Dubuffet et l’art brut.

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Transcription de la présentation:

Dubuffet et l’art brut

Objectif : - Mise en évidence des caractéristiques de l’Art brut révélé par Dubuffet - Non pas étudier des œuvres d’Art brut mais étudier une œuvre qui se réclame de l’Art brut. Méthode : - analyse de ce qu’on dit Dubuffet (à travers ses écrits) - analyse d’œuvres de Dubuffet (œuvres visibles au Centre G. Pompidou) Thèse : - Art brut comme une catégorie de l’Art - Art brut comme modèle de la pratique de Dubuffet, artiste - Art brut, moins un modèle formel qu’un modèle de comportement. (Modèle qui s’inscrit dans le champ et les processus d’investigation de l’art du XXe siècle.)

Sommaire Introduction : l'invention de l'Art brut : Dubuffet (1901-1985) 1. Qu’est-ce que l’Art brut ? 2. L’Art brut contre "l’art culturel". 3. L’Art brut et l’art moderne (L’annexion de nouveaux territoires, de nouvelles méthodes de travail, la transgression des valeurs, l’impulsion de création.) 4. L’Art brut comme "art culturel" : Dubuffet. Conclusion : La leçon de l’Art brut.

Introduction : l'invention de l'Art brut : Dubuffet (1901-1985) Dubuffet révèle au public l’art brut en 1947. Paris 1943, Jean Dubuffet rue Lhomond http://www.dubuffetfondation.com

Foyer de l'art brut, février 1948, http://www.dubuffetfondation.com Jean Dubuffet organise en novembre 1947 une exposition du “ Foyer de l’art brut ”, au sous-sol de la galerie Drouin, Place Vendôme. Foyer de l'art brut, février 1948, http://www.dubuffetfondation.com

“ Je suis tout à fait convaincu que n’importe qui, sans aucune connaissance ni habileté spéciale, sans surtout qu’il y ait à regarder à je ne sais quelles prétendues dispositions natives, peut s’adonner à l’art avec toutes chances de réussite. Il faudra seulement qu’il découvre les moyens de s’exprimer qui lui conviennent, qui lui permettent d’extérioriser ses humeurs sans en rien fausser; c’est cela qui est difficile! ” . (Dubuffet, p. 41, cat. Arts Décoratifs, 1960).

1. Qu’est-ce que l’Art brut 1. Qu’est-ce que l’Art brut ? “ Formuler ce qu’il est cet art brut, sûr que ce n’est pas mon affaire. définir une chose - or c’est déjà l’isoler - c’est l’abîmer beaucoup. C’est la tuer presque. Il y a dans les choses une continuité.” (p.84, Gallimard, 1973).

Dubuffet est contre les définitions : elles tuent les choses, elles les achèvent. “ l’ennemi au fond c’est le mot, le mot si bien nommé le terme, ce qui définit en finissant. ” (G. Picon, p.226). L’art brut est du côté de l’indéterminé, de l’informe, du fluide.

Quelques indication cependant … “ Quelques indication cependant … “ ... ces petits ouvrages que généralement on dédaigne. On les trouve rudimentaires, grossiers. Bien ! mais aussi traduisent-ils de ce fait plus immédiatement les mouvements de l’esprit et livrent-ils les mécanismes de la pensée (pas seulement de la pensée) plus chauds, plus crus. Ils mettent en œuvre des moyens qui paraissent saugrenus, irrecevables. ” (p.84-85, Gallimard).

Trois aspects : 1 - “ ...que généralement on dédaigne ” Cet art n’est pas reconnu : simples ouvrages, de “ petits ouvrages ” même. (l’art s’inscrit dans le contexte d’une société. Il n’y a d’art que ratifié par la société conformément à ses propres valeurs ...) 2 - “ … les mécanismes de la pensée... ” Cet art est au plus près des processus fondamentaux, “ plus crus ”. Il plonge plus profondément dans ce qui est à l’origine même de la création. 3 - “ ... rudimentaires, grossiers. ” Les moyens mis en œuvre sont “ saugrenus, irrecevables ”. Les moyens n’obéissent pas à des caractéristiques préétablies, convenues … Ils sont hors normes, non conventionnels.

Sur ces trois plans : social, expressif, technique, l’art brut s’oppose. Il est : hors institution, hors normes (spontané), hors moyens académiques.

2. L'Art brut contre l'art culturel L’Art brut ne « s’oppose » pas délibérément à l’art culturel : il ne lui appartient pas. Il est hors la culture établie et reconnue.

En 1949, Dubuffet précise : “ Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquelles donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe ” (pp.91-92, gallimard)

Contre la standardisation de la pensée : (Effet de la reprise de modèles existants : reproduction). - Contre les intellectuels de l’art : (réduction à des catégories préétablies) - Contre un art artificiel : (Expression coupé de la source du vécu : “ Désamorcé. Désaimanté. En perte de voyance. ” (p.88, id) - Pour un art qui fait surgir l’imprévisible de la vie (en contrepied de la pensée, déjà formée) : “ le vrai art est toujours là où on ne l’attend pas ” (p.91, id).

Qui sont ces “ personnes indemnes de culture artistiques ” Qui sont ces “ personnes indemnes de culture artistiques ” ? “ la folie allège son homme , et lui donne des ailes et aide à la voyance, à ce qu’il semble, et nombre des objets, (près de la moitié) que contient notre exposition sont l’ouvrage de clients d’hôpitaux psychiatriques. ” (p.92, id.). Est-ce à dire que l’art brut est un art psychopathologique? “ Tous les rapports que nous avons eu (nombreux) avec nos camarades plus ou moins coiffés de grelots nous ont convaincus que les mécanismes de la création artistiques sont entre leurs mains très exactement les mêmes que chez toute personne réputée normale. ” (p.92, id.).

Quelle serait la caractéristique essentielle de l’art brut Quelle serait la caractéristique essentielle de l’art brut ? - l’affranchissement des conventions, - la non-contrainte de la raison, - le libre cours du désir, - un certain état d’innocence et d’authenticité. “L’art brut réveille en nous des facultés anesthésiées par l’éducation” (M. Thévoz, L’art brut, Skira, 1981 p. 98, ). Libération des investissements pulsionnels refoulés. Levée des inhibitions libidinales, somatiques et fantasmatiques. Extériorisation, réinvestissement dans des activités corporelles, gestuelles et matérielles.

“ ...les images produites par la matière, quand elle se façonne elle-même de l’intérieur et par tous ses pores, sont plus passionnantes que ce que peut produire l’intellect humain, et qu’elles sont porteuses de secrets à découvrir, non pas seulement dans le monde des formes mais dans celui de la pensée. ” (p.13, Bâtons rompus.)

3. L’art brut et l’art moderne “ Qu’est-ce que l’art pur suivant la conception moderne? C’est créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même ” Baudelaire, Ecrits esthétiques, 1868.).

Que cherche l’artiste moderne Que cherche l’artiste moderne ? - un nouveau langage, une « magie suggestive » - La subversion des codes préétablis, - la mise en œuvres de nouveaux moyens “ Le “ beau intérieur ” est celui vers lequel nous pousse une nécessité intérieure lorsqu’on a renoncé aux formes conventionnelles du Beau. ” (Kandinsky, Du spirituel dans l’art, 1910, Médiations, Denoël, 1969, p.66), “ La force créatrice échappe à toute dénomination, elle reste en dernière analyse un mystère indicible ” (Klee, p.57, De l’art moderne, Médiations, Denoël, 1969., p. 57).

L’annexion de nouveaux territoires Depuis le XIXe siècle, les artistes portent leur regard sur d’autres cultures : - le Japon (Impressionnistes), - l’Océanie (Gauguin), - l’Afrique (Cubisme). - Ils redécouvrent d’autres époques récentes ou anciennes (préraphaélites, art cycladique) - Ils découvrent l’art populaire rural (Courbet, les Nabis, le Blaue Reiter) ou urbain (Dada)… Cette recherche sur l’art et ses formes s’accompagne d’une recherche sur le processus de création, sur le déclenchement de cette “ nécessité intérieure ”, sur le “ mystère indicible ” de la “ force créatrice ”.

Hiroshige Ando (1797-1858) Le pont Kyo et la berge de bambous de la rivière Sumida (Cent vues fameuses d’Edo) 1857, gravure sur bois, (One 22.5 x 36 cm James Abbott Mac Neill Whistler, Nocturne : Blue and Gold, Old Battersea Bridge, 1872,

Sculpture anthropomorphe "ti'i" pierre sculptée, 34 x 140 x 14, 5 cm. Archipel des Marquises Paris, Musée du quai Branly Paul Gauguin, Arearea (Joyeusetés I), huile sur toile, 75 x 94 cm, 1892, Paris, Musée d'Orsay

Sculpture africaine Pablo Picasso, dessin,

Figure de femme, marbre, 49 cm, Grèce, Cyclades, vers -2600-2400, British Museum C. Brancusi (1876-1957), Danaïde, bronze et pierre, 27,9 x 17,1 x 21 cm, 1918

Le Petit Journal, « Attaqué par un tigre », 4 avril 1909   Henri Rousseau, (1844-1910), Surpris !, Huile sur toile, 129,8 x 161,9 cm, 1891, The National Gallery, Londres  Carte postale Années 1900

Kurt Schwitters, image avec anneau de panier, assemblage, papier, bois, métal sur bois, 38.1 x 29.8 cm, 1938, Museum of Modern Art, NY.

De nouvelles méthodes de travail - Attitude critique plus intense impliquant plus de réceptivité des sens, plus d’ouverture intellectuelle. - Attitude critique qui remet en cause les formes préétablies et leur cadre institutionnel. Effet : - Mise en œuvre de méthodes valorisant le geste, l’accident, l’imprévisible, l’inachèvement, « l’automatisme psychique »*, le bricolage, etc. (*cf. p.37, A. Breton, Manifeste du surréalisme, idées, Gallimard,1972).

Francis Bacon, Self-Portrait, huile sur toile, 35. 5 x 30 Francis Bacon, Self-Portrait, huile sur toile, 35.5 x 30.5 cm 1971 Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris

La transgression des valeurs Le regard porté par Dubuffet sur l’Art brut paraît bien s’inscrire dans cette histoire. L’Art brut devient « culturel » parce qu’il transgresse des valeurs qu’il appartient à la modernité de transgresser. Il valorise les qualités de spontanéité, d’innocence retrouvée, de “ voyance ” que l’on attend de l’artiste. Il valorise la force du désir, la puissance imaginative originelle, l’acte qui crée sans entrave...

“ L’impulsion de création ” Le vécu du sujet (sa dynamique personnelle) est placé au centre. Il est le moteur ; l’origine et le terme du processus créateur. Processus qui s’accomplit dans l’acte et non point dans le résultat. Il est plus un appel à agir, à faire plutôt qu’à regarder ce qui est fait.

Conséquences de ces observations : L’art brut est moins une collection de pseudo-œuvres ou de pseudo-artistes qu’un exemple de ce que chacun peut accomplir s’il se libère de son carcan culturel qui l’empêche de « se mettre à l’ouvrage » (i.e. : de se mettre au travail, et de faire de son travail véritablement un loisir). L’art brut devient Art brut par le regard de Dubuffet (relayé par d’autres).

“ Nous y voyons en effet, concrétisés devant nos yeux, des faits psychiques que nous possédons en nous-mêmes comme ils existent chez l’artiste, sous jacents, obscurs, profondément enfouis sous nos écorces successives; et c’est justement ce face à face avec nos plus profonds mécanismes qui nous apparaît comme une révélation passionnante, et qui jette une lumière sur notre propre être et sur le monde, qui nous procure de voir les choses qui nous entourent avec d’autres yeux que nos yeux habituels. ” (p.97, “ Honneurs aux valeurs sauvages ”, Gallimard, 1973).

“ C’est la raison d’être de l’art d’être la voie d’expression des couches sous-jacentes, des plans de la profondeur. Ce que nous attendons d’une œuvre d’art, c’est que son auteur y ait découvert, y ait inventé des moyens de faire éclater ses couches de surface, et de livrer passage aux voies de ces couches sous-jacentes. ” (pp.97-98, id.).

Un art « pour soi » Un art qui se fait “ pas du tout dans l’idée de le montrer à qui que ce soit ” (p.96, id.). “ J’ai entrepris de faire de la peinture sans espoir de gagner de l’argent avec elle ni d’y trouver aucune sorte de gloire, simplement pour ma délectation personnelle sans prétendre à rien (...) Je me sentais délié de tout souci de carrière, de toute obligation. Je me voulais libre, dans une position d’amateur, d’outsider; la question de rémunération ne m’intéressais pas (...) A ce moment là, je ne voulais pas vendre mes trucs; je voulais les donner. Je ne voulais pas faire de commerce. ” (cité par R. Moulin, p.59, l’ARC, 1968)

4. L’art brut comme art culturel : Dubuffet.

Dubuffet expose pour la première fois en octobre-novembre 1944 à la galerie René Drouin. Il a 43 ans. Entre 1918, où il suit des cours de peinture à l’Académie Julian, et 1942 où il se consacre définitivement à la peinture (à 41 ans), il alterne la peinture et le négoce en vins.

1901, naît le 31 juillet au Havre de parents négociants en vin 1901, naît le 31 juillet au Havre de parents négociants en vin. 1918, obtient son bac, vient à Paris, suit les cours de l'académie Julian qu'il quitte au bout de six mois pour travailler seul. 1924, Cesse de peindre (pendant huit ans). 1930-1932, fonde à Bercy un négoce de vins en gros 1933-1935, loue un atelier rue du Val-de-Grâce pour travailler quelques heures chaque après-midi. 1937-1939, reprend le chemin de Bercy pour sauver la firme de la faillite et abandonne une nouvelle fois la peinture. Mobilisé. Exode. Retour à Paris où il reprend ses affaires. 1942, décide de se consacrer exclusivement à la peinture. Jean Dubuffet rue de Vaugirard, 1946 – Photo © Pierre Matisse http://www.dubuffetfondation.com

1944, première exposition à la Galerie René Drouin à Paris 1944, première exposition à la Galerie René Drouin à Paris. 1947, première exposition à New York à la Galerie Pierre Matisse. Fondation du Foyer de l'Art brut au sous-sol de la Galerie Drouin. Publication de son premier texte en jargon Ler dla canpane 1949, publie L‘art brut préféré aux arts culturels Jean Dubuffet à New-York, 1951-1952 Photo © Kay Bell http://www.dubuffetfondation.com

1962, première rétrospective à New York au Museum of Modern Art, début du cycle de L’hourloupe. 1985, Jean Dubuffet décède à Paris le 12 mai. Jean Dubuffet dans son atelier à Vence devant "l'Agenouillement de l'évêque" (daté 26 octobre - 7 novembre 1963) Photo © Luc Joubert, Paris http://www.dubuffetfondation.com

“ ...la manière du dessin est dans ces peintures exposées tout à fait exempte d’aucun savoir-faire convenu comme on est habitué à le trouver aux tableaux faits par des peintres professionnels et telle qu’il n’est nullement besoin d’aucunes études spéciales ni d’aucuns dons congénitaux pour en exécuter de semblables. ” (Dubuffet, p.34, A. D., 1960) Jean Dubuffet, Campagne heureuse  Huile sur toile 130,5 x 89 cm 1944

“ Ce qui a présidé à l’exécution de ces tableaux ( “ Ce qui a présidé à l’exécution de ces tableaux (...) était qu’un portrait n’a pas besoin d’accuser tellement les traits personnels distinctifs de la personne figurée. (...). Il me semblait qu’en dépersonnalisant mes modèles, en les transposant sur un plan très général d’élémentaire figure humaine, j’aidais à déclencher, pour l’usager de la peinture, je ne sais quel mécanisme d’imagination ou de suscitation augmentant de beaucoup le pouvoir de l’effigie. (...). (Dubuffet, pp. 35-36, Arts Décoratifs, 1960.) Dhôtel nuancé d’abricot, (juillet-août 1947). huile sur toile, 116 x 89cm, (MNAM). Issu de la série de portraits peints entre août 1946 et septembre 1947 : Plus beaux qu’ils croient.

« (…) Je suis toujours poursuivi par ce sentiment que le peintre a beaucoup à gagner à s’aider des forces qui tendent à contrarier son action, qu’il obtiendra ainsi que son objet surgisse dans le tableau plus fortement par le moyen d’y multiplier les empêchements à ce que cet objet surgisse  ». (Dubuffet, pp. 35-36, Arts Décoratifs, 1960.) Dhôtel nuancé d’abricot, (juillet-août 1947). huile sur toile, 116 x 89cm, (MNAM). Issu de la série de portraits peints entre août 1946 et septembre 1947 : Plus beaux qu’ils croient. Michel Tapié, Soleil, graviers, sable, filasse sur isorel, 110,2 x 87,8 cm, août 1946

“ Il y a lieu de ne pas prendre à la lettre le dessin, toujours outrageusement grossier et négligé, dans lequel est enfermé la figure de femme nue (...). Il me plaisait de juxtaposer brutalement, dans ces corps féminins, du très général et du très particulier, du très subjectif et du très objectif, du métaphysique et du trivial grotesque ”. (p.43, A.D., 1960) Le métafisyx, 1950, huile sur toile, 116 x 89,5, (MNAM) Issu de la série: Corps de Dame.

“ ... j’ai aimé pour ces paysages, à brouiller l’échelle, de manière qu’il soit incertain si le tableau représenta une vaste étendue de montagnes ou une minuscule parcelle de terrain. ” (p.44, id.) Le voyageur sans boussole, 8 juillet 1952, huile sur isorel, 118,5 x155cm, (MNAM). Issu de la série Paysage mentaux.

“ Le geste essentiel du peintre est d’enduire “ Le geste essentiel du peintre est d’enduire. Non pas étendre avec une petite plume, ou une mèche de poils, des eaux teintées, mais de plonger ses mains dans de pleins seaux ou cuvettes et de ses paumes et de ses doigts mastiquer avec ses terres et pâtes le mur qui lui est offert, le pétrir corps à corps, y imprimer les traces les plus immédiates qu’il se peut de sa pensée et des rythmes et impulsions qui battent ses artères et courent au long de ses innervations, à mains nues ou en s’aidant s’il se rencontre d’instruments sommaires bon conducteurs - quelque lame de hasard ou court bâton ou éclat de pierre - qui ne coupent ni affaiblissent les courants d’ondes. ” (p.45, L’homme du commun...) Le manteau de terre, 1958

« Enduire » Le tableau comme mur, maçonnerie « Enduire » Le tableau comme mur, maçonnerie. Matériaux de construction : sable, gravier, goudron, plâtre, poussière de charbon, cailloux, asphalte qu’il fait cuire dans des marmites, ficelle d’alfa ou de chanvre, petits morceaux de miroirs ou de verres de couleur, Ripolin, Duco, torchis, etc. « instruments sommaires » : truelle, cuillère à soupe, grattoir, couteau, brosse métallique, bâtons, doigts…

“ Dans les travaux picturaux populaires, ou faits par les peintres en bâtiment ou en décor, il y a cette qualité qui est si précieuse en tout geste humain: un laisser-aller, une aisance relâchée. La chair est peinte le plus simplement du monde avec une couleur rose qui est faite de blanc teinté de rouge et de noir. Veut-on faire plus clair, on met du blanc; plus sombre, on met plus de noir. Et c’est cerné avec des traits noirs, c’est tout simple. ” (p.64, L’homme du commun...). Rue passagère, 12-19 juillet 1961, huile sur toile, 129,5 x 161,5, (MNAM)

« En 1962, répondant au téléphone, Jean Dubuffet laisse courir sur le papier son stylo-bille rouge: d’où des dessins semi automatiques qu’il barde de rayures rouges et bleues. Découpant ces figures, il les pose ensuite sur fond noir. Il en tire un petit livre: vingt-six pages de texte jargonnant, chaque page étant ornée d’un dessin au stylo bille rouge et bleu découpé et collé sur fond noir. Titre: l’Hourloupe. » (G. Picon, p.128) Texte historie III (H 114) Marqueur sur papier 27 x 21 cm, 1964

Rue de l’entourloupe 1963 “ Dans le cycle de l’Hourloupe, ce fut une voie tout autre, puisqu’il n’y entre plus du tout de ces triturations, mais au contraire des jeux de tracés d’un caractère dématérialisé, algébrique avec un parti à figurer les choses en telle façon que ne s’y discerne pas clairement où sont les pleins et où les vides. D’où un sentiment d’incertitude sur le bien fondé de nos notions habituelles de plein et de vide, d’être ou de non-être, d’appartenance aux données réelles ou à des projections de l’imaginaire. ” (p.8, Bâtons rompus.)

Mire (Boléro), (G 204) Acrylique sur 2 feuillets de papier joints et marouflés sur toile 100,3 x 134,5 cm, 1984 “ On ne trouvera plus dans ces peintures aucun objet ni figure - rien qui se puisse nommer. Elles ne sont pourtant pas du tout non figuratives. Elles prétendent figurer (ou disons plutôt évoquer), dans une forme abrégée, synthétique, le monde qui nous environne et dont nous faisons partie. Mais ce monde y est regardé dans une optique inaccoutumée. Une optique dans laquelle n’apparaissent plus des choses (celles qui ont un nom) mais seulement des faits ou, pour mieux dire, des mouvements, des tumultueux transits au sein d’un continuum qui ne comporte pas de vides. ” (pp.89-90, Bâtons rompus)

« Jeux de tracés ». Dubuffet n’utilise plus les « matières » « Jeux de tracés ». Dubuffet n’utilise plus les « matières ». Il Opte pour des couleurs « franches », « lisses », « industrielles »  : bleu, noir, rouge, blanc. Il se sert du vinyle, du stylo bille et du marker qui sont des instruments précis, rapides, fonctionnels et impersonnels employés par les bureaux d’études dans le dessin industriel. Les tracés méthodiques (rayures) deviendront plus rapides, plus gestuels (ratures) ; s’y ajoutera le crayon de couleur… Activation XLVII, 1985 http://www.dubuffetfondation.com

Que nous apprend la trajectoire de l’œuvre sommairement présenté Que nous apprend la trajectoire de l’œuvre sommairement présenté ? - La représentation se fait contre les codes de la culture savante unitaire et rationnelle. - Le tracé est privilégié au détriment de la « ressemblance ». - La pensée n’est plus posée comme première mais seconde au profit du geste, de l’activité motrice (du faire).

Conclusion : la leçon de l'art brut

Reprenons les 3 aspects évoqués au début : “ Reprenons les 3 aspects évoqués au début : “ ... ces petits ouvrages que généralement on dédaigne. On les trouve rudimentaires, grossiers. Bien ! mais aussi traduisent-ils de ce fait plus immédiatement les mouvements de l’esprit et livrent-ils les mécanismes de la pensée (pas seulement de la pensée) plus chauds, plus crus. Ils mettent en œuvre des moyens qui paraissent saugrenus, irrecevables. ” 1 - “ ... que généralement on dédaigne. ” (société) 2 - “ … les mécanismes de la pensée ... ” (désir) 3 - “ ... saugrenus, irrecevables. ” (moyens)

1 – « Un art reconnu, élitiste. » 1 – « Un art reconnu, élitiste ! ». Contre un art fait par quelques uns, un art fait par tous. Le but : révéler et développer les potentialités naturellement présentes en chacun. Activité qui ne vise pas la reconnaissance mais l’accomplissement de soi pour soi. “ Des productions d’art doivent être des champignons poussée dans la solitude. Ce sont des faux champignons s’ils ont été faits en vue d’en faire parade. Je suis assurément le seul destinataire de mon ouvrage au moment que je le fais ; je suis même enclin à le faire tel que j’en aie seul les clefs. ” (p.88, Bâtons rompus).

La différence entre l’art brut, qui le reste, et l’art culturel tel que le pratique Dubuffet et qu’il se montre : “ Je me fais ce reproche de n’avoir ce pouvoir que plus faiblement qu’eux. “  (p.89, ibid.) - Dubuffet franchit la limite où cet art bascule et redevient élitiste. - En même temps, cet art élitiste tente de retrouver ces valeurs de l’art brut

2 – L’art comme expression de soi, de son désir 2 – L’art comme expression de soi, de son désir ! Art qui plonge ses racines au plus profond de soi. Il ne doit pas être entravé par un savoir qui ferait écran. Il doit retrouver une certaine innocence, une dynamique non ressaisie par la raison. Obéit au « principe de plaisir » avec ce qu’il emporte de prolifération, de chaos, d’imprévisibilité.

“ Mon dispositif fonctionne comme une machine à abolir les noms des choses, à faire tomber les cloisons que l’esprit dresse entre les divers objets, entre les divers systèmes d’objets, entre les différents registres de faits et de choses et les différents plans de la pensée, une machine à brouiller tout l’ordre institué par l’esprit dans le mur des phénomènes et effacer d’un coup tous les chemins qu’il y a tracés, une machine à mettre en échec toute raison et à replacer toutes les choses dans l’équivoque et la confusion ”. (cité p.171, Picon)

3 – L’art comme mise en œuvre 3 – L’art comme mise en œuvre ! Cette activité ne se confronte qu’aux outils (aux matériaux) comme « principe de réalité ». L’art se construit dans le mouvement même de cette activité. Les formes ne sont pas données, elles s’instaurent sans a priori, dans le geste, le faire, en train de s’accomplir. “ L’art doit naître du matériau et de l’outil et doit garder la trace de l’outil et de la lutte de l’outil avec le matériau. L’homme doit parler mais l’outil aussi et le matériau aussi. ” (p.25, L’homme du commun...)

En bref. L’art brut rappelle à l’art : - qu’il est hors codes préétablis, - qu’il doit répondre à une “ nécessité intérieure ”, - qu’il est mise en forme de moyens matériels.

Bibliographie indicative : Bibliographie indicative : . Jean Dubuffet, L’homme du commun à l’ouvrage, idées, Gallimard, 1973. . Jean Dubuffet, Bâtons rompus, Minuit, 1986. . Jean Dubuffet 1942-1960, catalogue Musée des Arts Décoratifs, 1960. . Arc n°35, "Dubuffet, culture et subversion", 1968. Laurent Danchin, Art Brut, L'Instinct créateur, coll. Découvertes n°500, Gallimard, Paris, 2006. . John Maizels, L’art brut, l’art outsider et au-delà, Phaidon, 2003. . Gaëtan Picon, Le travail de Jean Dubuffet, Skira, 1973. . Michel Thévoz, L’art brut, Skira, 1981. . Michel Thévoz, Dubuffet, Skira, 1986. . http://www.dubuffetfondation.co http://www.artbrut.ch