Maxime Le Forestier-Georges Brassens La Légion d’honneur Mérite, politique ou copinage? Par Nanou et Stan
Il conquit un oriflamme teuton. Cet acte lui valut le grand cordon. Tous les Brummel, les dandys, les gandins, il les considérait avec dédain Faisant peu d'cas de l'élégance il s'ha- billait toujours au décrochez-moi-ça Au combat, pour s'en servir de liquette, sous un déluge d'obus, de roquettes, Il conquit un oriflamme teuton. Cet acte lui valut le grand cordon. Mais il perdit le privilège de, s'aller vêtir à la six-quatre-deux, Car ça la fout mal saperlipopette, d'avoir des faux plis, des trous à ses bas, De mettre un ruban sur la salopette. La légion d'honneur ça pardonne pas.
Un soir d'intempérance, à son insu, il éteignit en pissotant dessus L'âme du bon feu maistre Jehan Cotart, se réincarnait chez ce vieux fêtard. Tenter de l'empêcher de boire un pot, c'était ni plus ni moins risquer sa peau. Un soir d'intempérance, à son insu, il éteignit en pissotant dessus Un simple commencement d'incendie. On lui flanqua le mérite, pardi ! Depuis que n'est plus vierge son revers, il s'interdit de marcher de travers. Car ça la fout mal d'aller dans les vignes, dites du seigneur, faire des faux pas Quand on est marqué du fatal insigne. La légion d'honneur ça pardonne pas.
Grand peloteur de fesses convaincu, passé maître en l'art de la main au cul, Son dada c'était que la femme eut le, bas de son dos tout parsemé de bleus. En vue de la palper d'un geste obscène, il a plongé pour sauver de la Seine Une donzelle en train de se noyer, dame ! Aussi sec on vous l'a médaillé. Ce petit hochet à la boutonnière, vous le condamne à de bonnes manières. Car ça la fout mal avec la rosette, de tâter, flatter, des filles les appas La louche au valseur; pas de ça Lisette ! La légion d'honneur ça pardonne pas.
Un brave auteur de chansons malotru, avait une tendance à parler cru, Bordel de dieu, con, pute, et caetera, ornaient ses moindres tradérideras. Sa muse un soir d'un derrière distrait, pondit, elle ne le fit pas exprès, Une rengaine sans gros mots dedans, on vous le chamarra tambour battant. Et maintenant qu'il porte cette croix, proférer « merde » il n'en a plus le droit. Car ça la fout mal de mettre à ses lèvres, de grand commandeur, des termes trop bas, D'chanter l'grand vicaire et les trois orfèvres. La légion d'honneur ça pardonne pas.
Le Figaro - jeudi 1 janvier 2015 Légion d'honneur Premier ordre national français, créé en 1802 par Bonaparte pour récompenser le courage des militaires et aussi les vertus et les services civils. L'organisation initiale a été maintes fois modifiée mais la décoration a survécu à tous les régimes. L'ordre est organisé en cinq classes : chevalier, officier, commandeur (grades) ; grand officier, grand-croix (dignités). L'ordre, dont le chef de l'État est le grand maître, est dirigé par un grand chancelier. Son organisation et son administration sont régies depuis le 28 novembre 1962 par le Code de la Légion d'honneur, modifié par décret du 9 novembre 1981. La Légion d'honneur peut être également attribuée aux villes, emblèmes et collectivités. Le Figaro - jeudi 1 janvier 2015 Ces personnalités qui ont refusé la Légion d'honneur «Je viens d'apprendre que j'étais proposé pour la Légion d'honneur. Je refuse cette nomination». Après le dessinateur Jacques Tardi en 2013, c'est au tour de l'économiste français Thomas Piketty de refuser cette distinction créée par Napoléon au début du XIXe siècle. L'auteur de l'ouvrage Le Capital au XXIe siècle, qui connaît un immense international, a déclaré ne pas vouloir recevoir cette décoration déjà décernée à plus de 92.000 personnes. «Je ne pense pas que ce soit le rôle d'un gouvernement de décider qui est honorable», a-t-il justifié. «Ils feraient bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe.» De nombreuses personnalités ont déjà refusé cette distinction institutionnelle, certains au nom de «liberté», d'autres par pudeur. En 1864, le compositeur Hector Berlioz crie haut et fort son désintérêt devant cette récompense, purement symbolique à ses yeux. Celui auquel l'État désargenté veut payer une messe de Requiem avec le ruban rouge au lieu de lui verser les 3000 francs promis, s'écrie: «Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent!» Le chercheur Pierre Curie, lui, est plus sobre quand il refuse la Légion d'honneur: «Je n'en vois pas la nécessité». Les Curie refusent d'être le centre de l'attention. «En sciences, nous devons nous intéresser aux choses, non aux personnes», affirme Marie Curie. ……/……
«Le fatal insigne qui ne pardonne pas» La romancière George Sand, elle, prend la distinction avec bien plus d'humour. Elle écrit malicieusement au ministre qui lui propose la croix: «Ne faites pas cela cher ami, je ne veux pas avoir l'air d'une vieille cantinière!» «Le fatal insigne qui ne pardonne pas» En 1945, le philosophe et écrivain Jean-Paul Sartre la rejette à son tour au nom de la liberté. En 1964, après avoir également refusé le prix Nobel de littérature, il explique au directeur de l'Académie suédoise: «J'ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque, après la guerre on m'a proposé la Légion d'honneur, j'ai refusé […]. De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis […]. L'écrivain doit refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c'est le cas.» C'est pour des raisons semblables que l'écrivain et dramaturge Marcel Aymé, en 1949, répond de manière cinglante au ministère de l'Éducation nationale qui lui propose l'insigne: «Pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens.» Le chanteur Georges Brassens ne veut pas plus de la prestigieuse distinction, car elle est, selon lui, un facteur d'inhibition. Il écrit une chanson satirique où il dénonce «le fatal insigne qui ne pardonne pas». «Ce petit hochet à la boutonnière. Vous le condamne à de bonnes manières. Car ça la fout mal avec la rosette, De tâter, flatter, des filles les appas…», chante-t-il. D'autres se servent de la médiatisation que leur apporte cette récompense afin de sensibiliser l'opinion publique et le gouvernement à des problèmes qui leur tiennent à cœur. En août 2012, la chercheuse Annie Thébaud-Mony, spécialiste des cancers professionnels, refuse la Légion d'honneur pour dénoncer l'«indifférence» qui touche la santé au travail et l'impunité des «crimes industriels», selon une lettre adressée à l’ex ministre du Logement, Cécile Duflot. Nanou et Stan le 02/01/2015