Conscience et représentationnalisme Magistère de philosophie contemporaine Atelier d'introduction à la philosophie de l'esprit
Deux dimensions du mental Qualia Pas de Qualia Représentationnel/ intentionnel expériences perceptives imagerie mentale certaines émotions croyances, désirs, intentions, pensée conceptuelle Nonreprésentationnel/ non-intentionnel sensations brutes, douleurs, humeurs le monde purement physique Deux types distincts de propriétés des états mentaux: propriétés qualitatives (ou phénoménales) et propriétés représentationnelles.
Démystifier la conscience phénoménale: les stratégies représentationnelles Les approches représentationnelles ne nient pas l'existence de la conscience phénoménale ou des qualia mais nient leur irréductibilité. La conscience phénoménale est un type de fait représentationnel. Deux types d'approches représentationnelles: verticale et horizontale Stratégie verticale: rendre compte de la conscience phénoménale en termes métareprésentationnels Stratégie horizontale: montrer que les propriétés qualitatives de nos expériences ne sont rien d'autre que des propriétés représentationnelles. 18
Quelques rappels terminologiques Etat de conscience: Cette notion renvoie à l'usage que l'on fait du mot conscient lorsque l'on dit d'un organisme qu'il est conscient. (creature-consciousness) Un organisme peut être dit conscient en un sens intransitif s'il est en état d'éveil et réceptif aux stimulations externes ( endormi, évanoui, dans le coma, …) Un organisme peut-être dite transitivement conscient s'il est conscient de quelque chose qu'il perçoit ou conçoit. Etat conscient: On peut aussi dire d'un état mental qu'il est conscient (state-consciousness) et distinguer des pensées, croyances ou désirs conscients ou inconscients. On peut se demander s'il existe des sensations ou perceptions inconscientes. Si un état mental est conscient, il est intransitivement conscient.
Questions pour les théories représentationnelles Qu'est-ce qui distingue les états mentaux intransitivement conscients de ceux qui ne le sont pas? Quel est exactement le rapport entre le fait qu'une personne soit transitivement consciente de quelque chose et le fait qu'un état mental soit intransitivement conscient? Les théories horizontales et verticales n'apportent pas exactement les mêmes réponses à ces questions.
Théories métareprésentationnelles de la conscience phénoménale La stratégie générale: Une croyance, une perception ou une douleur ne sont conscientes que pour autant que le sujet a simultanément une représentation d'ordre supérieur de cet état mental de premier ordre. "Conscious states are simply mental states we are conscious of being in. And, in general, our being conscious of something is just a matter of having a thought of some sort about it. Accordingly, it is natural to identify a mental state's being conscious with one's having a roughly contemporaneous thought that one is in that mental state" (Rosenthal)
Théories métareprésentationnelles de la conscience phénoménale Principe du lien entre conscience individuelle transitive et conscience d'état intransitive: Un état mental M chez un sujet S est un état conscient si et seulement si S a conscience de M. Principe méta-représentationnel: Un sujet S a conscience de M si et seulement si il est dans un état mental (d'ordre supérieur) M' qui représente M ou le fait que S est dans l'état M.
HOP et HOT On peut distinguer deux types d'approches métareprésentationnelles, selon qu'elles considèrent que les métareprésentations qui sont impliquées lorsqu'un état est conscient sont : des pensées d'ordre supérieur (Higher-Order Thoughts HOT) des perceptions (ou expériences) d'ordre supérieur (Higher-Order Perceptions HOP). Locke: "Consciousness is the perception of what passes in man's own mind". Version HOT: pour qu'une expérience d'un sujet soit consciente, il faut que le sujet croit, sache, juge ou se représente conceptuellement d'une manière ou d'une autre cette expérience (Armstrong, Lycan) Version HOP: une expérience est consciente si nous en avons une perception (et donc une expérience) d'ordre supérieur.Il n'est pas nécessaire que nous ayons une représentation conceptuelle de cette expérience. On peut donc avoir conscience d'une expérience sans savoir ou croire qu'il s'agit d'une expérience (Rosenthal).
Objections à la stratégie métareprésentationnelle Objection 1: Y-a-t-il un sens à parler de douleurs ou de sensations inconscientes? Une théorie métareprésentationnelle opère une distinction entre un état mental et une représentation d'ordre supérieur de cet état qui permet qu'il soit conscient. Elle doit donc admettre que les états mentaux expérientiels qui ne sont pas accompagnés de métareprésentations sont inconscients. Or l'idée de sensations, perceptions ou douleurs inconscientes paraît contre-intuitive. Réponse: (a) Du point de vue de l'expérience ordinaire, l'existence de sensations inconscientes n'est pas si dénuée de plausibilité. (b) L'idée de sensations ou douleurs inconscientes n'est incohérente que si l'on suppose que ces états ont purement qualitatifs (qu'il n'y a rien d'autre dans une douleur ou une sensation que l'effet que cela fait). Si on admet qu'elles ont aussi des propriétés représen-tationnelles ou un rôle fonctionnel, l'idée n'est plus incohérente. 29 29
Objections à la stratégie métareprésentationnelle Objection 2: Il n'est pas suffisant qu'une personne forme une pensée d'ordre supérieur sur un état mental de premier ordre pour que celui-ci puisse être dit conscient. Supposons que je sois en colère, mais n'en aie pas conscience et qu'observant mon comportement vous me disiez que je suis en colère. Ayant confiance en votre jugement, je vous crois, pourtant je n'éprouve toujours pas consciemment de colère. Dans ce cas je suis conscient que je suis en colère, mais ma colère n'est pas un état conscient. Réponse (Rosenthal): Les états conscients sont des états dont nous sommes introspectivement conscients; la conscience introspective ne reposant ni sur des inférences (conscientes) ni sur des observations. 29 29
Objections à la stratégie métareprésentationnelle Objection 3: contre versions HOP de la théorie métareprésentationnelle Supposons qu'un sujet S soit assis à son bureau avec juste en face de lui une tasse de café. Toutes les conditions sont normales, S va se trouver dans un état visuel V [tasse droit devant] Selon la théorie HOP, S aura une expérience visuelle consciente s'il a une perception de second-ordre de son état visuel V. En quoi le fait pour S d'avoir une perception (donc une expérience) de second ordre de son état visuel V dont le contenu est [tasse droit devant] consiste-t-il? 3 options: 1. S a expérience de la tasse devant lui, tout simplement 2. S. a l'expérience de son état visuel V (de V en tant que l'état interne qui est le véhicule de la représentation de la tasse) 3. S a l'expérience du fait qu'il a un état visuel V, qui a pour contenu [tasse droit devant] 29 29
Objections à la stratégie métareprésentationnelle Objection 3 (suite): Selon l'option 1, S a expérience de la tasse devant lui, tout simplement. Cette option n'est pas acceptable par les partisans de HOT puisqu'elle abolit la distinction entre perception de premier ordre et perception de second ordre Selon l'option 2, c'est l'objet interne (l'état visuel S) qui est l'objet de la perception d'ordre supérieur. Si l'on est matérialiste, cela revient à considérer que les objets de la perception d'ordre supérieur sont des états cérébraux et leurs propriétés physiques intrinsèques. Mais une perception d'un état cérébral, même si celui-ci est le véhicule d'une expérience visuelle, ne produit pas une expérience de cette expérience en tant qu'expérience. Selon l'option 3, le sujet devient conscient de son état visuel en formant une pensée sur ce dont il fait l'expérience, mais si l'on choisit cette option, HOP ne se distingue plus de HOT. 29
Objections à la stratégie métareprésentationnelle Objection 4: contre versions HOT de la théorie métareprésentationnelle. Intuitivement, nous sommes enclins à accorder une conscience phénoménale à des créatures auxquelles nous ne voudrions pas attribuer de capacités conceptuelles ou de capacités métareprésentationnelles (jeunes enfants, animaux). Selon des travaux récents en psychologie du développement, les enfants ne commencent à être capables de former les notions de pensées et d'expériences et à comprendre ce qu'est une représentation que vers la fin de la troisième année. Autrement dit, avant cet âge, ils ne sont pas capables de se représenter conceptuellement eux-mêmes comme possesseurs de perceptions ou de croyances. Selon la théorie métareprésentationnelle, il faudrait en conclure qu'ils n'ont pas encore d'états mentaux ou d'expériences conscientes. Les expériences d'un enfant de 2 ans sont-elles vraiment fondamentalement différentes de celles d'un enfant de 4 ans ? 30 30
Les théories représentationnalistes horizontales (Dretske, Tye) Les théories représentationnalistes "horizontales" soutiennent que les propriétés phénoménales ne sont rien d'autre qu'une variété particulière de propriétés représentationnelles. "All mental facts are representational facts, the quality of experience, how things appear to us at the sensory level, is constituted by the properties things are represented as having. My experience of an object is the totality of ways tht objects appears to me, and the ways an object appears to me is the way my senses represent it." (Dretske, 1995) "Phenomenally conscious states are essentially representational states of a certain sort." (Tye, 1995)
Les théories représentationnalistes horizontales (Dretske, Tye) Deux tâches pour le représentationnaliste: Argumenter de manière convaincante en faveur de l'idée que les états qualitatifs sont des états représentationnels Préciser quelles sortes de représentations sont constitutives de l'expérience consciente.
Arguments en faveur du caractère représentationnel des qualia Argument tiré de l'introspection: diaphanéité des expériences. L'expérience visuelle est transparente ou diaphane au sens où lorsque nous portons notre attention sur notre expérience plutôt que sur son objet, nous ne découvrons pas des qualités nouvelles, mais toujours des propriétés de l'objet. Ceci suggère que les propriétés qualitatives ne sont rien d'autre que des propriétés représentationnelles des objets perçus.
Arguments en faveur du caractère représentationnel des qualia Argument tiré de l'intensionnalité des expériences perceptives. Le langage que nous utilisons pour décrire la manière dont les choses nous apparaissent est intensionnel. Une théorie représentationnelle de l'expérience nous permet de rendre compte de cette intensionnalité et de la distinction entre ce dont nous avons l'expérience et la manière dont nous en avons l'expérience.
Intensionnalité des expériences perceptives 2 critères de l'intensionnalité: (1) On ne peut pas toujours effectuer une généralisation existentielle Pour que je ressente une douleur dans le pied droit, il n'est pas nécessaire que j'ai un pied droit. Ma douleur peut être une douleur dans un membre fantôme. (2) On ne peut pas toujours opérer une substitution salva veritate de constituants coréférentiels Si je vis dans un monde où toutes les choses violettes et elles seules sont vénéneuses, il n'en demeure pas moins qu'un objet que je vois comme violet, je ne vois pas pour autant comme vénéneux (au sens phénoménal de voir).
Quels types de représentations? Toutes les représentations ne donnent pas lieu à une expérience phénoménale. Qu'est-ce qui caractérise les représentations constitutives de cette expérience? L'expérience est une forme non-conceptuelle de représentation Conscience des choses et conscience des faits Conscience de choses: Une personne ou un animal peut entendre quelqu'un jouer du piano ou sentir une odeur de caoutchouc brûlé, sans savoir, croire ou juger que quelqu'un joue du piano ou que du caoutchouc brûle Cette personne ou cet animal ont conscience du son du piano ou de l'odeur de caoutchouc (objets, événements), mais n'ont conscience du fait que quelqu'un joue du piano ou du fait que du caoutchouc brûle.
Quels types de représentations? Inversement une personne peut croire que quelqu'un joue du piano sans entendre ou voir cette personne jouant du piano. Cette personne a conscience du fait que quelqu'un joue du piano, mais n'a pas conscience du son du piano. La conscience des faits implique la mise en œuvre de concepts La conscience des choses (objets, propriétés, événements), n'implique pas la possession de concepts ou la formation de jugements. La conscience phénoménale doit être identifiée à la conscience des choses et non à la conscience des faits. Elle est indépendante des capacités conceptuelles et des capacités cognitives de haut niveau des individus et correspond à la dimension purement sensorielle de notre expérience du monde.
Représentations conceptuelles et représentations sensorielles Selon la théorie de la représentation développée par Dretske: Les représentations sont des états qui ont une fonction d'indication. Les représentations mentales ont des fonctions d'indication naturelles. Les représentations sensorielles ont des fonctions d'indication naturelles systémiques, phylogénétiquement déterminées et fixes. Les représentations conceptuelles ont des fonctions d'indication naturelles acquises. Elles sont ontologiquement déterminées et, par l'apprentissage, peuvent se modifier. Les propriétés phénoménales de l'expérience sont les propriétés représentationnelles sensorielles
Quelles représentations systémiques? Dretske: "Experiences are to be identified with states whose representational properties are systemic… As a result, experiences have their representational content fixed by the functions of the sensory systems of which they are states… The quality of a sensory state — how things look, sound, and feel at the most basic (phenomenal) level — is thus determined phylogenetically." Objection: Il ne suffit pas qu'une propriété représentationnelle d'un système soit systémique pour qu'elle soit un déterminant de l'expérience phénoménale. Réponse de Dretske et Tye: Les représentations systémiques constitutives de l'expérience phénoménale sont celles dont la fonction est de fournir des informations à un système cognitif en vue d'une calibration et d'une utilisation dans le contrôle et la régulation du comportement. Conséquence: un système qui n'aurait pas la capacité de former des croyances et des désirs n'aurait pas de conscience phénoménale.
Différences entre théories représentationnelles horizontales et verticales Conscience phénoménale: Dans les théories représentationnelles horizontales, la conscience phénoménale ne dépend pas de capacités méta-représentationnelles, elle consiste en représentations d'un certain type (les représentations systémiques dont la fonction est de fournir de l'information au système cognitif.)
Différences entre théories représentationnelles horizontales et verticales États conscients: Selon les méta-représentationnalistes, un état conscient est un état dans lequel nous sommes conscients de nous trouver. Selon Dretske: Si S a conscience d'une chose ou d'un fait, S est dans un état conscient. Si j'ai conscience d'une odeur de caoutchouc brûlé, j'ai une perception consciente. Si j'ai conscience du fait que du caoutchouc brûle, j'ai une croyance consciente. Mais dire d'un état que c'est un état conscient n'est pas dire que nous sommes conscients de cet état, c'est dire qu'il s'agit d'un état qui nous rend conscients de quelque chose. "Conscious mental states — experiences, in particular — are states that we are conscious with, not states that we are conscious of. They are states that make us conscious, not states that we make conscious by being conscious of them." (Dretske)
Différences entre théories représentationnelles horizontales et verticales Conscience phénoménale et conscience introspective Dans l'approche métareprésentationnelle, ce sont les mêmes capacités méta-représentationnelles qui sont à l'œuvre dans la conscience phénoménale et dans la conscience introspective.La conscience introspective fait simplement intervenir un niveau supplémentaire de méta-représentation. Dans l'approche représentationnelle horizontale, conscience phénoménale et conscience introspective font intervenir des capacités différentes: La conscience phénoménale suppose l'existence de représentations systémiques d'un certain type. La conscience introspective fait intervenir des capacités méta-représentationnelles.
La conscience introspective selon Dretske La conscience introspective est une forme de perception déplacée: la connaissance des faits internes (mentaux) se fait via la conscience d'objets externes (physiques). Il y a perception déplacée lorsque nous percevons que k est F en ayant l'expérience d'un h comme étant G. Ex.: Je vois que j'ai grossi en voyant la position de l'aiguille sur la balance. L’existence d’une perception déplacée exige que le sujet croie en l’existence d’un lien approprié entre les propriétés de l’objet sensuellement représenté et celle de l’objet conceptuellement représenté.
La conscience introspective selon Dretske La connaissance introspective constitue un cas particulier de perception déplacée et consiste en représentation de représentation (k) en tant que représentation (F). Nous avons une représentation conceptuelle de k (une représentation) comme étant F (une représentation) en ayant une représentation sensorielle de quelque autre objet h comme étant G. Selon les h et les G ne sont rien d’autre que les propriétés et objets déjà présents dans la représentation qui est soumise à l’introspection. Exemple: si E est une expérience de bleu, alors la connaissance introspective de cette expérience est une représentation conceptuelle de celle-ci comme une représentation de bleu et nous avons une représentation conceptuelle de E comme représentation de bleu en ayant une représentation sensorielle de l’objet X dont E est une expérience comme étant bleu.
Que faut-il pour qu'un système soit capable d'introspection? Qu'il soit porteur d’information sur la manière dont il représente le monde; Cette condition est toujours satisfaite: un système qui représente le monde occupe nécessairement un état qui est porteur d’information sur ce que le monde serait si le système fonctionnait correctement. (Le privilège de l’introspection consiste en ce que le système représentationnel lui-même occupe les états représentationnels soumis à introspection). Qu’il soit capable d’exploiter cette information. Ceci suppose des capacités méta-représentationnelles: posséder un concept de représentation et des croyances sur l’existence de connexions entre les informations qu’il tire de sa perception du monde externe et les faits concernant ses propres états représentationnels.
Questions pour le représentationnalisme horizontal Le représentationnalisme peut-il répondre à l'objection du spectre inversé? Pourquoi ne sommes nous pas des zombies? Si des sujets atteints de blindsight sont capables de traiter de l'information sensorielle sans avoir d'expérience consciente pourquoi ne fonctionnons-nous pas tous de cette façon? Certaines expériences (comme un sentiment diffus de dépression) semblent avoir un caractère phénoménal, mais de contenu représentationnel. Que peuvent dire les représentationnalistes de ces cas? Problème des sensibles communs: Si les qualia sont déterminés par les propriétés représentationnelles de l'expérience et si lorsque je vois ou touche un objet rond, le contenu représentationnel de mon expérience visuelle et celui de mon expérience tactile sont identiques, mon expérience visuelle et mon expérience tactile devraient me faire le même effet, mais ce n'est pas le cas.