Nous avons, en parlant de Van Gogh, vu qu’il voulait trouver un langage pictural apte à exprimer la vérité émotionnelle de tout être, objet, paysage qu’il a peint, son sentiment de la réalité spirituelle: « Je désire peindre les hommes et les femmes avec ce quelque chose d’éternel que l’auréole servait à symboliser » . Vincent Van Gogh, portraits de Joseph-Etienne Roulin, autoportrait 1889
Van Gogh de rattache au symbolisme, annonce le fauvisme, l’expressionnisme… L’œuvre de Van Gogh se rattache au symbolisme, car il cherche à « vêtir l'idée d'une forme sensible », a trouver des symboles pour atteindre une « réalité supérieure »… D’autre peintres se rattachent au symbolisme, dont Paul Gauguin dont nous allons parler aujourd’hui. Voyons alors de quoi il s’agit:
Le Symbolisme, le Synthétisme… Le mot « symbolisme » (« symbole », « jeter ensemble ») désigne l'analogie que cet art souhaite établir entre l'Idée abstraite et l'image chargée de l'exprimer. Le symbolisme est une réaction au naturalisme de la tradition occidentale, accordant plus d’importance à l’observation de la nature, qu’à la vision subjective. Le symbolisme a pour idéal la synthèse des différents arts, d’où son autre appellation, le synthétisme… Le terme de synthétisme se rapporte aussi à l’idée de synthétiser (créer) son langage pictural, ses propres symboles, car ces symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la sensibilité. Le symbolisme renoue avec certains aspects du romantisme, mais le style en peinture en est statique et souvent hermétique, chaque artiste développant, synthétisant son propre répertoire de symboles, quand l'art romantique est impulsif et rebelle... du grec sumbolon, « objet coupé en deux constituant un signe de reconnaissance quand les porteurs pouvaient assembler les deux morceaux »
Le symbolisme renoue avec certains aspects du Romantisme… Les précurseurs: Ainsi Gustave Moreau (1826-1898), peintre plus agé d’inspiration romantique, accordant plus d’importance à la vision subjective, qu’à l’observation de la nature, va trouver la notoriété vers la fin de sa vie, ses idées s’accordant à nouveau avec le goût de l’époque. L’Apparition (La danse de Salomé), 1874-1876
Le symbolisme renoue avec certains aspects du Romantisme, mais le style en peinture en est statique, hiératique, hermétique aussi, chaque artiste développant, synthétisant ses propres symboles, quand l'art romantique est impulsif, tourmenté, rebelle... 1883, Symbolisme: Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Jeunes filles au bord de la mer, 1879
Odilon Redon (1840-1916) Odilon Redon, L’oeil ballon, 1878 1903-05, Portrait de Paul Gauguin
Odilon Redon 1885, Beatrice 1914, Le Cyclope
Paul Gauguin (1848-1903): le synthétisme
À l’âge de 35 ans, après une prospère carrière d’agent de change, amateur d’arts dans son temps libre (il possédait la Coupe de fruits, verre et pommes de Cézanne), Gauguin quitte son existence bourgeoise à Paris pour se consacrer entièrement à la peinture. 1884, Madame Mette Gauguin 1880, Étude de nu, Suzanne cousant 1886, Nature morte avec profil de Laval
Gauguin, Paysage de Martinique, Cueillette de Mango, 1887 Croyant la civilisation occidentale « déréglée », imposant à l’homme une vie incomplète consacrée à la recherche de bénéfices matériels au détriment de sa vie spirituelle, Gauguin quitte Paris et se rend en Bretagne, va travailler au Panama, puis en Martinique, le tout à la recherche d’une vie plus simple, plus naturelle… Gauguin, Paysage de Martinique, Cueillette de Mango, 1887
Le synthétisme à Pont-Aven, Bretagne La vision après le sermon (Jacob luttant avec l’ange), 1888 Malade, désargenté, de retour en France, Gauguin s’installe en Bretagne, à Pont Aven, déjà fréquenté par les peintres. Parmi les paysans bretons, à la foi simple et directe, très présente dans leur vie quotidienne, Gauguin peint sa Vision après le sermon où il tente de recréer à la fois la réalité imaginée de la vision et l’extase de ces paysannes… à Pont Aven, fréquenté par les peintres, où sa forte personnalité s’impose bientôt (École de Pont Aven).
Gauguin, La vision après le sermon (Jacob luttant avec l’ange), 1888
L’évolution du style de Gauguin Dans une lettre de 1888, Paul Gauguin exprime son credo artistique: « Un conseil, ne copiez pas trop d'après nature, l'art est une abstraction, tirez là de la nature en rêvant devant, et pensez plus à la création qu'au résultat. C'est le seul moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre divin Maître, créer ». Gauguin crée, synthétise son propre langage pictural se basant sur les idées de Manet, des impressionnistes, sous l'influence de ses rencontres avec Cézanne et Van Gogh, l’intérêt à la mode pour les estampes japonaises mais aussi s’inspirant de l’art populaire, indigène, ou de l’art médiéval (des vitraux des cathédrales vient son « cloisonnisme » , le fait de cerner les formes d’un trait noir, comme aussi vu dans les estampes japonaises), bref s’inspirant d’art d’avant ou d’après la « fenêtre renaissance »… Le cloisonisme d’Émile Bernard
Les caractéristiques essentielles du style de Gauguin sont désormais établies et ne changeront pas beaucoup: le modelé et la perspective cèdent le pas à des formes plates, simplifiés, fortement soulignées de noir, les couleurs brillantes ne sont pas tout à fait naturelles. Gauguin, La vision après le sermon (Jacob luttant avec l’ange), 1888
La couleur chez Gauguin n’est pas tout à fait naturelle: « Comment voyez-vous cet arbre? Vert? Mettez-donc le plus beau vert de votre palette! Et cette ombre? Plutôt bleue? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible! ». 1888, Arbres bleus
Gauguin rejoint Van Gogh à Arles en 1888, où ils peignent ensemble, souvent un même motif, ce qui se termine deux mois après avec l’épisode de l’oreille coupée de Van Gogh. Gauguin, 1888, Van Gogh peignant les tournesols La chaise de Gauguin
Gauguin, Le Christ jaune, 1889 En 1891, ruiné, il habite un temps à Paris, puis s'embarque pour la Polynésie, grâce à une vente de ses œuvres soutenue par deux articles enthousiastes dans la presse. Gauguin, Le Christ jaune, 1889 Gauguin, 1889-90, Autoportrait avec le Christ jaune
Il s'installe à Tahiti où il espère fuir la civilisation occidentale et tout ce qui est artificiel et conventionnel. Il passera désormais toute sa vie dans ces régions tropicales, d'abord à Tahiti puis dans l'île de Hiva Oa. Les Tahitiennes
Gauguin, Ia Orana Maria (Je vous salue Marie), 1891-92
Gauguin, Mahana no atua (Day of the Gods), 1894
Gauguin, D’où venons nous? Que sommes nous? Où allons nous?, 1898 Influencé par l'environnement tropical et la culture polynésienne, son œuvre gagne en force, il réalise des sculptures sur bois et peint ses plus beaux tableaux, notamment son œuvre majeure: D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, qu'il considère lui-même comme son testament pictural, accédant aux symboles universels. Gauguin, D’où venons nous? Que sommes nous? Où allons nous?, 1898
Dégager l’essentiel: Gauguin, insatisfait de la civilisation occidentale, puise dans différentes traditions pour créer, synthétiser son style personnel (synthétisme, symbolisme): le modelé et la perspective cèdent le pas à des formes plates, simplifiés (« aplats de couleurs », Manet), fortement soulignées, cernées de noir (le cloisonnisme des vitraux médiévaux, ou des estampes japonaises), les couleurs brillantes ne sont pas tout à fait naturelles. Gauguin, La vision après le sermon (Jacob luttant avec l’ange), 1888
L’héritage de Gauguin La grande influence de Gauguin sur les peintres du XXème siècle réside aussi dans ses écrits, lesquels contiennent des formules qui « flattent ce penchant des hommes » pour les recettes miraculeuses, « les instincts déchaînés qui se saoulent d'indiscipline» : «Vous connaissez depuis longtemps ce que j'ai voulu établir: le droit de tout oser! » écrit Gauguin. À la mort de Gauguin en 1903, à l'occasion d'expositions lui rendant hommage, ses idées s'étendirent. On en retrouve les influences chez Picasso de la période bleue et rose, puis avec les fauvistes, cubistes et expressionnistes allemands (Ernst Ludwig Kirchner et le groupe Die Brücke)… Gauguin anima les mouvements mystiques et symbolistes de Pont-Aven, puis des Nabis (« Prophètes ») qui reprennent son synthétisme et sa technique de cloisonnisme Gauguin, Manao tupapau (The Spirit of the Dead Keeps Watch), 1897
Gauguin, Mahana no atua (Day of the Gods), 1894 Évaluez-vous: En observant cette toile, expliquez le style de Gauguin. Expliquez aussi les idées qui le font aboutir à ce style. Quel sont les termes que nous attachons à la peinture de Gauguin? Gauguin, Mahana no atua (Day of the Gods), 1894