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Formation à la neutralité
H.E.B. – Defré – Catégorie pédagogique Cours de M. G. Castorini
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Plan du cours Introduction – La neutralité dans l’enseignement : ses origines et son champ d’application Le droit international des droits de l’homme et la liberté d’enseignement 1.1 L’article 2 du protocole additionnel à la CEDH ( ) 1.2 L’article 13 du Pacte ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966) 1.3 La Convention relative aux droits de l’enfant (1989) 2. Le régime belge de la liberté d’enseignement et le cadre juridique de la neutralité 2.1 Le champ d’application des textes 2.2 L’article 17 de la Constitution de 1847 2.3 L’article 24 de la Constitution de 2.4 Le Pacte scolaire 2.5 Le décret du 31 mars 1994 2.6 Le décret du 17 décembre 2003 3. Le sens de la neutralité et ses paradoxes possibles 3.1 La laïcité de l’espace public et des institutions publiques 3.2 Le pluralisme scolaire Le plan « philosophique » 3.2.2 Le plan politique 4. La neutralité : condition de possibilité du pluralisme ?
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Introduction La neutralité dans l’enseignement : ses origines et son champ d’application
En Belgique, la neutralité est le fruit d’une évolution historique, d’un processus de sécularisation (laïcisation) progressive de la société avec une volonté de respect des différentes positions dites « philosophiques » au sein de l’enseignement. C’est là toute la particularité du système belge – cf. modèle républicain français. La neutralité de l’enseignement public est une réalité complexe qui a des dimensions juridiques, idéologiques et pédagogiques. Des textes légaux l’encadrent et la définissent. Elle est le résultat et l’expression de l’évolution des rapports de force entre les mondes catholique et laïque. Elle induit des attitudes et des comportements spécifiques dans la relation éducative et le rapport au savoir. L’actualité de la neutralité dans le contexte du pluralisme des sociétés contemporaines constitue un enjeu important pour l’avenir de la démocratie. 1. LE CONTEXTE HISTORIQUE La Belgique a toujours été confrontée à une "question scolaire" dont l'origine remonte au XVIIIe siècle. C'est l'époque du "despotisme éclairé" au cours de laquelle apparaît et se précise la notion de communauté "civile" et l'idée que l'Etat doit être "dispensateur de culture": pour assurer son développement et sa prospérité, il a en effet besoin de citoyens compétents et instruits. L'Etat se doit donc d'intervenir dans l'enseignement qui, jusque là, avait été le monopole exclusif de l'Eglise. C'est ce qui explique qu'en 1722, lors de la suppression de la Compagnie de Jésus qui organisait l'enseignement secondaire, l'Impératrice Marie-Thérèse fait reprendre les collèges des Jésuites par l'Etat et les transforme en collèges thérésiens dont certains des athénées royaux sont les héritiers. Le monopole de l'Etat en matière scolaire s'affirme sous les régimes français et hollandais. La Révolution de 1830 et l'accession du pays à l'indépendance marquent une nette réaction contre cette politique; il ne faut pas oublier que la Belgique est, à l'époque, largement catholique et que l'on concevait mal que l'Etat qui, par essence, doit se cantonner dans une prudente neutralité idéologique, se charge de l'éducation qui, pour les catholiques, s'appuie nécessairement sur une éthique. Cependant, il était des partisans de la primauté de l'enseignement de l'Etat qui, prônant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, inscrivaient le problème de l'enseignement dans celui, plus global, des rapports entre l'autorité civile et l'autorité religieuse. Un compromis dut donc être trouvé entre ceux qui auraient souhaité que l'Etat n'intervienne pas dans l'enseignement et les partisans du monopole ou du moins de la priorité de l'enseignement de l'Etat sur l'enseignement libre. Ce compromis s'est traduit au niveau de la Constitution belge dont l'article 17 (devenu ultérieurement l'art. 24) proclame la liberté de l'enseignement. Partant des trois grands principes suivants: liberté absolue reconnue à tout Belge d'organiser un enseignement, absence du monopole de l'Etat en matière d'enseignement; compétence exclusive du législateur pour fixer des critères d'octroi de subventions aux écoles, l'article 17 de la Constitution organise en fait la libre concurrence en matière d'enseignement. A côté des écoles privées, se créèrent et se développèrent des écoles publiques (de l'Etat, des provinces et des communes). La première loi organique de l'enseignement primaire promulguée le 23 septembre 1842 inscrit l'obligation pour toute commune d'avoir au moins une école primaire. Les autorités religieuses reçoivent toutefois de larges garanties sur ces écoles publiques puisque: la commune peut satisfaire à son obligation en "adoptant" une école libre (catholique), l'enseignement de la religion est obligatoire, le clergé a un droit de regard sur tous les cours et livres scolaires. C'était traduire dans la loi deux principes fondamentaux défendus par les milieux catholiques, à savoir: le rôle supplétif de l'école publique (une école publique ne peut être créée et maintenue que là où il n'existe pas d'école catholique), le fondement religieux de l'enseignement public (l'enseignement public doit être imprégné des principes chrétiens).
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La Révolution de 1830 et l'article 17 de la Constitution
La neutralité est le fruit d’une évolution historique, d’un processus de sécularisation (laïcisation) progressive de la société avec une volonté de respect des différentes positions dites « philosophiques » au sein de l’enseignement La neutralité de l’enseignement public est une réalité complexe qui a des dimensions juridiques, idéologiques et pédagogiques La Belgique a toujours été confrontée à une "question scolaire" dont l'origine remonte au XVIIIe siècle La Révolution de 1830 et l'article 17 de la Constitution 1847 voit la constitution du parti libéral qui inscrit à son programme la création d'un enseignement public indépendant des autorités religieuses La nouvelle loi organique de l'enseignement primaire du 1er juillet : primauté de l'école publique, enseignement obligatoire de la morale, enseignement facultatif de la religion, indépendance totale des écoles vis-à-vis des autorités religieuses reconnaissance de la neutralité de l'enseignement de l'Etat 1955 : loi Collard 1958 : Pacte scolaire 1847 voit la constitution du parti libéral qui inscrit à son programme la création d'un enseignement public indépendant des autorités religieuses. Au fil des années, la doctrine de la laïcité se précise. La nouvelle loi organique de l'enseignement primaire du 1er juillet 1879 considérée par les milieux catholiques comme une "loi de malheur", un attentat contre la foi et les mœurs, organise l'enseignement selon les principes laïques: primauté de l'école publique, enseignement obligatoire de la morale, enseignement facultatif de la religion, indépendance totale des écoles vis-à-vis des autorités religieuses. Une véritable guerre scolaire est ainsi déclenchée et va, au niveau du monde politique belge, imposer des critères de distinction entre la gauche et la droite: d'un côté, la défense du principe de la laïcité, c'est-à-dire d'une école unique, accessible à tous, respectueuse des convictions de chacun et qui apprend à des enfants de milieux différents à se respecter et à vivre ensemble; de l'autre, la défense de l'école libre catholique dont la conviction reste que l'éducation doit donner à l'enfant les certitudes qu'apportent la révélation et la foi chrétiennes. C'est de là que date la reconnaissance de la neutralité de l'enseignement de l'Etat, les catholiques abandonnant dès lors le principe du fondement religieux de l'enseignement public. Le combat scolaire change dès lors de sens: il s'agit pour les catholiques d'empêcher le développement de l'école officielle, pour la gauche libérale et socialiste (l'entrée des socialistes au Parlement date de 1894) de dénier à l'école libre le droit à toute subvention, l'école publique, l'école de tous, devant par contre bénéficier d'un statut privilégié. Mais les catholiques accèdent au pouvoir en ils y resteront trente ans! - et profitent largement de cette situation pour obtenir des subsides de plus en plus importants pour les écoles libres: en 1914 (c'est l'instauration de l'enseignement primaire obligatoire), la prise en charge par l'Etat des traitements des instituteurs en plus des subventions acquises après guerre, jusqu'en 1950. Libéraux et socialistes s'efforcent d'obtenir des compensations: fonds des constructions scolaires de l'Etat, droit pour l'Etat de créer des écoles maternelles, mise sur pied d'égalité de la morale non confessionnelle et de la religion. A la droite triomphante de 1950 succède la gauche victorieuse de Le Gouvernement annonce une politique de promotion de l'enseignement officiel et de contrôle des subsides à l'enseignement libre. La loi Collard, votée en juillet 1955, traduit cette politique. Cette loi se caractérise essentiellement par la généralisation du paiement direct des traitements du personnel et l'affirmation du devoir de l'Etat de créer des établissements scolaires "là où le besoin s'en fait sentir". Le PSC et les autorités scolaires catholiques déchaînent une campagne violente contre la loi Collard qui est cependant votée et appliquée. Le pilier catholique se mobilise et déclenche la seconde guerre scolaire. Les élections de 1958 sont défavorables au Gouvernement: le PSC, vainqueur, propose de rechercher une solution négociée à la question scolaire. Une Commission nationale est constituée et se réunit pour la première fois le 8 août Le 20 novembre 1958, l'accord est signé; le 29 mai 1959, la loi reprenant les principes et fixant les modalités de l'accord est votée. La conclusion du Pacte scolaire calme le jeu. Les problèmes scolaires ne reprendront une certaine acuité que dans le cadre des réformes de l'Etat enclenchées depuis 1970. La régionalisation, mais surtout la communautarisation de l'enseignement intervenue en 1988 modifient profondément les structures de l'enseignement en Belgique, chaque Communauté menant désormais sa propre politique en la matière.
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1. Le droit international des droits de l’homme et la liberté d’enseignement
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1.1 Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (extrait) Art. 2 - Droit à l’instruction Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. 1) L’art. 2 part du principe que la responsabilité de l’éducation repose prioritairement sur les parents. Pas d’embrigadement dans une philosophie déterminée par les pouvoirs publics. 2) L’art. 2 énonce le droit de toute personne d’accéder sans discrimination aux établissements scolaires existants. Il oblige aussi les pouvoirs publics à reconnaître officiellement les études accomplies dans le respect de certaines conditions. 3) La Cour européenne des droits de l’homme veille au respect d’un double pluralisme : un pluralisme multi-institutionnel qui veut que les parents soient libres de choisir de placer leurs enfants dans des écoles privées plutôt que publiques, étant entendu que l’Etat ne doit pas nécessairement financer les premières, et un pluralisme mono-institutionnel qui s’impose aux secondes en ce sens que l’enseignement public doit « veiller à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste » (arrêt Kjelsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark du 7 décembre 1976).
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Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (extraits)
Art. 9 - Liberté de pensée, de conscience et de religion 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. 1) L’organisation internationale qui a préparé la Convention européenne des droits de l’homme est le Conseil de l’Europe qui a été créé en 1949 (c’est l’organisation politique la plus ancienne du continent) pour défendre les droits de l’homme, la démocratie parlementaire et la prééminence du droit. Elle regroupe actuellement 46 Etats, dont les 25 Etats membres de l’Union européenne (qui constitue une organisation distincte, une organisation d’intégration, et non une organisation de simple coopération comme le Conseil de l’Europe). 2) Le texte de la Convention européenne des droits de l’homme consacre principalement des libertés-franchises, c’est-à-dire des domaines réservés à l’autonomie des personnes, en principe sans répercussion autre que négative pour autrui qui doit s’abstenir d’y faire obstacle. Ces libertésfranchises imposent d’abord aux pouvoirs publics une obligation d’abstention, de laisser-faire. Mais on s’est vite rendu compte, notamment grâce à la critique marxiste, de l’insuffisance de cette conception libérale. Aussi, une deuxième génération de droits de l’homme est née : celle des droits économiques, sociaux et culturels, encore appelés droits-créances. Ceux-ci obligent les pouvoirs publics à réaliser certaines prestations positives pour permettre à chacun, autant que possible, d’avoir un emploi, un logement décent, un accès à l’éducation, à la culture, etc... On rencontrera ces droits-créances dans le Pacte des Nations-Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (cfr infra ). Aussi, depuis de
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1.2 Article 13 du Pacte ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels
Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. L’article 13, §1er, énonce les finalités du droit à l’éducation. Ces finalités s’appliquent tant aux écoles publiques qu’aux écoles privées (cfr en ce sens le §4). La contribution de l’école à la promotion des droits de l’homme est donc attendue des écoles libres comme des écoles officielles. 2) L’article 13, §2, énonce des droits-créances. Parmi ceux-ci, figure le droit
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1.3 Convention relative aux droits de l’enfant (1989)
Article L'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l'enfant. Article Les Etats parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. 2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l'enfant, de guider celui-ci dans l'exercice du droit susmentionné d'une manière qui correspond au développement de ses capacités. 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu'aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l'ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui.
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Article 16 Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
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2. Le régime belge de la liberté d’enseignement et le cadre juridique de la neutralité
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2.1 Le champ d’application des textes
L’enseignement organisé par la C.F. L’enseignement officiel subventionné non-confessionnel (Provinces, Communes) L’enseignement libre subventionné non-confessionnel Cf. Réseaux et P.O. de l’enseignement
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2.2 L’art. 17 de la Constitution de 1831
Art. 17. § 1. L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite, la répression des délits n'est réglée que par la loi (ou le décret). La Communauté assure le libre choix des parents. La Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves. Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle.) § 2. Si une Communauté, en tant que pouvoir organisateur, veut déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes, elle ne le pourra que par décret adopté à la majorité des deux tiers § 3. Chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L'accès à l'enseignement est gratuit jusqu'à la fin de l'obligation scolaire. Tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit, à charge de la Communauté, à une éducation morale ou religieuse. § 4. Tous les élèves ou étudiants, parents, membres du personnel et établissements d'enseignement sont égaux devant la loi ou le décret. La loi et le décret prennent en compte les différences objectives, notamment les caractéristiques propres à chaque pouvoir organisateur, qui justifient un traitement approprié. § 5. L'organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l'enseignement par la Communauté sont réglés par la loi ou le décret. La Belgique a toujours été confrontée à une "question scolaire" dont l'origine remonte au XVIIIe siècle. C'est l'époque du "despotisme éclairé" au cours de laquelle apparaît et se précise la notion de communauté "civile" et l'idée que l'Etat doit être "dispensateur de culture": pour assurer son développement et sa prospérité, il a en effet besoin de citoyens compétents et instruits. L'Etat se doit donc d'intervenir dans l'enseignement qui, jusque là, avait été le monopole exclusif de l'Eglise. C'est ce qui explique qu'en 1722, lors de la suppression de la Compagnie de Jésus qui organisait l'enseignement secondaire, l'Impératrice Marie-Thérèse fait reprendre les collèges des Jésuites par l'Etat et les transforme en collèges thérésiens dont certains des athénées royaux sont les héritiers. Le monopole de l'Etat en matière scolaire s'affirme sous les régimes français et hollandais. La Révolution de 1830 et l'accession du pays à l'indépendance marquent une nette réaction contre cette politique; il ne faut pas oublier que la Belgique est, à l'époque, largement catholique et que l'on concevait mal que l'Etat qui, par essence, doit se cantonner dans une prudente neutralité idéologique, se charge de l'éducation qui, pour les catholiques, s'appuie nécessairement sur une éthique. Cependant, il était des partisans de la primauté de l'enseignement de l'Etat qui, prônant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, inscrivaient le problème de l'enseignement dans celui, plus global, des rapports entre l'autorité civile et l'autorité religieuse. Un compromis dut donc être trouvé entre ceux qui auraient souhaité que l'Etat n'intervienne pas dans l'enseignement et les partisans du monopole ou du moins de la priorité de l'enseignement de l'Etat sur l'enseignement libre. Ce compromis s'est traduit au niveau de la Constitution belge dont l'article 17 (devenu ultérieurement l'art. 24) proclame la liberté de l'enseignement. Partant des trois grands principes suivants: liberté absolue reconnue à tout Belge d'organiser un enseignement, absence du monopole de l'Etat en matière d'enseignement; compétence exclusive du législateur pour fixer des critères d'octroi de subventions aux écoles, l'article 17 de la Constitution organise en fait la libre concurrence en matière d'enseignement. On peut supposer que beaucoup de catholiques avaient espéré que l'initiative privée pourrait pourvoir aux besoins de façon telle que l'intervention de l'Etat serait inutile. Mais ce ne fut pas le cas et, à côté des écoles privées, se créèrent et se développèrent des écoles publiques (de l'Etat, des provinces et des communes). La première loi organique de l'enseignement primaire promulguée le 23 septembre 1842 inscrit l'obligation pour toute commune d'avoir au moins une école primaire. Les autorités religieuses reçoivent toutefois de larges garanties sur ces écoles publiques puisque: la commune peut satisfaire à son obligation en "adoptant" une école libre (catholique), l'enseignement de la religion est obligatoire, le clergé a un droit de regard sur tous les cours et livres scolaires. C'était traduire dans la loi deux principes fondamentaux défendus par les milieux catholiques, à savoir: le rôle supplétif de l'école publique (une école publique ne peut être créée et maintenue que là où il n'existe pas d'école catholique), le fondement religieux de l'enseignement public (l'enseignement public doit être imprégné des principes chrétiens). 1847 voit la constitution du parti libéral qui inscrit à son programme la création d'un enseignement public indépendant des autorités religieuses. Au fil des années, la doctrine de la laïcité se précise. La nouvelle loi organique de l'enseignement primaire du 1er juillet 1879 considérée par les milieux catholiques comme une "loi de malheur", un attentat contre la foi et les mœurs, organise l'enseignement selon les principes laïques: primauté de l'école publique, enseignement obligatoire de la morale, enseignement facultatif de la religion, indépendance totale des écoles vis-à-vis des autorités religieuses. Une véritable guerre scolaire est ainsi déclenchée et va, au niveau du monde politique belge, imposer des critères de distinction entre la gauche et la droite: d'un côté, la défense du principe de la laïcité, c'est-à-dire d'une école unique, accessible à tous, respectueuse des convictions de chacun et qui apprend à des enfants de milieux différents à se respecter et à vivre ensemble; de l'autre, la défense de l'école libre catholique dont la conviction reste que l'éducation doit donner à l'enfant les certitudes qu'apportent la révélation et la foi chrétiennes. C'est de là que date la reconnaissance de la neutralité de l'enseignement de l'Etat, les catholiques abandonnant dès lors le principe du fondement religieux de l'enseignement public.
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2.3 L’article 24 de la Constitution de 1847
Article 24, § 1er, 3° et 4° alinéas de la Constitution « La Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves. Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle. » L’article 24 de la constitution a été adopté sous la forme où nous le connaissons aujourd’hui en 1988 lors de la communautarisation de l’enseignement. Le paragraphe 1er stipule que la communauté assure le libre choix des parents et qu’elle organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves. En ce qui concerne l’enseignement public subventionné, la constitution précise que les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non-confessionnelle. La constitution rend donc obligatoire la neutralité de l’enseignement organisé par la Communauté française. Par cette obligation, le législateur garantit que les principes fondamentaux qui fondent le pacte constitutionnel en matière d’enseignement, à savoir la liberté et le libre-choix des parents, seront respectés. Dans le contexte de la liberté de l’enseignement, la constitution exprime la volonté du législateur de ne pas contraindre des parents à inscrire leurs enfants dans des écoles philosophiquement ou religieusement orientées et qui se donnent pour mission la propagation d’un système de valeurs ou de croyances particulier, l’évangile ou le coran par exemple, qui serait contraire à leurs propres convictions. L’article 24 §1 de la constitution dit que la neutralité implique « notamment » le respect des différentes conceptions philosophiques et religieuses. On verra en effet que le législateur sera amené ultérieurement par décret à préciser le concept de neutralité et à en étendre la signification comme la portée. Si la constitution définit l’enseignement de la neutralité comme neutre, elle se contente d’exiger de l’enseignement public subventionné qu’il offre le choix entre l’enseignement des religions reconnues et la morale non-confessionnelle. Cette différence a singulièrement compliqué la généralisation de la neutralité à tout l’enseignement officiel ces quinze dernières années. D’une façon générale, retenons que la liberté de l’enseignement et le libre-choix des parents impliquent des contraintes et des obligations pour l’enseignement officiel, tandis que l’enseignement privé, confessionnel ou non confessionnel, qui ne figure pas dans la constitution, bénéficie d’une liberté qui ne peut être restreinte par aucune mesure préventive.
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2.4 Le Pacte scolaire Article 2 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement « Parmi les écoles citées ci-dessus sont réputées : a) neutres, celles qui respectent toutes les conceptions philosophiques ou religieuses des parents qui leur confient leurs enfants et dont au moins trois quarts du personnel enseignant sont porteurs d’un diplôme de l'enseignement officiel et neutre. b) ». Résolution n° 15 du Pacte scolaire du 20 novembre 1958 « En fait, les fonctions d'institutrice gardienne, d'instituteur primaire ou de régent dans l'enseignement de l’État seront accordées par priorité aux porteurs d'un diplôme de l'enseignement non confessionnel. En ce qui concerne les licenciés, la priorité sera accordée aux porteurs d'un diplôme d'un établissement non confessionnel, sans cette réserve qu'il sera veillé à admettre un pourcentage de diplômés de l'enseignement confessionnel égal au pourcentage moyen des deux précédentes législatures. » Pour la Loi du Pacte scolaire (Loi du 29 mai 1959), sont réputées neutres les écoles « qui respectent toutes les conceptions philosophiques ou religieuses des parents qui leur confient leurs enfants et dont au moins deux tiers du personnel enseignant sont porteurs d’un diplôme de l’enseignement officiel et neutre » (article 1er, §2). L’exposé des motifs de la Loi liait explicitement la neutralité à la volonté politique des signataires du Pacte d’assurer le libre choix. Cette volonté impliquait également l’obligation pour l’Etat d’assurer le libre choix par l’organisation ou la création d’un enseignement neutre au niveau gardien, primaire, moyen, normal et technique « là où le besoin s’en fait sentir » (Résolutions du Pacte scolaire, chapitre C « Le respect du libre choix », § 9). Le Pacte scolaire signé le 20 novembre 1958 par les représentants du PSC, du PSB et du PLP et ratifié par la loi du 29 mai 1959 est un accord de fait qui traduit un compromis doctrinal et financier. Au point de vue doctrinal, il consacre le système du pluralisme des institutions sous lequel, en fait, la Belgique vit depuis 1919: en effet, les parents ont le droit de choisir le genre d'éducation de leurs enfants, ce qui implique la possibilité de trouver à une distance convenable une école correspondant à leur choix, c'est-à-dire dispensant un enseignement confessionnel ou un enseignement non confessionnel. Au point de vue financier, il organise le principe du subventionnement tant pour l'enseignement libre que pour l'enseignement provincial et communal. Les subsides perdent leur caractère de concession en s'inscrivant dans le cadre d'une politique "généreuse et hardie d'expansion de l'enseignement". Moyennant le respect de certaines conditions, tous les établissements d'enseignement reconnus viables obtiennent des subventions-traitements, des subventions de fonctionnement et des subventions d'équipement. A. UN COMPROMIS DOCTRINAL: LE PLURALISME DES RESEAUX D'ENSEIGNEMENT 1. Des écoles officielles et des écoles libres L'article 2 du Pacte scolaire consacre l'existence de deux grands réseaux parallèles, à savoir: l'enseignement officiel, l'enseignement libre. * Les écoles officielles sont celles qui sont organisées par l'Etat, les provinces, les communes, les associations de communes ou par toute personne de droit public.
* Les écoles qui ne sont pas officielles sont dites libres. 2. Des écoles neutres et des écoles confessionnelles Entendant garantir aux parents le libre choix dans l'éducation de leurs enfants, le Pacte scolaire prévoit un autre type de classification des établissements d'enseignement basé sur l'orientation philosophique des écoles officielles et libres, à savoir: l'enseignement confessionnel, l'enseignement non confessionnel (ou neutre). Traditionnellement, on entend par "enseignement confessionnel" l'enseignement engagé dans la conception religieuse et par "enseignement non confessionnel" à la fois celui qui n'est pas engagé et celui qui est engagé dans le sens du rationalisme, du scientisme. Mais ni le texte du Pacte ni le texte de la loi ne donnent la définition de ces termes. Par contre, on trouve dans la loi une définition de la neutralité: aux termes de l'article 2 de la loi du
29 mai 1959, "sont réputées neutres, les écoles qui respectent toutes les conceptions philosophiques ou religieuses des parents qui leur confient leurs enfants et dont au moins les 3/4 (N.B.: la proportion a été portée de 2/3 à 3/4 par la loi du 14 juillet 1975) du personnel enseignant sont porteurs d'un diplôme de l'enseignement officiel et neutre". Cette définition, qui s'explique par l'évolution des idées au cours des négociations sur le Pacte, précise en fait les critères du libre choix des parents. C'est sur cette base que l'Etat se doit d'intervenir pour permettre aux parents de disposer à une distance raisonnable d'une école correspondant à leur choix. Ainsi, l'Etat est-il obligé, conformément au prescrit de l'article 4 du Pacte scolaire: à la demande des parents qui désirent un enseignement non confessionnel et ne trouvent pas à une distance raisonnable une école dont au moins les 3/4 des membres du personnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement non confessionnel, soit d'ouvrir une école d'Etat ou une section d'école d'Etat, soit d'assumer les frais de transport vers une telle école ou section, soit d'admettre aux subventions une école libre non confessionnelle existante; à la demande des parents qui désirent un enseignement confessionnel et ne trouvent pas à une distance raisonnable une école dont au moins 3/4 des membres du personnel sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement confessionnel, soit d'admettre aux subventions une école libre confessionnelle existante, soit d'assurer le transport vers une telle école ou section.
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2.5 Le décret du 31 mars 1994 Décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française « Le Conseil de la Communauté française a adopté et Nous, Gouvernement, sanctionnons ce qui suit : Article 1er. Dans les établissements d'enseignement organisés par la Communauté, les faits sont exposés et commentés que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la vérité est recherchée avec une constante honnêteté intellectuelle, la diversité des idées est acceptée, l'esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste. Article 2. L'école de la Communauté éduque les élèves qui lui sont confiés au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les Conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de l'enfant qui s'imposent à la Communauté. Elle ne privilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s'interdit l'étude d'aucun champs du savoir. Elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d'exercer librement ses choix. Elle respecte la liberté de conscience des élèves. Article 3. Les élèves y sont entraînés graduellement à la recherche personnelle; ils sont motivés à développer leurs connaissances raisonnées et objectives à exercer leur esprit critique. L'école de la Communauté garantit à l'élève ou à l'étudiant, eu égard à son degré de maturité, le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question d'intérêt scolaire ou relative aux droits de l'homme. Le décret a été adopté après la communautarisation de l’enseignement. Du côté francophone, c’est donc la Communauté française qui désormais est en charge de l’enseignement de l’Etat et c’est à l’enseignement qu’elle organise que s’adresse le décret du 31 mars Du côté néérlandophone, une disposition décrétale sera également adoptée sur la neutralité de l’enseignement organisé par la Vlaamse Gemeenschap (« Neutraliteitsverklaring van het Gemeenschaponderwys », 25 mai 1989). Le décret du 31 mars 1994 comprenait initialement 5 articles définissant la neutralité. Il a depuis été complété par le décret du 17 décembre 2003 (voir infra) avec cinq articles supplémentaires qui visent l’organisation de la neutralité et abrogent certaines dispositions légales antérieures (notamment du Pacte scolaire). Ces articles précisent comment un pouvoir organisateur peut adhérer à la neutralité et selon quelle procédure, comment s’exerce le contrôle de la neutralité, comment la publicité du caractère neutre doit être inscrite dans le projet pédagogique et le projet d’établissement, comment s’organise la formation du personnel enseignant à la neutralité, quelle obligation contracte un enseignant par rapport à la neutralité. Les cinq premiers articles décrivent trois aspects principaux : - Les articles 1 et 2 décrivent les caractéristiques de l’enseignement neutre : «… les faits (y) sont exposés et commentés, que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la vérité est recherchée avec une constante honnêteté intellectuelle, la diversité des idées est acceptée, l’esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste » (art. 1) ; les élèves y sont éduqués « … au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de l’enfant qui s’imposent à la Communauté. » (art.2) ; l’école neutre « ne privilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir. Elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d’exercer librement ses choix. Elle respecte la liberté de conscience des élèves. » (art.2) - Les articles 3 et 4 fixent les droits et les devoirs des élèves et du personnel de l’enseignement neutre : a) Les élèves ont des droits dont l’exercice a pour seule condition le respect des droits fondamentaux et du règlement intérieur de l’établissement. « Les élèves y sont entraînés graduellement à la recherche personnelle ; ils sont motivés à développer leurs connaissances raisonnées et objectives et à exercer leur esprit critique »; ils bénéficient de la « liberté d’expression, de la liberté de rechercher, de recevoir, de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l’élève et de l’étudiant, à la seule condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publique, et que soit respecté le règlement intérieur de l’établissement. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et la liberté d’association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions » (art.3) b) Le personnel de l’enseignement a des devoirs et est soumis a des attitudes de réserve. Il « forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l’humanisme contemporain. En ce sens, il fournit aux élèves les éléments qui contribuent au développement libre et graduel de leur personnalité et qui leur permettent de comprendre les options différentes ou divergentes qui constituent l’opinion. Il traite les justifications politiques, philosophiques et doctrinales des faits, en exposant la diversité des motivations. Il traite les questions qui touchent à la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l’homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d’aucun des élèves. » Par ailleurs l’enseignant adopte une attitude de réserve : « Devant les élèves, il s’abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont dans l’actualité et divisent l’opinion publique ». De même, il ne peut témoigner en faveur d’un système philosophique, politique ou religieux. Il est enfin garant que ne se développe pas sous son autorité du prosélytisme philosophique et religieux ou du militantisme politique organisés par ou pour les élèves (art. 4). - L’article 5 définit l’attitude des enseignants des cours des religions reconnues et de morale inspirée par le libre-examen : ils « s’abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles » (art.5). Le décret du 31 mars 1994 a constitué une étape importante dans la définition du concept de neutralité. Même s’il ne rencontrait pas complètement les attentes du monde laïque qui aurait sans doute préféré une conception moins réservée ou négative et une vision plus active de la neutralité, le texte a été adopté par un vote à l’unanimité au Conseil de la Communauté française. Il a ainsi bénéficié d’un large consensus précieux dans le contexte d’une pacification progressive de la question scolaire. Le décret, par son implication volontariste dans le sens de la promotion des valeurs démocratiques et de l’éducation à la citoyenneté, situait clairement l’enseignement organisé par la Communauté française dans le paysage scolaire par référence aux valeurs modernistes de l’humanisme, à la Constitution et aux grandes conventions internationales ratifiées par la Communauté française. En particulier, le Décret faisait écho au Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 20 mars 1952, approuvé par la loi du 13 mai 1955 (MB ) : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonction qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » (Art. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 20 mars 1952). Il annonçait également la généralisation de la neutralité à l’ensemble de l’enseignement public, une revendication laïque très ancienne qui ne se verra finalement concrétisée qu’une petite dizaine d’années plus tard avec le décret du 17 décembre 2003.
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Article 4. - Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 2, le personnel de l'enseignement forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l'humanisme contemporain. En ce sens, il fournit aux élèves les éléments d'information qui contribuent au développement libre et graduel de leur personnalité et qui leur permettent de comprendre les options différentes ou divergentes qui constituent l'opinion. Il traite les justifications politiques, philosophiques et doctrinales des faits, en exposant la diversité des motivations. Il traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves. Devant les élèves, il s'abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique; de même, il refuse de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique, quel qu'il soit et, en dehors des cours visés à l'article 5, il s'abstient de même de témoigner en faveur d'un système religieux. De la même manière, il veille à ce que sous son autorité ne se développe ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisés par ou pour les élèves. Article 5. - Les titulaires des cours de religions reconnues et de morale inspirée par ces religions, ainsi que les titulaires des cours de morale inspirée par l'esprit de libre examen, s'abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles. Les cours visés à l'alinéa précédent, là où ils sont légalement organisés, le sont sur un pied d'égalité. Ils sont offerts au libre choix des parents ou des étudiants. Leur fréquentation est obligatoire.
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2.6 Le décret du 17 décembre 2003 Article 2. - Dans l'enseignement officiel subventionné, les faits sont exposés et commentés, que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la diversité des idées est acceptée, l'esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste. Article 3. - L'école officielle subventionnée éduque les élèves qui lui sont confiés au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions internationales relatives aux droits de l'homme et de l'enfant qui s'imposent aux pouvoirs publics. Elle ne privilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s'interdit l'étude d'aucun champ du savoir. Elle respecte la liberté de conscience des élèves. Le décret du 17 décembre 2003 comporte trois parties. Le Chapitre 1er aborde les dispositions générales, le chapitre 2 introduit les dispositions modificatives, le chapitre 3 énonce les dispositions transitoires et finales. Examinons ces trois parties. a) Le chapitre 1er Il comprend six articles et s’applique à l’enseignement subventionné organisé par la Commission communautaire française, les provinces, les communes, les associations de communes et toute personne de droit public ainsi qu’aux pouvoirs organisateurs de l’enseignement subventionné libre non confessionnel qui adhèrent aux principes du décret (article 1). Les articles 2 et 3 définissent les caractéristiques de l’enseignement neutre subventionné : «… les faits (y) sont exposés et commentés, que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la vérité est recherchée avec une constante honnêteté intellectuelle, la diversité des idées est acceptée, l’esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste » (art. 2) ; les élèves y sont éduqués « … au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de l’enfant qui s’imposent aux pouvoirs publics. Elle ne privilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir. Elle respecte la liberté de conscience des élèves. » (art.3) Le texte des articles 2 et 3 est identique au décret sur la neutralité du 31 mars Une phrase a toutefois été omise (« Elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d’exercer librement ses choix »). Cette omission n’est pas l’expression d’une différence de fond. Elle résulte des contraintes juridiques exprimées par le Conseil d’Etat. Le caractère spécifique de la neutralité dans l’enseignement subventionné résulte du prescrit constitutionnel sur le choix entre cours de morale et de religion (voir supra). Cet aspect fait donc l’objet d’un développement particulier dans l’article 5. D’autre part, la législation du Pacte scolaire garantissant l’autonomie des communes et des provinces quant aux choix des méthodes pédagogiques, il n’est pas fait référence explicitement dans le décret aux méthodes.
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Article 4. - L'école officielle subventionnée garantit à l'élève ou à l'étudiant le droit d'exercer son esprit critique et, eu égard à son degré de maturité, le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question d'intérêt scolaire ou relative aux droits de l'homme. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l'élève et de l'étudiant à condition que soient sauvegardés les droits de l'homme, la réputation d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public, la santé et la moralité publiques. Le règlement d'ordre intérieur de chaque établissement peut prévoir les modalités selon lesquelles les droits et libertés précités sont exercés. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et d'en débattre, ainsi que la liberté d'association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions. Aucune vérité n'est imposée aux élèves, ceux-ci étant encouragés à rechercher et à construire librement la leur. L’article 4 garantit aux élèves l’exercice d’un certain nombre de droits qui ne connaît d’autres limites que le respect des droits fondamentaux et du règlement d’ordre intérieur de l’établissement. L’élève ou l’étudiant « a le droit d’exercer son esprit critique et, eu égard à son degré de maturité, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question d’intérêt scolaire ou relative aux droits de l’homme. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l’élève et de l’étudiant, à condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publique. Le règlement intérieur de chaque établissement peut prévoir les modalités selon lesquelles les droits et les libertés précités sont exercés. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et d’en débattre, ainsi que la liberté d’association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions » (art.4) Par rapport au décret du 31 mars 1994, l’article 4 introduit des précisions : le droit d’exercer son esprit critique, le droit de débattre de ses opinions religieuses ou de ses convictions. Par ailleurs, le règlement d’ordre intérieur voit son rôle précisé en la matière : il peut prévoir les modalités d’exercice des droits et libertés précités. L’article 4 retranche par ailleurs la phrase du décret de 1994 qui renvoyait implicitement à la méthode du libre examen (« Les élèves y sont entraînés graduellement à la recherche personnelle ; ils sont motivés à développer leurs connaissances raisonnées et objectives et à exercer leur esprit critique ») et restitue cette référence par l’exclusion du dogmatisme et la volonté de préparer les élèves à poser des choix : « Aucune vérité n’est imposée aux élèves, ceux-ci étant encouragés à rechercher et à construire librement la leur ».
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Article 5. - Afin notamment de garantir le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle, le personnel de l'enseignement officiel subventionné 1° adopte une attitude réservée, objective et constamment alertée contre le risque d'induire chez les élèves ou étudiants des préjugés qui compromettent ce choix; 2° traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques et les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves; L’article 5 définit les devoirs du personnel de l’enseignement officiel subventionné afin de garantir notamment le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues ou de la morale non confessionnelle : « 1°- (Il) adopte une attitude réservée, objective et constamment alertée contre le risque d’induire chez les élèves ou les étudiants des préjugés qui compromettent ce choix ; 2°- (Il) traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques et les options religieuses de l’homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d’aucun des élèves ; 3°(Il) s’abstient, devant les élèves, de toute attitude et de tout propos partisan dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d’actualité et qui divisent l’opinion publique. Il amène les élèves à considérer les différents points de vue dans le respect des convictions d’autrui. De même, il refuse de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique quel qu’il soit. Il veille toutefois à dénoncer les atteintes aux principes démocratiques, les atteintes aux droits de l’homme et les actes ou propos racistes, xénophobes ou révisionnistes. Il veille, de surcroît, à ce que, sous son autorité, ne se développent ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisé par ou pour les élèves ». (art.5) L’article 5 constitue certainement le cœur du décret. Il exprime les intentions profondes et les tensions internes du texte. La neutralité de l’enseignement officiel subventionné est motivée par le « glacis » dans lequel les élèves sont placés pour pouvoir exercer librement leurs choix philosophiques et religieux. Enseignement public, l’enseignement officiel subventionné est l’expression de la société démocratique et des valeurs humanistes sur lesquelles elle repose. Il s’engage donc pour ces valeurs (ou se défend contre les idéologies qui les nient). Mais les enseignants adoptent une attitude de réserve qui garantit la liberté de choix des élèves.
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3° s'abstient, devant les élèves, de toute attitude et de tout propos partisan dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique. Il amène les élèves à considérer les différents points de vue dans le respect des convictions d'autrui. De même, il refuse de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique quel qu'il soit. II veille toutefois à dénoncer les atteintes aux principes démocratiques, les atteintes aux droits de l'homme et les actes ou propos racistes, xénophobes ou révisionnistes. Il veille, de surcroît, à ce que, sous son autorité, ne se développent ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisé par ou pour les élèves.
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Article 6. - Les titulaires des cours de religions reconnues et de morale non confessionnelle s'abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles. Les cours visés à l'alinéa précédent, là où ils sont légalement organisés, le sont sur un pied d'égalité. Ils sont offerts au libre choix des parents ou des étudiants. Leur fréquentation est obligatoire. L’article 6 définit l’attitude des enseignants des cours des religions reconnues et de morale inspirée par le libre-examen : Ils « s’abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles ». Le texte est identique au décret du 31 mars 1994.
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2. Le sens de la neutralité et ses paradoxes possibles
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2.1 La laïcité de l’espace public et des institutions publiques
La question de la neutralité s’inscrit dans l’histoire du rapport de force entre l’Eglise et le pilier catholique et la mouvance laïque. Il reste de cette relation conflictuelle relativement pacifiée un certain nombre d’enjeux dont l’époque contemporaine est l’héritière. Parmi ceux-ci, nous retiendrons celui de la laïcité de l’espace public et des institutions publiques, celui du pluralisme et enfin celui des rapports entre l’immanence et la transcendance. a) La laïcité de l’espace public et des institutions publiques Dans l’esprit de la laïcité, l’espace public et les institutions publiques doivent être neutres. Il faut que l’espace public soit neutre , ouvert, libre pour que la pluralité des opinions puisse s’exprimer et entrer en débat en vue de prendre des décisions et d’agir pour le bien commun. En d’autres mots, pour prendre un exemple, il faut que le parlement soit une forme « vide » et non « colorée » par une idéologie particulière pour pouvoir être pleinement le lieu du débat démocratique. Cette idée un peu abstraite est devenue une évidence largement partagée par tous les démocrates et nous ne concevons pas qu’il soit possible de concilier un Etat – parti (songeons aux régimes communistes ou fascistes) ou une Eglise/religion – Etat (pensons aux théocraties) avec la démocratie. Corrélativement à cette idée de l’espace public neutre, il y a le renvoi des convictions religieuses et philosophiques, qui sont du domaine de la conscience intime, dans la sphère privée de l’existence. Dans sa vie privée, chaque bénéficie d’un droit absolu à la liberté de conscience et de culte qui ne connaît d’autres limitations que le respect des droits fondamentaux de la personne. En ce qui concerne l’expression des convictions religieuses et philosophiques dans la vie publique, elle est subordonnée aux principes de la paix civile et de la tolérance. Dans le domaine de l’enseignement, les laïques considèrent que les institutions d’enseignement de service public doivent être neutres, non engagées sur le plan religieux ou idéologique. Les convictions philosophiques et religieuses font en principe partie de la vie privée et elles peuvent s’exprimer à l’école moyennant le respect d’autrui et le refus du prosélytisme et de la propagande. De ce point de vue, la neutralité des établissements publics d’enseignement a constitué une revendication « historique » du mouvement laïque et les décrets de 1994 et de 2003 sur la neutralité en sont l’aboutissement. Du côté catholique, malgré les tardives déclarations de principe, la volonté a au contraire toujours été de maintenir des écoles publiques confessionnelles, en particulier au niveau local, dans les communes à majorité politique catholique. b) Le pluralisme scolaire Historiquement parlant, l’Eglise a longtemps revendiqué le monopole de l’enseignement. Dès le XVIIIème siècle, ce monopole est contesté par les politiques des Etats inspirées par les idéaux des Lumières. Dans la Belgique indépendante, lorsque les valeurs de la Modernité démocratique, relayées par le libéralisme et le socialisme, contestent l’hégémonie de l’Eglise sur l’éducation, il s’en suit une lutte féroce. Le conflit scolaire va s’infiltrer dans tous les compartiments de la vie sociale et politique mais il s’articule autour de quelques grandes lignes de tension : l’opposition entre un enseignement confessionnel et non confessionnel ou neutre ; le niveau légal au plan national (les catholiques seront présents au pouvoir de façon continue au XIXème et XXème siècle à trois exceptions près : un gouvernement libéral homogène de 1878 à 1882, un gouvernement libéral-socialiste de 1954 à 1958, les gouvernements libéral-socialiste-écologiste depuis 1999) et les initiatives d’inspiration laïque de création d’écoles neutres dans une partie significative des villes et provinces ; la lutte pour l’accaparement des moyens financiers de l’Etat et des pouvoirs publics en général. Sur le plan idéologique, quand l’Eglise eut renoncé à exercer un monopole sur l’enseignement ou à imposer la généralisation du caractère confessionnel à l’enseignement public et privé, elle se replia en défendant l’idée du pluralisme scolaire. Elle réclamait avant l’exclusivité. Elle concède désormais le partage. La conception du pluralisme défendue alors par l’Eglise est un pluralisme de juxtaposition. Il s’agit de séparer les écoles dans des caractères différents : d’un côté, les écoles catholiques chargées d’évangéliser et qui s’adressent aux chrétiens ; de l’autre, les écoles publiques qui s’adressent à l’ensemble de la population, et qui sont confessionnelles (ou neutres, si ce ne peut être évité). Cette position était encore celle du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec) et de la Conférence des évêques il y a une dizaine d’années. A partir du début des années nonante, cette conception apparaît aux yeux même du monde catholique comme peu légitime et se trouve dépassée par une tendance de fonds qui reflète l’évolution du catholicisme depuis Vatican II et celle de la société contemporaine. Tandis que le catholicisme devenait plus ouvert, plus tolérant, plus souple, plus « accueillant », les populations scolaires devenaient sociologiquement de plus en plus composites. De fait, l’enseignement libre est de plus en plus exposé sur le plan sociologique au pluralisme des convictions et des origines : les élèves n’adhèrent plus aussi spontanément aux enseignements de l’Eglise et beaucoup d’entre eux ne sont plus chrétiens. Ils sont indifférents, athées, agnostiques, musulmans, orthodoxes, etc. Les enseignants eux-mêmes conquièrent progressivement par la lutte syndicale plus de liberté et d’autonomie. Ils finissent par obtenir un statut qui rattrape les droits garantis de longue date aux enseignants dans l’enseignement officiel : le droit à la vie privée, la liberté de conscience, une déontologie professionnelle qui s’inspire davantage de l’esprit du service public, l’atténuation de la volonté de l’institution d’endoctriner au profit d’une référence plus discrète mais toujours affirmée à des valeurs chrétiennes. Il faut dire que les religieux et les religieuses sont de moins en moins présents dans les écoles. Ils ont été remplacés progressivement par des enseignants formés dans des écoles normales et des universités, certes généralement confessionnelles, mais qui suivent un cursus scolaire défini ou homologué par l’Etat. Dans ce nouveau contexte, le discours sur le pluralisme du monde catholique (Eglise, Segec, Parti politique) évolue de manière significative. Il devient beaucoup plus défensif et consiste à argumenter, en alternance avec les principes du pluralisme de juxtaposition, que le neutralisme scolaire n’a pas l’exclusivité du pluralisme. Essayons de comprendre pourquoi. Du côté laïque, il faut se rappeler que la conception du pluralisme n’a jamais été celle du pluralisme de juxtaposition qui a, à peu près toujours, été sévèrement critiquée. Le pluralisme de juxtaposition conduit en effet tout droit à la pilarisation, à la séparation de la société dans des groupes sociologiquement clos et à la limitation de la société ouverte, fondée sur des valeurs communes élaborées dans la discussion, à laquelle aspirent les laïques. Il s’agissait au contraire de défendre un pluralisme interne à chaque école, garanti et rendu possible par la neutralité ou le pluralisme organisé de l’institution scolaire. Dans la conception laïque, le pluralisme des convictions est toujours une richesse pour peu que la pluralité des opinions soit vécue pacifiquement. C’est en rencontrant les autres, en se « frottant » aux différentes opinions, souvent initialement acquises dans le milieu familial, que les membres de la société peuvent construire un bien commun : la société. Sur le plan de l’enseignement, la neutralité de l’institution scolaire et le caractère légitime du pluralisme qu’elle autorise, est l’exact pendant du caractère laïque des institutions et des services publics dans une démocratie moderne. De ce fait, par son caractère neutre, l’enseignement public pouvait de plus en plus apparaître comme un instrument privilégié pour préparer les jeunes à l’exercice, non seulement de leur rôle d’agent économique, mais également de citoyen. Du côté catholique, le danger de voir l’école catholique s’isoler à l’écart des évolutions sociales et de voir l’école officielle apparaître de plus en plus comme l’expression spécifique des valeurs modernes et du pluralisme démocratique, a été bien perçu. Il en résulta, aussi bien sur le plan religieux, que sur le plan politique et éducatif, une contre offensive idéologique qui eut pour objet, d’une part la récupération systématique du vocabulaire de la laïcité et de la démocratie moderne (voir à cet égard de manière caractéristique la Charte de l’humanisme démocratique du cdh), de l’autre, la critique systématique de l’idée que le pluralisme scolaire est fondé sur la neutralité et la revendication du pluralisme dans des institutions engagées.
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2.2 Le pluralisme scolaire
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2.2.1 La neutralité du point de vue « philosophique »
Sur le plan « philosophique », la nouvelle doctrine formulée par la Conférence des évêques (organe dirigeant de l’enseignement catholique) est explicitement fondée sur Vatican II et en particulier sur « Gaudium et Spes » et « Dignitatis humanae ». L’école chrétienne se met au service de l’homme et de la société : « Au service de l’homme, l’école chrétienne poursuit, comme toute école, les objectifs généraux du système éducatif : développer la personnalité tout entière du jeune, former en lui un citoyen, le munir des compétences qui lui permettront de prendre ses responsabilités dans la vie sociale et économique. Cette visée s’inscrit dans celle du 2ème Concile du Vatican, qui prône une culture intégrale de la personne, l’harmonie entre la foi, la culture et la vie sociale, ainsi que la solidarité de la communauté chrétienne avec l’histoire du genre humain (Gaudium et Spes, n°1, 40-45, 61) ».[4] Ce service est indissociable de la mission évangélique de l’Eglise mais celle-ci, doit tenir compte du pluralisme de fait qui existe dans les écoles catholiques : « Ce service à l’homme et à la société est indissociable de la mission évangélique de l’Eglise. Mais l’école chrétienne est affectée par la situation religieuse actuelle. Par la confiance que lui font les jeunes et leurs parents et par la collaboration que lui apportent les enseignants et éducateurs, elle est plus que jamais ouverte au-delà d’elle-même ». [5] Elle ne doit pas pour autant renoncer à sa mission, mais pour ce faire, elle doit non plus imposer mais « proposer » en respectant la liberté qui est le fondement d’une foi véritable : « « Pour répondre à sa mission évangélique, elle doit donc proposer l’Evangile et faire progresser dans la connaissance de Jésus-Christ, Lumière des nations. Mais elle s’adresse à chacun au stade où il en est dans sa recherche de sens et en respectant la liberté, sans laquelle il n’y a pas de foi véritable (cf. Dignitatis humanae, n°9-12) ».[6] D’où la formule selon laquelle l’école catholique éduque en enseignant et évangélise en éduquant. [7] Dix ans plus tard, l’Eglise va donner plus de netteté à sa nouvelle position à travers la Déclaration des Evêques « L’école catholique au début du 21è siècle » datée d’octobre Dans ce texte, l’Eglise revendique le statut de service public pour l’enseignement catholique : « La Constitution Belge, en garantissant la liberté d’enseignement, autorise la pluralité des réseaux. Le Pacte scolaire de 1959 a confirmé cette situation. Rares sont les pays où le réseau d’écoles catholiques accueille un pourcentage aussi important d’élèves et d’étudiants que dans notre pays. Celui lui donne des responsabilités particulières. Les parents font ce choix pour des motifs variés, pas toujours énoncés clairement. Ils savent ce qu’ils font et leur choix mérite respect. Heureusement, les conflits et les rivalités idéologiques de notre histoire scolaire sont aujourd’hui dépassés. Une nouvelle atmosphère et un sentiment de respect et de considération mutuels semblent s’installer. On ne peut que se réjouir de cette reconnaissance mutuelle des services rendus dans les différents réseaux, notamment dans les Communautés française et germanophone. Ainsi, les écoles catholiques participent au service public d’enseignement et d’éducation ».[8] En tant que tel, l’enseignement catholique participe au développement de la personne, du citoyen et de l’émancipation sociale : « Comme toute école organisée ou subventionnée par les pouvoirs publics, l’école catholique veut être au service des enfants et des jeunes. Elle veut répondre au droit de la société, des élèves et des parents à un enseignement et une éducation qui favorisent le développement de la personne et du citoyen ainsi que l’émancipation sociale de tous. »[9] Ce développement, poursuit la déclaration des Evêques, ne peut se faire que via la confrontation avec des valeurs et une réflexion sur le sens de l’être et de l’agir humain. S’agirait-il dès lors dans l’enseignement catholique de l’expérience du pluralisme, la « confrontation » des points de vue semblant supposer logiquement le pluralisme? Serions-nous tout proche du pluralisme invoqué par l’école neutre officielle ? Pas du tout, car en fait, la « confrontation » est basée ici sur un pluralisme tronqué, l’école chrétienne mobilisant les ressources des Evangiles et de la tradition chrétienne : « Nous sommes convaincus que l’éducation au sens des responsabilités n’est possible que grâce à une confrontation avec des valeurs éthiques et à une réflexion sur le sens de l’être et de l’agir humains. A cette fin, l’école catholique met en œuvre pour les élèves et les parents les ressources de sens de la Tradition chrétienne et le patrimoine de valeurs que l’Evangile met en lumière. »[10] D’où les quatre objectifs qui font l’identité de l’école chrétienne dans le contexte où il faut bien constater que « nos écoles catholiques sont choisies par beaucoup de parents, mais que les parents, les élèves et les enseignants n ‘ont pas tous la même relation avec l’Eglise et la foi chrétienne. Il y a ainsi un pluralisme interne des écoles catholiques ». [11] Ces objectifs sont d’être un lieu ayant quatre caractéristiques : - un lieu d’enseignement, d’éducation et de vie qui offre « un climat inspiré par l’Evangile » ; - un lieu « où la foi chrétienne s’expose à l’attention des élèves » et donc, qui « valorise le cours de religion catholique » ; - un lieu où les autres disciplines témoignent et ouvrent « aux questions de sens et de foi dans le respect de leur autonomie propre » (c’est pourquoi, déclarent les évêques, il est souhaitable que « beaucoup d’enseignants dans leur activité d’enseignement soient aussi des témoins de la foi chrétienne et des traditions spirituelles ») ; - un lieu « où est proposé un chemin de vie » de la manière suivante : « Elle ne peut imposer la foi chrétienne comme option de vie : la foi est toujours un acte libre. Mais l’école catholique se fait un devoir de la proposer à la décision personnelle des élèves. Elle invitera les élèves à se risquer dans l’aventure de la foi, à la vivre dans l’expérience de la prière, des célébrations sacramentelles, de l’engagement pour autrui. Il s’agit ici de la démarche proprement chrétienne, de l’être chrétien, de la foi personnelle en Dieu et de l’attachement au Christ ». [12]
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2.2.2 La neutralité du point de vue politique
Par neutralité « politique », j’entends la nécessité pour les autorités publiques et tous les services qui en dépendent de respecter un devoir d’abstention en vertu du respect dû à une population multiculturelle et de convictions multiples. C’est une question qui remonte à la nuit des temps : la séparation des églises et de l’Etat. Si pluralisme social il y a, des rôles précis sont à déterminer tant du côté de la sphère publique, que de celui de la sphère privée. La première se borne en principe à délimiter les critères du « juste », la seconde se cantonne à définir ce qu’elle considère comme étant le « bien ». Une pleine harmonie des deux conduirait en principe tous les hommes à œuvrer pour un mieux vivre ensemble. Et puisque ce n’est pas toujours chose facile dans les faits, pourquoi ne pas insister sur ces valeurs dans le cadre de la formation des enseignants ? La critique politique contemporaine du neutralisme a la même inspiration et a largement été exprimée par les parlementaires du Cdh, Messieurs Charlier et Antoine, en Commission de l’enseignement lors du débat sur le projet de décret du 17 décembre 2003. Il s’agissait d’un côté d’attaquer la neutralité en montrant qu’elle n’est pas vraiment « neutre » mais qu’elle est une forme d’engagement : « M. Charlier observe qu’il y aura toujours les aspects qui sous-tendent ce débat, c’est-à-dire les aspects laïcité/religion. En effet, on ne peut pas gommer du débat le fait que la neutralité est sous-tendue par des thèses laïcisantes qui, à ce moment-là, rejoindront aussi une autre forme d’engagement et qui, aujourd’hui, se comparent à des engagements parallèles à celui d’une religion ». [13] Il s’agissait de l’autre d’indiquer que la neutralité n’avait pas l’apanage du pluralisme : « Rappelant certaines manifestations folkloriques de l’ULB l’année passée qui n’ont pas témoigné d’un grand esprit de tolérance, l’intervenant pense que le sectarisme n’est pas toujours là où on le pense. En outre ce commissaire (M. A. Antoine) estime que la neutralité n’emporte pas le pluralisme. En effet, on peut avoir un projet pluraliste qui ne soit pas neutre. »[14] Il était alors montré qu’une institution catholique pouvait se considérer comme un service public : « Monsieur Antoine signale que le conseil d’administration de l’université catholique de Louvain, après avoir reçu un courrier du Pape rappelant certains caractères dogmatiques de l’université liée à son histoire, avait répondu que l’université était maintenant largement financée par les pouvoirs publics et qu’elle avait, dès lors, un rôle de service public à garantir. Elle avait opté pour un rôle de service public ». [15] Il restait alors à montrer à quelles conditions un enseignement engagé pouvait s’ouvrir au pluralisme : « Cet intervenant (M. P. Charlier) relève trois éléments qui permettent de dire qu’une école s’ouvre à la pluralité : - les convictions qui doivent pouvoir s’exprimer afin de se confronter à la raison ; - il faut se démarquer d’une culture de la neutralité présentée à tort comme une condition du pluralisme ; - l’idée de pluralisme situé. Aujourd’hui, on ne peut pas nier qu’une école libre confessionnelle ou non confessionnelle fasse le tri à l’entrée. L’école, qu’elle soit catholique ou non, est ouverte à des convictions différentes mais s’inscrit dans une tradition, une histoire qui est sa mémoire et qui l’a inspirée depuis le début ». [16]
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