« Gestion des crises et sorties de crises » Réinventer la force et réenchanter la grandeur La France après 1870 Cercle d’études de défense 26 novembre 2010 HFRANCOIS Lycée JF Champollion Lattes

Une étude de cas aux trois lions Le lion de Belfort Le lion de Belfort Le lion de Belfort

Une entrée en matière qui introduit aussi un quatrième larron L’auteur de deux des trois lions

Quel est le sujet en fait et comment l’aborder ? Pierre DENFERT-ROCHEREAU (1823-1878) « un militaire républicain oublié de l’histoire » Selon le titre de l’exposition qui lui rendait hommage en 2009 à l’école polytechnique dont il fut l’élève (X1842)

Fils de percepteur, né dans une famille protestante, il se fait remarquer dès 1844 en faisant partie des 200 élèves exclus puis réintégrés dans l’école pour leurs opinions hostiles au gouvernement de Louis Philippe Il choisit l’armée par défaut, entre à l’école de l’artillerie et du génie à Metz en 1846. Il en sort premier et y revient en 1855, après avoir été blessé en Crimée, comme professeur. Il s’intéresse beaucoup à l’Algérie où il est affecté en 1860 Saint Simonien, marqué par la croyance en l’importance du progrès technique et en la justice sociale, favorable à la révolution de 1848, il n’apprécie ensuite chez Napoléon III que sa politique étrangère. Affecté à Belfort en 1864, il en améliore la place. Il est nommé gouverneur de Belfort et colonel à titre temporaire par Gambetta, chef du gouvernement provisoire, le 18 octobre 1870.

Le Colonel DENFERT, défenseur de Belfort Georges Clemenceau, jeune député, écrit à propos du Colonel qu’il croise, quelques années après le Siège, à l’Assemblée Nationale : « il a fallu pour sauver Belfort quand tous les généraux s’effondraient, quand les maréchaux capitulaient en tas, une dépense d’énergie peu commune : ce fut un commandant qui ne voulut pas se rendre. Ce qu’avait fait Denfert, il l’avait fait par le sentiment du devoir, et par l’énergie, et par la volonté. »

Mis en disponibilité en avril 1871, il se tourne vers la politique Mis en disponibilité en avril 1871, il se tourne vers la politique. Elu député il siège avec l’Union Républicaine et se consacre aux questions militaires. Il fait valoir ses droits à la retraite sans dépasser le grade de colonel malgré ses états de service en 1876. Entre 1871 et 1876, la république n’a pas encore gagné la partie. Il s’agit donc d’un militaire atypique dans le contexte qui fut le sien.

Quel est le sujet en fait et comment l’aborder ? Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904) né à Colmar et mort à Paris, architecte de formation. Il a commencé sa carrière de statuaire sous le second empire, l’a poursuivie sous la 3eme République, en France et à l’étranger.

Garibaldi par Nadar 1870

Bartholdi, né à Colmar, a été un acteur de la guerre de 1870 Capitaine de la garde nationale, il a connu le feu puis a été envoyé comme aide de camp et intendant auprès de Garibaldi, général en chef de l’armée des Vosges, par le gouvernement Gambetta. Démobilisé, il a vécu l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne comme un déchirement et a consacré à ce thème plusieurs monuments durant sa carrière de statuaire.

Monument à Gambetta (1891) Sèvres.

Statues allégoriques de l’Alsace et de la Lorraine

La stèle funéraire La flamme du souvenir Gambetta: un destin brisé trop tôt Un homme dont l’esprit doit demeurer vivant Un souvenir qu’il importe de maintenir Conserver en mémoire les provinces perdues. La flamme a vacillé mais ne doit pas s‘éteindre

Bartholdi: un républicain modéré qui n’est pas modérément républicain. Qui pour autant s’est refusé à tout bellicisme. Un homme très éloigné des positions nationalistes à la Déroulède et qui n’a jamais eu d’attirance pour le boulangisme. Un statuaire qui sait placer son travail dans le contexte politique d’une France qui dans les faits n’envisage pas de revanche et se refuse à provoquer une Allemagne encore jugée trop forte

La suisse secourant les douleurs de Strasbourg 1895 Copie de la statue se trouvant à Bâle

Les Hommes d'aujourd'hui : Bartholdi 6ème volume, n°305 (ca. 1886) Photo : Bibliothèque municipale de Colmar

Quel est le sujet en fait et comment l’aborder ? initiée dès 1872 le projet définitif est achevé en 1875

5/12/1871 la municipalité de Belfort vote la décision d’élever un monument aux victimes du siège de Belfort(3/11/1870-13/2/1871) et de le placer dans le champs des morts, le « pré Gaspard » futur « cimetière des mobiles en partie basse de la ville. Les 73 jours de bombardement ont vu tomber 500 000 obus et bombes. 2500 défenseurs et 500 civils sont morts. La ville est détruite mais ne s’est rendue que sur ordre du gouvernement Après le traité de Francfort du 18 mai 1871, Belfort devient la préfecture d’un territoire qui n’accède au rang de département qu’en 1922. Elle est occupée par les allemands jusqu’en aout 1873 Mars 1872, Bartholdi sollicité par le maire Edouard Meny, et venu en visite au début de la même année, propose la construction d’un mémorial qui ne correspond pas au cahier des charges et serait érigé sur le rocher de la citadelle

Le 12 aout 1872, il écrit à la municipalité « Le sentiment exprimé dans l’œuvre devait surtout glorifier l’énergie de la défense. Ce n’est ni une victoire, ni une défaite qu’elle doit rappeler; c’est une lutte glorieuse dont il faut transmettre la tradition pour la perpétuer et dont le souvenir doit couronner la ville de Belfort » Le devis estimatif est fixé par Bartholdi à 20000F

Un glissement de sens s’est opéré du fait de Bartholdi par rapport à la commande Du monument aux morts à l’hommage aux défenseurs D’un lieu de recueillement à une mise en espace ostentatoire L’énergie de la défense et la lutte glorieuse: un vitalisme qui s’affranchit des péripéties de l’histoire?

AUGUSTE BARTHOLDI DEVANT LE LION DE BELFORT EN COURS D’EXÉCUTION, 1875 PIERRE PETIT (1832-1909) AUGUSTE BARTHOLDI DEVANT LE LION DE BELFORT EN COURS D’EXÉCUTION, 1875 « Il n’y a rien de violent, et je crois que les bavards qui veulent croire que cela pourrait offenser les Allemands en seront pour leurs frais » Lettre de Bartholdi à sa mère 3 septembre 1875. Tirage sur papier albuminé à larges marges servant d’encadrement à l’image, monté sur carton. Porte un envoi autographe à l’encre sous l’image : « A Flammarion confident du ciel souvenir cordial d’un enfant de la terre à modeler. Bartholdi ».

Les colosses anciens et modernes, E Les colosses anciens et modernes, E. Lesbazeilles, bibliothèque des merveilles, hachette 1881

« Fils de l’Alsace » Bartholdi a renoncé à toute rémunération et pour rassembler les 50 000 F estimés nécessaires à la réalisation une souscription nationale est lancée en 1873 sous l’égide du comité du lion présidé par le maire de Belfort Des comités locaux sont crées (Paris, Lyon, Troyes…) et en mai 1874 elle a rassemblé 55 000 F. A la publication par la presse de la 419eme et dernière listes des souscripteurs, en janvier 1875, on en est à plus de 100 000 francs Les souscripteurs sont français y compris d’Algérie mais aussi suisses et anglais; La presse a soutenu l’initiative et des gravures réalisés par Bartholdi ont été offertes aux souscripteurs

Le lion est adopté avant même d’exister Le Journal de Belfort et du Haut-Rhin le 7 août 1875 : « En attendant le Lion qui tarde à venir, un négociant de la ville a eu l’ingénieuse idée d’en faire venir un de la capitale pour orner la devanture de son magasin d’épicerie ».

François Coppée — Le Cahier rouge 1874 Au lion de Belfort Si je gravais des vers sur ton socle de pierre, Certes, j’exalterais tes combats glorieux, O monstre colossal, qui, seul victorieux, Seul peux montrer les crocs et froncer la paupière. Je dirais qu’on t’a vu, jusqu’à l’heure dernière, Fauve géant, qui fus digne des fiers aïeux, Rejeter loin de toi, sanglant et furieux, L’assaut des cent chacals pendus à ta crinière. Mais. je voudrais encore ajouter : Grand lion, Symbole de colère et de rébellion, D’un moins sombre avenir tu nous es l’assurance. Attends, sois, comme tous, patient et muet ; Mais, si la haine sainte en nous diminuait, Rugis pour rappeler son devoir à la France !

Long de 22m et haut de 11m cette statue a été réalisée entre 1875 et 1879. Elle est en grès rouge des Vosges et plaquée sur le rocher entre la ville et la falaise

après la célébration du 14 juillet 1887, Journal de Belfort et du Haut-Rhin : « Sur son socle, au pied du château, le Lion de Belfort était isolé, privé des honneurs qui lui étaient autrefois rendus ».

Entre Denfert et Belfort deux approches différentes du lion…. « Franchement, nous ne voyons pas bien ce que le nouvel accès de fièvre de M. Déroulède peut ajouter à notre prestige, en quoi sur la frontière d’Alsace-Lorraine il améliorera une situation si tendue et, surtout, quels seront ses effets bienfaisants pour les annexés des deux provinces, forcés, eux, de vivre là-bas sous la loi du vainqueur. Il nous semble qu’en fait de patriotisme, le plus silencieux est encore le plus actif et le meilleur ». Le Journal de Belfort après les cérémonies célébrant le 25eme anniversaire de la levée du siège en 1896 Entre Denfert et Belfort deux approches différentes du lion….

Après l’affaire d’Agadir en 1911, les tensions s’accroissent avec l’Allemagne Bartholdi est mort depuis 1904 La figure du lion s’inscrit alors dans une rhétorique plus belliciste et plus proche des envolées de Déroulède Ceci trouvant sa confirmation jusqu’à la victoire de 1918 et le retour des provinces perdues. Le territoire de Belfort n’en garde pas moins son autonomie. Belfort ne redevient pas une sous préfecture du Haut Rhin

Jean Bonnefous « Belfort le 1er août 1914 » « Et sur le granit rose Où sa griffe se pose Le Lion se dispose À bondir en avant. Rompant sa léthargie, La poitrine élargie, La prunelle rougie Et la crinière au vent… » « Hausse ton courroux Jusqu’à la sainte haine […] Hais, au nom de la France, Au nom de ce peuple qui pense, Hais ce peuple en démence, Hais pour l’anéantir ».

Les chants du bivouac, Théodore BOTREL

Souvenir des fêtes de la victoire Août 1919 Henri SIZLIN Ed . HERBELIN Belfort, Souvenir des fêtes de la victoire Août 1919 http://hansi.chez.com/zcartespostales.htm

Timbre 1970

Quel est le sujet en fait et comment l’aborder ?

Salon de Paris,1878, Bartholdi expose le modèle définitif en plâtre, au tiers de sa grandeur (4m sur 7m) de son Lion de Belfort. Le conseil municipal de Paris en fait l'acquisition pour la somme de 20000 frs. La sculpture, une ronde-bosse, est alors confiée à la maison Monduit - exécuteur de la « statue de la liberté » - pour être répliquée en cuivre martelé et installée, en 1880, place Denfert-Rochereau.

Lettre de Bartholdi à un ami 1879 " Je voulais vous voir ce matin pour vous annoncer la bonne nouvelle. Le conseil municipal de Paris a décidé l'acquisition du Lion de Belfort ; il sera très probablement érigé aux Buttes-Chaumont. Je crois que cela pourra offrir des horizons nouveaux et nous essaierons de faire quelque chose avec la vente de photographies (...). La décision du conseil municipal n'est pas simplement une acquisition d'oeuvre d'art intéressante ; c'est un hommage au patriotisme alsacien ; c'est indirectement un hommage au patriotisme de la population de Paris pendant le siège. C'est un souvenir du passé mis sous les yeux de la population, en vue de l'avenir... Il peut être bon d'entamer un peu l'olifant sur cette belle matière, pour moi sculpteur dans l'intérêt de l'oeuvre, pour nous Français pour y attacher le véritable sentiment patriotique que cela doit entretenir sous les yeux du public. A vous de souffler dans l'olifant là ou vous pouvez. La décision a été votée à l'unanimité du Conseil... Zing... Boum... peut-être fera-t-on un fête patriotique, et cela embêtera les bons Allemands et leurs amis les bonapartistes ". Lettre de Bartholdi à un ami 1879 http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichelieu.php?idLang=fr&idLieu=1432

1880: le 14 juillet devient fête nationale au moment où le lion de Belfort comme celui de la place Denfert Rochereau ne font pas l’objet d’une inauguration officielle et ostentatoire. Pourtant les bataillons scolaires se retrouvent et défilent à proximité du lion de Denfert. Lion qui réinvestit une place d’enfer, à l’une des barrières de Paris, à proximité de l’entrée des catacombes et des pavillons construits par Ledoux. La statue du lion se réarticule à une histoire parisienne qui n’est pas celle de son modèle belfortain.

"Passage de l'armée Leclerc au Lion de Belfort, le 25 août 1944" "Passage de l'armée Leclerc au Lion de Belfort, le 25 août 1944". © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Retour de la République chez elle, l’épopée de la 2eme DB de Leclerc depuis l’oasis de Koufra jusqu’à la libération de Paris. Les FFL et la Résistance extérieure. L’armée française toujours au combat. Le lion de Denfert est resté. C’est dans un abri situé sous la place Denfert Rochereau que le colonel Rol-Tanguy a installé son quartier général lors de l’insurrection parisienne. La résistance intérieure.

FFI FFL Une image dont on peut s’amuser à examiner le sens possible dans le contexte d’un retour à la paix par l’affirmation de l’honneur

La plaque rappelant le souvenir de l’homme a été posée en 1920 soit 40 ans après l’inauguration de la statue Celle-ci s’inscrit dont dans une histoire qui n’est plus celle de la seule défense de Belfort Du nationalisme exacerbé de la Ligue des Patriotes aux manifestations politiques et sociales qui se sont succédées au cours du XXème siècle. Partir de Denfert c’est affirmer s’inscrire dans un processus républicain de liberté et de revendication

Manifestation anti CPE 2006

Manifestation CGT sur la place Denfert-Rochereau, , la statue du "lion de Belfort" a été recouverte d'autocollants à l'effigie de Continental, toujours menacé par la crise économique. Reuters http://www.lejdd.fr octobre 2009 http://artwithoutskin.com

Itinéraire Gay Pride 2008

Le Lion de Xavier Veilhan Bordeaux

Quelle piste suivre, les quatre peut-être Chacune conduit à explorer une manière de bâtir dans les esprits, la société, la statuaire une France nouvelle défaite mais digne. Aucun des regards ne peux demeurer univoque et doit intégrer une pluralité de sens et de moments. Des hommes ou des œuvres, c’est sans doute le lion de Denfert qui demeure le plus charge et surchargé de sens.

bibliographie Cahier de RECITS n°4, 2006. Laboratoire de recherche sur les choix industriels technologiques et scientifiques. UTBM Robert Belot , Les paradoxes de la perception politique d’un monument patriotique : le Lion de Belfort Le lion de Belfort, catalogue d’exposition, direction R.HUEBER , Musée Bartholdi de Colmar, 2004