Enjeux, attentes et risques de l'annonce Professeur Claude Hamonet, médecin rééducateur, Docteur en Anthropologie sociale, Ex-Chef du Service de Médecine Physique et de Réadaptation du CHU Henri Mondor, Professeur. Emérite à la Faculté de Médecine de Créteil (UPEC) Cours Handicap et Anthropologie, Institut de soins infirmiers, Hôpital Henri Mondor
L’annonce du handicap : un passage Entrer dans l'état de handicap est, pour l'intéressé comme pour sa famille et ses proches, un "passage" d'un monde dans un autre : de celui des "valides" à celui des personnes handicapées. Ou plutôt d'avoir à affronter, au quotidien, un nombre incalculable d'obstacles constitués de barrières architecturales et de rejets aux multiples facettes de la part des autres
L’annonce est un rituel Ce passage, pour être réussi appelle un rituel qui doit aider au mieux cette transition d'un état vers un autre. Ce rite est ici ce qu'il est convenu d'appeler "l'annonce". Nos habitudes sociales ont évacué la pratique des rites sans savoir que cela détruisait le lien social.
Le rite et la vie sociale. « Une société ne peut pas vivre sans rites », (L.V. Thomas). « Le rite apparaît comme une assurance qu’on s'invente pour maîtriser l’épisodique et l’aléatoire. Il permet de dépasser l’angoisse ». Il fixe les repères de l’organisation de notre vie personnelle et sociale.
Rites de passages et étapes de la vie Certains demeurent des « habitudes de vie », d’autres ponctuent les faits marquants de la vie sociale. Ces derniers ont été dénommés "rites de passage" par l'ethnologue Arnold Van Gennep. Ils ponctuent les étapes importantes de la vie d'un être humain de sa naissance à sa mort.
Arnold Van Gennep : inventeur de la notion de rite de passage
Rites, intégration et normes sociales « L‘Anthropologie voit dans le rite une forme privilégiée d’affirmation d’un ordre commun…En consacrant l’intégration de l’individu à la société globale par l’intermédiaire de groupes d’appartenance, et par l’assimilation de normes, le rite devient un facteur essentiel de cohésion sociale » (Dictionnaire critique d’action sociale).
Rites d’inclusion, rites d’exclusion Parler du rite est d’actualité dans notre société qui se caractérise par l’appauvrissement des liens sociaux et le développement de rites violents inversés. Ceci est particulièrement vrai en handicapologie où l'on peut opposer les "rites d'inclusion" aux "rites d'exclusion" ou de rejet.
Le médecin, le handicap et l’annonce Selon une enquête de Handicap international, Apajh et Leroy-Merlin (2004) : 65% des familles de personnes en situation de handicap considèrent que l’annonce a été mal faite ou très mal faîte (43%).
Le médecin, sa formation et l'annonce La réforme des études médicales a introduit un module obligatoire sur le handicap qui est malencontreusement dénommé « déficiences, handicap et dépendances ». « Handicap, autonomie et réadaptation » aurait été préférable car moins stigmatisant et davantage porteur de solutions positives.
Médecine de la déficience ou médecine de l’inclusion ? On favorise, de cette façon, le développement d'une médecine de la déficience et de l'exclusion au détriment d'une médecine de la réadaptation et de l'inclusion avec participation sociale. Son enseignement est inhomogène dans les Facultés de médecine françaises et n'est pas toujours confié à des médecins spécialisés qui continuent à mettre l’accent sur la lésion et son diagnostic
Le médecin, les professionnels de santé et le handicap mental Il y aura donc beaucoup à faire encore pour infléchir les préjugés et le comportement du corps de santé face au handicap et à la façon de l'annoncer. L'évolution sera parallèle à celle de toute la population : l'image du handicap chez les "blouses blanches" n'est, en fait, que la projection de l'image qu'en a la société à laquelle ils appartiennent.
Le droit de savoir et l'annonce du handicap. Les mots pour le dire. Le devoir d'information, renforcé par la loi du 4 mars 2002 sur le droit des patients, a induit dans le corps de santé un comportement d'explications et d'information dont l'abondance et le "réalisme", quand ce n'est pas la froideur ou même la brutalité, ne sont pas appropriées face à la fragilité des personnes qui reçoivent le message. L'accent est mis sur les manques, le plus souvent sans proposition de solutions et de conduite à tenir ou, alors, de façon vague.
Etre handicapé et avoir sa place On sait aussi que l'accès à l'information dans ce domaine éclaté et disparate est très difficile. On sait aussi qu'il y a un manque d'offre dénoncé dans la lettre à Jaques Chirac de Julia Kristeva qui évoque le tribunal d'honneur présidé par le Docteur Salbreux, réuni le 15 mai 2002 qui a reconnu coupables, à l'unanimité, tous les premiers ministres et tous les ministres de la santé depuis 1996.
Que peut faire le médecin ? Tout d'abord il se doit de rester un être humain et de ne pas abandonner la personne handicapée, ni de la considérer comme "incurable" ou "chronique". Il ne doit pas mentir ou fuir les questions. C'est ce que reprochent aux médecins certaines personnes handicapées que nous avons suivies, notamment un médecin traumatisé cérébral : "aucun médecin ne m'a dit que je resterai handicapé !".
Que doit faire le médecin ? Il en est de même de cet anthropologue américain, devenu paralysé par maladie qui indique que les médecins très compétents et attentifs à son état sphinctérien urinaire, à l'adaptation de son fauteuil roulant ne lui ont jamais posé la question qu'il attendait : "qu'est-ce que cela vous fait d'être tétraplégique ?"
L’annonce « négative » "Etre handicapé" sonne dans l'esprit de ceux qui l'attendent comme un lourd verdict social, surtout si les fonctions qui caractérisent le plus l'Homo sapiens sapiens que nous sommes sont compromises : marcher, parler, penser, prendre, sont concernées.
L’annonce positive Un tel constat ne peut se faire sans mettre en parallèle les possibilités de la rééducation et de l'adaptation-réadaptation. C'est pourquoi la présence d'un médecin spécialiste de médecine Physique et de réadaptation, bien imprégné de cet état d’esprit, auprès du spécialiste qui a fait le diagnostic est, selon nous, nécessaire.
Un diagnostic fonctionnel le diagnostic n'est pas seulement "lésionnel", il est aussi "fonctionnel" et doit être centré sur les fonctions qui sont respectées et/ ou qui peuvent être transformées plutôt que sur les lésions objectivées par l'imagerie qui ne sont pas nécessairement des indicateurs de gravité. Bref on ne peut annoncer sans proposer des solutions porteuses d'un espoir lucide.
Prendre le temps, écouter Il est important de prendre le temps, d'écouter et de tenir compte de cette dimension essentielle de la personne que sont la subjectivité et l'affectivité dans lesquelles, les préjugés culturels, les peurs, les tabous la culpabilité et la honte, jouent un si grand rôle. L'annonce concerne l'enfant ou l'adulte en situation de handicap et ses proches, ce qui inclut aussi la fratrie qui partagera les situations de handicap du frère ou de la sœur concerné.
Le deuil en réadaptation La notion de "deuil", par analogie avec le vocabulaire psychanalytique, est souvent évoquée. Nous ne l'aimons pas car elle introduit un aspect négatif et de frustration. A moins d'introduire le deuil, comme le fait Edgar Morin, dans une phrase que nous avons légèrement modifiée. « Le deuil exprime socialement l’inadaptation individuelle à une perte mais en même temps il est ce processus social d’adaptation qui tend à refermer la blessure des proches ».
Conclusion : de l’hominisation, à l’humanisation ? (Edgar Morin) il n'est pas certain que l’Homme soit en cours d'humanisation, si on suit la pensée d’Edgar Morin. Dans le champ de la santé, cela commence avec le bureau du médecin dont on ne doit jamais sortir plus mal qu'en y entrant. Un nouveau type de dialogue doit être noué avec le corps médical et, plus généralement, le corps de santé. Le médecin et l’infirmier doivent apporter écoute, respect et espoir et essayer d'être "un enchanteur dans un monde désenchanté" (Christian Hervé).