Différence, inégalité et injustice Texte de MILL Différence, inégalité et injustice

« Dans une société́ coopérative de production, est-il juste ou non que le talent ou l'habileté donnent droit à une rémunération plus élevée ? Ceux qui répondent négativement à la question font valoir l'argument suivant : celui qui fait ce qu'il peut a le même mérite et ne doit pas, en toute justice, être placé dans une position d'infériorité s'il n'y a pas faute de sa part ; les aptitudes supérieures constituent déjà des avantages plus que suffisants, par l'admiration qu'elles excitent, par l'influence personnelle qu'elles procurent, par les sources intimes de satisfaction qu'elles réservent, sans qu'il faille y ajouter une part supérieure des biens de ce monde ; et la société est tenue, en toute justice, d'accorder une compensation aux moins favorisés, en raison de cette inégalité injustifiée d'avantages plutôt que de l'aggraver encore. A l'inverse, les autres disent : la société reçoit davantage du travailleur dont le rendement est supérieur ; ses services étant plus utiles, la société doit les rémunérer plus largement ; une part plus grande dans le produit du travail collectif est bel et bien son oeuvre ; la lui refuser quand il la réclame, c'est une sorte de brigandage. S'il doit seulement recevoir autant que les autres, on peut seulement exiger de lui, en toute justice, qu'il produise juste autant, et qu'il ne donne qu'une quantité moindre de son temps et de ses efforts, compte tenu de son rendement supérieur. » MILL (John Stuart) L'Utilitarisme

Pourquoi ce texte? parce que les hommes sont différents, ici en talents , « en dispositions naturelles et donc en capacités de production naturelle » ( selon Marx) parce que certaines différences peuvent entraîner des inégalités et paraître injustes parce que certaines inégalités peuvent paraître justes.

Qu’est-ce qu’une différence? Une différence se constate, c’est un fait. La différence est un ECART entre des choses et des êtres ayant des éléments identiques, qui fait que ces choses ou êtres ne sont pas identiques. La différence empêche d’être identiques ( être même et un, idem=même) mais elle n’empêche pas d’être semblables ( se ressembler, avoir des points communs donc être comparables. La différence présuppose une certaine ressemblance, la ressemblance une certaine différence.

Différents mais semblables - La différence est une relation entre deux termes, non pas la propriété d’un des deux termes. Ex: Le noir est différent du blanc, comme le blanc est différent du noir , et non pas différent. Idem pour femme/homme; - La différence concerne ce que l’on a ( telle couleur de peau, sexe, sexualité, talents, connaissances, argent…) par rapport à un autre , mais pas ce que l’on est. EX: Francis Scott Fitzgerald « les riches sont différents des gens comme vous et moi » / Ernest Hemingway « en effet, ils ont plus d’argent » Les hommes peuvent être différents et tous homme.

Quand une différence devient-elle inégalité? Inégalité de FAIT : « les individus ne seraient pas distincts, s'ils n'étaient pas inégaux » selon Marx. Toute différence est une inégalité car elle est « un privilège naturel » ou un handicap, d’où faiblesse/force dans la lutte pour la vie. ( + ligne 4 /6, « admiration », « influence », « satisfaction » personnelle ) // inégalité en algèbre : a≠b , a>b ou a<b. Mais ce n’est pas le cas de toute différence.

Inégalité : traduction sociale de cette différence accès socialement différencié à certains avantages ou désavantages sociaux et aux « biens sociaux premiers » : droits, « liberté de base »… ( Rawls) accès différencié à un développement humain et de soi (faire sa place, participer, respect) accès différencié aux capabilités ( capacité de convertir les ressources en libertés réelles, effectives – Sen) = aggravation de l’inégalité naturelle ( ligne 8) d’où position sociale d’infériorité ou de supériorité.

Qu’est-ce qu’une injustice? « C’est injuste » est un jugement de VALEUR. « Sont injustes l’homme qui transgresse la loi et celui qui se montre cupide et manque à l’égalité » Aristote injuste = ILLEGAL et INEGAL « c’est d’abord à l’injustice que nous sommes sensibles » : premières plaintes de l’enfants : promesse non tenues, punitions ou récompenses injustifiées, partages inégaux. (« Et les hommes ont une vision plus claire de ce qui manque aux relations humaines que de la manière droite de les organiser » (Soi-même comme un autre, Paul Ricoeur) plainte, sentiment ≠ concept rationnel

Mais toute inégalité est-elle une injustice?

Injustice naturelle? Un tremblement de terre, une épidémie, la maladie sont-elles injustes? Une différence est-elle une injustice?

Le fait ne fait pas le droit Le fait c’est ce qui existe dans les faits, ce qui constitue la réalité. Le fait est ce qui est, il change. Le droit est ce qui existe et demeure dans les textes, ce qui dit ce qui doit être pour le bien commun. Il juge le fait qui ne peut fonder le droit, qui « n'a aucun pouvoir de droit » mais impose le droit

Alain , Propos ( 28 mars 1936) « Le droit est ce qui est reconnu comme droit. Reconnu, c'est-à-dire approuvé ou prononcé par un pouvoir arbitral, et toutes portes ouvertes. Faute de quoi il n'y a jamais qu'un état de fait, devant lequel le droit reste suspendu. Posséder une montre, l'avoir dans sa poche, y trouver l'heure, ce n'est qu'un état de fait. Avoir droit de propriété sur la montre, c'est tout à fait autre chose ; revendiquer ce droit c'est s'adresser à l'arbitre dans un débat public ; c'est plaider et tenter de persuader. Le fait que le voleur possède la montre ne décide nullement de la propriété. Pareillement pour une maison. L'occuper, faire acte de possesseur, ce n'est nullement fonder un droit. On sait qu'il y a présomption de droit si j'occupe trente ans sans opposition ; mais cela même doit être décidé par arbitre et publiquement. Tant que le droit n'est pas dit de cette manière solennelle et impartiale, il n'y a jamais que possession, c'est-à-dire simple fait. »

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? » « On me l'a dit : il faut que je me venge. »

Un jugement de la différence qui établit que Conditions de l’injustice d’une différence de fait ni juste ni injuste en soi Un jugement de la différence qui établit que cette différence est contraire à l’idée d’égalité ou un autre principe du droit. cette différence n’est pas un simple effet de nature ( effet d’un déterminisme social, économique, politique qui aurait pu ne pas être, effet de la volonté) cette différence apparaît comme trop grande et non compensée par un rééquilibrage; un écart excessif, cumul de différences handicapantes…

Coluche « Dieu, c'est un mec, quand il est arrivé sur Terre y avait rien, tu vois! Rien, pas une boîte, pas un troquet, pas une mobylette... Rien!... Vraiment la zone tu vois... Alors il a crée l'homme à son image, et la gonzesse a l'idée qu'il s'en faisait, ça peut paraître dégueulasse, mais ca partait d'un bon sentiment. Tiens, par exemple, c'est lui qui a dit l'homme est égaux. il a dit : "il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes jaunes, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux, il y aura des hommes moches et tous seront égaux, mais ça sera pas facile!" Et puis il a dit : "Y en aura même qui seront noirs, petits et moches, et pour eux, ce sera très dur!"

Conclusion Toute différence n’est pas une inégalité. Même si l’inégalité naturelle peut donner un sentiment d’injustice, seuls ses effets peuvent être véritablement des inégalités et être jugées injustes. Cependant l’inégalité naturelle ne justifie pas une inégalité sociale, en droits…Le fait ne fait pas le droit. Mais ne peut-il exister de justes inégalités et une forme d’égalité injuste?