Cours de mobilité sociale (2) Vendredi 21 avril 2006
Égalité des conditions Inégalité des conditions Mobilité Égalité des chances (socialisme révisionniste) Renouvelle ment des élites (Pareto) Immobilité Reproduction égalitaire (objectif communiste) Reproduction inégalitaire (Aristocratie)
L’acteur ou le système? Les paradigmes de la mobilité sociale Paradigme: définition –«–«règles admises et intériorisées comme « normes » par la communauté scientifique, à un moment donné de son histoire, pour délimiter et problématiser les « faits » qu'elle juge dignes d'étude ». Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques 1962
Or les paradigmes peuvent entrer en crise lorsqu’ils échouent à expliquer certains faits aboutissent à des anomalies théoriques. Leur fondement est extra-scientifique, c’est-à-dire infalsifiable Seules les théories sont falsifiables, donc scientifiques. Les paradigmes sont utiles et nécessaires car ils constituent des « matrices disciplinaires » (Kuhn) et des « programmes de recherche » (Lakatos).
Ils ont donc deux aspects : Ils sont féconds, car ils « servent à définir ce qui devrait être étudié, quelles questions devraient être posées et quelles règles devraient être utilisées dans l’interprétation des résultats obtenus » (G. Ritzer). Ils conservent une forte composante idéologique, c’est-à-dire de parti pris partisan ou de représentation inconsciente héritée du monde.
Georges Lukacs ( ) refuse l’existence d’une science sociale il existe des relations étroites entre pensée et action. La connaissance que tout être social peut avoir de lui-même ne peut être que conscience, et non science. Max Weber ( ) admet que les sciences sociales sont subordonnées aux questions que le chercheur pose à une réalité sociale n’ayant elle-même de signification qu’en fonction de valeurs et d’intérêts sociaux spécifiques ; mais il ne renonce pas pour autant à la dimension scientifique de la recherche, à condition que le chercheur contrôle son rapport aux valeurs en recourant à des procédés de démonstration fondés sur les règles de la logique, et donc universellement acceptables.
Le système davantage que l’acteur: une façon spécifique de poser un problème sociologique –« Les trajectoires sociales (immobilité et différentes formes de mobilité) s’expliquent- elles par les structures sociales et leurs évolutions, qui les contraignent ou les rendent possibles, ou bien les structures sont-elles le résultat, instable ou provisoire, de l’action des individus ? » Dominique Merllié
–Ce n’est pas seulement s’interroger sur le sens d’une causalité. – Il existe un autre enjeu : – savoir si ce sont les hommes qui font l’histoire et savent quelle histoire ils font pour ce qui les concerne ; –ou s’ils sont les jouets de structures agissant en réponse à des pressions macro-économiques (ou macro-sociales, par le jeu des « effets pervers ») auxquelles se soumettent les agents.
L’organicisme de Sorokin Ce qui est en jeu c’est la reproduction de la structure. Celle-ci résulte de l’approfondissement de la division sociale du travail ; la structure s’explique par sa fonction chaque place par sa fonctionnalité. La mobilité sociale n’est pas autre chose que le mécanisme par lequel les sociétés assurent le recrutement des individus et des groupes capables d’occuper une position pour remplir efficacement les fonctions qui y sont attachées. QUESTION: par quels moyens cette circulation a-t-elle lieu?
Les « agences » de distribution Il en est deux majeures : la famille et l’école. d’autres, « canaux de la circulation sociale » « orifices », « escaliers » et autres « élévateurs » entre strates EXEMPLES: l’armée, les églises, les partis politiques, les syndicats.
Chacun de ces canaux obéit à un processus en trois temps : 1. il évalue les individus par rapport à la fonction sociale ; 2. il les sélectionne, 3. Il les distribue. Le premier tri: les « qualités générales » la famille, de l’école, de l’église. « la distribution sociale » les institutions professionnelles Objectifs: ni sous-production, ni surproduction chacun doit trouver sa place.
Toute la mobilité observée est structurelle, car elle résulte du fonctionnement d’agences qui ont pour objet de répondre aux exigences de la structure. Il ne peut y avoir de mobilité nette, puisque les individus ne peuvent circuler selon leurs seuls mérites : ce n’est pas l’individu qui se fraie un chemin, c’est la structure qui le distribue. Ce modèle est explicitement organiciste : un corps, la société, dispose des moyens de son renouvellement par l’affectation de ses éléments aux endroits où ils pourront le mieux remplir leurs fonctions.
L’explication fonctionnaliste –Par la suite, l’école américaine (Davis, Moore, Parsons) s’attachera surtout à démontrer la fonctionnalité de la stratification sociale. –Leur credo repose sur trois principes : –L’inégalité sociale est fonctionnelle –La structure sociale est fluide –La mobilité sociale est l’élément « stratégique » (qui permet les ajustements). –La théorie de Lipset-Etterberg-Bendix –Pour ces auteurs la mobilité sociale est la combinaison de deux processus : une offre de statuts vacants et un échange entre positions, auxquels s’ajoute l’analyse des facteurs de motivation à la mobilité ascendante.
D’où viennent les statuts vacants? leur répartition varie, sous le double effet : de la division technique du travail de la fécondité différentielle des individus. La mobilité verticale répond à la nécessité de compenser ces variations par des échanges démographiques. Pour qu’il y ait échanges de positions, il faut que tous les individus possèdent la même capacité, qui leur est garantie, à entrer en compétition pour les statuts.
La théorie de Blau ( ) et Duncan ( ) En 1967 Blau et Duncan publient The American occupational structure, étude de la stratification et de la mobilité sociale aux Etats-Unis et dans les pays industriels.
La méthode ne se veut plus métrologique (étude de la mesure) mais également explicative ; non plus seulement comparative, mais analytique. Sociétés modernes + d’universalisme et d’ « achievement » (l’accomplissement), - de particularismes d’ « ascription »(l’assignation).
Ce phénomène s’explique par trois causes : –Le progrès technologique et économique, qui augmente le nombre de places en haut de l’échelle. –La mobilité géographique, qui affaiblit les liens familiaux. –La fécondité différentielle entre catégories sociales.
–L’universalisme est donc un ensemble de conditions permissives de la mobilité sociale. –Celle-ci résulte de conduites individuelles normativement orientées vers certaines fins socialement valorisées. C’est le changement structurel qui procède de l’évolution des modèles culturels. –Le rôle essentiel est donné ici aux motivations individuelles, le changement structurel en est le résultat. Il s’agit sans doute du paradigme le plus individualiste, et aussi le plus en phase avec l’idéologie libérale américaine.
Les travaux de l’INED. En France, ce fut longtemps l’Institut National des Etudes Démographiques (INED) qui étudia, seul, les phénomènes de mobilité. Ces études commencent avec l’enquête nationale menée en 1950: Mobilité sociale et dimension de la famille première à prendre en compte quatre générations au lieu de deux. Elles se poursuivent avec les travaux d’ Alain Girard (1951), centrés sur les lycées et les facultés. En 1961 il publie aux éditions de l’INED un ouvrage intitulé La réussite sociale en France. Il dessine une « écologie » de la réussite sociale par l’étude des « circonstances extérieures, familiales et sociales susceptibles d’avoir exercé une influence sur la vie des personnes choisies en fonction de critères simples attestant leur réussite ».
Ses études portent sur des personnalités contemporaines d’anciens élèves des grandes écoles des « personnages illustres du passé »
Il souligne le rôle de frein joué par la famille dans le changement social : « Tant qu’elle continuera à remplir, dans la société, les fonctions essentielles qui demeurent les siennes, d’identification sociale et de perpétuation du nom, comme d’éducation du petit enfant, il paraît bien difficile d’assurer à tous l’égalité complète des chances (La réussite sociale en France p. 353) »
Pour P.Longone (1970) c’est la consommation, en entraînant des changements dans la structure de la production et donc des emplois, qui est à l’origine de la mobilité sociale : « Les modifications dans la consommation déclenchent celles de la production ; l’engouement pour l’automobile depuis 1950, pour la télévision depuis 1955 a été générateur d’un essor rapide des métiers et des professions nécessaires à l’étude, à la production, à la vente et à l’entretien de ces objets. (…) L’application du revenu ainsi rendu disponible à des consommations relevant de secteurs à plus haute productivité (d’abord industriels) accroît les emplois… »
Il recourt à l’appui de sa thèse à la loi d’Engel « … la mobilité sociale reflète finalement, dans une large mesure, la variabilité des besoins et de la consommation. » (P.Longone 1970) à mesure que les besoins élémentaires sont satisfaits, la structure de la consommation se déplace vers d’autres besoins (santé, culture…) entraînant des créations d’emploi dans ces secteurs. C’est cette variation dans la structure de la consommation (part moins grande pour l’alimentation, plus grande pour le cinéma) qui va entraîner des déplacements d’individus d’une catégorie vers l’autre.
Pierre Bourdieu ( ) 1964 Les Héritiers le consacrent comme l’intellectuel de la « reproduction sociale » En 1970 dans La reproduction il présente la mobilité sociale comme facteur de conservation et un procédé individualiste dans lequel seuls quelques uns s’en sortent
« …. la mobilité contrôlée d’un nombre limité d’individus peut servir la perpétuation de la structure des rapports de classe ; ou, en d’autres termes, à condition de supposer possible la généralisation à l’ensemble de la classe de propriétés qui ne peuvent sociologiquement appartenir à certains membres de la classe que dans la mesure où elles restent réservées à quelques-uns, donc refusées à l’ensemble de la classe en tant que telle. » (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron 1970, pages 69/70)
« Loin d’être incompatible avec la reproduction de la structure des rapports de classe, la mobilité des individus peut concourir à la conservation de ces rapports, en garantissant la stabilité sociale par la sélection contrôlée d’un nombre limité d’individus, d’ailleurs modifiés par et pour l’ascension individuelle, et en donnant par là sa crédibilité à l’idéologie de la mobilité sociale qui trouve sa forme accomplie dans l’idéologie scolaire de l’Ecole libératrice ». page 206
–Dans la suite de ces auteurs, mais de manière cette fois-ci explicitement marxiste et engagée, d’autres ont nié toute pertinence à cette problématique au motif que quelles que soient les circulations entre les places, la seule chose qui importe est qu’il y a reproduction de ces places.
Nicos Poulantzas « L’aspect fondamental de la reproduction des rapports sociaux –des classes sociales- n’est pas celui des « agents », mais celui de la reproduction des places de ces classes ». (Les classes sociales en France 1974, p.291) Ce qui prime, ce n’est pas la « structure », mais sa reproduction. Il ne concéder aucun rôle à l’école dans la reproduction des classes sociales puisque, « pour la classe ouvrière (..) ce rôle dominant revient en fait directement à l’appareil économique lui-même, à l’entreprise ». (Page 275).
Baudelot et Establet: le problème essentiel n’est pas la reproduction des statuts individuels, mais celle des classes sociales : « ce qui importe au fonctionnement du mode de production capitaliste, ce n’est pas que les fils héritent de la classe sociale de leur père, mais bien que la classe ouvrière, en tant que classe exploitée, opprimée, dominée, et la classe bourgeoise, en tant que classe exploitante, oppressive, dominante soient constamment reproduites ». (Baudelot et Establet L’école capitaliste en France1971 p. 315).
Le paradigme systémique de Raymond Boudon (Né en 1934) La logique du social « les faits sociaux sont le résultat non intentionnel d’actions intentionnelles ». (Boudon 1979) Si l’acteur a la maîtrise de ses décisions, la portée de celles-ci lui échappe.
« l’individualisme méthodologique » va de pair avec un fort déterminisme structurel. La « demande sociétale de compétences » (les besoins de la structure) ne peut pas toujours satisfaire une offre individuelle de qualifications. Selon les cas, les titres scolaires peuvent s’accompagner d’une baisse, d’une augmentation ou d’une constance du statut hérité. Boudon formalise des processus médiateurs. Les perceptions subjectives de la réalité sont ainsi reliées aux décisions. C’est la représentation des contraintes (ou du champ des possibles) qui sera intermédiaire entre la structure et les décisions des acteurs. Chaque décision est une anticipation des chances objectives.
Les relations Structures scolaires/Structures sociales. La sociologie française s’est surtout intéressée au lien existant entre accès au diplôme et origine sociale. Il y a effectivement un lien origine/diplôme MAIS le lien diplôme/statut semble, lui, davantage soumis à caution C’est ce que Boudon a nommé le « paradoxe d’Anderson ».
Paradoxe : une élévation du niveau scolaire ne s’accompagne pas nécessairement d’une élévation sociale. il relève qu’il y a deux fois moins de fils situés à un niveau social plus élevé que de fils situés à un niveau d’instruction plus élevé.
Niveau d’instruction du fils par rapport à celui du père Statut social du fils par rapport à celui du père Plus élevé Sembl able Plus bas Total Plus élevé Sembl able Plus bas Total
Raymond Boudon conclut ainsi son livre L’inégalité des chances : « une diminution de l’inégalité des chances scolaires n’est pas incompatible avec la stabilité de la structure de la mobilité que les données disponibles mettent en évidence. »
Reprenant le paradoxe cité ci-dessus, il évoque deux moments dans un trajet de vie : l’allocation d’une position dans la structure scolaire l’allocation d’une position dans la structure sociale Dans le premier cas, chaque individu évalue depuis sa position sociale le risque, le coût et le bénéfice le choix d’un cursus scolaire. L’ensemble du processus est modélisable puisqu’il est un « processus de décision rationnel dont les paramètres sont la fonction de la position sociale ».
Au sein du second processus, on distingue deux stades ou deux variables : l’origine sociale (effet de dominance) Le niveau d’instruction (effet méritocratique)
Comment expliquer ce paradoxe ? la structure scolaire se modifie plus vite que la structure sociale. La réduction de l’inégalité des chances scolaires ne résulte pas d’une réduction des inégalités socio-économiques, mais de l’augmentation générale de la demande d’éducation sous l’effet de facteurs endogènes, et dans une moindre mesure, exogènes (changements économiques et technologiques).
CONCLUSION Quel que soit le paradigme, le rôle attribué à la structure, sa production ou sa reproduction, le rôle des différentes agences… … les explications proposées gravitent davantage autour du pôle du système que de celui de l’acteur. Font cependant exception Blau et Duncan, pour des raisons idéologiques, certains démographes de l’ INED, repris en 1978 par Scardigli, et des auteurs attachés aux « récits de vie » (Terrail) qui se sont attachés aux caractéristiques de l’acteur pour découvrir les facteurs de la mobilité.