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Publié parJean-Bernard Malenfant Modifié depuis plus de 6 années
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Histoire de la Pologne, des origines à nos jours
Sixième cours : D’une dictature à l’autre ( )
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Sixième cours : 1 — Le régime des colonels (1935-1939)
2 — La Pologne en guerre ( ) 3 — De la « libération » à la stalinisation ( )
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1 — Le régime des colonels (1935-1939)
À sa mort, Piłsudski fut élevé au rang d’objet de culte national, alors que le régime connut une radicalisation allant dans le sens d’un accroissement de l’aspect corporatiste du régime. Il ne s’agit pas d’une rupture, car au fil du règne de Piłsudski, cette dérive s’était graduellement manifestée. Mais 1935 voit un tournant significatif, car les modifications alors apportées à la loi électorale, réduisant le nombre de députés et d’électeurs, pavent la voie à l’élection d’un parlement peu représentatif et contrôlé par le pouvoir. Le caractère fictif du parlementarisme, déjà manifeste lors des élections de 1930, devint évident lors du scrutin de septembre 1935.
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45 % des électeurs prirent part au processus, boycotté par la gauche et le BBWR, qui deviendra l’OZN (Camp de l’unité nationale), encore plus inféodé au pouvoir, remporta 153 des 208 sièges de la Diète et 60 des 64 sièges du Sénat... Même si, par la constitution d’avril, le président Mościcki, proche de Piłsudski, disposait de plus de pouvoirs, ses capacités à influer sur l’évolution politique du pays étaient limitées par la personnalisation croissante du régime autour des chefs de l’armée, dont Edward Rydz-Śmigły, mais aussi du colonel Joseph Beck, maître de la politique étrangère. Expulsées du jeu politique, les autres forces sociales accroissent alors leur activisme par le biais de grèves et de manifestations (plus de 4 millions de travailleurs y participeront en 1936) auxquelles répond la répression La gauche parvient à canaliser la colère populaire car la situation économique demeure difficile, malgré les efforts du gouvernement et l’amélioration de la conjoncture internationale.
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Car le capitalisme polonais de l’époque constitue la prolongation de l’économie féodale : la répartition des richesses demeure très inégalitaire et très concentrée. Les descendants de la szlachta continuent de dominer et 60 000 personnes se trouvent à la tête de plus du quart des terres arables du pays, en plus de contrôler la majeure partie du secteur agroalimentaire. L’Église aussi participait de façon importante à l’économie agraire, contrôlant près de 5 % des terres et forêts du pays. La politique industrielle favorise les grandes fortunes déjà établies, particulièrement grâce à une politique de réarmement très active et très avantageuse aux intérêts des grands industriels de la métallurgie Lorsque le président, en 1938, inquiet de la dérive militariste, tentera de se rapprocher de forces politiques centristes, il constatera que la répression politique ne lui laissait guère d’allié potentiel.
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Seul le parti paysan et ses 150 000 membres, seule organisation politique encore tolérée, est alors capable de s’opposer au gouvernement. Le nationalisme constitue le principal courant idéologique et les élites au pouvoir parviennent à accaparer l’idée nationale au point de convaincre la majorité de la population que s’opposer au pouvoir, c’est aussi s’opposer à la nation. Rien d’étonnant à ce que les dernières élections de la Deuxième république (automne 1938) soient remportées haut la main par l’OZN, autant au Sénat (64 sièges sur 96) qu’à la Diète (164 sièges sur 208). De sorte que si l’amélioration de la situation économique contribue à calmer les tensions sociales, la fièvre nationaliste qui s’empare de la société dans les dernières années de la décennie constitue la principale raison de la solidité de l’appui de l’équipe au pouvoir.
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La structure du pouvoir explique l’aveuglement de sa politique étrangère quant aux ambitions de son voisin allemand. Piłsudski est responsable d’un rapprochement qui facilitera les projets d’Hitler, mais la politique des coups de force menée par celui-ci à partir de 1936 aurait dû permettre une prise de conscience de l’élite dirigeante. Les signaux sont pourtant clairs, surtout après l’Anschluss, mais au lieu de susciter la méfiance, elle va plutôt créer un désir d’émulation, favorisant la renaissance de l’impérialisme polonais et Beck lança un ultimatum à la Lituanie, réclamant le rétablissement de relations diplomatiques sous peine d’invasion... Alors que l’URSS mettait en garde Warszawa, Paris incita Kaunas à céder aux menaces. N’eût été la guerre qui se déchainera bientôt, la méthode hitlérienne aurait été utilisée plus avant pour permettre aux nationalistes polonais de récupérer « leur » Lituanie.
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C’est ce que laisse supposer la politique menée par Beck à l’endroit de la Tchécoslovaquie, car après Munich, Warszawa profita de la destruction de son voisin pour « récupérer » une partie de la Silésie et le 2 octobre, l’armée polonaise envahit la région de Teschen et l’annexe. Il faudra attendre 1939 pour que le gouvernement se rende compte des visées d’Hitler sur le territoire national, soit après que la Lituanie ait été contrainte de céder Memel à l’Allemagne et que celle-ci ait revendiqué le rattachement de la ville de Dantzig (Gdańsk). Les puissances occidentales, Royaume-Uni en tête, offrirent alors des garanties à la Pologne. Mais seule une entente avec l’URSS pouvait garantir la défense du territoire polonais. Or, Warszawa se méfie davantage de Moscou que de Berlin et refuse le principe même d’une telle entente, car elle impliquait de permettre le passage des troupes soviétiques sur le sol national, éventualité inacceptable pour la Pologne.
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De son côté, Hitler, qui avait d’abord envisagé une guerre contre la France, tourna au cours de l’année 1939 son ambition vers l’est et élabora le plan de conquête de la Pologne. Après avoir obtenu un pacte de non-agression avec Moscou, assorti de protocoles secrets qui procédaient à un 5e partage de la Pologne, Berlin avait désormais les mains libres pour remettre militairement en question la frontière germano-polonaise définie à Versailles en 1919.
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2 — La Pologne en guerre (1939-1945)
2.1 — Une autre destruction de la Pologne Le premier septembre 1939, après avoir mis en scène un incident à la frontière polonaise, l’armée du 3e Reich entre sur le territoire de la Pologne. Malgré les efforts de réarmement et l’aide occidentale, l’armée polonaise ne faisait pas le poids devant la machine de guerre nazie. Les forces d’invasion comptaient 1,6 million d’hommes, appuyés par 3 000 chars, 1 000 bombardiers et 1 500 chasseurs, en plus d’un nombre considérable de diverses pièces d’artillerie.
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La résistance des quelques centaines de milliers de soldats de l’armée polonaise, dans laquelle la cavalerie jouait un rôle important, fut à la fois vaine et héroïque. Dès le 4 septembre, les forces nazies avaient pris Dantzig, pendant qu’au sud, un autre groupe d’armée s’emparait de la Silésie le 3 septembre, puis de Kraków le 6, avant de remonter en direction de la capitale, après avoir rejoint d’autres forces parties depuis la Slovaquie. Déjà incapable de résister, l’armée polonaise dut à compter du 17 septembre affronter l’invasion soviétique, dont le prétexte officiel était la nécessité de protéger les populations de l’est du pays, mais dont les modalités avaient été définies le 23 août entre Molotov et Ribbentrop. Dès le début de l’invasion soviétique, le gouvernement polonais quitta le territoire pour se réfugier en Roumanie, pendant que les forces des envahisseurs prenaient le contrôle du reste du pays.
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Le 5e partage de la Pologne
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La capitale tombe le 27 septembre et le lendemain, un second protocole germano-soviétique replaçait la ligne de démarcation sur le Bug. Lublin et Warszawa devenaient des villes allemandes et le 5 octobre, la résistance de l’armée polonaise cessa. Difficile de dire s’il valait mieux vivre dans la zone d’occupation soviétique ou dans celle du Reich. Pour les Juifs, la réponse est évidente, mais pour les autres, la situation est plus nuancée. Dès la prise de contrôle de « ses » 200 000 kilomètres carrés, l’URSS se lança dans une politique de destruction des minorités polonaises dans les zones à fortes populations biélorusses et ukrainiennes. Des centaines de milliers « d’ennemis de la révolution » furent déportés dans les camps soviétiques. Suivant les sources, on évoque un nombre imprécis allant de 150 000 à plus d’un million de personnes.
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Les 200 000 soldats polonais capturés par les soviétiques connurent un sort difficile et si de nombreux simples soldats, d’abord déportés, purent reprendre la lutte en 1941, l’État-major fut détruit. Les 26 000 victimes du massacre de Katyń sont célèbres, mais d’autres endroits (Tver et Kharkov, entre autres) virent aussi des meurtres de masse du même ordre. À la différence du NKVD, dont les opérations se déroulaient dans le plus grand secret, les nazis ne faisaient pas mystère de leur politique : les territoires de l’ouest, peuplés de 10 millions de personnes furent rattachés au Reich, le reste du territoire (12 millions d’habitants) formant un Gouvernement Général (GG). Les zones ouest furent germanisées, la population de « mauvaise race » déportée vers le gouvernement général, leurs biens saisis et distribués aux colons allemands arrivant sur le territoire.
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Un million de personnes furent déportées du GG vers le Reich pour combler le manque de main-d’œuvre, leurs conditions de vie étant proches de l’esclavage. Quant aux autres Polonais du GG, leur sort « plus doux » était déjà lourd de menaces, l’objectif des nazis étant ni plus ni moins de détruire la nation polonaise, en réduisant celle-ci au statut d’esclave, en dénationalisation et en détruisant la culture polonaise : théâtres, bibliothèques et autres institutions culturelles étant fermées ou germanisées. À la fin de 1942, les premiers éléments du Plan Ost, prévoyant la libération des territoires de l’est pour les ouvrir à la colonisation par des Allemands, étaient mis en application. Dans la région de Zamość, au sud-est du pays, plus de 100 000 personnes furent déportées soit en Allemagne, soit dans différents camps, pendant que 30 000 enfants étaient arrachés à leur famille pour être germanisés.
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De 1942 à 1944, en Volhynie, alors sous contrôle allemand, nationalistes ukrainiens et polonais se massacrèrent mutuellement sous les encouragements des occupants nazis, les pogroms des uns répondant aux pogroms des autres (les juifs ne furent bien sûr pas épargnés), tuant de part et d’autre plus de 200 000 personnes au cours de la période. Seule la prise de contrôle du territoire par les Soviétiques put mettre fin aux massacres dont Kiev et Warszawa s’accusent encore aujourd’hui mutuellement.
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2.2 — La résistance militaire et politique
Nombreux sont les Polonais qui refusèrent d’abandonner. Tout au long de la guerre, il y eut un gouvernement en exil, dont les relations avec les puissances alliées et l’URSS connurent de grandes fluctuations au cours des années. Réfugiées en France, diverses personnalités politiques organisent un gouvernement d’union nationale. Les membres du gouvernement d’avant la catastrophe en sont exclus, mais on tenta de rassembler diverses tendances. Dès la chute de la France, ce gouvernement trouva refuge à Londres. Parallèlement, le général Sikorski rassembla autour de lui des membres de la communauté polonaise à l’étranger pour former une armée polonaise qui participa à de nombreuses opérations militaires dirigées par les Alliés, en Norvège en France et au Royaume-Uni.
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En , plus de 100 000 Polonais luttèrent aux côtés des armées occidentales et des dizaines de milliers périrent sur les différents champs de bataille, alors que nombreux furent ceux qui finirent prisonniers de guerre. La lutte militaire ne concerna pas exclusivement ces forces et en Pologne même se mirent en place des organisations de résistance, surtout du côté germanique. Tout au long de la première année de guerre, certains détachements de l’armée refusèrent de se rendre et poursuivirent la lutte. Au début de 1940, on dénombre une centaine de zones où les résistants sont actifs, mais il fut très difficile de fédérer des combattants Une première Union de lutte armée (ZWZ), inspirée de l’étranger et dirigée par Sikorski apparait dès 1939, avant d’être remplacée en 1940 par l’Armée de l’intérieur (AK), qui demeurera jusqu’à la fin de la guerre la principale force de résistance, rassemblant plus de 100 000 combattants.
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À côté de ces forces armées, la résistance se manifestait dans d’autres domaines, civils comme militaire, en particulier dans le domaine de l’espionnage, les mathématiciens polonais ayant joué un rôle fondamental dans le décryptage des communications allemandes. La majorité des Polonais restaient à l’écart de la lutte, mais une minorité participa aux côtés des Allemands à la lutte contre l’AK, la résistance civile, les Juifs et les troupes soviétiques. Comme partout, la Pologne eu ses « collabos » et comme partout, l’historiographie nationale est peu disserte sur la question... L’attaque contre les Soviétiques en 1941 changea la dynamique entre les Alliés occidentaux et la résistance polonaise, les premiers ayant dès lors tendance à sacrifier la défense des seconds aux intérêts de l’union sacrée si nécessaire avec l’URSS.
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Dès juin 1941, Moscou nouait des relations avec les forces polonaises en exil et un accord fut conclu entre les gouvernements polonais et soviétique concernant la lutte commune ainsi que l’après-guerre. Les négociations ne furent pas faciles et les forces de droite au sein du gouvernement en exil refusant de pactiser avec Moscou furent éjectées du Comité national au profit d’une représentation plus à gauche. Les luttes entre tendances au sein de l’immigration prirent un tour violent dont Sikorski fut victime : après une première tentative de meurtre ratée, une 2e entraina la mort du chef de la résistance polonaise en juillet 1943. La découverte de Katyn affecta les relations du gouvernement soviétique et du gouvernement en exil, le premier se disant indigné des accusations du second. Toujours au nom de l’union sacrée, les Alliés occidentaux prièrent les Polonais de ne pas faire de vague à ce sujet.
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Cette crise s’ajoutait à plusieurs autres : tracé des frontières de l’après-guerre, la légitimité du gouvernement en exil, système politique à mettre en place après la guerre, commandement des troupes polonaises reconstituées à partir des soldats faits prisonniers par les Soviétiques en septembre 1939, etc. Mais la rupture des relations à l’initiative de l’URSS a une cause plus importante : depuis février 1943 et la défaite de la 6e armée à Stalingrad, les Soviétiques sont partis à l’offensive et l’optimisme en la victoire est à la hausse. De sorte que Moscou n’a plus de raison de ménager le « gouvernement bourgeois » de Pologne, d’autant que l’URSS dispose d’hommes de paille pour « représenter » la Pologne, soit les membres du parti communiste. La situation militaire sur le territoire polonais en 1943 et devient chaotique, avec certaines forces, minoritaires, appuyant l’Armée rouge, la majorité de la résistance restant unie autour de l’AK.
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La bataille de Lublin, se déroulant au début du mois de juin 1944, illustra l’incapacité à collaborer des différentes forces opposées à l’Axe, les commandants de l’AK préférant se laisser massacrer avec leurs soldats plutôt que de demander l’aide de l’Armée rouge. L’épisode du soulèvement de Warszawa est encore plus évocateur des difficultés à établir cette collaboration. Cette crise est encore débattue dans l’historiographie. Pour les Polonais, l’insurrection de Warszawa aurait pu réussir si les Soviétiques étaient venus à la rescousse des insurgés, mais le cynisme de Staline fit en sorte qu’il fut ordonné à l’Armée rouge de ne pas intervenir. Les historiens russes soulignent que si l’Armée rouge n’est en effet pas intervenue, c’est que les troupes soviétiques avaient besoin de marquer une pause et que sans coordination avec les forces insurgées dans la capitale, les pertes auraient été beaucoup trop lourdes.
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Le refus de l’État-major soviétique de collaborer avec les forces aériennes alliées pour acheminer aides et renforts aux insurgés de la capitale met en évidence le peu d’empressement de l’URSS à venir en aide à une force ouvertement hostile à ses intérêts Le dénouement de l’insurrection fut très favorable aux Soviétiques : en plus des 17 000 soldats allemands morts, les événements détruisirent les forces de l’AK dans la zone (18 000 morts). Le 2 octobre, ne restait plus guère de la capitale qu’un tas de ruines fumantes et l’Armée rouge pouvaient reprendre la route de Berlin. Enfin, à côté des soldats polonais incorporés dans les différentes armées occidentales, ainsi que les immigrants polonais de France qui rejoignirent la résistance aux nazis, il convient de ne pas oublier le destin des forces du général Anders.
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Celui-ci, fait prisonnier par l’URSS dans les premiers mois de la guerre, se retrouva, en vertu des accords conclus entre l’URSS et les Alliés occidentaux, à la tête d’un corps d’armée formé sur le territoire soviétique et composé de 50 000 hommes. Celui-ci rejoint en 1944 à travers l’Iran les fronts occidentaux, où il s’illustra lors de diverses batailles. À la fin de la guerre, plus de 115 000 hommes combattaient sous les ordres d’Anders, car au fil des mois, le commandement interallié y avait incorporé d’autres prisonniers de guerre polonais libérés, mais en 1946, seuls 15 000 d’entre eux purent retourner en Pologne, car l’anticommunisme militant et affiché d’Anders rendait ses soldats persona non grata dans leur propre pays.
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2.3 — Début de la satellisation
Le meilleur véhicule d’influence de l’URSS à l’extérieur de ses frontières a toujours été les partis satellites. Mais le problème avec la Pologne, c’est que le mouvement communiste a toujours été marginal. Fondé en 1925, le parti communiste polonais participa aux élections de 1928, où il obtint 8 % des voix. Comptant alors près de 30 000 membres, il fut victime de la lutte de Staline contre le trotskysme et accusé de « déviationnisme nationaliste » dans les années 1930, avant d’être finalement dissous par l’URSS en 1938. De nombreux membres dirigeants du parti se rendirent alors en URSS, mais une dizaine d’entre eux furent condamnés et exécutés (ils furent réhabilités en 1956) et seuls les chefs d’obédience stalinienne parviennent alors à survivre.
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En 1942, sur les ruines du parti communiste, Staline recréa un parti ouvrier polonais qui constituera le fer de lance de la conquête politique du territoire. Après la rupture des contacts entre le gouvernement de Londres et l’URSS, celle-ci accorde sa reconnaissance à un Comité polonais de Libération nationale (PKWN), formé de membres du PPR et mis sur pied à Moscou. Après la prise de Lublin par l’Armée rouge, le PKWN s’installe dans cette zone et prétend représenter la légitimité politique. Pendant que l’AK redoublait d’effort pour s’imposer à l’Armée rouge, le PKWN luttait contre ses chefs, entrainant en quelques mois le meurtre de plus de 400 personnes. Mais la présence soviétique, la mise en place d’une milice populaire et d’un service de sécurité permirent au PKNW de s’imposer, de favoriser les thèses soviétiques et de commencer la « soviétisation » du territoire.
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Comptant à peine 22 000 membres en 1944, le PPR créa de nouveaux organes de presse et parvint à élargir son audience au fur et à mesure de l’avancée des forces de l’Armée rouge et grâce à une réforme agraire radicale. Furent saisies toutes les terres de plus de 50 hectares et celles appartenant à des Allemands et aux « traîtres », avant d’être redistribuées à 110 000 familles qui accédaient à la propriété. Parmi les anciens propriétaires, les plus chanceux furent faiblement indemnisés, les autres furent déportés. Cette politique valut au PPR une augmentation importante du nombre de ses adhérents. Cela ne suffit pas à faire du PPR une organisation politique puissante, mais la lassitude de la population de la guerre et les difficultés économiques firent en sorte que le développement du pouvoir du parti à l’intérieur ne rencontra une opposition sérieuse que de la part de l’AK.
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En décembre 1944, le PKNW se transforma en gouvernement de la République de Pologne en s’ouvrant à d’autres forces politiques, de la gauche radicale au centre Le 5 janvier, ce gouvernement fut reconnu par l’URSS, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la France, imposant son autorité sur le terrain face au gouvernement de Londres qui continuera d’exister jusqu’en 1990! La première question à résoudre était celle des frontières. Le PKNW se rangea aux exigences de Moscou formulées depuis longtemps. La ligne Curzon serait désormais la frontière orientale de la Pologne. Au sud, elle reviendrait à ce qu’elle était en 1939, alors qu’à l’ouest, elle s’étendrait sur la ligne Oder-Neisse pour incorporer au territoire national des zones disputées depuis longtemps entre Polonais et Allemands.
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À Yalta, les Soviétiques obtinrent à peu près tout ce qu’ils demandaient, se contentant de vagues assurances quant à l’intégration de représentants des exilés de Londres et à la tenue d’élections « libres et pluralistes ». En mars 1945, tout le territoire de la Pologne était sous le contrôle des forces de l’Armée rouge, lesquelles étaient suivies sur le terrain par des « groupes opérationnels » qui avaient pour fonction de « repoloniser » le territoire. En plus de dresser l’inventaire des biens allemands et d’en négocier le partage avec l’URSS, ces groupes avaient la responsabilité de diriger les expulsions des Allemands. Plusieurs millions furent alors contraints de se déplacer à l’ouest de l’Oder. La politique de distribution des terres fut accélérée et 1 million d’hectares de terres avaient été redistribués aux paysans dès le milieu de l’année 1945, augmentant de 25 % le nombre de familles propriétaires.
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Au printemps 1945, Moscou organisa la participation au gouvernement des différentes forces politiques. Le chef du gouvernement en exil depuis 1943, Mikołajczyk rentra au pays en juin pour intégrer le gouvernement. Quant à l’AK, son sort fut difficile. Certains de ses chefs en exil furent arrêtés dès leur retour en mai 1945 et condamnés pour trahison à de lourdes peines de prison où la majorité mourut quelques années plus tard. Quant aux membres de l’AK resté sur place, si certains déposèrent les armes pendant la dernière année de la guerre, environ 50 000 furent incorporés dans les forces armées régulières au cours de la « libération », alors que d’autres continuèrent à s’opposer à l’Armée rouge. Environ 50 000 d’entre eux seront déportés dans les camps soviétiques pendant la guerre, les autres subissant une féroce répression politique jusqu’au milieu des années 1950.
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2.4 — La Pologne et la Shoah La Pologne n’a pas à assumer le fait que son territoire ait été utilisé par les nazis pour perpétrer la solution finale et si certains individus ont collaboré à la politique hitlérienne, cela ne concerne qu’eux et ne saurait impliquer une quelconque responsabilité pour la nation polonaise. Si l’antisémitisme était très présent en Pologne, il est difficile d’affirmer que cette idéologie y était plus ou moins développée qu’ailleurs à l’époque, celle-ci pénétrait toutes les couches sociales des sociétés du vieux continent. La société polonaise est encore sensible à cette question de la participation polonaise dans la Shoah, car si suivant la ligne officielle, les Polonais ne prirent aucune part aux massacres des Juifs sur le territoire, un nombre assez important de cas bien documentés contredit cette position.
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Il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et imaginer dans la société polonaise de la prépondérance d’une culture de la haine des Juifs. Entre une minorité ayant pris part aux massacres de Juifs et une autre ayant défendu, aidé, sauvé des Juifs menacés, la majorité « pêcha » par son inaction, non par indifférence, mais parce que les Polonais ethniques eux- mêmes supportaient des conditions de vie épouvantables. On ne peut pas passer sous silence les quelques cas de pogroms qui surviennent en 1941, comme à Jebwane, où périrent entre 400 et 1 500 Juifs dans des granges, incendiées par la population locale. Il faut mentionner que ces cas s’inscrivent dans un contexte particulier, alors que les Juifs de l’est de la Pologne, territoires occupés par l’URSS entre 1939 et 1941, étaient accusés collectivement de collaboration avec l’occupant soviétique.
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Dès l’arrivée des Allemands en 1939, des zones réservées aux Juifs furent constituées dans plusieurs villes du pays et il n’y eut pas beaucoup de gestes de solidarité, ce qui ne devrait d’ailleurs pas étonner. L’adoption de la solution finale et les gestes posés par les nazis dans ce cadre suscitèrent à partir de 1942 certaines actions d’opposition, dont certaines héroïques. Entre février et septembre 1942, le ghetto de Warszawa (350 000 personnes) fut graduellement liquidé, ses habitants déportés vers des lieux inconnus. L’AK se dota d’une section juive pour coordonner ses actions avec les résistants de cette communauté et forma un Conseil d’aide aux Juifs qui collecta des fonds, fabriqua des faux papiers et s’employa à faire évader des Juifs. C’est grâce à cette organisation que survint l’insurrection du Ghetto de Varsovie (1943), se soldant par la mort de 7 000 des insurgés et la déportation des 56 000 habitants restants.
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La Pologne partage avec la France et les Pays-Bas l’honneur d’avoir le nombre le plus élevé de « Juste parmi les nations » parmi ses citoyens, mais les motivations de certains membres des organisations créées pour venir en aide aux Juifs laissent songeur et soulignent la profondeur des sentiments antisémites dans la population. Zofia Kossak, l’une des personnalités à l’origine de la fondation du Conseil d’aide aux Juifs, écrivait en 1943 son espoir que les Juifs sauvés comprendraient les raisons de la haine qu’ils suscitent, qu’ils se convertiraient à la vraie foi et qu’ils pourraient faire de la catastrophe « un grand bûcher expiatoire qui hâtera leur régénération »... De sorte que si les méthodes épouvantables utilisées par les nazis pour « résoudre le problème juif » suscitaient un violent rejet chez pratiquement tous les Polonais, nombreux sont ceux qui en même temps trouvaient qu’il y avait quand même à ce moment en Pologne un « problème juif ».
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En Pologne, les souffrances endurées par tous les Polonais pendant la guerre fait de cette question un point toujours très sensible de la mémoire collective : le film Shoah de Claude Lanzmann, tourné en 1985, ne fut présenté pour la première en Pologne qu’en 1997 à la télévision, et dans les salles en 2003, où il ne resta à l’affiche qu’un mois...
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2.5 — Bref bilan La Pologne fut l’un des pays les plus affectés par la guerre : des 30 millions de Polonais de 1939, il n’en reste que 24 millions en Les 6 millions de victimes du conflit (20 % de la population) donnent au pays le triste privilège d’occuper le premier rang en terme de pertes relatives et le deuxième en terme de pertes absolues en Europe, derrière l’URSS. L’immense communauté juive de Pologne est alors réduite à sa portion congrue : en 1945, sur les 3,5 millions de Juifs d’avant-guerre, il n’en reste plus qu’environ 250 000 sur les territoires de l’ancienne Pologne. La création d’Israël et le climat de persécution d’après la guerre pousseront la majorité d’entre eux à partir et au début des années 1950, la jadis plus importante communauté juive du monde ne comptera plus que 50 000 personnes.
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Si toutes les couches sociales ont été affectées, certaines le furent plus que d’autres, comme les grands propriétaires terriens et les banquiers. Le clergé avait perdu plus de 25 % de ses membres, décimés par la répression nazie et soviétique. Le corps des enseignants, dont le nombre était déjà insuffisant avant-guerre, était considérablement réduit : près de 10 000 instituteurs et institutrices étaient morts, de même que plus de 600 professeurs des niveaux supérieurs. Les purges menées par les forces d’occupation, les combats et l’émigration ont aussi décimées les milieux intellectuels, journalistes, musiciens, éditeurs, acteurs et écrivains. Mais certains d’entre eux, restés au pays, purent en 1945 témoigner pour les autres. À ces millions de personnes mortes, il faut aussi ajouter celles qui eurent la chance de rester en vie, mais qui pendant ou au lendemain de la guerre furent victimes des déplacements de populations.
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Parmi ces millions de personnes, il est un groupe dont l’historiographie ne parle jamais, comme s’ils n’avaient pas droit à la moindre sollicitude : les Allemands de l’ouest de la Pologne. Qu’ils s’agissent de ceux qui, avant-guerre, habitaient les terres occidentales de la Pologne, de ceux contraints par les nazis qui s’établirent sur les terres prises à la Pologne ou de ceux qui habitaient les terres de la Pologne occidentale de l’après-guerre, des millions d’Allemands furent contraints d’abandonner leur logis. Dans ses nouvelles frontières, la Pologne d’après 1945 était désormais monoethnique, plus de 99 % de sa population étant alors polonaise. La Pologne a gagné plus de 100 000 kilomètres carrés à l’ouest, elle en a perdu encore plus à l’est, la ligne Curzon s’imposant comme frontière orientale, celle d’occident étant reportée sur ligne Oder-Neiss.
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S’étendant désormais sur 312 000 kilomètres carrés, elle a perdu dans la foulée du conflit près de 70 000 kilomètres carrés de superficie. Quant aux conséquences économiques et matérielles, la liste des routes, ponts, usines et autres constructions détruits par le conflit serait trop fastidieuse à établir, alors qu’il suffit de rappeler qu’un pays qui a subi sur son sol deux invasions et dont le territoire s’est transformé en champ de bataille au cours de l’année 1944 ne peut pas être en bien bon état. Certaines nuances s’appliquent, car si la moitié du nord du pays a été effroyablement touchée par les combats, le sud a été relativement épargné, les forces armées ayant préféré lorsque possible éviter ces zones plus accidentées. Néanmoins, au sud comme au nord, des efforts colossaux devront être entrepris rapidement après la guerre pour relever le pays.
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3 — De la « libération » à la stalinisation (1945-1956)
3.1 — La « normalisation » ( ) Que Staline désirait faire de l’Europe orientale une zone « non hostile » à l’URSS est une évidence, mais le degré d’autonomie que devaient obtenir les États est-européens demeurait une question en suspens en 1945. Pour la majorité des historiens occidentaux, la mise sous tutelle de l’Europe de l’est par l’URSS est l’aboutissement d’un plan longuement muri, mais les archives soviétiques donnent plutôt l’impression que Staline demeure longtemps indécis quant à la forme que devaient prendre les relations entre les États « libérés » par l’URSS et cette dernière.
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Certes, ces États devaient être soumis d’une façon ou d’une autre, mais ce n’est que dans la foulée de l’accroissement des tensions avec l’occident que la forme de cette soumission fut précisée. Il était hors de question pour Moscou de laisser les « partis bourgeois » déterminer l’évolution politique du pays, mais dans l’immédiat après-guerre, une petite place est laissée à d’autres organisations que le parti communiste. De 1945 à 1948, alors que sur le terrain des forces hostiles à la présence soviétique poursuivent leur lutte, les forces politiques prosoviétiques, très minoritaires, s’emploient à étendre leur influence. L’intense propagande menée par l’URSS et ses supplétifs locaux, contribua à une acceptation désabusée du régime qui s’installait par une population qui rêvait d’un retour à la normale mais parvint aussi à susciter l’adhésion sincère d’une partie de la population, minoritaire, mais très active.
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Le PPR de Gomułka ne tentait d’ailleurs pas de proposer un calque du système soviétique et il n’était pas question de procéder à la collectivisation des terres ou à la destruction de l’influence de l’Église. Mikołajczyk, nommé dès 1945 vice-premier ministre et ministre de l’Agriculture, ne se rallia pas à l’ordre en construction, d’autant que sa popularité bien réelle en faisait une sorte de meneur naturel de l’opposition. Mais son désir de créer un vaste mouvement antisoviétique se heurta à la présence parmi son parti paysan (PL) d’une minorité de sympathisants à l’URSS, qui provoqua une scission et dont la faction (PL) rejoignit le « bloc démocratique » prosoviétique, alors que la majorité dissidente formait un Parti paysan polonais (PSL). Celui-ci demeurait puissant (1,2 million d’adhérents), d’autant qu’il bénéficiait de l’appui de l’Église polonaise.
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Grâce à sa présence au gouvernement, le PSL s’employait à freiner la réforme agraire dans un sens favorable aux moyennes propriétés, ce qui lui valut l’appui des mouvements de droite clandestins. Cible de différentes campagnes de dénigrement, le parti de Mikołajczyk était cependant assez fort en 1946 pour refuser de s’associer au « bloc démocratique » pour les élections à venir. La popularité du PSL faisait peser sur les résultats du scrutin un grand risque et c’est pourquoi le « bloc » décida plutôt de tenir un référendum formulé de telle sorte que le PSL se trouva isolé, les 3 questions de celui-ci (abolition du sénat, réforme agraire et tracé des frontières) remportant un large appui populaire. Fort de son succès, le « bloc » tendit la main au PSL pour intégrer une liste « démocratique unique », mais celui-ci refusa.
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Lors des élections peu démocratiques qui eurent lieu en janvier 1947, le « bloc » obtint 86 % des voix contre 6 % pour le PSL. Le 5 février suivant, Bolesłav Bierut était élu président par le parlement. Devant cette prise de contrôle, les chefs du PSL s’enfuirent alors aux États-Unis, déchainant une campagne contre les « traîtres » du PSL qui fut alors « purgé » et dont les restes furent ensuite fusionnés au PL... Le « bloc » n’était pas encore assez homogène, surtout qu’en 1947 la situation internationale fait craindre une guerre. Il fallait s’assurer de la loyauté de tous et le PS, qui depuis 1945 participait au gouvernement, ne l’était pas suffisamment. La mainmise soviétique sur l’Europe orientale s’accéléra au début de 1948, avec le « coup de Prague » qui permit au PC tchécoslovaque de devenir l’unique parti du pays. Le « modèle » du pays voisin sera partiellement suivi en Pologne.
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Mais au lieu de détruire le parti socialiste, on choisit de l’absorber
Mais au lieu de détruire le parti socialiste, on choisit de l’absorber. Les critiques se mirent à pleuvoir sur les chefs socialistes et lorsque Gomułka, tenta de défendre certains d’entre eux, il fut contraint à la démission et remplacé par Bierut, fidèle stalinien. Purgé de ces esprits critiques, le PS entama une autocritique qui se termina par son absorption dans le PPR, donnant naissance au Parti ouvrier unifié polonais (PZPR) qui dissimulait son monolithisme idéologique. Avec les quelques partis satellites encore vivants, c’est cette organisation qui dirigera la Pologne jusqu’en 1989. Ne restait alors comme force sociale autonome que l’Église catholique. Mais ici, il fallait agir prudemment, tant elle était estimée par la grande majorité des Polonais. Durant la période , l’Église eut par ailleurs la prudence de se tenir à l’écart de la politique, ce qui lui permit de conserver une certaine indépendance.
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3.2 — La Pologne sous Staline
Les années sont pour tous les États et sociétés placés sous la domination de l’URSS très difficiles. Aux tares nombreuses du système stalinien s’ajoute le contexte international, alors que la guerre froide menace de devenir chaude. Toute forme de dissidence est alors associée à une trahison. S’il est un moment dans l’histoire de l’humanité où le totalitarisme est pratiquement devenu une réalité, c’est bien pendant ces cinq années. La Pologne devient en 1949 un système à parti unique et les processus d’embrigadements sociaux de l’URSS sont dès lors instaurés. Les syndicats sont réunis en une seule organisation, soumise au parti. Les organisations de jeunesse sont fusionnées en une Union de la jeunesse polonaise, embrigadant les jeunes de 14 à 25 ans.
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Les unions des « ingénieurs des âmes » deviennent les chapelles en dehors desquelles aucune vie intellectuelle n’est permise. La censure s’étend, uniformisant la production culturelle, l’instrumentalisant au nom des valeurs du régime et de la « guerre pour la production ». En 1952, l’Académie des Sciences commença à jouer son rôle dans la recherche scientifique : sociologie, logique, épistémologie, entre autres « sciences bourgeoises », cessèrent d’être enseignées En juillet 1952 fut votée par la Diète la Constitution qui fit de l’État une « démocratie populaire où le pouvoir appartient au peuple travailleur des villes et des campagnes ». En théorie, les futurs députés sont d’abord présentés par les organisations de travailleurs, avant d’être élus au suffrage universel, mais il n’en est rien et les listes de candidats sont préparées par le PZPR avant d’être soumises au suffrage de la population.
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La Diète monocamérale, élue pour quatre ans, constitue « l’organe suprême du pouvoir de l’État ». Elle désigne et révoque le Conseil d’État, le gouvernement, le procureur général et le président de la Chambre suprême de contrôle. Le nombre de ministres est fixé par la Diète, à laquelle le gouvernement rend compte. La plupart des ministres sont en même temps membres de la Diète et du parti. À la tête des organes judiciaires se trouve la Cour suprême, dont les membres sont « élus » par le Conseil d’État. Il n’y existe pas de divisions des branches exécutives, législatives et judiciaires, car tout vient des députés de la Diète, « élus au suffrage universel ». Comme les organisations de travailleurs présentent les listes des candidatures et que celles-ci sont contrôlées par le PZPR, c’est donc celui-ci qui a le contrôle des élections et de l’ensemble des structures exécutives, législatives et judiciaires du pays.
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Lors des élections de 1952, 99,5 % des 95 % de votants appuyèrent la liste unique formée par le PZPR et ses « alliés », résultats qui mettent en évidence les manipulations des voix, le quadrillage social et la terreur idéologique dont le pays est alors la proie. L’heure est à la méfiance. La répression s’abat sur la société polonaise : procès, publics ou à huis clos, condamnent à la prison ou à mort ceux qui sont suspectés. L’Armée fut purgée, de même que les milieux intellectuels. Gomułka joua le rôle de Trotski : accusé de vouloir renverser le régime, il est assigné à résidence. Ce fait souligne la « modération » de la répression, car si la menace est bien réelle, on n’assistera pas à un emballement de l’appareil répressif comparable à celui observé en URSS. À titre d’exemple « seuls », 19 des 37 hauts gradés de l’armée reconnus coupables « d’activités anti polonaises » furent effectivement exécutés.
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Le bilan est encore obscur, mais la répression des années a sans doute touché plus de 50 000 personnes. Malgré l’énormité du chiffre, la répression fut beaucoup moins violente que ce que connurent nombre d’États est- européens à l’époque, ce qui met en évidence les grandes disparités à l’intérieur du « bloc socialiste » et la relative modération des organes de sécurité en Pologne. Si les causes de cette particularité polonaise sont débattues, la force de l’Église catholique polonaise est sans aucun doute un facteur explicatif. Car l’Église en 1949 demeurait la seule institution épargnée, témoignage éloquent de sa puissance d’influence, qui s’illustre par son rejet officiel de l’appellation de « Démocratie populaire » pour désigner le système politique du pays. Mais elle ne put rester éternellement à l’écart de la répression.
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Cette puissance obligea le régime à ne pas la heurter de front, favorisant un schisme plutôt qu’une lutte contre la religiosité Le PZPR encouragea des « prêtres patriotes » d’origine sociale modeste à lutter contre les chefs de l’Église, leur confiant l’administration de certaines institutions, comme des écoles maternelles ou des centres de bienfaisance. Diverses pressions permirent au régime d’imposer un concordat : en échange du maintien de l’enseignement religieux dans les écoles, du maintien d’écoles catholiques, de l’université catholique de Lublin et de la liberté des congrégations, le clergé accepta de souscrire à certaines politiques, ou du moins à ne pas les critiquer ouvertement, comme la collectivisation des terres. Cela se doubla néanmoins d’une certaine répression contre les prélats et les prêtres rejetant les termes du concordat.
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Après l’arrestation des évêques de Pelpin, de Kielce et de Katowice, la répression atteignit un sommet et à la fin de l’année 1951, plus de 900 membres de l’Église catholique étaient en prison, alors que de nombreux autres furent destitués ou mutés à des postes subalternes. En septembre 1953, le chef de l’église de Pologne, le cardinal Stefan Wyszyński est arrêté et incarcéré. Il faudra un certain temps après la mort de Staline en mars 1953 pour qu’un vent de fraicheur souffle depuis Moscou. Car cette année fut en Pologne et ailleurs dans le « camp socialiste », une année pénible : pendant que les chars soviétiques écrasaient les manifestations ouvrières de Berlin, l’évêque de Kielce « avouait » dans un grand procès public être un agent britannique. Le Staline polonais, Bierut, ne comprenait pas encore que son temps était compté.
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3.3 — Économie et société (1945-1954)
L’évolution du contrôle du parti sur l’économie suit celle qu’il acquiert dans le domaine politique. Gomułka étant hostile à la collectivisation des terres, dans l’immédiat après-guerre, le nombre de propriétés terriennes explosa consécutivement à l’expropriation des grands agrariens. Cela n’eut pas que des conséquences positives, car la parcellisation des terres entraina la faible productivité de celles-ci, ce qui causa diverses difficultés de ravitaillement dans les villes. Les cartes de rationnement restèrent en vigueur longtemps après la libération du territoire. Quant aux entreprises, dans l’immédiat après-guerre, la forme de la propriété favorisée n’est pas encore définie et si les grandes entreprises industrielles et minières sont nationalisées, dans les petites et moyennes entreprises, on favorise plutôt les principes coopératifs.
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La reconstruction fut menée tambour battant et même si elle nécessita de longues années, les résultats furent impressionnants, d’autant que propagande et enthousiasme se conjuguaient pour que tous participent au processus. Dès 1947, la capitale redevenait habitable. Si la contribution soviétique à ce relèvement était alors exagérée et aujourd’hui minorée, il demeure qu’elle fut bien réelle, même si elle n’était pas désintéressée et s’effectuait souvent sur la base d’échange de matières premières. Le PS joua un rôle important dans ce relèvement et il en fut victime quand il fut décidé de passer à un système d’économie planifiée, en même temps que la répression politique se développait. Car le PS avait eu recours à des spécialistes étrangers et comptait sur l’aide du plan Marshall, autant de « crimes » à l’heure où le modèle économique soviétique devait s’imposer.
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« Le gâteau de mariage »
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La rationalité économique fut alors évincée au profit du volontarisme et le stakhanovisme s’imposa, en même temps que les critiques contre les économistes « bourgeois » fusaient : priorités à la consommation plutôt qu’à la production, négligence de l’émulation socialiste et refus de s’inspirer des théories de Marx, Lénine et Staline. En 1947, le secteur financier fut étatisé et les banques privées interdites, puis on se lança dans la « bataille du commerce » pour réduire le nombre de magasins privés et liquider les coopératives. Avec le lancement du plan de six ans en décembre (qui ne dura que trois ans), il devient difficile de parler de l’état réel de l’économie, tant celle-ci se détache des triomphes proclamés par le régime. Néanmoins, on ne peut nier au cours de ces six années qu’il y eut une réelle amélioration de la situation économique de la population.
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Si le bilan officiel des premières années de l’économie planifiée (juillet 1950) était incroyable, les investissements dans l’industrie permirent d’accroitre les capacités industrielles du pays, mais les investissements dans l’industrie légère demeuraient faibles. Grâce à ces efforts, au cours de la période , la production de fer augmenta de 70 %, celle d’acier de 60 % et si les gains dans la production charbonnière furent plus faibles (25 %), la production des machines-outils et de la machinerie lourde doubla. Mais ces augmentations ne furent pas obtenues grâce à la croissance de la productivité, mais plutôt grâce à l’augmentation de la main-d’œuvre, provoquée par un exode rural considérable et illustrée par la contraction de la main-d’œuvre rurale, le nombre de personnes travaillant dans l’agriculture passant de 5,5, millions en 1949 à 3,5 millions quatre années plus tard.
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Même si les salaires réels diminuèrent, ces baisses étaient contrebalancées par une réelle mobilité sociale et une économie sociale qui se développait, illustrant certains aspects positifs du régime : pensions, instruction, services de santé, congés payés, pour beaucoup choses inconnues, qui apparaissent alors en Pologne. Dans les campagnes, le PZRP ne suivit pas le modèle soviétique et la collectivisation demeura limitée, les petites exploitations privées restant la norme. Cependant, la « lutte des classes » en campagne fut menée en appliquant aux « koulaks » une politique fiscale lourde et en 1952 fut instaurée une politique de livraisons obligatoires à l’État pour les « grands » propriétaires terriens disposant de plus de 5 hectares. La propagande faisait porter sur ces « ennemis de classe » la responsabilité des difficultés d’approvisionnement, ce qui évitait d’admettre l’inefficacité du système de production.
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À côté de la propagande et des réquisitions, le régime eut recours ici aussi à « l’émulation socialiste », mettant en place des exploitations modèles nationalisées (PGR), qui obtenaient engrais et machinerie agricole en priorité, afin de convaincre les exploitants privés d’abandonner leurs terres aux profits de ces PGR. Mais leur productivité demeurait en dessous de celle des parcelles privées, lesquelles ne parvenaient qu’à grand- peine à satisfaire les besoins du pays. Le niveau de vie de la paysannerie demeurait très faible (d’où l’exode rural évoqué), d’autant que les campagnes n’étaient pas en mesure de proposer d’aussi bons services que ce que l’on trouvait dans les villes. Un mot sur la résistance sociale et la dissidence au cours de cette période. Compte tenu des risques, mais aussi de l’enthousiasme bien réel d’une part significative de la population, elle demeurait très limitée.
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À l’exception des milieux religieux, l’opposition se limitait à l’activisme de l’étranger, qu’il s’agisse des émissions de propagande de la Voix de l’Amérique ou d’Europe Libre, ou encore les efforts plus sérieux des intellectuels autour de publications étrangères, comme la revue Kultura, publiée à Paris. Évidemment, il était strictement interdit aux Polonais de lire ces revues ou d’écouter ces émissions de radio.
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