La vieille Ryka prend le soleil devant sa case. Elle est sereine… Elle sait que son temps est bientôt fini, qu’elle va rejoindre sans tarder la terre de ses ancêtres. Elle revoit dans sa tête toutes les images de sa vie dans le village, au milieu des siens...

Sa mère lui a souvent raconté combien elle avait tremblé, à sa naissance, de voir qu’elle avait encore une fille… D’abord, parce que, un garçon, n’est-ce pas… Mais surtout parce qu’elle avait déjà perdu deux de ses filles à la suite de l’excision...

Par contre, son père s’était montré très fier d’avoir une fille. Sa maman se souvenait qu’il l’avait élevée à bout de bras, comme pour une offrande aux dieux.

Il y avait déjà, à ce moment-là, à la maison, un garçon qui tétait encore… Mais la famille s’était bien agrandie depuis !!!

Son enfance ressemblait à l’enfance de tous les autres gamins du village… Mais l’Ancienne sourit : elle se souvient des mangues du voisin, tellement meilleures quand elle les chapardait !...

Les jeunes ne veulent pas la croire, lorsqu’elle leur dit qu’elle a été, elle aussi, une belle et svelte jeune fille, aimant la danse et les fêtes tribales !

Comme toutes les jeunes filles du monde, elle avait rêvé à son avenir. Mais elle savait depuis toujours qu’elle était promise par ses parents à un riche voisin qui donnerait en échange les plus belles bêtes de son troupeau et une provision de grains.

Sa vie s’était déroulée toute simple : un enfant était aussitôt arrivé, qu’elle aimait sentir vivre contre elle dans la journée.

Puis un autre, très vite. Puis une fillette qui était morte d’infection à la suite de l’excision. Elle avait alors commencé à se battre contre cette coutume. Mais que peut une femme contre le poids des traditions ? Des voix de plus en plus nombreuses, pourtant, se joignaient à la sienne...

Ses deux autres fillettes, cependant, par la suite, avaient traversé vaillamment cette épreuve. Ryka avait demandé au sorcier ses meilleurs charmes pour les protéger, et le charmes avaient été efficaces.

Elle se souvient comme la deuxième épouse de son mari était timide et effrayée quand elle était arrivée.Elle était si jeune ! Elles avaient chacune leur case, bien sûr, mais très vite elles étaient devenues amies.

Elles se partageaient les tâches ménagères, et allaient ensemble puiser l’eau. Le chemin était moins long, en chantant ensemble et en discutant !

Elles allaient ensemble au marché. Selon la saison, elles vendaient des calebasses...

…ou des produits de leur lopin de terre. Les tomates, surtout, donnaient de belles récoltes. Il fallait bien irriguer, par exemple !!!

Le marché était toujours gai, on y côtoyait beaucoup d’ethnies différentes, chacune avec ses costumes. On échangeait, on marchandait, on palabrait interminablement….

Ou bien elles allaient faire du troc avec les femmes d’un village voisin, de l’autre côté de la rivière...

Elles écrasaient le grain qui donnerait les immenses galettes plates cuites sur les cailloux brûlants, et c’était à qui manierait le mieux le pilon de bois...

C’était elle, en général, qui se chargeait de repiquer le riz, plant après plant, dans l’eau boueuse de la rizière. Sa compagne s’occupait de tous les enfants. Elles étaient organisées ! Elle avait eu beaucoup de chance, songeait-elle. Il était rare que les femmes d’un même homme s’entendent ainsi entre elles...

Oui, elles avaient eu de bons moments ensemble...

Quand elle avait vieilli, elle n’avait plus été dans la rizière, elle se contentait de vanner le grain dans la cour, devant la case, jusqu’à ce que le vent ait emporté toute la balle...

Plus tard, ses filles, comme beaucoup de filles du village, étaient parties se placer comme bonnes dans la capitale. Elles revenaient chaque année à la saison des récoltes pour donner un coup de main. Leur mère était très fière d’elles.

En effet, après leur longue et pénible journée de travail, (et grâce a un parrainage), elles avaient encore le courage d’aller le soir au cours d’alphabétisation pour apprendre à lire et à écrire. Elles seraient bientôt les plus savantes du village !!!

De plus en plus souvent, elle était restée immobile, assise au soleil sur le pas de la porte, à regarder jouer les petits-enfants dans la cour...

Oui, elle a bien rempli sa vie… Le cœur en paix, elle peut maintenant s’en aller vers les plaines du grand repos… Ainsi va la vie...

Peintures : Dany Musique : Africanretro Diaporama de Jacky Questel, ambassadrice de la Paix