Par les sombres nuits rageuses de novembre, sur la mer déchaînée du pays gaspésien, je l’ai vu plus d’une fois le bateau fantôme, ses voilures enflammées et sa poupe jaillissant de l’écume. Non, ne riez pas! En pleine nuit de novembre, ce n’était pas un effet d’horizon enflammé. C’était bien le bateau fantôme, celui qui parcourt depuis plus de 200 ans la baie des Chaleurs, depuis Gaspé jusqu’aux récifs de la côte du Nouveau Brunswick.

Ce grand voilier en feu, que nul marin n’a jamais pu approcher, condamné à errer jusqu’à la fin des temps sur les flots, appartient à l’histoire acadienne aussi intensément que le bonhomme Sept-Heures ou la chasse-galerie. Les personnes qui disent avoir vu le bateau fantôme croient qu'il existe réellement. Les incrédules essayent d’expliquer le phénomène par des hallucinations ou par des vagues de chaleur.

Ce qui est étrange dans cette histoire, c'est que le bateau fantôme apparaît simultanément à différentes heures et à différentes places sur la mer, depuis Pointe Verte jusque dans le golfe Saint- Laurent. La vision est toujours spectaculaire. Il s’agit d’un grand navire en feu qui file sur l'eau, ou alors un navire qui brûle à la surface de l'eau, avant de sombrer sous l’onde pour reparaître ailleurs! Surtout. n’allez jamais dire à un Gaspésien qu’il s’agit d’une simple fantaisie...

Dans ce coin de pays acadien, façonné autant par les légendes et les traditions que par l’histoire, de génération en génération, le fameux bateau fantôme continue et continuera à faire parler de lui. Quand on commence à explorer son histoire, on y découvre cependant bien davantage qu'une simple histoire locale. Tous les pays de mer possèdent un bateau fantôme, depuis le Finistère breton jusqu’au Pays de Galles.

Le phénomène est mondial. Chaque pays à proximité d’une vaste étendue d'eau possède son bateau fantôme. En Acadie, de Petit Rocher à Miscou, les histoires divergent et les témoignages abondent. Cependant, toutes les versions ont des points communs: un navire plein de marins ivres, partis en mer par mauvais temps; une jeune fille captive et violentée par les hommes débauchés; un naufrage, et la terrible vengeance du bien sur le mal.

On raconte que vers 1800, de gros voiliers, venant de l'inconnu, sillonnaient alors la baie des Chaleurs et pénétraient dans ses estuaires les plus reculés. On y faisait escale. À l'approche des côtes, ces navires baissaient les voiles et arboraient le pavillon pour appeler à leur bord le pilote qui devait les conduire le plus près possible du rivage. A cette époque, il n'y avait ni phares, ni bouées, ni aucune autre indication pour les navigateurs, pas même de quai ou de débarcadère.

Après avoir jeté l'ancre, on accostait en chaloupe et on se mettait à la recherche de fourrures. Les réserves indiennes surtout devenaient la convoitise de ces maraudeurs. Après leur avoir troqué leurs précieuses pelleteries contre des objets sans valeur, on soûlait les Indiens, puis on les pillait de toutes leurs fourrures. Le plus exécrable de ces pirates s’appelait le Capitaine Craig, condamné à la pendaison par la marine britannique, mais en fuite sur les mers du globe.

Le bateau fantôme serait donc, selon la légende, celui du sinistre Capitaine Craig. Ce sinistre pirate avait retenu plusieurs jeunes filles indiennes prisonnières. Attachées à un mât, celles-ci étaient violentées par les pirates. Or, en faisant naufrage, le bateau prit feu et tous ses occupants périrent, y compris les prisonnières. Fou de rage, le sorcier du village jeta un sort au bateau et à son équipage, les condamnant à errer, en flammes, pour l’éternité, sur les eaux de la baie des Chaleurs.

The Glass Mountain Legend George Wright à l'orgue Wurlitzer Mixage audio: F.Bernard Création Florian Bernard Tous droits réservés – 2006

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