La réponse immunitaire antitumorale 1- Le concept d’immunosurveillance antitumorale 2- Bases moléculaires de l’immunosurveillance -Effecteurs de la réponse immunitaire antitumorale 3- Echappement tumoral à l’immunosurveillance 4- Applications thérapeutiques de la manipulation de la réponse antitumorale Dr Cédric Ménard L3 2014-2015 cedric.menard@chu-rennes.fr
Objectifs du cours Comprendre le concept d’immunosurveillance Connaître les principaux effecteurs cellulaires et moléculaires impliqués dans la réponse immunitaire antitumorale Comprendre les applications thérapeutiques potentielles de la manipulation de cette réponse immunitaire anitumorale
Introduction Concept ancien (XIXème siècle): Coley observe des régressions tumorales chez des patients atteints d’érysipèle La réaction inflammatoire est responsable de la réduction tumorale 1900s : Paul Ehrlich propose que le taux de cancers chez les humains serait bien supérieur sans système immunitaire Le système immunitaire (SI) est le support de la réaction inflammatoire Le SI peut donc reconnaître spécifiquement les cellules tumorales et les détruire Chir ortho onco : infection par strepto fait régresser des sarcomes (os, tissus mous) mais pas mélanomes ou carcinomes Ehrlich : les êtres vivants à forte longévité ne font pas plus de cancers que les autres
1- L’immunosurveillance antitumorale
Définition Capacité du système immunitaire à reconnaître des motifs moléculaires associés à une transformation maligne (ou pré-cancéreuse) et à s’activer pour éliminer la cellule anormale Paradigme des 3 E de Robert Schreiber Echappement visible cliniquement Dunn, Annu Rev Immunol 2004 Phase d’élimination SI élimine la plupart des cellules tumorales La phase d’équilibre Les cellules tumorales sont présentes, mais « contenues » par le SI La phase d’échappement La tumeur grossit, devient invasive et métastase Conséquence de : « épuisement » du SI ou inhibition du SI ou émergence de variants tumoraux métastase
Preuves épidémiologiques Augmentation de l’incidence des cancers chez les patients immunodéprimés Déficits immunitaires primitifs (génétiques) Syndrome de Wiskott-Aldrich : Touche la fonctionnalité de toutes les cellules de l’immunité Risque accru de lymphome (LNH EBV-induits ++) Polymorphismes de gènes de l’immunité associés à un risque augmenté de cancer : Nombreux exemples dans la littérature : NKG2D, CTLA-4,TLRs, Interleukines, etc Ex : NKG2D : certains haplotypes confèrent une moins bonne cytotoxicité NK corrélée à un risque de cancer Cf cours dédié
Preuves épidémiologiques Déficits immunitaires acquis : SIDA Incidence supérieure de cancers dont ceux classant en stade 4 SIDA : Sarcome de Kaposi (KSHV=HHV8) Lymphomes non hodgkiniens (notamment Burkitt (EBV)) Cancer du col de l’uterus (HPV) et lésions prénéoplasiques Cancer de l’anus (HPV) En baisse avec les trithérapies de + en + efficaces sauf pour les cancers classant SIDA (Guiguet, Médecine/Science 2010) http://www.hal.inserm.fr/docs/00/48/05/02/PDF/Cancer_VIH_V2.pdf Incidence corrélée au taux de T CD4 résiduels
Preuves épidémiologiques Déficits immunitaires acquis : (cf cours immunomodul°) traitements immunosuppresseurs (certains +que d’autres) Greffes/transplantations en augmentation : Risque de cancer 2aire augmenté et + grave (immunodéprimé) Ex : risque de lymphome non hodgkiniens X100 // pop° générale ! ciclosporine et azathioprine associés à un risque accru de lymphome et cancers cutanés : (carcinome>Kaposi, mélanome) Suivi approfondi du patient indispensable Maladies inflammatoires/auto-immunes : traitement par azathioprine, méthotrexate Incidence des lymphomes augmentée Parfois, régression tumorale à l’arrêt du traitement (!) Régression : cas du MTX
Preuves épidémiologiques Exemple des mélanomes transmis lors de greffes Mélanome identiques au donneur greffe Patients immunodéprimés Cas clinique ou le donneur était guéri de son mélanome depuis 16 ans Le mélanome est un cancer bien connu pour être étroitement immunosurveillé Il restait des cellules cancéreuses chez le donneur qui étaient contrôlées par le système greffe Exérèse chirurgicale Mélanome identiques au donneur Patient guéri
Preuves cliniques Régressions spontanées observées dans 1-2% des mélanomes (enfants/ado++) Infiltrat lymphocytaire associé + carcinome à cellules claires rénal
Preuves cliniques Corrélation anapath entre les caractéristiques de l’infiltrat immunitaire du cancer colorectal et le pronostic clinique (Galon, Science 2006) Forte densité de cellules immunes => bon pronostic CT : centre de la tumeur IM : zone marginale CD3+ CD8+ CD45RO+ = T cytotoxiques mémoires
Preuves cliniques autre exemple : le lymphome folliculaire Réponse immunologique 1 Gènes principalement exprimés par lymphocytes T et macrophages Gènes associés à bon pronostic Réponse immunologique 2 Gènes principalement exprimés par DC Gènes associés à mauvais pronostic Ds le FL ce ne sont pas les caractéristiques intrinsèques à la tumeur qui conditionnent le pronostic mais celles de l’inflitrat immunitaire Rôle fondamental du microenvironnement (immunitaire) Dave et al., NEJM 2004
2- Bases moléculaires de l’immunosurveillance Effecteurs de la réponse immunitaire antitumorale
Immunogénicité des tumeurs Réponse NK/Tγδ Dommages à l’ADN = stress génotoxique Expression membranaire de MICA (ligand de NKG2D) Activation des NK pour lyser la cible + sécrétion d’IFN Cassures de l’ADN et mutations activent ATM Tγδ
Immunogénicité des tumeurs Réponse NK/Tγδ Les cellules tumorales expriment aussi des ligands d’autres récepteurs activateurs NK NKp30 (ligd = B7-H6) NKp44 et NKp46 Rappel : perte d’expression de molécules de CMH I dans 40 à 80% des tumeurs (variable d’un type histologique à l’autre) Balance de signaux NK penche vers l’activation Ligds : cf cours de l’année dernière. Pour NKp46 et 44, le ligd présenté par des cellules ltumorales n’est pas clairement identifié Perte du CMH I ds des tumeurs solides ou hémato Cf cours NK de L2
Immunogénicité des tumeurs Réponse adaptative T Dérégulations génétiques entraînant l’expression anormale d’une protéine normale, ou l’apparition d’une nouvelle protéine Présentées à la membrane des cellules tumorales par les molécules de CMH I (peptides) ou sous forme native Ag tumoraux Patients spécifiques Ces Ag peuvent peuvent être reconnus par les T4 ou les T8 suivant la forme sous laquelle ils sont présentés. D’où cible potentielle d’immunothérapie Partagés Tumeurs spécifiques Tissus spécifiques Ubiquitaires
Ag de tumeur chez l’homme Ag tumoraux Patients spécifiques Partagés Tumeurs spécifiques Tissus spécifiques Ubiquitaires Mutations ponctuelles ( BCR et lymphome) 1. Ag viraux (EBV, HPV, VHB/C) 2. Ag tumeur/testicule 3. Ag spécifiques : d’1 seul type cancer (translocation) 4. Oncogènes mutés Ag de différenciation (peu exprimés par tissus sains) Surexprimés dans tumeurs (ex : HER2) Ag spécifiques d’expression partagée par différents types de cancer Surexpression : Ag partagés par plusieurs types tumoraux Tissus spécifiques Gènes de différenciation exprimés de façon limitée par tissus sains, très exprimés par tissus cancéreux Pas de tolérance Tolérance
Effecteurs immunitaires impliqués Action antitumorale : l’immunité innée Cellules dendritiques : Captation des Ag tumoraux Si signal de danger, maturation/migration au ganglion Présentation aux T: activation/prolifération Lymphocytes NK Cytotoxiques (TRAIL, perforine/granzyme, FasL) Sécrétion d’IFN Cf cours de L2
Effecteurs immunitaires impliqués Action antitumorale : l’immunité adaptative Lymphocytes Tβ : Reconnaissance d’Ag tumoraux par leur TCR (CMH I ou II) T CD8 : cytotoxiques (TRAIL, perforine/granzyme, FasL) T CD4 : production d’IFN (Th1) et IL-2 (activation des CD8) et expression de FasL (Lymphocytes B : Pas de rôle démontré des Ac naturels contre les tumeurs) Cf cours de L2
TCD4 TCD8 gdT CTL NKT Tumeur DCm Migration Maturation NK DCi GANGLION Présentation de peptides tumoraux dans le CMH de classe II DCm GANGLION DRAINANT TCD4 Activation réciproque Migration Maturation TCD8 Présentation de peptides tumoraux par le CMH de classe I LYMPHE IFN-g TNF Th1 gdT NK CTL Macrophages NKT Importance de l’immunité innée Corps apoptotiques Ag soluble Tumeur Capture de l’Ag Contexte de danger DCi
3- Echappement tumoral à l’immunosurveillance Malheureusement la tumeur développe des moyens pour ne plus être reconnue par le système immunitaire et même peut détourner certains de ses composants à son profit
Mécanismes intrinsèques à la cellule tumorale Perte HLA A,B,C et/ou Ag tumoraux Résistance à la mort cellulaire Sécrétion de MICA soluble Perte d’expression ou mutations de Fas Mutation p53 Diminution de l’immunogénicité Récepteur leurre de TRAIL protéines anti-apoptotiques protéines pro-apoptotiques Altération de l’immunogénicité vis-à-vis des NK Secrétion de MICA soluble d’où internalisation de NKG2D Expression de ligds de récepteurs inhibiteurs NK (HLA-E ou G) Altération de l’immunogénicité vis-à-vis des T S’accroit sous la pression de sélection du SI downrégulation expression des Ag tumoraux perte d’expression des HLA classe I (total ou partiel) Altération de l’induction de réponse adaptative Induction de DC tolérogènes (TGF-b, IDO, PGE2, IL-10...) Production de facteurs immunosuppresseurs PGE2, IL-10, TGF-b, IDO PD-L1 et Fas-L induisent l’apoptose des T activés Altération de la sensibilité à la mort cellulaire (inhérent au processus tumoral, peut entraîner une chimiorésistance simultanée) Surexpression de protéines anti-apoptotiques (bcl-2, FLIP...) Sous-expression de protéines pro-apoptotiques (Bax, casp 8...) Dérégulation de p53 (mutée dans 50% des cancers) Perte d’expression ou mutation de Fas +/- acquisition de FasL (contre attaque) +/- synthèse Fas soluble ou récepteur leurre pour neutraliser Fas et TRAIL Résistance au système perforine/granzyme Molécules immuno-suppressives IL-10, TGF-, PGE2, IDO Expression de FasL, PD-L1 (spontanée ou induite) Expression HLA-G, HLA-E
Mécanismes de subversion de la réponse immunitaire Altération de l’induction de réponse adaptative Induction de DC tolérogènes (TGF-b, IDO, PGE2, IL-10...) Induction/recrutement de cell. immunosuppressives Les TAM (Tumor Associated Macrophages) Reprogrammés pour inhiber les fonctions lymphocytaires Synthèse de molécules suppressives : IL-10, TGF-b, PGE2… Les MDSC (Myeloid-derived suppressor cells) Expansion dans le contexte tumoral Expression de Arginase 1 : déplétion en arginine Expression de iNOS, d’où augmentation production de NO Synthèse d’IL-10, TGF-b TAM cf cours L2 sur monos/PNN Whiteside, Oncogene 2008
M1 M2 Contexte tumoral TAM
Mécanismes de subversion de la réponse immunitaire Induction/recrutement de cell. immunosuppressives Les LT régulateurs Treg naturels Fréquence augmentée des Treg naturels CD4+ CD25hi Foxp3+ dans la tumeur, les ganglions drainants et le sang Tous types de cancers solides et hémato Recrutés par la tumeur et amplifiés Treg induits : T CD4+ IL10+ induits par les DC tolérogènes et les MDSC Inhibition par contact (CTLA4) ou par synthèse de cytokines immunosuppressives (IL-10, TGF-b)
Environnement immunosuppressif TGFb Tumeur T CD4+ FoxP3+ Induits ou naturels PD-L1 Treg CTLA4 CD86 DC Tol CD80 IDO TGFb IL-10 autres PD1 IDO NK T B
L’échappement à l’immunosurveillance : une autre caractéristique des cancers Hanahan and Weinberg, Cell 2011
4- Manipulation de la réponse immune antitumorale Malheureusement la tumeur développe des moyens pour ne plus être reconnue par le système immunitaire et même peut détourner certains de ses composants à son profit
Stratégies classiques - Chirurgie - Radiothérapie - Chimiothérapie Immunothérapie Nouvelles stratégies Anticorps anti-tumeur Agonistes de TLR - Administration de cytokines - Vaccination peptidique - Vaccination dendritique Transfert de lymphocytes activés (NK, CTL, Tgd, NKT) Allogreffe - Elimination des T régulateurs (cyclophosphamide, anti-CD25...) - Blocage molécules suppressives (anti-CTLA4, anti-PD1/PDL1, anti-KIR…) Thérapeutique combinatoire
Immunothérapie conventionnelle Anticorps thérapeutiques (voir cours Anticorps) Cytotoxiques par ADCC, CDC ou induction directe d’apoptose Blocage des facteurs de croissance nécessaires à la tumeur Stimulation du système immunitaire Stimulation par ligands de Toll-Like Receptors TLR4 : BCG intravésical (Immucyst®) Cancer de la vessie : 60% de réponse Activation des macrophages puis PNN et NK puis DC et T TLR7 : imiquimod (Aldara®) Verrues génitales et condylomes acuminés Carcinomes épidermoïdes ou basocellulaires superficiels Activation des DC cutanées et de réponse Th1
Immunothérapie conventionnelle Administration de cytokines (voir cours Autres biothérapies) De moins en moins utilisées en cancéro (effets 2aires ++) Moins efficaces que de nouvelles thérapies mais rémissions prolongées chez une petite partie des patients IFN (2a, Roferon® ou 2b, Introna®) Activation des NK (cytotox/prolifération), maturation des DC Augmentation de l’expression des molécules de CMH Leucémie à tricholeucocytes, Kaposi, mélanome, (CML, lymphome folliculaire, myélome, lymphome T cutané) IL-2 (aldesleukine, Proleukin®) Activation des NK (cytotox/prolifération), prolifération des lymphocytes T, augmentation de la cytotoxicité des T CD8 Cancer du rein, mélanome (association éventuelle IFN)
Immunothérapie conventionnelle : résultats cliniques Essais anciens : 10%de la population était longue survivante : guérie ? Essais plus récents : finalement, tous les patients finissent par rechuter : efficacité modeste
Thérapie cellulaire Allogreffe et effet du greffon contre la leucémie (GvL) Les T et NK du donneur contenus ds le greffon peuvent s’activer contre les cellules leucémiques résiduelles (post-chimio) et les détruire (non soi !) Immunothérapie active (vaccination) Immunothérapie passive Cf UE9 Thérapie cellulaire
Nouvelles stratégies LEVER L’IMMUNOSUPPRESSION Elimination ou blocage des Treg Cyclophosphamide faible dose, anti-CTLA-4 Bloquer les « points de contrôle » inhibiteurs de la réponse immunitaire : Anti-CTLA-4 : ipilimumab (Yervoy®) : mélanome, prostate Anti-PD1/anti-PD-L1 : taux de réponse prometteurs dans de nombreux cancers Activation T polyclonale du SI : effets 2aires auto-immuns fréquents corrélés à l’efficacité antitumorale
DC mature LYMPHOCYTE T4 CMH II signal 1 Activation signal 2 CD80/86 Molécules d’adhésion LYMPHOCYTE T4 ICAM-1 LFA-1 CMH II TCR/CD3 signal 1 CD4 CD40L Activation CD40 CD28 signal 2 CD80/86 CD80/86 Inhibition CTLA4 ipilimumab Anticorps antagoniste
Ipilimumab = anticorps anti-CTLA4 Efficace dans le mélanome Semble intéressant pour environ 10%-20% des patients… Dans ces cas-là, efficacité qui semble prolongée Mais peu de réponses = peu de diminution de la taille des lésions
Anti-PD1 et anti-PDL1 Résultats préliminaires, études randomisées encore en cours Mais : réponse très fréquente Et : réponse prolognée, pendant de nombreux mois Résultats aussi intéressants dans d’autres cancers (bronchique, colorectal…)
Intérêt des associations ? Toxicité de ces traitements : Réactions auto-immunes Les deux types (anti-CTLA4 et anti-PD1/PDL1) peuvent en donner Ne semblent pas franchement aggravées en association ? Des études randomisées sont en cours
Effecteurs immunitaires impliqués Action antitumorale de l’immunité adaptative Lymphocytes T gamma delta TCR F1-ATPase Vg9d2 IPP CD16 APO-A1 NKG2D IFN TCR IPP (isopentylpyrophosphate) : production accrue dans les cellules tumorales Rappel : delta 2 ds le sg et delta ds les muqueuses qu’ils immunosurveillent MICA/B ULBPs Vg9d1 NKG2D Cellule tumorale Réponse RAPIDE