Avec sa patte boiteuse, blessée par une pierre, le chien passa à mon côté, un chien de pauvre caste. Un de ces chiens de rue, sans race, sans pedigree. Ils naissent dans quelque coin, de chiennes tristes et maigres, condamnés à manger des ordures de place en rue.
Lorsqu’ils sont petits, qu’ils sont rapides et agiles, pendant leur enfance, petits ballons de peluche, douces pelotes de laine ! On les caresse, on les cajole, on les prend dans nos bras. Lorsqu’ils grandissent, au fur et à mesure qu’ils perdent leur grâce, on les abandonne à leur sort, mendiant de maison en maison, mangeant des déchets dans les coins, buvant l’eau des flaques.
Quels tristes yeux ils ont, quel regard désolé, comme si toute leur douleur passait dans ce regard… Et ils meurent de tristesse à l’ombre d’une ruine, à moins qu’un coup ne leur donne une mort anticipée.
Je l’ai appelé : « psst ! psst ! psst ! » Oreilles dressées, curiosité en éveil, tout en faim, en soif, et nostalgie, le chien écoutait ma voix, il humait mes paroles, comme espérant et craignant pain, caresses… ou pierres ! Il ne traînait pas en vain sa patte folle, souvenir de l’une d’elles !
Je l’appelai à nouveau : « psst ! psst ! » A moitié docile, il avance lentement, remuant craintivement la queue et les oreilles basses. Je claque des doigts, je lui dis doucement : « Viens ici, je ne te ferai rien, allons, allons, viens ici ! » Et adieu la crainte ! Déjà il est à mes pieds, à petits cris il me parle, il aboie pour parler plus fort, il saute, il tourne ; il tourne, il saute. Il pleure, il rit; il rit, il pleure.
Sa langue, ses oreilles, ses yeux, ses pattes, sa queue, tout est paroles, tout crie sa joie. Et cette joie est si grande que, plutôt que parler, il chante ! Je lui dis : « Quelle pierre t’a rendu boiteux ? Oui, oui, maudite soit-elle ! » Et il me comprend. Il sait que je maudis la pierre, cette pierre dure qui lui abîma la patte, et, avec la queue, il me dit qu’il apprécie mes regrets.
« Mais ne te préoccupes pas, lui dis-je, à mes yeux il ne te manque rien, car moi aussi je suis boiteux, quoique d’endroits différents selon mes sentiments ou mes regrets… Et, à foulées boiteuses et tristes, je vais de jour en jour. Les pierres que l’on m’a lancées m’ont laissé l’âme boiteuse. Dans les plis de la terre j’ai mon pain et mon lit. »
Alors, allons, mon petit chien, allons, marche que marche, avec notre démarche boiteuse, avec notre tristesse, moi par mes rues obscures, toi par tes rues silencieuses, toi qui as reçu une pierre dans ton corps, moi qui ai reçu une pierre dans mon âme. Et quand tu mourras, ami, je t’enterrerai près de ma maison avec un écriteau : « Ci-gît un compagnon de misère. » Et dans le ciel, avec pain tendre et viande fraîche, Saint Rock t’offrira une canne en argent.
Compagnons, s’il en fut, amis où que nous allions, mon chien et moi, pour la vie : pain pauvre, riche compagnie. Il était vieux et il était jeune : plus je m’occupais de lui, plus les mauvaises années le quittaient… Et nombreuses furent les faims, beaucoup de fatigue sur ses trois pattes, et, un matin, dans le jardin, sous ma fenêtre, je trouvai, raidi, froid comme une pierre mouillée, un dur amalgame de poils qui brillait dans la rosée : c’était mon pauvre chien mort des quatre pattes.
Jusqu’au paradis des chiens il s’en fut, marche que je marche. Portier et maître de ce paradis, Saint Rock était à la porte : orthopédiste des malheurs, chirurgien des mauvaises paroles, bien équipé en tout le nécessaire pour soigner les vieilles blessures.
Pour toi… une queue en or ; pour toi… un œil d’ambre; toi… des oreilles de neige; Et toi – mon chien en riait d’avance – et toi, ta canne en argent. » A présent, vous savez pourquoi la nuit étincelle ! Étoiles ?... Lucioles ?... Non ! C’est mon chien lorsqu’il marche dans le ciel !.. avec sa canne, il va faisant des étincelles d’argent ! Auteur inconnu
Conte d’un auteur inconnu Photos prises sur le Net. Musique : chant traditionnel basque Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix