C ’était le refuge de Pierre. Tout le long des plages battues par le vent, tout le long des falaises aux contours déchiquetés, cet âpre bout de terre, aux confins du monde, grouillait de vie.

Guillemots, cormorans, mouettes, canards, pétrels, piaillaient, et pépiaient, et cancanaient, et jacassaient, tandis qu’au dessous d’eux, dans la mer en tumulte, des phoques et des otaries dansaient et jouaient et savouraient les richesses de l’océan. Certains venaient pour y donner naissance. D’autres vivaient là, c ’était leur habitat. Le lointain défilé des pétroliers géants ne les préoccupait guère, ils étaient en sûreté dans leur havre.

C était aussi le refuge de Pierre. C’était là qu’il venait lancer des galets pour faire des ricochets sur le vagues. C’était là qu’il venait chercher des crabes sous les rochers. C’était là qu’il venait jeter du pain aux canards et du poisson aux phoques.

Ceux qu’il préférait, c’était les canards. Ils connaissaient bien le son de sa voix ! Ils arrivaient en se dandinant, à qui serait le premier ! Mais Pierre distribuait équitablement le pain, et veillait à ce qu’aucun ne soit oublié !

Ils savaient bien, les canards gourmands, que Pierre est aussi chez lui, ici ! C ’était aussi son domaine...

HELAS… C ’ETAIT... Car un jour un pétrolier dériva près des côtes. Très près… Trop près pour ne pas troubler les jeux des phoques. Trop près pour ne pas faire taire les roucoulades des oiseaux. Trop près pour éviter les rochers recouverts par la traîtresse marée.. Trop près de l’idyllique refuge de Pierre….

Le terrible fracas de tonnes d ’acier s ’écrasant contre les rochers épouvanta les paysans alentour et réveilla Pierre. Tous se précipitèrent… Horreur ! La poupe d’un pétrolier s ’enfonçait irrémédiablement dans les flots...

Un hélicoptère sauva les marins du bateau en perdition.

La proue éventrée laissait échapper un flot visqueux, noir, nauséabond...

Quand arriva le matin, tout n ’était que boue gluante et noire : les vagues étaient noires et lourdes, les rochers étaient noirs et glissants, le sable d’argent était noir et collait partout… Pierre dévala la falaise. Il arrêta sa course là où tant de fois il s’était réfugié. Avant. Chaque nouvelle vague qui déferlait sur les rochers amenait dans ses replis visqueux de nouveaux cadavres, ou des bêtes qui agonisaient et pour lesquelles on ne pouvait plus rien..

Un canard englué restait prostré sur le sable, tant ses efforts pour se libérer l’avaient épuisé. Pierre marcha lentement vers lui en lui parlant doucement., et le canard, reconnaissant le son de sa voix, se laissa prendre sans résistance.

Le canard exténué semblait avoir compris que le salut lui viendrait par son ami, il reposa sa tête sur la poitrine de Pierre. Celui-ci le berçait tendrement, et le vent emportait rageusement ses larmes… Des marins le lui prirent délicatement. Le canard fut confié à un centre spécialisé, et Pierre alla aider les hommes qui commençaient leur longue lutte contre le fléau.

Durant des jours et des jours, dès qu’il avait une minute, il aidait à laver au jet et à la brosse cette boue visqueuse et collante qui recouvrait chaque rocher, emplissait chaque crevasse… Le refuge de Pierre semblait de lui-même lutter pour survivre, et Pierre l’aidait de toutes ses forces.

Et la nature reprit ses droits, grâce à l’opiniâtreté des hommes, grâce à sa propre puissance de régénération; Pierre regarde barboter les petits du premier canard qu’il a sauvé, et s’émerveille devant le triomphe de la vie.

Mais parfois, lorsque ses doigts cherchent un caillou plat dans le sable pour le faire ricocher sur la mer, il trouve encore du mazout noir, visqueux, gluant, et les souvenirs reviennent….

Car juste au-dessous de la surface de l ’eau,dans chaque crevasse de rocher, dans chaque repli, sous le sable qui est redevenu gris argenté, il reste de vilaines cicatrices noires qui jamais ne disparaîtront...

Mais ce coin de terre est redevenu le Refuge de Pierre. Tout le long des plages battues par le vent, tout le long des falaises déchiquetées, cet âpre bout de terre, aux confins du monde, grouille à nouveau de vie !

Je n ’ai malheureusement pas relevé les références du livre dont j ’ai extrait ces images, et dont le texte a servi de trame à mon PPS. Que l’auteur me pardonne…. Musique : anonyme du XV°siècle - Greensleeves Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix