
On définit encore le pouvoir thermoélectrique d’un couple par Le pouvoir thermoélectrique ne dépend que de T, pas de T0 . Il peut lui aussi se décomposer Si on se limite à une petite plage de température, on peut considérer le pouvoir thermoélectrique comme constant, soit Pour une plage de température plus large, on considérera On peut décomposer a, b … en une différence de deux nombres, chacun relatif à un seul des deux matériaux.
La figure ci-contre donne le pouvoir thermoélectrique de différents métaux par rapport au platine.
Le dispositif considéré pour la mesure de la température Le dispositif considéré pour la mesure de la température. Attention, pour que cette mesure soit correcte, il faut faire un correction pour tenir compte de la température de la soudure « froide », tenir compte des non linéarités : la tension n’est pas proportionnelle à la différence de température entre les deux jonctions.
La figure ci-contre donne la f. é. m La figure ci-contre donne la f.é.m. de 6 couples usuels, la soudure froide étant à 0°C. La polarité du premier métal nommé est positive par rapport au second pour les températures > 0°C REM: Dispositif pour la mesure de température (thermocouple)
Obtention d’une tension plus élevée Historiquement, on ne disposait pas de moyen d’amplification de la tension produite par un thermocouple. Le physicien Nobili a eu l’idée de mettre en série plusieurs thermocouples (les soudures impaires à une température et les soudures paires à une autre). Il s’agit alors d’une pile thermoélectrique. Avec cet appareil, Nobili et Melloni ont pu étudier le rayonnement infrarouge.
L’effet Peltier
Historique Un deuxième effet thermoélectrique fut découvert en 1834 par Peltier : une variation de température apparaît aux jonctions de deux matériaux conducteurs différents soumis à un courant électrique. Le signe de cette variation dépend du sens du courant : il est donc possible de le rendre négatif. En fait, ce qui est relié à la valeur du courant est une quantité de chaleur qui apparaît ou disparaît à la jonction. Le rapport chaleur / courant est le coefficient Peltier Note 1 : la puissance thermique qui intervient dans cette formule ne doit pas être confondue avec celle qui est transmise de la soudure chaude à la soudure froide par conduction. Il s’agit d’une puissance qui est « emportée » par le courant électrique. Note 2 : dans le système SI, PAB s’exprime en volts ! Ce fait est masqué quand la puissance est exprimée dans d’autres unités (calories / heure, btu…).
L’effet Peltier est utilisé en réfrigération : petites glacières, refroidissement de microprocesseurs, contrôle de la température dans des appareils de mesure (par exemple pour mesurer la température de rosée, laquelle est liée à l’humidité de l’air). On doit aussi en tenir compte pour effectuer un bilan d’énergie correct dans un générateur thermoélectrique.
Synthèse avec l’effet Seebeck En 1851, William Thomson (le futur Lord Kelvin) montra que l’effet Peltier n’est autre que le dual de l’effet Seebeck. Le coefficient Peltier est relié à l’effet Seebeck par la relation où T est la température absolue.
Structure d’un générateur thermoélectrique
Établissement du modèle Pour établir le modèle, il suffit d’étudier une seule cellule. Nous appelons les deux matériaux utilisés n et p. En pratique, il s’agit souvent de deux semiconducteurs. L’agitation thermique tend à éloigner les porteurs de la source chaude, ce qui entretient un courant dans le sens indiqué sur le schéma. La borne positive du générateur est donc celle qui est connectée au matériau p.
Nous allons calculer le rendement en supposant que le pouvoir thermoélectrique des matériaux ne dépend pas de la température la puissance dissipée sous forme de chaleur par effet Joule est affectée pour moitié à la jonction chaude et pour moitié à la jonction froide. La première moitié garde donc une chance d’être à nouveau convertie en puissance électrique ! On a alors l’expression du rendement où Tc est la température de la source chaude et K la conductance thermique de la cellule.
Écrivons le rendement en fonction d’un courant sans dimension Le rendement peut alors s’écrire soit
Posons (facteur de mérite) L’expression du rendement peut s’écrire ou encore où n’est autre que le rendement de Carnot, toujours inférieur à 1 .
On sait que la valeur du courant qui donne la puissance électrique maximum est celle qui correspond à l’adaptation, soit ce qui correspond à Cette valeur n’est cependant pas forcément celle qui correspond au rendement maximum. Examinons l’expression du rendement. Le numérateur est positif si 0 < i < 1 . Dans beaucoup de cas, Z Tc << 1, auquel cas le dénominateur dépend peu de i. Alors, la valeur optimum de i est bien proche de 0.5
Si Z Tc <<1 , la valeur de i qui maximise le rendement est environ La valeur maximum du rendement est avec une bonne précision celle qui correspond à cette valeur du courant (un maximum est toujours plat !) Si Z Tc est vraiment très petit, le rendement maximum devient égal à et est aussi très petit dans ce cas. Si on arrivait à améliorer le rendement, les simplifications ci-dessous ne seraient plus valides.
Cette expression approchée montre en tout cas que l’amélioration du rendement passe par l’augmentation du coefficient Z, qui est donc le facteur de qualité de la cellule. Essayons d’écrire l’expression de Z en fonction des propriétés locales des matériaux et des dimensions géométriques. Si sont les longueurs des deux tronçons, ap et an étant leurs sections, on a où rp et rn sont les résistivités électriques, et où kp et kn sont les conductivités thermiques.
Le facteur de qualité de la cellule s’écrit alors Posons On peut écrire
Z est maximum si son dénominateur est minimum, ce qui se produit si soit Les dimensions optimum de la cellule dépendent donc des matériaux
Si les longueurs des deux tronçons sont identiques, on peut encore agir sur le rapport des sections. Dans d’autres structures, les sections sont identiques et on peut agir sur le rapport des longueurs. A condition d’avoir choisi des dimensions optimum, on a
Et finalement Si on peut optimiser séparément les deux matériaux, on utilisera l’expression On définit le facteur de qualité des matériaux par Si les deux matériaux ont le même facteur de qualité, mais avec des valeurs de pi opposées, on voit aisément que le facteur de qualité de la cellule est égal à celui des matériaux. Attention: chaque pi vaut seulement la moitié du pouvoir thermoélectrique du couple !
Améliorer les matériaux est un casse-tête car, pour réduire r , il faut des matériaux à grande densité d’électrons … or les électrons contribuent à la conduction thermique de sorte que cela augmente k . Une petite modification de composition ou d’état métallurgique peut modifier fortement le facteur de qualité. Les chercheurs doivent donc tester un grand nombre de possibilités. Les matériaux obtenus doivent encore pouvoir être mis en œuvre ! Une autre approche consiste à calculer les propriétés de matériaux a priori, connaissant la composition et la structure cristalline du matériau. Il faut pour cela utiliser des approximations de calcul car le calcul rigoureux, même des propriétés d’un seul atome, est trop lourd numériquement. Même avec ces approximation, on ne sait faire le calcul que pour des mailles cristallines ne contenant qu’un petit nombre d’atomes… on ne peut donc actuellement faire ce calcul que pour les alliages où les rapports entre les nombres d’atome sont faits de nombre entiers petits, ce qui n’est pas toujours le cas en thermoélectricité.
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion Structure de base: - Eléments p et n connectés en série par un dispositif de contact 1) Cas idéal: On néglige les résistances de contact (électrique et thermique) Puissance ‘idéal’: a = coefficient Seebeck, R0, résistance série total des 2 thermoéléments
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion Rendement de conversion d’un générateur thermoélectrique Z: facteur de mérite s = RL/R (RL: résistance de charge) Rendement maximum lorsque Rendement de Carnot Importance primordiale du facteur de mérite
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion 2) Cas réel: prise en compte des résistances de contact (électrique et thermique) N: nombre de thermocouples a: coefficient Seebeck r = l/lc (valeur typique 0.2) n = 2rc /r (valeur typique 0.1)
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion Facteur de puissance Design différent si densité de puissance ou rendement de conversion
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion “The maximum power output per unit area is obtained at a conversion efficiency which is approximately half the value of the attainable maximum conversion efficiency.” “Because the construction cost is mainly related to the power output per unit area, while the running cost is dependent upon the conversion efficiency, the optimisation of the thermoelement length to achieve the minimum total cost will be guided by economic factor.”
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion Coût de production électrique = “construction cost” (cm) + “running cost” (cr) cf: fuel cost
Paramètres intervenant dans l’optimisation d’un dispositif de conversion
Utilisation comme générateurs électriques Les piles thermoélectriques offraient une alternatives aux piles chimiques, lesquelles ont été historiquement les premiers générateurs électriques capables de fournir un courant électrique significatif (pile Volta découverte en 1800). L’utilisation industrielle de générateurs thermoélectriques s’est répandue dans les années 1870 pour la production de courants électriques destinés à la galvanoplastie. Une des premières est la pile Clamond, dont les éléments sont formés d’une lame de fer et d’une lame d’un alliage zinc-antimoine. Les éléments sont disposés en couronnes (comportant chacune une dizaine d’éléments) autour d’une flamme de gaz. Exemple (selon A. Soulier, traité de galvanoplastie, 1947) : pour 12 couronnes de 10 éléments force électromotrice 8V résistance 3.2 W consommation 180 litres / heure Une technique dont le développement a hélas été interrompu par la diffusion de la dynamo Gramme
force électromotrice 8V résistance 3.2 W consommation 180 litres / heure Le rendement n’apparaît pas explicitement dans les spécifications. Si on suppose que la force électromotrice reste constante quel que soit le courant débité, on a une puissance électrique maximum (à l’adaptation) de Une puissance de 5 W est également dissipée sous forme de chaleur dans la pile ! Par ailleurs, la capacité calorifique du gaz de ville (extrait de la houille) était d’environ 4500 kcal/m³, soit 4500 x 1.1625 Wh/m³ = 5.23 Wh / litre. La puissance entrante était donc de 5.23 x 180 = 942 W, et le rendement valait Ce calcul ne nous dit pas ce que devient la chaleur fournie à la pile. Il est clair qu’une partie doit être convertie en puissance électrique et le reste rejeté à la température des soudures froides. Pour une étude correcte des générateurs thermoélectriques, il faut comprendre comment se fait le partage !
Curiosity http://solarsystem.nasa.gov/rps/rtg.cfm
L’effet Thompson
Le phénomène Les développements précédents supposent que le pouvoir thermoélectrique ne dépend pas de la température… ce qui n’est pas le cas en pratique. En plus de faire la synthèse entre les effets Seebeck et Peltier, W. Thomson a aussi annoncé l’existence d’un troisième effet thermoélectrique. En effet, si le pouvoir thermoélectrique dépend de la température, on peut considérer qu’un tronçon est formé de tronçons infinitésimaux de pouvoir thermoélectrique légèrement différents, avec donc une production ou une absorption de chaleur à l’endroit de ces jonctions. Passant à la limite, on obtient où le coefficient Thomson t vaut En principe, le phénomène devrait permettre de déterminer séparément les pouvoirs thermoélectriques de chaque matériau !
Conséquence sur le calcul des propriétés d’une cellule L’analyse faite précédemment devient plus difficile : on a pour chaque tronçon une équation différentielle à résoudre. Discrétiser cette équation revient à considérer chaque tronçon comme formé d’une mise en série de tronçons ayant des propriétés différentes. Le calcul ne peut plus être fait à la main ! Par contre, cela permet de tenir compte aussi des variations avec la température de la résistivité électrique et de la conductivité thermique, et de répartir la production de chaleur par effet Joule sur toute la longueur du tronçon.
Cellules segmentées Comme la température évolue progressivement entre la jonction chaude et la jonction froide, on peut avoir intérêt à constituer les tronçons d’une succession de matériaux différents pour avoir à chaque température le matériau qui fournit le pouvoir thermoélectrique maximum. Référence : http://fr.wikipedia.org/wiki/Thermoélectricité
Structure cylindrique De tels convertisseurs ont été utilisés pour les missions spatiales à grande distance du Soleil. La source de chaleur est alors un isotope radioactif. (Voyager, 1977, utilisait du PuO2 et un convertisseur à base d’un alliage de silicium et de germanium). Cette source d’énergie est actuellement interdite pour les applications terrestres !