Histoire de la Guerre froide Premier cours : la guerre froide avant la Guerre froide
Plan de cours Premier cours : La guerre froide avant la Guerre froide (1917-1941) Deuxième cours : Les premiers désaccords (1943-1948) Troisième cours : L’apogée de la Guerre froide (1949-1953) Quatrième cours : La Détente I (1953-1964) Cinquième cours : La Détente II (1953-1964)
Sixième cours : Entre tension et détente I (1964-1978) Septième cours : Entre tension et détente II (1963-1978) Huitième cours : Guerre Froide, prise 2 (1978-1984) Neuvième cours : La fin de la Guerre froide (1985-1991) Dixième cours : De la Guerre froide à la Paix froide (1991 à aujourd’hui)
Premier cours : la guerre froide avant la Guerre froide 1 – Introduction : que fut la Guerre froide? 2 – Moscou et le monde (1917-1941)
1 – Que fut la Guerre froide ? Sommairement : un conflit de « faible » intensité entre les deux grandes puissances de la seconde moitié du XXe siècle, au cours duquel ces dernières se sont opposées sur différents champs de bataille, par États interposés. À l’origine un conflit idéologique, mais surtout au cours de la période initiale. Par la suite, la composante idéologique demeure mais revêt surtout l’apparence d’un instrument au service d’un conflit traditionnel, soit une lutte d’influence entre deux États qui ont pour objectif d’assurer la défense de leurs intérêts.
Elle aurait pu dégénérer en guerre dans les premières années consécutives à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sans l’arrivée en 1949 de la bombe soviétique, laquelle met en place la donnée stratégique fondamentale du conflit, soit l’équilibre de la terreur. Même au cours de la période stalinienne, la supériorité stratégique américaine a toujours confiné la bombe soviétique à un rôle de dissuasion. Dès la mort de Staline, les dirigeants soviétiques s’emploient à évacuer le danger d’une guerre ouverte avec les États-Unis.
Mais en même temps, l’URSS a désormais des réflexes de grande puissance et des intérêts partout sur la planète, ce qui la met en compétition avec les États-Unis. Cette contradiction entre la nécessité d’éviter une guerre ouverte et les intérêts géostratégiques de l’URSS va donner à ce conflit ses particularités et rythmer les phases de tension et d’apaisement.
2 – Moscou et le monde (1917-1941) 2.1 – La guerre civile russe : En Occident, la Guerre froide se limite à la période comprise entre la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945) et la chute de l’URSS, même si chez certains auteurs, les dates peuvent varier : 1943 ou 1948 pour le début ; 1985 ou 1989 pour la fin. Pour les historiens russes, la Guerre froide commence avant, avec le refus des gouvernements occidentaux de reconnaître la légitimité du pouvoir bolchévique et surtout, avec l’intervention directe de nombreux États dans la guerre civile russe qui éclate au début de l’année 1918.
Dès le début, les relations entre l’URSS et le monde occidental s’établissent sous le signe d’une grande méfiance réciproque et à ce moment, les éléments idéologiques revêtent une assez grande importance. Conscient du niveau de développement de son pays, Lénine considère, immédiatement après la prise de pouvoir, que la Russie doit s’appuyer sur des États capitalistes pour que son régime puisse survivre : sans révolution mondiale, la RSFSR périra. D’où une première cause de méfiance de l’Ouest envers la jeune RSFSR : entre 1918 et 1921, le régime soviétique cherche à « exporter » la révolution au-delà des frontières et consacre une part des ressources du pays à fomenter des rébellions à l’étranger.
Il y a cependant d’autres causes plus prosaïques, comme le refus du gouvernement bolchévique d’honorer les dettes de l’ancien régime, ou encore la guerre qui se poursuit en Europe et qui pousse les États occidentaux à soutenir une alternative qui favoriserait le retour de la Russie au sein des forces de l’Entente. Pour toutes ces raisons, entre 1918 et 1921, 300 000 soldats étrangers vont combattre aux côtés des forces blanches contre les bolchéviques, et cette intervention va convaincre les chefs bolchéviques que le monde occidental fera tout pour venir à bout du « pouvoir du peuple ». À la méfiance idéologique initiale s’ajoute ainsi un motif bien concret de méfiance qui colorera les relations de l’URSS avec le « monde libre » tout au long de l’existence de celle-ci. Ainsi, il faut garder en tête lorsque l’on étudie les gestes de la diplomatie soviétique de 1918 à 1991, que les dirigeants soviétiques se méfient mortellement de l’Ouest. Plus encore : ils en ont peur.
2.2 – Guerre révolutionnaire ou reconnaissance internationale ? En 1921, l’échec des tentatives de révolution en Europe convainc Lénine que l’Europe n’est pas prête pour la révolution. En attendant des jours meilleurs, la RSFSR doit chercher à réintégrer les structures diplomatiques internationales. Les premiers actes internationaux de la RSFSR sont des traités de paix négociés entre 1920 et 1921 avec les nouveaux pouvoirs d’anciennes composantes de l’Empire russe : Lituanie, Estonie, Lettonie, Finlande, Pologne. En mars 1921, des relations diplomatiques limitées sont établies avec la Turquie, la Perse, l’Afghanistan et la Mongolie. Mais les principaux États du monde lui refusent encore la reconnaissance.
Les impératifs économiques ouvrent la voie à cette reconnaissance : en 1921, la RSFSR signe son premier accord commercial avec le Royaume-Uni, puis avec 10 autres pays, dont l’Allemagne, la Norvège et l’Italie. Entre 1924 et 1925, l’URSS obtient finalement la reconnaissance internationale : le Royaume-Uni établit des relations diplomatiques avec l’URSS en février 1924 avec l’Italie, la Norvège, l’Autriche, la Grèce, la Suède, la France, la Chine et le Mexique. Entre 1921 et 1925, le gouvernement soviétique signe plus de 40 traités de toutes sortes avec les États capitalistes. Enfin en 1933, les États-Unis reconnaissent à leur tour l’URSS.
2.3 - Le nouveau cours de la diplomatie soviétique L’arrivée au pouvoir de Hitler modifie la politique étrangère de l’URSS, qui jusqu’à cette date, considérait tous les pays capitalistes comme des ennemis potentiels. De 1933 à 1939, la politique étrangère de l’URSS est dominée par son implication dans le mouvement antifasciste et sa priorité est de travailler à une union avec les puissances occidentales pour isoler les États fascistes. Les premiers succès de l’offensive diplomatique de l’URSS seront l’établissement de relations diplomatiques avec les États-Unis, ainsi que l’intégration de l’URSS à la Société des Nations.
Mai 1935 : signature d’un accord soviéto-français d’assistance mutuelle, qui reconnaît à l’URSS le droit de ne pas assumer les dettes de l’État tsariste. Mais ce traité est sans grande valeur : d’abord, il ne sera suivi d’aucun accord militaire précis et en outre, la présence de la Pologne entre les deux États rend tout traité d’assistance mutuelle dépourvu de possibilités de réalisation. Puis un traité du même type est signé avec la Tchécoslovaquie. Après la remilitarisation de la Rhénanie, l’URSS propose à la SDN de prendre des mesures contre l’Allemagne Nazie. Mais sa voix n’est pas entendue... Les négociations se poursuivront entre l’URSS et les démocraties occidentales. Mais Londres et Paris hésitent encore quant à l’identité du principal ennemi.
En septembre 1938 se tient la conférence de Munich En septembre 1938 se tient la conférence de Munich. Ses résultats sont connus : les dirigeants occidentaux donnent leur aval à Hitler pour qu’il annexe les Sudètes, en échange d’une promesse de ne pas toucher au reste du pays, même si les Soviétiques font alors clairement savoir aux Tchécoslovaques qu’ils peuvent compter sur eux. Ainsi, outre l’annexion des Sudètes, la conférence de Munich aura un effet funeste pour la suite des choses : à partir de cette date, les Soviétiques se rendent compte de l’impossibilité de monter une large coalition pour contrer la politique d’Hitler. D’autant que peu après, les Britanniques et les Allemands signent une déclaration de non-agression, par lequel ils s’engagent à résoudre leurs différends de façon pacifique. En décembre, la France fait de même.
2.4 – Le pacte Ribbentrop-Molotov et la marche à la guerre En URSS, la suspicion à l’endroit des occidentaux croît considérablement et s’établit la certitude que les Occidentaux cherchent à pousser Hitler à une guerre à l’est Litvinov est alors remplacé par Molotov aux affaires étrangères, avec pour mission d’assurer coûte que coûte la sécurité de l’URSS. Le 15 mars 1939, l’Allemagne envahit Prague et liquide la Tchécoslovaquie. Puis Hitler réclame Gdansk et une partie du territoire polonais. Ce qui exaspère les Franco-Britanniques, qui déclarent garantir l’intégrité territoriale polonaise et se décident enfin à entamer des pourparlers sérieux avec l’URSS. Mais au même moment, Hitler propose à l’URSS d’entamer des négociations pour la conclusion d’un pacte de non-agression.
Maxime Litvinov et Viatcheslav « Molotov » Scriabine
Les négociations avec les Occidentaux s’embourbent et Staline se laisse gagner à l’idée d’un pacte avec l’Allemagne, qui lui permettrait non seulement d’agrandir le territoire, mais surtout, de gagner du temps pour consolider la défense du pays, alors même que les Japonais menacent. Ainsi, à la fin d’août 1939, le monde apprend la conclusion du pacte Ribbentrop-Molotov. Les deux partenaires sont gagnants : Hitler s’assure de ne pas avoir à livrer une guerre sur deux fronts; Staline gagne du temps et des territoires. L’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939 par l’Allemagne permet à l’URSS de faire avancer ses troupes pour récupérer sa part du butin : le 17 septembre, l’URSS s’empare et annexe à la RSS d’Ukraine et à la RSS de Biélorussie la Pologne de l’est.
Ce traité de non-agression est l’un des éléments clés autour duquel s’articulent les diverses argumentations concernant la responsabilité de la guerre. En outre, la politique des « deux fers au feu » suivie par Staline pèsera lourd après la guerre, la diplomatie soviétique étant systématiquement suspectée de duplicité. En août 1939, l’URSS est confrontée à l’alternative suivante : ou bien elle tente d’obtenir des garanties des Occidentaux pour la formation d’une coalition militaire, ou bien elle tente de se protéger dans l’immédiat en signant une entente avec Hitler. La première alternative apparaît suicidaire, Staline étant persuadé que l’Occident lâcherait l’URSS comme il a lâché la Tchécoslovaquie. L’entente avec Hitler, bien que lourde de risques elle aussi, apparaît comme la seule façon de gagner le temps nécessaire au renforcement de l’armée.
Les deux partenaires sont gagnants : Hitler s’assure de ne pas avoir à livrer une guerre sur deux fronts; Staline gagne du temps et des territoires. L’invasion de la Pologne permet à l’URSS de récupérer sa part du butin : le 17 septembre, l’URSS s’empare de la Pologne de l’est. Puis l’URSS impose aux républiques baltes des traités d’assistance mutuelle. En juin 1940, l’URSS exige de la Roumanie la restituer la Bessarabie et la Bucovine du nord. L’URSS réclame aussi des territoires de la Finlande, qui refusent et l’Armée rouge envahit la Finlande. Après des pertes catastrophiques, les Soviétiques s’emparent de Vyborg et la Finlande demande la paix, qui est signée à Moscou le 12 mars et l’URSS.
On a beaucoup critiqué les fameux protocoles secrets, qui ne seront connus que bien plus tard. Mais sans défendre le principe d’un partage de zone d’influence, il faut bien voir que l’URSS et l’Allemagne nazie n’en ont pas le monopole. On n’a qu’à penser à Munich ou au fameux accord en pourcentage proposé par Churchill à Staline en 1943…
2.5 – L’intermède de la guerre Le 22 juin 1941, l’Allemagne nazie et ses alliés déclenchent l’opération Barbarossa et envahissent le territoire de l’URSS, transformant de facto celle-ci en alliée du Royaume-Uni, qui se bat presque seul contre les forces nazies depuis l’été 1940. Malgré son anticommunisme, Churchill manifeste, le jour même de l’entrée des forces allemandes sur le territoire soviétique, son désir de venir en aide à l’URSS. Même s’il faudra un certain temps pour pouvoir concrétiser cette aide, le fait demeure très important, car il constitue un changement d’attitude des Occidentaux face à l’URSS. Cependant, les Soviétiques demeurent méfiants pour deux raisons : toujours prisonnière du schéma idéologique, l’URSS considère cette main tendue comme une simple manifestation du pragmatisme britannique.
Surtout, l’expérience des années 1930 tend à conforter Moscou dans cette opinion et tout au long de la guerre, les Soviétiques craindront que les Occidentaux penchent finalement en faveur d’une paix séparée avec l’Allemagne. L’aide à l’URSS dans les premiers mois de la guerre s’avérera un facteur important. Si le matériel fourni par les Occidentaux n’est pas toujours adaptés, il sera très utile, en attendant que la puissance industrielle soviétique puisse se remettre. L’aide alimentaire fournie par les États-Unis tout au long de la guerre facilitera de même le problème de l’approvisionnement des troupes et de l’arrière soviétique. Malgré cette aide, la méfiance demeure et le recul du péril à partir des grandes victoires de 1943 fera peu à peu éclater cette entente de façade et ressuscitera ce qui pour les Soviétiques, au moins, constitue l’élément fondamental de leurs relations avec les États capitalistes : la confrontation inévitable entre les deux systèmes.