Marie-Ange pousse un long soupir, qui est à la fois de crainte et d’excitation. Son regard parcourt son plan de travail, où sont disposés des petits morceaux de verre de toutes les couleurs, de toutes les formes… Il y a le bleu cobalt, si difficile à obtenir, le rouge éclatant, qui fait chanter les autres couleurs, le blanc translucide, qui repose l’œil, le noir, qui par effet de contraste donne sa valeur à l’ensemble, et toutes les teintes intermédiaires…

Il faut dire que les formes sont aussi diverses que les couleurs. Certains éclats de verre sont un peu abimés, d’autres sont ternis. Ainsi sont dispercés sur le plan de travail des petits tas de couleurs différentes, sans lien entre eux, sans beauté, juste du désordre sur une table…

Marie-Ange prend un éclat de verre, le regarde par transparence, en caresse le bord un peu trop dentelé, le repose. Son regard se pose sur une grande photo posée face à elle, en pleine lumière : photo d’un vitrail, apparemment du seizième siècle, et qui semble bien endommagé.

J’ai oublié de vous dire : Marie-Ange est vitrailliste, restauratrice en vitraux anciens. Et je puis vous dire que, devant ces petits tas de couleur informes, son excitation grandit. Ses mains courent parmi les morceaux colorés, son œil exercé distingue rapidement celui qui s’adapte parfaitement au précédent. Sous ses doigts, heure après heure, une image prend forme, reproduction parfaite du Dieu créateur qui est sur la photo en face d’elle, sujet du vitrail endommagé.

Dans cet ensemble qui renaît sous ses doigts, chaque morceau de verre, dans sa forme parfois bizarre, avec sa couleur propre, prend un nouvel éclat, retrouve toute son importance, sa place propre. L’artiste coupe parfois un morceau manquant, cherchant soigneusement, sur la photo, quelle était sa forme et sa couleur. Le plomb, coulé au fur et à mesure, maintient chaque morceau à sa place. Au fil des heures, au fil de jours, le vitrail retrouve sa jeunesse.

Chaque morceau de verre est nécessaire à l’ensemble. Petit à petit, le visage de Dieu prend forme sous les doigts de Marie- Ange. Au bout d’un long travail acharné, le vitrail terminé retrouvé sa splendeur. Et je rêve… Et je comprends…

Je comprends que chacun de nous est indispensable pour reconstituer le visage de Dieu. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant, créé à l’image de Dieu, est indispensable dans la mosaïque de l’Église. Si abîmée, si lointaine, si avilie que soit un être humain, il a sa place, une place unique, dans le vitrail de la foi.

Et puis… Imaginez l’effet produit si tous les morceaux de verre avaient la même teinte ! Quelle chance, quelle aubaine que nous soyons tous différents ! Tous avec notre "couleur" propre, qui ressort grâce aux couleurs qui l’entourent, et qui fait de son côté ressortir ces couleurs… Tous indispensables !!!

Oui, tous ! le bébé qui vient de naître et le mourant qui n’a même plus sa conscience, le criminel au fond de sa prison et le prêtre à l’autel, la chipie qui n’est jamais contente, et les jeunes amoureux qui passent en se tenant par la main, l’ivrogne qui cuve son vin et l’ascète au fond de son couvent… Tous… tous… tous… ensemble, image de Dieu… Quelle merveille d’amour !!!

Vitraux de la Cathédrale de Chartres. texte : Jacky Musique : Zure ondotik nabila prière par le Chœur basque Oldarra Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix