Enseigner la compréhension GOIGOUX Enseigner la compréhension
Roland Goigoux Roland Goigoux est professeur des Universités. Il dirige depuis 1999 le laboratoire de recherche sur l'enseignement de l'IUFM d'Auvergne et de l'université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand. A été instituteur pendant 10 ans. il a travaillé successivement dans deux équipes CNRS de psychologie de l'éducation. Spécialiste des questions d'enseignement de la lecture, il assure également la formation de formateurs et de cadres de l'Éducation nationale.
Enseigner la compréhension Roland Goigoux s’appuie sur un postulat selon lequel :
Enseigner la compréhension «La compréhension, ce n’est pas seulement saisir des éléments. C’est saisir ces éléments et les relier pour construire une unité cohérente». Roland Goigoux C’est ce que les psychologues appellent une représentation mentale. C’est ce que l’on fait dans notre tête lorsque l’on comprend et que l’on se fabrique une représentation de la situation. A l’école, les élèves doivent comprendre les textes et posséder cette représentation. Mais les élèves doivent aussi être capable de manifester ce qu’ils ont compris de ce qu’ils ont lu.
Enseigner la compréhension Mais «la compréhension c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique». Roland Goigoux
Enseigner la compréhension Pour lire et comprendre il faut : 1) savoir décoder des mots écrits 2) avoir des compétences linguistiques : syntaxe et lexique 3) avoir des compétences textuelles : cohésion (anaphores; connecteurs) 4) avoir des compétences référentielles 5) avoir des compétences stratégiques Décodage des mots si l’on est dans une lecture autonome. Compétences textuelles : il faut donc être capable de faire du lien à l’intérieur du texte : savoir qui parle, qui raconte. Compétences référentielles : connaissances sur ce dont parle le texte (= avoir des connaissances sur le monde et sur le contexte) Compétences stratégiques : une capacité à réguler sa compréhension La compréhension se nourrit de ces 5 dimensions. Donc pas uniquement de problèmes de décodages. Comprendre suppose… • que le lecteur cherche à expliciter l’implicite et qu’il dispose des connaissances et des capacités de raisonnement requises; • qu’il cherche à mettre en relation les différents éléments du texte pour en inférer de nouvelles informations; • qu’il évalue régulièrement sa compréhension et cherche à remédier aux difficultés qu’il détecte; • qu’il soit suffisamment flexible pour accepter que ses premières représentations ne soient que provisoires (et donc révisables).
Quelle équation pour la Lecture ? L = D x C L = D x Co x Cé
Quelle équation pour la Lecture ? L = D x C Décodage, Compréhension du langage oral L = D x Co x Cé Décodage, Compréhension du langage oral, Compréhension des textes écrits
Exercice préalable en binômes Une personne du binôme ferme les yeux pendant que l’autre lit silencieusement le texte.
Lecture de l’histoire Un jeune loup affamé marchait dans la campagne à la recherche d’une proie à dévorer. Tout à coup, il aperçut un cheval qui broutait l’herbe du fossé. L’œil du loup s’alluma de contentement. « Enfin, je vais pouvoir me remplir le ventre », se dit-il. Et il passa une langue gourmande sur ses babines. La mine conquérante, le petit loup s’approcha du cheval et dit : Je meurs de faim et c’est toi que je vais dévorer. Il faut bien que je Mange pour vivre ! Le vieux cheval répondit calmement : - Tu as raison, mange-moi, c’est la loi de la nature ! Mais je t’en prie, fais-le dans les règles. Le petit loup, prêt à bondir, s’arrêta net : - Quelles règles ? - Ton père ne t’a donc rien appris ? Lui sait qu’avant de manger un cheval, il faut lui enlever les sabots. C’est la tradition et comme ça, il est plus facile à digérer.
- Et comment je ferai pour enlever tes sabots ? - Ce que tu peux être ignorant, mon pauvre ami ! Tu te places derrière moi et tu enlèves mes sabots arrière, puis tu fais pareil pour ceux de devant. La tradition respectée, tu pourras me manger. Sans réfléchir une seconde, le petit loup se plaça derrière le cheval. Il s’apprêtait à attraper l’une de ses jambes quand celui-ci, d’une formidable ruade, lui envoya ses deux sabots en plein museau. Le petit loup hurla et se retrouva projeté en l’air, avant de retomber sur le sol vingt mètres plus loin complètement assommé. Lorsqu’il retrouva ses esprits, il avait une énorme bosse au front et une terrible douleur à la mâchoire. Quant au cheval, bien sûr, il n’avait pas attendu son réveil ! Nous reviendrons plus tard sur ce que certains viennent de lire.
Le questionnaire suffit-il ? TEST DE LECTURE SILENCIEUSE (Blanchard et Aubret, 1991, INETOP)
Le questionnaire suffit-il ? A plat ventre sur la plus grosse branche de tilleul, Colin, immobile comme un chasseur à l’affut, observe le manège du chat Tibère. Tapi sous un banc de l’allée où les miettes de pain font le régal des moineaux, Tibère attend patiemment que ceux-ci s’approchent suffisamment de lui pour bondir sur la proie qu’il convoite.
Le questionnaire suffit-il ? Questionnaire proposé : Qui est dans l’arbre ? Que regarde Colin ? Qui est le chasseur de l’histoire ? Qui mange le pain ? Où est le chat ? A plat ventre sur la plus grosse branche de tilleul, Colin, immobile comme un chasseur à l’affut, observe le manège du chat Tibère. Tapi sous un banc de l’allée où les miettes de pain font le régal des moineaux, Tibère attend patiemment que ceux-ci s’approchent suffisamment de lui pour bondir sur la proie qu’il convoite. Ce questionnaire a été proposé aux élèves. Les élèves les plus fragiles n’ont pas une compréhension générale du texte donc ils vont prélever des informations : 1) Qui est dans l’arbre ? → a un lien avec grosse branche donc la réponse est Colin (sans forcément connaître que tilleul est une espèce d’arbre) 2) Que regarde Colin ? → le terme « observe » est donné dans le texte. Observe est synonyme de regarde donc l’élève recopie la suite : « le manège du chat » 3) Qui est le chasseur de l’histoire ? → PIEGE car on a « Colin » avant et « manège du chat » après : une chance sur deux. Si la réponse est Colin, c’est perdu mais si la réponse est le chat, c’est gagné ! 4) Qui mange le pain ? → Pas de difficultés. Le pain et les moineaux sont souvent liés. 5) Où est le chat ? → Sous un banc de l’allée est facile à comprendre. Donc, les élèves pouvaient facilement obtenir 4/5. Mais ont-ils compris ?
Le questionnaire suffit-il ? On a demandé aux élèves de représenter l’histoire pour en percevoir leur compréhension. Cet élève comprend bien le texte malgré un problème lexical lié à l’idée du tapis placé sous le banc.
Le questionnaire suffit-il ? Ici, une compréhension plus aléatoire avec la représentation du manège du chat Tibère. Colin a disparu. Il n’y a plus qu’un personnage qui se trouve dans l’arbre et qui est un chat.
Le questionnaire suffit-il ? D’autres perçoivent bien la présence des personnages : Colin; le chat; le tilleul; l’oiseau et les graines sont représentés mais sans lien. Lorsqu’on demande à l’élève de raconter l’histoire il explique qu’il y a un chat « et pis » un oiseau « et pis » Colin « et pis » … . Le texte est morcellé et les élèves n’en ont que des bribes.
Le questionnaire suffit-il ? Cet élève a un chat sur un banc; un Colin dans un arbre; un manège du chat Tibère; des oiseaux. Il a les pièces du puzzle mais ils ne sont pas rangés spatialement. Cet élève n’a pas une représentation cohérente de la scène. On a à nouveau des bribes.
Le questionnaire suffit-il ? Et l’aspect ultime est : un chasseur qui tire sur un chat qui s’appelle Tibère qui est sur un tapis à côté d’un tilleul … .
Le questionnaire suffit-il ? L’abus de questionnaires renforce les stratégies inadéquates, par exemple le prélèvement d’informations. Les élèves lisent le questionnaire et recherchent à prélever des informations dans le texte sans même le lire. → Si le questionnaire est mal conçu et qu’il induit un morcellement de la cohérence du texte (trop peu de questions inférentielles). → Parce que les questionnaires sont trop souvent utilisés en présence du texte. Une stratégie qui permet de capter quelques éléments dans un texte pour répondre à des questions n’est pas une stratégie qui permet clairement de s’approprier la compréhension du texte. Il faut faire comprendre aux élèves dès le plus jeune âge qu’une partie des questions n’ont pas leurs réponses écrites littéralement dans le texte. Bon nombre de questionnaires font éclater le texte. Pour comprendre il faut être capable de raconter le texte avec ses propres mots.
Raconter l’histoire à son voisin Il ne s’agit pas de raconter l’histoire du chat Tibère mais l’histoire du loup que vous avez lu il y a quelques instants.
Le petit loup qui se prenait pour un grand Conte bulgare adapté par Albena Ivanovitch-Lair Père Castor, Flammarion, 2007
Qu’est ce que comprendre un texte ? Pour le restituer correctement, le lecteur doit être capable de construire une représentation mentale cohérente de l’ensemble de la situation évoquée par le texte.
Qu’est ce que comprendre un texte ?
Qu’est ce que comprendre un texte ? Même expérience proposée à Enzo, élève de CE1 Ecoute du récit lu à deux reprises, à haute voix, par un adulte (sans illustrations). Consigne donnée à Enzo : « Tu devras ensuite raconter toute l’histoire à quelqu'un qui ne la connaît pas. »
Qu’est ce que comprendre un texte ? Restitution de l’histoire par Enzo Ben euh // y’a / en fait et ben il arrive enfin il se promène dans / euh la campagne il croise un petit / euh un petit cheval et / euh il veut le dévorer parce / euh // que le cheval i’ dit / i’ dit euh euh / euh // comment dire / euh ben i’ dit / euh /// Tu peux me manger c’est la loi de la nature et euh / et sans hésiter il arrache enfin euh / et ben le cheval il lui donne un coup de museau et vingt mètres plus loin et ben i’ tombe et euh / en retrouvant les esprits i’ retrouve l’esprit et euh // quand i’ se réveille il a mal à la mâchoire /// Et euh / et euh / après euh / y’a euh ah // j’me souviens plus après / euh / euh //
Qu’est ce que comprendre un texte ? Analyse de cette restitution : de nombreux éléments sont manquants 1. un jeune loup 2. affamé 3. à la campagne 4. à la recherche de nourriture 5. voit un cheval 6. pense qu’il pourra le manger 7. il est content 8. anticipation gourmande 9. annonce qu’il va le manger 10. se justifie : un besoin 11. le cheval [dit qu’il] accepte [il ment] 12. fait référence aux règles 13. arrêt du loup 14. loup interrogatif 15. référence au père 16. demande d’enlever ses sabots 17. argumente : tradition respectée, digestion facilitée 18. le loup demande comment faire 19. le cheval lui explique 20. se placer derrière pour les sabots arrière 21. se placer devant pour les sabots de devant 22. prêt alors à être mangé 23. sans réfléchir [le loup ne se méfie pas] 24. se place derrière le cheval 25. ruade du cheval 26. sabots dans le museau 27. avec force 28. projeté loin (20 m) 29. hurle 30. est assommé 31. se réveille avec (bosse et) douleur 32. le cheval s’était enfui Enzo propose une représentation parcellaire. Le loup n’est pas nommé. Et surtout, il passe totalement à côté de l’idée de ruse. La restitution demandée à cet élève et préconisée par Goigoux permet de percevoir l’ensemble des éléments fondamentaux qui ont échappé à Enzo. Cela rejoint la Théorie de l’esprit développée par Goigoux et Giasson. Il faut que les élèves perçoivent que ce que disent les personnages ne correspond pas forcément à ce qu’ils pensent et veulent vraiment. En réalité, le cheval n’accepte pas son sort. C’est-à-dire être mangé par le loup. Il veut profiter de la jeunesse du loup. Donc, un élève doit être interpellé par l’acceptation du cheval. Il doit revenir sur le texte et ne pas s’arrêter à cette représentation.
Qu’est ce que comprendre un texte ? Dans le cas des macro-traitements, les élèves doivent savoir restituer l’idée principale. Pour les mauvais lecteurs, l’idée principale qu’ils indiquent est la leur et non pas forcément celle de l’auteur. Ceci est d’autant plus le cas lorsque l’idée principale n’est pas explicite : la ruse du cheval n’est pas explicitement indiquée. On a tendance a penser que la somme des mots que l’on décode débouchera forcément sur la compréhension d’un texte mais ce n’est pas le cas.
Comment faire ? Quelques pistes… Le résumé : un choix souvent proposé dans les classes. Gradation de la tâche (sur quels facteurs opérer ?) Pour Goigoux, il faut se méfier du résumé. Le résumé est l’exercice le plus difficile. Le résumé nécessite d’éliminer des informations non essentielles et de s’adapter à la situation de communication. On n’utilise pas la même approche pour un texte narratif (il s’éclaire à la fin) et un texte informatif (l’information est comprise au fur et à mesure). L’idée serait plutôt de proposer des résumés aux élèves et de leur demander de déterminer quel est le résumé le plus adapté. Une seule lecture n’est pas suffisante. Un élève bon lecteur met plus de temps à lire qu’un élève faible lecteur en vue d’un résumé. Gradation de la tâche - Longueur du texte (du plus court au plus long) - Types de texte (le narratif est plus facile) - Complexité du texte (infos explicites ou implicites) - Présence ou absence du texte : si le texte est présent, la stratégie de copier ou éliminer est plus facile - Auditoire (écrire pour soi vers un résumé pour les autres) - Longueur du résumé (du long au court)
Comment faire ? Quelques pistes… Les prédictions : on donne le titre et les élèves doivent anticiper et imaginer le contenu du texte. Cette façon de procéder laisse penser que lire c’est inventer. Roland Goigoux préconise plutôt de donner le titre mais d’y ajouter aussi des indices. L’élève émet alors ses prédictions, lit le texte et opère un retour pour vérifier ses hypothèses initiales.
Comment faire ? Quelques pistes… Travailler les processus métacognitifs : permettre à l’élève de percevoir son incompréhension et d’y revenir. Procédé proposé : cartes de Goigoux Les élèves disposent d’une carte blanche, d’une grise et d’une noire. Après lecture du texte, les élèves montrent la carte correspondant à leur impression de compréhension (de la plus claire à la plus foncée).
Comment faire ? Quelques pistes… Les exercices qui permettent de raconter à son tour : reformulation, rappel, paraphrase apportent de la cohérence dans la compréhension du texte. Ces activités sont essentielles à 5, 6 et 7 ans si l’on veut une pédagogie de la compréhension et pas seulement une pédagogie du questionnaire.
Qu’est ce que comprendre un texte ?
Qu’est ce que comprendre un texte ? La compréhension n’est pas automatique Apprendre à comprendre : apprendre à raisonner sur les textes Être capable de dire ce que l’on comprend et de le justifier.