Histoire de l’URSS 1917-1991
2.4 – Politique sociale Dans ce domaine aussi, le brejnévisme marque la fin relative du dynamisme précédent : l’Armée devenant prioritaire, les « investissements sociaux » sont en baisse. Dans la construction, ils sont réduits de 18 % au 8e plan et encore de 15 % au 11e, alors qu’une augmentation était nécessaire. Les indicateurs de développement changent alors radicalement, à cause entre autres de ce sous investissement : l’espérance de vie recule (35e rang au début des années 80), de même que la mortalité infantile (50e rang) La population continuant de croître alors que la production stagne, on assiste à un retour des pénuries et le pays doit alors recourir massivement à l’importation (entre 70 et 87, les importations de viande sont multipliées par 5 ; de poisson par 12, de beurre par 180).
Construction domiciliaire
Croissance des importations de produits alimentaires (1970-1987)
Afin d’équilibrer sa balance commerciale devenue grandement déficitaire (ce qui explique une partie du sous investissement), l’exportation des hydrocarbures se développe, « tiers-mondisant » l’économie soviétique. La part des salaires dans les PIB comparés de l’URSS et des États occidentaux témoigne aussi de cette « tiers-mondisation ». Même en tenant compte de la gratuité d’une multitude de services en URSS, le niveau de vie moyen de la population soviétique au début des années 80 est nettement inférieur à celui de l’Ouest et surtout, il est en baisse par rapport à ce qu’il était dans les années 60. D’où cette conclusion que fera Gorbatchev : le maintien de la superpuissance militaire soviétique s’est fait au détriment du niveau de vie de la population. La structure économique du pays ne permettant pas de faire à la fois un et l’autre, la nomenklatura a choisi sa puissance plutôt que le bien-être de la population.
Croissance des exportations d’hydrocarbures (1960-1985)
Part des salaires dans les PIB de l’URSS, des États-Unis et de la Suède (1985)
3 – La société soviétique 3.1 – Le « socialisme développé » Chaque changement de garde à la tête de l’État entraîne une modification de la ligne idéologique. L’ère brejnévienne remise la construction du communisme pour parler du « socialisme développé » Il s’agit d’un tournant conservateur, d’autant qu’il se conjugue avec le retour de la thèse de l’opposition fondamentale entre les deux systèmes. C’est dès 1967 qu’apparaît dans un discours de Brejnev ce concept de « socialisme développé » : la question nationale est résolue, l’URSS est désormais un État industrialisé et la société soviétique est maintenant « sans classe »…
L’idée communiste n’est pas abandonnée, mais on admet candidement qu’il faudra beaucoup de temps. La schizophrénie stalinienne fait alors un retour en force : plus les choses vont mal, plus on dit qu’elles vont bien. Tout cela va de pair avec le développement d’une paranoïa étatique dirigée non plus contre l’ennemi de classe, mais contre l’influence occidentale. Cela sert à justifier les dépenses militaires et à maintenir un important appareil répressif. La justification de cet état de fait (plus le socialisme se développe, plus la lutte s’intensifie) est soulignée dans la constitution. Le fossé se creuse donc entre la rhétorique et la réalité, alimentant le scepticisme et le cynisme de la population et favorisant le développement des mouvements dissidents et oppositionnels. Surtout qu’en 1982, Andropov dit que le système a atteint une sorte de plateau et qu’il restera à ce niveau longtemps…
3.2 – La dissidence - Apparue véritablement sous Khrouchtchev, cette dissidence était cependant demeurée embryonnaire. Elle se développe pleinement sous Brejnev. D’abord passive, elle prendra des formes de plus en plus actives. C’est dans la foulée du « socialisme à visage humain » qu’elle prend véritablement son envol sous la forme d’organisations informelles et illégales vouées à la défense des droits humains, de ceux des minorités, etc. En 1969 apparaît la première organisation civile autonome, le Groupe pour la défense des droits humains, dirigée par le double nobel Sakharov. En 1976, suite à l’accord d’Helsinki, un autre groupe se forme pour se faire le chien de garde du respect des accords. L’opposition « légaliste » est née : sans remettre en question le système, ses membres insistent pour que le gouvernement respecte les lois de l’URSS. Cela fonctionne d’ailleurs assez souvent.
À la fin des années 70, le pouvoir perd patience et s’en prend à ces organisations, dont les membres sont arrêtés et condamnés. D’autres formes de protestation, de dissidence et d’opposition se développent à la même époque, dont les défenseurs de l’environnement. En 1969, un groupe d’officiers de la flotte baltique fonde l’Union de lutte pour les droits démocratiques, ce qui entraîne une série de mutineries. Les samizdat (autopublications) et les magnitizdat (enregistrements clandestins) essaiment partout dans la société. De grands auteurs recourent à ce système (les œuvres de Soljenitsyne seront distribuées de cette façon, de même que celles de Vladimir Vysotski). Apparaît aussi la musique rock, condamnée par le régime comme une manifestation de l’influence de l’occident dégénéré. Quant à la majorité de la population, qui ne fait pas partie de ces mouvements, mais qui sympathise souvent avec eux, c’est par son inertie qu’elle s’oppose au régime.
4 – Politique étrangère soviétique (1964-1982) 4.1 – Les relations est-ouest Au milieu des années 60, la position internationale de l’URSS est difficile : l’unité du camp socialiste a volé en éclat, les relations avec l’Occident se tendent autour de la question vietnamienne et la main tendue vers le tiers-monde tarde à apporter des résultats. La course aux armements se développe, augmentant la tension entre les deux supergrands. D’autant que l’URSS atteint au début des années 70 la parité stratégique et qu’elle prend ensuite de l’avance. Un rapprochement est tenté en 1969, l’OTAN répondant favorablement à une proposition du pacte de Varsovie visant la résolution des litiges européens.
En août 1970, l’URSS signe avec la RFA un traité devant conduire à l’acceptation des frontières de l’après-guerre. Suivent d’autres ententes entre la RFA et les démocraties populaires, mais aussi entre celles-ci et la RDA. Décembre 1971 : signature d’un accord-cadre entre les trois alliés de la guerre, plus la France, par lequel les parties s’engagent à résoudre pacifiquement le problème de Berlin-Ouest. Puis survient aussi la visite de Richard Nixon à Moscou, la première du genre depuis celle de Roosevelt à Yalta. SALT-1 est alors signé, de même qu’un traité interdisant le déploiement de systèmes antimissiles hors des territoires des capitales. L’ouverture des pourparlers d’Helsinki semble marquer définitivement la fin de la guerre froide.
4.2 – Helsinki et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération eu Europe Sans doute l’événement international le plus important de l’ère brejnévienne, la conférence d’Helsinki prend fin le 1er août 1975 avec la signature des accords du même nom entre l’URSS, les États-Unis, le Canada et tous les pays d’Europe, et la naissance de l’OSCE. Tous les États signataires s’engagent à résoudre leurs différends de façons pacifiques. Sept principes en constituent la base : 1 – égalité des États signataires; 2 – refus de la force; 3 – intangibilité des frontières; 4 – intégrité territoriale; 5 – non-ingérence dans les affaires intérieures des États ; 6 — recours à la négociation pour régler les différends; 7 – respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le traité sera ratifié par l’URSS en 1977 et constitue une grande victoire pour les pacifistes. Il ouvre la voie à la conclusion de SALT-2 en 1979. Les dirigeants soviétiques pavoisent : ils ont réussi à faire valoir les principes d’intangibilité des frontières et d’intégrité territoriale, qui sanctionnent la division de l’Europe, même s’ils ont dû faire des concessions quant au respect des libertés fondamentales. Cependant, les deux mondes comprennent les accords différemment, lesquels seront utilisés par les supergrands pour consolider leur pouvoir. Les États-Unis utilisent l’accord pour lancer une campagne contre l’URSS qui viole sa signature quant au respect des droits de l’homme et ce faisant, ils violent à leur tour le principe de non-ingérence… L’URSS répliquera en accélérant le déploiement de missiles braqués sur l’Europe de l’Ouest. L’entrée des Soviétiques en Afghanistan et l’élection de Ronald Reagan relanceront alors la guerre froide.
4.3 – Conflits régionaux Au milieu des années 60, la tension monte en plusieurs points du globe, où les deux puissances s’affrontent par clients interposés. C’est le cas au Vietnam (1964-1975), où les Soviétiques fournissent au Vietnam Nord une aide multiforme dans leur combat contre les États-Unis. À partir de la guerre de six jours, l’URSS met tout son poids à soutenir les régimes arabes contre Israël. Dans le sous-continent indien, le Pakistan est appuyé par les États-Unis, alors que l’Inde est soutenue par l’URSS. En Afrique, la compétition des deux blocs transforme les guerres d’indépendance de l’Angola, du Mozambique et de la Guinée-Bissau en guerres civiles, l’URSS soutenant les formations marxistes, les États-Unis appuyant les partis libéraux. Dans les deux premiers cas, les Soviétiques remportent la mise.
Même scénario en Éthiopie, où la victoire des prosoviétiques lance la mise en place d’un système calqué sur l’URSS. Jusqu’à la zone sud-américaine, chasse gardée des États-Unis, qui subit l’influence soviétique. En 1979, au Nicaragua, les sandinistes viennent à bout de Samoza et un gouvernement prosoviétique s’installe. Ainsi, partout dans le monde au cours de la décennie 70, l’URSS voit son influence croître. Ce phénomène n’est pas étranger à l’élection de Ronald Reagan en 1979, dans la foulée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Il s’agit là d’une conséquence de la crise cubaine des années 60 : les dirigeants des deux puissances ont alors compris qu’un conflit ouvert, compte tenu de leur parité stratégique, conduirait à leur anéantissement réciproque. D’où cette multiplication des conflits régionaux, dans lesquels Moscou et Washington tirent les ficelles.
4.4 – Le camp socialiste En Europe de l’est, l’ère brejnévienne est marquée par le rejet de plus en plus clair des régimes par les populations. Cette fois, c’est en Tchécoslovaquie que les choses dérapent. L’arrivée à la tête du PC d’Alexandre Dubcek, jeune réformateur slovaque, lance la crise : il propose un programme radical de transformation du pays, visant la démocratisation du système et l’amélioration des conditions de vie. C’est ce qu’il nomme le « socialisme à visage humain » et qui deviendra le Printemps de Prague. À Moscou, et surtout dans les autres capitales d’Europe de l’Est, on s’inquiète. Brejnev défend d’abord Dubcek, mais devant certaines de ses réformes et surtout sa volonté de prendre ses distances avec le camp, son mouvement est qualifié d’antisocialiste.
En août 1968, les troupes du pacte de Varsovie (moins la Roumanie) entrent en Tchécoslovaquie pour écraser le Printemps de Prague. Cette action accentue la fracture au sein du bloc. Autre conséquence : elle incite Moscou à accroître l’intégration économique et politique de ses vassaux. Cela conduit à l’élaboration de la doctrine de « souveraineté limitée », ou doctrine Brejnev. Malgré tout, la situation continue d’échapper au contrôle de Moscou. En 1970, la Pologne est de nouveau en crise. Des manifestations de grande ampleur conduisent à l’apparition de Solidarnosc, premier syndicat indépendant de l’Europe de l’Est, dirigé par Lech Walesa. Cela ne met cependant pas fin à la crise et en 1981, le général Jaruzelski prend le pouvoir et interdit le syndicat, qui continuera cependant son travail de sape et jouera un rôle important en 1989.
Tout au long de la décennie 70, Albanie, Yougoslavie, Roumanie, Corée du Nord et Chine prennent de plus en plus leur distance avec l’URSS, qui se voit reprocher son « social-impérialisme ». Pour ces États, la différence entre l’impérialisme américain et soviétique est de moins en moins évidente. Avec la Chine, les choses vont si mal qu’un conflit armé menace d’éclater à la fin des années 60 au sujet de leur frontière. L’appui des Soviétiques aux Vietnamiens en 1979 dans sa guerre défensive contre la Chine n’arrange rien. Bref, au début des années 80, les systèmes socialistes sont très mal en point et seule l’expansion soviétique ailleurs dans le monde permet de donner le change. L’Occident n’a alors d’yeux que pour la puissance militaire soviétique et ne voit pas que l’URSS entame sa course vers l’abîme.
Huitième cours : les réformes gorbatchéviennes et la fin de l’URSS (1984-1991) 1 – Ouskorenie : les prémisses des réformes 2 – Glasnost : le retour de la société civile 3 – Perestroïka : l’ultime tentative économique 4 – Democratisatia : la fin du modèle léniniste 5 – Novoe mychlenie : l’agonie soviétique et le monde 6 – La fin
1 - Ouskorenie : les prémisses des réformes 1.1 – Préhistoire des réformes Iouri Andropov, chef du KGB, succède à Brejnev en 1982. Père spirituel de Gorbatchev, son court règne de 15 mois sera marqué par une lutte intense contre la corruption et l’alcoolisme, deux éléments qui seront repris par Gorbatchev. Mais il refuse de toucher aux fondements du système. En février 1984, Tchernenko, qui avait été le bras droit de Brejnev, succède à Andropov et le conservatisme fait un bref retour, jusqu’à sa mort, alors que Mikhaïl Gorbatchev lui succède à la tête du parti.
1.2 – L’accélération En droite ligne avec l’andropovisme, le plénum du CC d’avril 1985 lance le slogan de « l’accélération » : 1 – développement technique et scientifique 2 – rééquipement et modernisation de l’industrie 3 – appui sur le « facteur humain » Le principe soutenant cette politique étant que les bases du système sont saines, qu’il suffit de retourner à « l’essence du léninisme » et de développer le pays dans ce cadre. Autre emprunt à Andropov, une vaste campagne contre l’alcoolisme est alors lancée, avec des effets désastreux pour les finances de l’État et sans grand succès dans la lutte contre l’ivrognerie.
La campagne de « l’accélération » n’aura pas plus de succès que les autres du même genre. Pire encore, la pression exercée sur les ouvriers et l’appareil productif, conjuguée à la détérioration des équipements, va entraîner des accidents, dont celui d’avril 1986 à Pripiat (Tchernobyl). Si bien qu’un an après le lancement de la campagne, les dirigeants les plus avisés admettront l’impossibilité de relancer le système par les méthodes traditionnelles et qu’un programme de réformes fondamentales est nécessaire. Ce sera la perestroïka.
2 – Glasnost : le retour de la société civile 2.1 – Timide ouverture Tchernobyl agit ici comme un catalyseur. Suite à cette démonstration de l’incurie des autorités, Gorbatchev se convainc de la nécessité de changer le rapport pouvoir-population. Cette politique de « glasnost », d’abord modeste (quelques changements cosmétiques) est dans un premier temps accueillie avec scepticisme par la population. En gros, elle consiste pour le régime à admettre publiquement que tout n’est pas rose. Mais malgré les rappels du parti, à l’effet qu’il s’agit de permettre la critique des insuffisances du système, et non de remettre en question ses bases, le phénomène prendra rapidement de l’ampleur.
2.2 – Le flot Rapidement, cette timide ouverture deviendra un torrent qui ébranlera de façon irrémédiable le système. Il y eut toujours une société soviétique autonome, même sous Staline. La peur la maintenait dans l’ombre. La mort de celui-ci change tout et cette société civile va peu à peu prendre beaucoup de place au plan économique et selon les époques, aux plans culturel et artistique. Puisqu’on lui en donne la possibilité désormais, elle va pouvoir s’exprimer au grand jour. Les conversations de cuisine vont désormais apparaître à la une des journaux. Première victime : la période stalinienne et conséquemment, l’histoire officielle.
Dès la fin de 1986, la puissance du Glavlit recule, et son rôle se limite désormais à protéger les secrets d’État. Dans ce contexte, même des ouvrages critiquant Lénine seront publiés (comme Vie et destin de Grossman). Après la littérature, l’ensemble des autres domaines artistiques est touché. Les journaux et revues jouent un rôle très important dans ce processus, surtout ceux qui ont déjà un passé oppositionnel comme Ogoniok et Novy mir. Réputée apolitique, la population soviétique est alors passionnée par les processus politiques : elle suit avec attention les débats parlementaires, se remet à lire les journaux, etc.
2.3 – Les effets pervers Un régime autoritaire devient particulièrement instable lorsqu’il tente de se réformer. C’est alors ce à quoi on assiste en URSS. La révision de l’histoire officielle du pays va bouleverser les perceptions, entraînant une remise en question des dogmes et des certitudes et déstructurant la société soviétique. En ce qui concerne la question nationale, les effets de la glasnost seront dévastateurs. La constitution brejnévienne avait déclaré résolu ce problème, mais il n’était qu’écrasé par le poids du régime. La glasnost permet ainsi le retour des antagonismes nationaux.
Éclatent alors les conflits du Haut-Karabakh, de l’Abkhazie, de la Transnistrie, pour ne nommer que les plus sanglants. Les peuples déportés par Staline réclament leur droit au retour, ce qui créé des tensions, surtout en Crimée et dans le Caucase. Chez les Baltes, la révision historique entraînera la remise en question de l’appartenance de ces territoires à l’URSS. C’est d’ailleurs de cette zone que commencera le processus de désintégration.
3 – Perestroïka : l’ultime tentative économique 3.1 - La réforme de 1987 Afin d’élaborer les réformes, Gorbatchev décide de s’appuyer sur le rapport de Novossibirsk, élaboré dans la première moitié des années 80 par d’éminents académiciens, et qui faisait le diagnostic des problèmes du système, tout en proposant des moyens pour y remédier. C’est ce qui donnera naissance à l’ensemble des mesures connues sous le nom de perestroïka :
Application des principes d’autogestion et d’autofinancement dans les unités de production; Introduction graduelle du secteur privé; Abolition du monopole de l’État sur le commerce intérieur; Intégration plus poussée de l’économie soviétique à l’économie mondiale; Diminution du nombre et de la puissance des organes dirigeants; Ouverture du secteur agricole au privé et égalité juridique de 5 formes d’exploitations agricoles (kolkhozes, sovkhozes, combinats agraires, coopératives et fermes privées.) Le programme est adopté à l’été 1987, en même temps que la loi sur les entreprises d’État, octroyant plus d’autonomie à celle-ci, qui entrera en vigueur en janvier 1989.
Mais les conservateurs demeurent puissants et imposent diverses mesures qui nuiront à l’efficacité des réformes : Les commandes d’État aux entreprises demeurant prioritaires, celles-ci seront si importantes que peu d’entreprises parviendront à offrir leurs services à d’autres clients. Les prix sont toujours fixés par le centre; Malgré leur faible impact sur les entreprises d’État, les réformes de 1987 permettront la formation d’une économie légale hors de l’État. En 1988, une loi permet au secteur privé d’offrir ses services pour une trentaine de produits et services, afin de suppléer aux déficiences de l’État. À la fin de 1990, 8 millions de Soviétiques seront impliqués dans cet embryon de secteur privé. Disposant des moyens et des contacts nécessaires, la nomenklatura sera surreprésentée dans ce nouveau secteur économique.
3.2 – Seconde étape des réformes À partir de 1989, devant la faiblesse des progrès enregistrés, Gorbatchev s’oriente de plus en plus vers une transition vers l’économie de marché, suscitant l’opposition des plus conservateurs encore en poste. Au Soviet suprême en 1990, Gorbatchev lance ce nouveau train de réformes qui s’illustrera par plusieurs lois : accroissement de la présence du secteur privé, décentralisation accélérée du secteur étatique, loi encadrant la création de sociétés par actions, etc. Pris entre les conservateurs et les réformistes, soucieux des conséquences sociales des réformes (dont le chômage), Gorbatchev veut procéder lentement, ce qui retardera les effets des réformes, aggravera la crise économique et déstabilisera davantage le pouvoir.
La question agraire pose ici particulièrement problème, comme d’habitude. La réforme sera en demi-teinte et conséquemment inefficace. Au lieu d’une privatisation des terres, un complexe système de rachats ou de beaux sera mis en place, sans parvenir à relancer la production. Ainsi, pleine de compromissions, ces réformes s’avèrent inefficaces. À partir de 1988, la croissance de la productivité agricole devient négative, puis c’est au tour de celle de l’industrie en 1990. Cela entraîne le rétablissement des coupons de rationnement, un emballement de l’inflation, une explosion du déficit public et un effondrement des réserves d’or et de devises du pays. Le scepticisme s’installe de nouveau, mais cette fois, dans un contexte d’ouverture politique : la population se détourne peu à peu de l’URSS, plaçant ses espoirs dans les gouvernements des républiques.
3.3 – Le programme des 500 jours. Ce déplacement des pouvoirs du centre vers les républiques s’illustrera par l’adoption d’un programme radical de réformes en RSFSR, qui propose des privatisations massives et donc la fin du contrôle du centre fédéral sur l’économie russe. Cela est bien sûr inacceptable pour le pouvoir fédéral et une sourde lutte s’installe entre les deux pouvoirs de Moscou (fédéral et républicain). Il n’est pas encore question de briser l’union, mais l’échec des tentatives de conciliation met en évidence des perceptions radicalement différentes. Dès lors, pour les républiques, la question n’est plus de réformer le système économique, mais de l’abattre, pour en construire un nouveau. Et cela n’est possible que dans le cadre de changements politiques majeurs. Après décembre 1991, ce programme des 500 jours sera à l’origine de la thérapie de choc du gouvernement Eltsine.
4 – Democratisatia : la fin du modèle léniniste 4.1 – La révolution des cadres La nouvelle équipe dirigeante arrive au pouvoir sans avoir une idée très claire de ce qu’il convient de faire. Néanmoins, Gorbatchev arrive très rapidement à la conclusion que l’état déplorable du pays tient beaucoup au brejnévisme et au premier chef, au dogme de la stabilité des cadres. En 1987, un plénum du CC décide que les questions relatives aux cadres dirigeants devront être résolues en fonction de l’attitude des dirigeants envers les réformes. Entre 1985 et 1990, le personnel dirigeant est remplacé comme jamais dans l’histoire du pays. Mais Gorbatchev et son équipe savent que cela ne suffit pas. En parallèle aux réformes économiques apparaît alors la nécessité de réformes politiques.
4.2 – La réforme de 1988 Lors du plénum de janvier 1987, les lignes directrices de cette réforme politique majeure, visant à démocratiser le parti et la machine politique, sont tracées : 1 – système électif pour le choix des secrétaires du parti; 2 – introduction du scrutin secret; 3 – élections des cadres des entreprises. À l’été 1988, lors de la XIXe conférence du parti, il est décidé de tenter de concilier socialisme soviétique et libéralisme politique : mise en place d’un État de droit, séparation des pouvoirs et création d’un parlementarisme soviétique.
Un nouvel organe de pouvoir sera ainsi créé, le Congrès des députés du peuple. Le Soviet suprême sera transformé en assemblée parlementaire permanente et un poste de président de l’URSS sera mis en place. Auparavant essentiellement décoratif, le Soviet suprême devient à partir de 1988 un véritable centre du pouvoir. Ses 544 délégués sont élus par les 2 250 députés du Congrès (dont le tiers est désigné par le parti, les syndicats et autres organisations sociales, le reste étant élu au suffrage universel sur une base territoriale, pour un mandat de 5 ans). Outre l’élection des membres du Soviet suprême et du président, le Congrès détient un certain pouvoir législatif. Malgré certaines faiblesses, il s’agit d’une réforme radicale, qui rompt avec la tradition politique. Élu le 15 mars 1990 président de l’URSS, Gorbatchev parvient à marginaliser le Politburo, qui ne s’occupe plus désormais que du parti : l’État est désormais distinct de ce dernier.
4.3 – Vers le pluralisme et l’État de droit Gorbatchev met ainsi en place les conditions nécessaires à l’apparition d’une véritable opposition, beaucoup plus radicale que lui. Dès 1988, les bases de l’État de droit sont posées, surtout lorsque le pouvoir judiciaire obtient une véritable indépendance et devient le chien de garde la constitution. Le PCUS étant très affaibli, un véritable multipartisme devient inévitable. En mai 1988 apparaît l’Union démocratique, vaste regroupement d’intérêts divergents, mais qui partagent une volonté de radicaliser les réformes politiques et économiques.
Des fronts nationaux apparaissent d’abord dans les républiques baltes dès 1988, puis dans l’ensemble des républiques. Puis vient l’explosion : les partis libéraux s’organisent (Parti démocratique de Russie, Parti républicain de la fédération de Russie, Parti Russie démocratique), de même que la gauche (Confédération anarchosyndicaliste, Union révolutionnaire des anarchos-communistes), et les nationalistes, pour ne nommer que ceux de la RSFSR. Ainsi, on en revient à la situation de 1917, quand les deux principales forces politiques du pays étaient les libéraux et les communistes, ceux-ci prônant le maintien du système alors que les premiers défendent la privatisation, l’économie de marché et un véritable système parlementaire.
5 – Novoe mychlenie : l’agonie soviétique et le monde 5.1 – La nouvelle doctrine soviétique et le désarmement Dès sa prise de fonction, Gorbatchev manifeste son désir de repenser la doctrine internationale de l’URSS, en la faisant reposer sur des bases entièrement nouvelles : 1 – rejet du dogme de l’opposition fondamentale entre les deux systèmes; 2 – reconnaissance de l’unité du monde; 3 – reconnaissance de l’impossibilité de régler les conflits par la force; 4 – reconnaissance de la nécessité de régler les conflits en tenant compte des intérêts de tous; 5 – abandon de l’internationalisme prolétarien; 6 – primauté de l’individu sur les classes, nationalités, etc.
Rien de neuf dans ces principes, qui constituent la base du pacifisme depuis Kant, la nouveauté étant que l’URSS en fasse les bases de sa politique étrangère. Pour bien marquer le changement, Chevardnadze succède alors à Gromyko. Trois axes seront ainsi élaborés : 1 – Normalisation des relations est-ouest par le biais du désarmement; 2 – élimination des conflits régionaux; 3 – établissement des relations diplomatiques envers les différents États sans tenir compte de leur système politique.
Dans les relations soviéto-américaines, cela se traduit par des rencontres bilatérales annuelles, qui donneront des résultats très concrets, autant en ce qui concerne le désarmement, qu’au plan politique ou économique. À partir de 1988, les dogmes idéologiques sont remplacés par un pragmatisme assumé, les difficultés économiques soviétiques poussant l’URSS à se rapprocher de l’Occident. En 1987, le pacte de Varsovie propose à l’OTAN une fusion des structures à terme. En 1989, l’URSS réduit unilatéralement ses forces armées de 500 000 hommes et retranche 15 % à son budget militaire. Ces différentes actions détendent instantanément les relations internationales et permettent d’enterrer la guerre froide.
5.2 – Conflits régionaux et effondrement du glacis soviétique — Le rapprochement soviéto-américain permet de résoudre de nombreux conflits régionaux. En 1987, Reagan coupe les vivres aux moudjahiddines, permettant à l’URSS de se désengager : le 15 février 1989, les dernières forces soviétiques quittent l’Afghanistan. À la même époque, les forces soviétiques quittent la Mongolie et l’URSS fait pression sur le Vietnam pour mettre un terme à sa présence au Cambodge, tout cela afin de normaliser les relations sino-soviétiques. En juin 1989, des relations normales sont rétablies entre les deux pays. La pression soviétique conduit aussi à la conclusion des accords de Madrid en 1991, calmant le jeu au Proche-Orient. L’URSS se « retire » de même des conflits en Angola, au Mozambique, au Nicaragua, etc., permettant une normalisation de la situation dans ces pays.
Crise économique oblige, l’URSS limite alors son aide internationale à 1 % de son PIB. L’URSS lâche de même des dictateurs peu fréquentables (comme Saddam Hussein), préparant le terrain à l’attaque américaine sur l’Iraq en 1991, qu’elle approuve au Conseil de sécurité. En Europe de l’Est, ce retrait est encore plus évident, compte tenu de la débandade des régimes en place : Pologne, puis Tchécoslovaquie, RDA, Hongrie et Bulgarie. En décembre 1989, Ceausescu est renversé par ses propres lieutenants.
— Toujours en 1989, un référendum engage le processus de réunification de l’Allemagne, qui survient en 1990. Mongolie et Vietnam s’engagent sur la voie des réformes. En Europe de l’Est, les nouveaux gouvernements lancent des processus de réformes radicales, visant ainsi à s’éloigner de l’URSS et à se rapprocher de l’Occident et de l’OTAN. La rupture des liens économiques avec ces pays va accroître les difficultés de l’URSS. Enfin, au printemps 1991, le COMECON et le Pacte de Varsovie sont officiellement dissous.
5.3 – Conséquences et résultats La conséquence la plus évidente, c’est bien sûr la fin de la guerre froide. Le rapprochement est-ouest conduit alors à un véritable désarmement de l’Europe et la destruction d’une partie importante des arsenaux américains et soviétiques. De même, les États est-européens, ainsi que l’URSS, s’intègrent de plus en plus aux structures économiques et politiques internationales. Avec pour principal résultat le changement de la structure des rapports de force, la fin de la bipolarité et le développement de l’hégémonie américaine. Au plan intérieur, le recul stratégique du pays affaiblit le prestige du régime et provoque des crises importantes en Asie centrale et dans le Caucase.
Pour le tiers-monde, la conséquence est double : d’une part, le retrait soviétique va faciliter le règlement de certains conflits, mais d’autre part, ce retrait va aussi affaiblir la position internationale de ces États, qui ne pourront plus alors faire monter les enchères et jouer une puissance contre l’autre. Enfin, les héritiers russes de l’URSS (qui récupéreront l’ensemble des attributs internationaux de l’URSS) devront repenser complément la posture stratégique du pays, toujours très puissant militairement, mais dorénavant très faible politiquement et économiquement.
6 – La fin Le 11 mars 1990, le Soviet suprême de la RSS de Lituanie proclame l’indépendance de la république, bientôt suivie par la Lettonie et l’Estonie. Le 12 juin, la RSFSR proclame son autonomie, puis sera imitée par l’ensemble des républiques. Le 17 mars 1991, lors d’un référendum sur le maintien de l’union, le oui l’emporte très largement. Les dirigeants de l’Union et des républiques s’emploient alors à élaborer un nouveau traité d’union qui aurait maintenu celle-ci, tout en octroyant une très large autonomie à ses composantes. En juin 1991, la RSFSR porte à la tête de la république Boris Eltsine, élu au suffrage universel. La signature de ce traité devait avoir lieu le 20 août 1991.
La veille, alors que Gorbatchev est en congé dans le sud, les conservateurs mettent sur pied un Comité d’Urgence, qui déclare l’état d’urgence sur tout le territoire, proclame le retour à la structure du pouvoir de la constitution de 1977, interdit tous les partis, reprend le contrôle des médias et fait intervenir l’armée à Moscou. Boris Eltsine dirige la riposte : s’adressant directement à la population (grâce à l’appui des médias), le président russe condamne le coup d’État et rejette les décrets du Comité. Des dizaines de milliers de Moscovites descendent dans la rue. Gorbatchev rentre à Moscou le 21 et condamne les putschistes qui, complètement isolés, sont mis en état d’arrestation, entraînant l’échec du coup d’État. Pour Eltsine, c’est une grande victoire, mais pour Gorbatchev, c’est une défaite. C’est dès lors la fin du PCUS, qui est interdit sur le territoire de la RSFSR.
Gorbatchev tente de relancer les négociations sur le traité d’union, mais il n’est pas suivi par les dirigeants républicains, échaudés par le coup. En septembre, suite à un référendum, l’Ukraine proclame son indépendance. Les dirigeants républicains s’associent alors, sans le pouvoir fédéral, dans le but d’assurer une transition calme. Le 8 décembre 1991, les présidents russe, ukrainien et biélorusse mettent sur pied la CEI, confédération très vague, et invitent les autres dirigeants républicains à s’y joindre. La semaine suivante, réunies à Alma-Ata, 11 des 15 républiques entérinent l’accord sur la CEI. L’URSS est morte. Le 25 décembre 1991, constatant que « l’URSS n’existe plus », Mikhaïl Gorbatchev démissionne de son poste de président, mettant un point final à l’expérience soviétique.