Charles-Robert Ageron, La décolonisation française. A la fin avril 1945, la population s’attendait à voir la Conférence des Nations Unies réunie à San Francisco, proclamer l’indépendance de l’Algérie et la Ligue arabe lui ouvrir une place dans la Fédération des États arabes. C'est dans ce climat que, quelques jours après la déportation de Messali à Brazzaville et à l'occasion de la célébration de l'armistice du 8 mai, éclatèrent de dures émeutes notamment à Bône, Guelma et Sétif où 29 Européens furent massacrés. Bientôt autour de Sétif et de Guelma. Toutes les campagnes s'insurgèrent spontanément. Les révoltés attaquaient les gardes forestiers isolés, les fermes européennes, certains villages de colonisation (à Périgotville 12 colons furent assassinés). Le 12 mai, l'insurrection avait été écrasée par l'armée française, mais les «rebelles» se réfugièrent dans les montagnes et la lutte continua jusqu'à la mi-juin. La direction du P.P.A.. surprise, ordonna la généralisation de l'insurrection, puis se ravisa devant la violence de la réaction française. Au total, 88 civils européens et 14 militaires avaient été tués: du côté musulman, la répression aurait fait officiellement de à victimes. Mais les nationalistes algériens ont avancé des chiffres beaucoup plus élevés : selon Ferhat Âbbas, selon le P.P.A., selon les 'ulamâ'. Finalement le P.P.A.-M.T.L.D. accrédita le chiffre de « martyrs» qui correspond à peu près à l'ensemble de la population insurgée. Ainsi fut expliquée l'accusation de «génocide» portée par les Algériens contre la France. L'insurrection du Nord-Constantinois entraîna aussi une sévère répression judiciaire : 3630 arrestations et jugements, condamnations à des peines de prison et 157 condamnations à mort, dont 33 furent exécutées. Après ces tragiques événements et malgré une large amnistie accordée en mars 1946, il fut difficile aux habitants de l'Algérie de reprendre une vie commune : deux peuples s'affrontaient irrémédiablement. Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie coloniale. C'est dans ce contexte de radicalisation politique qu'une grave crise économique accentuée par une mauvaise récolte touche l'Algérie et provoque la famine dans les campagnes. On voit alors affluer vers les villes des milliers de paysans affamés, qui, faute de travail et de moyens, se raccrochent aux soupes populaires. Le 8 mai 1945, jour de la signature de l'armistice, dans la plupart des villes d'Algérie, des cortèges d'Algériens musulmans défilent avec des banderoles portant comme mot d'ordre : « À bas le fascisme et le colonialisme. » À Sétif, la police tire sur les manifestants algériens. Ces derniers ripostent en s'attaquant aux policiers et aux Européens. C'est le début d'un soulèvement spontané, appuyé par les militants du PPA du Constantinois. Dans les campagnes, des paysans se soulèvent à La Fayette, Chevreuil, Kherrata, Oued Marsa... On relève 103 tués et 110 blessés parmi les Européens. Le 10 mai, les autorités organisent une véritable « guerre de représailles », selon l'expression de l'historien algérien Mahfoud Kaddache, qui tourne au massacre. Fusillades, ratissages, exécutions sommaires parmi les populations civiles se poursuivent durant plusieurs jours sous la direction du général Duval. Les villages sont bombardés par l'aviation et la marine qui tirent sur la côte. Le général français Tubert parle de tués dans les populations musulmanes. Les nationalistes algériens avanceront le chiffre de morts. Le Parti communiste algérien et le PCF condamnent le soulèvement, en des termes très hostiles aux nationalistes algériens. En Algérie, rien ne sera plus comme avant le 8 mai Le fossé s'est considérablement élargi entre la masse des Algériens musulmans et la minorité européenne. Les plébéiens des villes (sous- prolétaires, chômeurs), le prolétariat et la paysannerie algérienne ont fait l'expérience de la puissance des actions collectives. Une nouvelle génération du PPA entre en scène, qui en viendra à faire de la lutte armée un principe absolu. Neuf ans plus tard débutera la guerre d'Algérie.