20 Roman inédit de Léo Beaulieu Chapitre 23 L’exode

L’exode Édith accepta avec une certaine appréhension, de livrer en exclusivité la version de son pathétique périple à la maison d’édition ‘ The National Inquirer ’ de New York. Elle œuvra intensément avec un rédacteur chevronné pendant plus d’une semaine, du matin jusqu’à la tombée du jour. Symboliquement, elle apposait un point final à sa longue et tumultueuse aventure. Hélas, du même coup, s’estompaient ses aspirations d’ouvrir dans la grande ville de New York, le commerce dont elle avait tant rêvé. Pourtant, ce n’était pas le manque de moyens financiers qui l’en empêchait ; le service de l’immigration américaine l’avait sommée de quitter le pays où elle s’était illégalement infiltrée lors de sa fuite. Son témoignage lors du procès fit tomber plusieurs têtes, apportant une tempête médiatique sans égale dans Manhattan, ville cosmopolite qui en avait pourtant vu d’autres. Certains acteurs de cette grande comédie dramatique se croyant en toute immunité, subirent les affres de la justice et ne purent s’en remettre ; ruinés, plusieurs mirent fin à leurs jours…

Blottie confortablement dans les bras de son amoureux, Édith examine avec minutie et satisfaction le chèque de deux cent mille dollars que le représentant de ce magazine lui avait remis pour le reportage… Se tournant vers Jason, elle lui confie : – Mon chéri, je contemple ce fabuleux chèque et pourtant, j’ai l’impression d’avoir été rémunérée pour un passage de ma vie dont je ne suis vraiment pas fière. Oui… je te l’avoue… ! Volontairement, je me suis dénudée devant ces ignobles personnages qu’invitait le monstre Goldberg… et la future maman continue : - Puis là, encore, je viens de récidiver verbalement pour ce journal à potins… et pour de l’argent. À mes yeux… c’est une sorte de prostitution déguisée. Faut-il dire que j’éprouve des réactions mixtes cette fois-ci… Je regrette honteusement d’avoir contribué à la publication d’histoires sordides et curieusement, à la fois, je me sens libérée de cet énorme fardeau qui m’accablait depuis ma fugue de cette maison maudite. Je crois que mes aveux intimes donnés à ce journal à potins, mettront un point final à ma triste aventure.

Jason l’écoute fidèlement… Dénotant dans son discours une angoisse évidente, il se presse de la réconforter : – Je ne suis pas en accord avec ta dernière réflexion, mon amour… Contrairement à ce que tu peux en penser, c’est un geste immensément généreux que tu as accompli en publiant le bilan de ce douloureux segment de ta jeunesse. Réalises-tu qu’en avouant publiquement les traitements inhumains que toi et tes consœurs ont été victimes, les jeunes qui liront ta courte biographie pourront ainsi constater que certains raccourcis qu’ils oseront prendre afin de réaliser leur idéal, même involontairement, cachent insidieusement une panoplie d’embûches et de déceptions ? Tout en l’étreignant un peu plus fermement dans ses bras mais d’une douceur inouïe, lui dit : - Ton témoignage servira également à inciter les parents à veiller de plus près sur leurs adolescents. Tentant de lire dans les pensées de leurs jeunes les aspirations qui les animent et prêtant une oreille attentive au récit de leurs préoccupations, ils seront aux aguets et prêts à intervenir au moment propice.

- Aussi fantaisistes qu’ils peuvent apparaître à priori, les rêves dont les enfants se nourrissent, doivent interpeller les parents afin qu’ils deviennent partenaires et confidents à la fois. Toi, Édith, tu rêvais d’une vie meilleure et tu fus fascinée par les images de ces revues à sensation au foyer. Malheureusement, tu ne pouvais pas partager tes désirs avec personne et encore moins, demander conseil. Le jeune homme pose langoureusement ses lèvres sur celles de sa chérie et : – Tu sais, mon amour, il ne faut pas regretter les décisions que l’on a prises dans le passé, qu’elles furent sages ou non. Moi-même, je me demande comment j’aurais réagi à ta place ? Intempestif comme je suis, j’aurais fait pire encore ! Voilà, c’est du passé ! On ne doit pas s’y accrocher ! – Merci, mon chéri… merci pour ces sages mots d’encouragement… Mais, dis-moi Jason ! Tu connais tout le récit de ma vie et moi… enfin, j’ignore tout de toi… ou presque ! J’attends ton enfant et je suis convaincue que tout comme moi, tu m’aimes d’un grand amour… mais vraiment, je n’en sais pas plus ! Parle-moi un peu de tes parents, d’où tu viens… dis-moi tout !

– Bof… ! Pas tellement intéressant mon récit, tu sais. Il réfléchit quelques instants puis… – J’ai tout de même de très bons parents. Ma mère opère un petit commerce à New York… mon paternel est le P.D.G. d’une importante compagnie d’assurance-vie de l’État de New York… je suis enfant unique… Et très ému, il poursuit… - On pourrait même ajouter que d’une certaine manière, je suis orphelin de père puisqu’il est plus préoccupé par la vie des autres que la mienne. L’an passé, suite à ma graduation, il m’a vite enrôlé dans ce réputé collège à Manhattan… tu vois, mon paternel veut que je suive dans ses pas ! Alors, il m’expédie un peu d’argent pour le loyer… Pour les autres frais, je dois me débrouiller seul. On se voit que très rarement sauf lors de la fête de l’Action de Grâces. Je passe les vacances de Noël, isolé, dans leur très grande maison… les deux s’étant envolés pour un voyage qu’ils planifient à chaque année… pour se refaire une santé, disent-ils ! Malgré tout, à chaque Noël, je trouve toujours un fabuleux cadeau au pied de l’arbre. L’an dernier, ce fut cette superbe moto qu’ils m’ont offerte avant leur départ… Je suis persuadé qu’ils croient qu’ils en sont quittes avec leur conscience, convaincus d’être de bons parents.

Soudainement, Jason se tait… les mots ne se transforment plus en phrases cohérentes… il bafouille… puis il devient très triste… ses yeux sont mouillés… La future jeune maman en prend connaissance et elle regrette déjà d’avoir abordé le sujet : – Mon amour, si je suis à tes côtés, libre et heureuse… je te le dois, mon chéri… et également à Hélène… ma fidèle confidente qui a périt en m’aidant à fuir. – Édith ! Ma rencontre avec toi, ce soir de bal au château Goldberg, a été sans équivoque, la plus merveilleuse chose qui m’est arrivée dans la vie… Sur ces mots, le jeune adonis se dégage lentement et avec regret de l’étreinte de sa chère dulcinée… – Allons, ma chérie… c’est le temps d’aller dormir… demain viendra tôt et c’est le grand voyage vers le Canada qui nous attend ! Fin du Chapitre 23 - À suivre…

20 Tous droits réservés Photos : Pierrette Beaulieu Thème musical : Liebestraum