Le château d’Angers est une forteresse bâtie vers 650 sur ordre de Charles le Chauve pour lutter contre les invasions normandes. Mais par la suite les Plantagenêt ne prêtèrent que peu d’attention à leur capitale et à son château. Celui-ci ne prit de l’importance qu’au rattachement de l’Anjou au royaume de France en Des travaux effectués par saint Louis en lui donnèrent son aspect actuel : on l’entoura de fortifications massives, cantonnées de 17 tours. Il était alors l’une des plus redoutables constructions militaires de France, et demeure aujourd’hui la mieux conservée au nord de la Loire.

C’est une forteresse de schiste et de calcaire, mais quand vous franchissez le pont-levis, vous découvrez, à l’intérieur de l’enceinte, l’agréable résidence des ducs d’Anjou, composée de bâtiments de la fin de l’époque gothique et de beaux jardins.

Mais, si je vous emmène au château d’Anjou, ce n’est pas pour le visiter, si intéressant soit-il. Je vous emmène simplement dans une de ses pièces, qui présente au public la plus impressionnante tapisserie de l’art médiéval : l’Apocalypse, universellement connue. C’est un ensemble de 6 panneaux mesurant chacun 23,5 mètres de long sur 10 mètres de haut, soit une longueur totale de plus de 140 mètres. Une aile du château fut spécialement réaménagée pour permettre la présentation, dans des conditions optimales, de ce chef-d’œuvre, et tout fut étudié pour sa conservation. La vue ci- dessous, quoique très mauvaise, vous donnera une idée mieux que tous les chiffres ! Et c’est une vue partielle !

En 1380, on trouve dans l’inventaire de la librairie du roi de France : «… une apocalypse en françois toute figurée et ystoriée. Le roi (l)a baillée à mons. d’Anjou pour faire son beau tapis. » Ce roi, c’est Charles V, et Monseigneur d’Anjou est Louis Ier, duc d’Anjou, frère du roi, et frère des fastueux princes que furent Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, Jean, duc de Berry, et Louis II, duc de Bourbon. Ces princes exerçaient un mécénat qui favorisait les arts, et notamment la tapisserie. À 25 ans, en 1364, Louis Ier d’Anjou possédait 76 tapisseries !

La tapisserie se trouve ainsi datée, et son origine est connue. Le paiement en est porté sur les livres de comptes du Duc d’Anjou une quinzaine d’années plus tard, et, si l’on considère les dimensions de l’ouvrage, il fallait bien cela ! « Hennequin de Bruges peintre du roi notre seigneur, (reçoit un paiement en janvier 1377) à cause des portraitures et patrons par lui faiz pour lesdiz tapis à l’histoire de l’apocalypse. » Mais Jean de Bruges resta le maquettiste pour la compréhension du texte et de l’iconographie apocalyptiques.

On ignore ce qui a pu pousser Louis Ier d’Anjou à choisir un texte aussi difficile d’interprétation que celui de l’Apocalypse. Mais on peut souligner que le sujet n’est pas sans rapport avec les malheurs du siècle, où se répètent en alternance les crises religieuses et politiques, les guerres et les épidémies meurtrières. Dans les visions sombres et terrifiantes de l’Apocalypse, comme par une porte ouverte dans le ciel, on assiste aux splendeurs d’une liturgie céleste inaccessible aux perturbations et convulsions de ce monde. Elles nous donnent l’assurance de la victoire divine.

Au regard des différents commentaires qui ont été faits et qui continuent à être faits sur le livre de l’Apocalypse, celui-ci apparaît à la fois comme une œuvre d’enseignement spirituel pour la vie chrétienne, comme une philosophie de l’histoire religieuse appropriée à tous les siècles, et comme une prédiction puissante de diverses phases de la lutte engagée depuis le premier siècle entre le Christ et Satan, et qui ne trouvera son dénouement qu’à la fin du monde. On peut raisonnablement supposer que c’est cet ensemble de raisons qui a poussé Louis Ier pour le choix du thème de cette immense tapisserie.

Cette œuvre monumentale a connu, durant six siècles, les aventures les plus diverses. Il semble que, durant les deux premiers siècles, l’on ait eu conscience de sa valeur et de sa qualité exceptionnelle. Témoin les mentions régulières de dépenses ducales pour « visiter et repparer la tapiserrie… et la garder des dommages. » Elle fut léguée par testament à la cathédrale d’Angers, et le chapitre des chanoines fait preuve aussi d’un grand soin pour sa conservation. Elle est tendue dans la cathédrale pour les grandes occasions.

Mais, en 1767, il est décidé que « les tapisseries causant aux voix un très grand préjudice, elles ne seront plus tendues. » Un désintérêt général s’en est ensuivi. Un panneau fut coupé en deux, les chanoines essayèrent sans succès de la vendre. Certaines pièces servirent d’abri contre le gel dans les orangeries… C’est en 1848 qu’elle fut sauvée, grâce à la ténacité du gardien du trésor de la cathédrale, le chanoine Joubert. Il en rassemble les différents morceaux, en obtient le retour à la cathédrale, et dès l’année suivante entreprend une grande restauration malgré l’opposition de Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments Historiques, qui craignait pour la qualité de la restauration et le respect de l’authenticité de l’œuvre.

La tenture est rendue désormais célèbre par des expositions et des publications. Elle devient le joyau du musée des tapisseries créé en 1910 dans l’ancien palais épiscopal d’Angers.

Enfin, en 1982, il a été décidé un dépoussiérage de la tenture et un changement de ses doublures. Et là… On découvre l’ENVERS de la tapisserie. Et l’envers de la tapisserie a gardé toutes ses couleurs d’origine, et le travail est si parfait que TOUTES LES PHOTOS qui illustrent ce diaporama sont prises sur l’envers ! On chercherait en vain un nœud, un fil qui pend, une imperfection… L’envers est aussi soigné que l’endroit.

La netteté de l’envers permet de constater que les lissiers du XIVe siècle possédaient une grande maîtrise dans l’emploi des diverses techniques de la tapisserie et notamment dans l’utilisation de procédés particuliers comme le guimpage et le battage.

Vous qui connaissez le Livre de l’Apocalypse, ne cherchez aucune suite logique dans les morceaux de tenture que j’ai choisi de vous présenter. Je les ai sélectionnés tout à fait arbitrairement, simplement pour vous montrer la perfection du travail de ces ouvriers, sur un métier d’un minimum de 10 mètres de haut ! Les spécialistes s’accordent en effet à dire que le travail était sans doute réalisé transversalement… Plus tard, je vous présenterai, dans un autre diaporama, d’autres photos de cette tapisserie, que j’accompagnerai du passage de l’Apocalypse que chacun illustre. Mais ici, je voulais rendre hommage à ces ouvriers d’autrefois…

Photos extraites du magnifique livre" L’envers et l’endroit « dont je me suis aidée pour le texte. Musique : Frédéric Chopin (titre inconnu) Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix Site :