140 ans de sculpture à La Rochelle

Héro et Léandre Pierre Laurent sculpteur

Pierre Antoine Laurent sculpteur Au salon des artistes français, chaque année, les peintres et les sculpteurs exposaient leurs œuvres. Cet événement, très mondain et très populaire, permettait à ceux qui n’étaient pas refusés, d’être vus et appréciés par le plus grand nombre. Ce salon n’a d’équivalent aujourd’hui que le festival de Cannes… « Il fallait en être. » L’état distribuait prix et médailles et procédait à un certain nombre d’acquisitions. Lorsqu’une sculpture en marbre était acquise par l’état, les villes pouvaient solliciter l’autorisation d’en être les dépositaires. Pierre Antoine Laurent est né à Montluçon le 8 juillet 1868. Il fut l’élève de Cavelier, Chapu et Barrias. Il figura au Salon des artistes français et obtint des médailles en 1897, 1899 et, pour le marbre « Héro et Léandre » en 1903.

de La Rochelle demanda aussitôt d’en être le dépositaire La municipalité de La Rochelle demanda aussitôt d’en être le dépositaire « en vue d’agrémenter la promenade du Parc Charruyer » (à l’emplacement de l’actuel jeu de boules derrière la place de Verdun). Demande accordée si la municipalité acceptait de prendre à sa charge le transport et l’emballage. Une fois parvenue à La Rochelle, « Héro et Léandre » fut installé dans la cour du Muséum d’histoire naturelle comme en témoigne cette carte postale de 1904.

Pour le choix de son sujet, Pierre-Antoine Laurent s’est inspiré d’un texte d’Ovide : « les Héroïdes ».* Héro est une prêtresse d'Aphrodite, déesse de l'amour, qui vit dans une tour, à Sestos, sur les rives occidentales de l'Hellespont (appelé aujourd'hui détroit des Dardanelles). Léandre vivait sur la rive opposée. Léandre, amoureux fou de Héro, nage chaque nuit à travers ce bras de mer pour la retrouver. Leurs amours restèrent secrètes. Pour le diriger dans la nuit et éviter qu'il se perde, Héro mettait à la fenêtre un fanal illuminé. A l’aube, après une nuit pleine de charmes sensuels, Léandre traversait à nouveau le bras de mer en nageant vers sa propre maison, à Abydos sur la rive orientale. Mais une nuit, malgré une tempête furieuse, Léandre, désespéré de ne pouvoir rejoindre Héro, se jette à l’eau. Héro de son coté, comme chaque soir, avait allumé sa lanterne qui, hélàs, fut soufflée par le vent. Léandre se noya. Héro fit cette nuit-là un rêve prémonitoire. Elle rêva d’un dauphin échoué sur la grève. Elle se réveilla brutalement et courut vers le rivage. Elle découvrit Léandre inerte. Effondrée, elle se jeta dans la mer en étreignant son amant, et disparut en le couvrant de baisers… * Ovide a écrit ses Héroïdes sous forme de lettres, lettres de femmes à leurs amants pour la plupart d’entre elles.

Pierre Laurent (c’est ainsi qu’il signe) a choisi l’instant où Héro découvre Léandre sur la berge et le couvre de baisers désespérés avant de se jeter, à son tour, à la mer. Ces lettres d’Ovide étaient très appréciées du public de l’époque. Pierre Laurent a composé son couple en léger déséquilibre, dans un esprit totalement romantique : les corps sont tendus, les vagues recouvrent en partie l’homme…   Mais il se passe une chose étrange, le bas et le haut de la sculpture sont de textures différentes, comme si le sculpteur voulait nous raconter une histoire avec un début et une fin… Le bas est traité avec vigueur, les muscles sont tétanisés, les reins de Léandre sont cambrés… par contre, vers le haut, les mains s’agrippent avec douceur, les visages sont apaisés, presque « laiteux »… Aucune plainte, aucune douleur, aucune exaltation romantique… un instant de plénitude. Pierre Laurent semble avoir été très sensible à l’impressionnisme qui fleurissait à cette époque. Son ciseau cherche à exprimer une image floue comme le développera Maderno Rosso peu d’années plus tard. Il obtient ainsi une tendresse dans le regard de ses amants alors que la vague brise déjà les reins du malheureux.

Dix ans après avoir sculpté « Hero et Léandre », Pierre Laurent réalisera le monument du « Souvenir Français », situé square Valin (entre les deux bassins du vieux port). Quarante trois ans après la guerre de 1870, celle qui clôtura le second empire, ce monument fut élevé, le 16 août 1913, quelques mois seulement avant une autre guerre, plus terrible encore…

Pierre Laurent, sculpteur. Discours de Jean-Paul Morel sous-secrétaire d’état à l’intérieur Pierre Laurent, sculpteur.