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Les récits interactifs

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Présentation au sujet: "Les récits interactifs"— Transcription de la présentation:

1 Les récits interactifs
Serge Bouchardon Université de Technologie de Compiègne

2 Introduction Le récit a su s’adapter à tous les supports : l’oral, le texte imprimé, la bande dessinée, le cinéma, la télévision… Aujourd’hui, le récit investit le support numérique et multimédia pour devenir “ récit interactif ”. Or, chaque changement matériel des supports narratifs a entraîné d’importantes modifications dans l’art de raconter des histoires. Quelles formes prend donc le récit sur ce support ? Quels en sont les enjeux et les perspectives ? Introduction et problématique Qu’est-ce qui change avec les récits interactifs ? Quels sont les enjeux ? Les perspectives ? Le récit semble avant tout caractérisé par la permanence. En tant que type d’organisation – et donc de cohésion – des énoncés, il paraît avoir toujours survécu aux révolutions culturelles et technologiques. Il a su s’adapter à tous les supports : l’oral, le texte imprimé, le cinéma, la télévision… Aujourd’hui, le récit investit le support numérique et multimédia pour devenir « récit interactif ». Or, chaque changement matériel de support a entraîné d’importantes modifications dans l’art de raconter des histoires. Ces modifications se sont faites progressivement ; les auteurs ont en effet cherché dans un premier temps à reproduire les modèles de l’époque précédente avant d’explorer les possibilités narratives du support émergent (ainsi le cinéma, dans ses débuts, reproduit la scène théâtrale). Il n’est donc pas surprenant que les récits interactifs qui apparaissent aujourd’hui cherchent encore un mode d’écriture qui leur soit propre.   S’il est en construction, le récit interactif ne va pas non plus de soi. Mieux : l’expression récit interactif semble relever d’une contradiction. La narrativité consiste à prendre le lecteur par la main pour lui raconter une histoire, du début à la fin. L’interactivité, quant à elle, permet de donner la main au lecteur pour intervenir au cours du récit, et cela à différents niveaux (histoire, structure du récit, narration). L’expression récit interactif recouvre un nombre important de domaines et de pratiques : elle est utilisée aussi bien dans le domaine du jeu vidéo, des logiciels ludo-éducatifs, du cinéma interactif, des ateliers d’écriture en ligne, des hyperfictions littéraires… Néanmoins, dans tous ces domaines, quelles que soient les formes de récits interactifs, les auteurs semblent confrontés à la même difficulté : comment concilier narrativité et interactivité, ou plutôt comment les faire advenir en même temps ? Cela pose des problèmes théoriques, mais également des problèmes pratiques qui incitent les auteurs à expérimenter des solutions . Par exemple, dans le domaine du jeu vidéo, les solutions sont souvent cherchées dans une alternance entre jeu et récit : récit – jeu – récit – jeu… Quand le joueur est en action (les phases dites jouables), il n’y a plus de récit (ce qui n’empêche pas l’histoire de progresser, mais cette histoire n’est pas racontée au joueur par la médiation d’un narrateur). Ne pouvant pas traiter ici toutes les formes de récit interactif, nous allons nous intéresser plus particulièrement au récit littéraire interactif. En effet, dans le cas de la littérature, le paradoxe du récit interactif paraît particulièrement exacerbé, conduisant à une aporie : plus le rôle de l’interacteur grandit, plus la narration s’affaiblit, plus l’interactivité s’impose, plus la littérature semble s’absenter. Dès 1994, Michel Bernard pointait cette difficulté à propos des Fragments d’une histoire de J.M. Lafaille : « Le fond du problème, c’est qu’il est impossible de « raconter des histoires » sur un tel support ». Ainsi le récit hypertextuel, après avoir connu une certaine vogue aux Etats-Unis dans les années 90 (dont l’un des points d’orgue fut un cahier spécial du New York Times en 1991) est-il désormais décrié, ou tout au moins considéré par certains comme une impasse. Mais qu’est-ce que le récit littéraire interactif. Il suppose : la présence d’une succession d’événements constituant une histoire (par rapport à une attention portée avant tout sur le jeu sur le signifiant comme dans l’écriture poétique) ; que le mode de représentation principal de cette histoire soit une narration (par rapport au jeu dramatique, dans lequel le joueur vit l’histoire sans la médiation d’un narrateur) ; que ce récit soit interactif, c’est-à-dire qu’il comporte une forme de programmation informatique des interventions matérielles du lecteur. Enfin, si l’on considère, avec le Trésor de la Langue française, la littérature comme « l’usage esthétique du langage écrit », le récit littéraire interactif doit en outre comporter une composante textuelle, ce qui exclurait les récits interactifs fondés uniquement sur l’image.

3 Introduction Rappel : le terme “ récit ” peut avoir trois sens :
l’histoire : les événements racontés (le signifié) le récit : le discours ou texte narratif lui-même (le signifiant) la narration : l’acte narratif producteur (l’énonciation) (Gérard Genette, in Figures III) récit : l’objet qu’on a sous les yeux (récit écrit) ou le discours que l’on entend (récit oral) histoire : de quoi ça parle narration : comment c’est raconté (ordre, vitesse, point de vue)

4 1 - Typologie des récits interactifs

5 Les récits hypertextuels
About time, de Rob Swigart Les récits hypertextuels  Les récits hypertextuels, qui proposent une lecture non-linéaire de fragments reliés par des liens (comme le Non-roman de Lucie de Boutiny). La navigation hypertextuelle permet ainsi à chaque lecteur de suivre un parcours unique au sein d’un même récit. Boutiny Lucie (de), NON-roman, , Montrer Apparitions inquiétantes : Ex. : About time, de Rob Swigart, 2002, Un précédent papier pourrait être les fameux récits « dont vous êtes le héros ». Les récits hypertextuels

6 Le Livre des Morts, de Xavier Malbreil
Les récits « cinétiques » ou « en mouvement », dans lesquels le texte est affiché dynamiquement et qui exploitent conjointement dimension temporelle et dimension multimédia ; Les récits cinétiques, qui exploitent conjointement dimension temporelle et dimension multimédia. La notion de mouvement est au cœur de ces expérimentations. Le travail sur la matérialité du texte, le jeu sur le signifiant (mode d’apparition, animation, déformation) sont notamment particulièrement présents dans ces récits. Malbreil Xavier et Dalmon Gérard, Le Livre des Morts, , Montrer Anonymes.net : Beaucoup de récits réalisés avec le logiciel Flash pourraient entrer dans cette catégorie. Ex. : Red Riding Hood, de Donna Leishman, 2000, Au-delà de la filiation du récit cinématographique, un précédent papier pourrait être le pop-up book et le movable book. Les récits “cinétiques”, dans lesquels le texte est affiché dynamiquement.

7 Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe
Les récits « algorithmiques », œuvres combinatoires et génératives ; Les récits « algorithmiques », œuvres combinatoires et génératives. Ainsi, dans le roman policier génératif Trajectoires, deux lecteurs n’auront jamais le même texte sous les yeux ; de même, un lecteur, s’il recommence une autre lecture, sera également confronté à un texte différent, celui-ci étant généré en temps réel. Balpe Jean-Pierre, Trajectoires, 2001, Montrer Trajectoires : Un précédent papier pourrait correspondre à toutes les œuvres de littérature combinatoire, par exemple au fameux Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. Ex. : Trajectoires, « roman interactif et génératif » de Jean-Pierre Balpe, 2002, Les récits « algorithmiques », œuvres combinatoires et génératives

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10 Aalcofibras Les récits collectifs Les récits collectifs.
Les récits collectifs, dispositifs permettant aux internautes de participer à l’écriture du récit. Il peut s’agir d’écriture à plusieurs mains (chaque lecteur écrivant une partie du récit), mais aussi d’un dispositif de lecture-écriture permettant au lecteur d’introduire des données dans le cadre du récit. Ex. : site Alcofibras, Toutes les réalisations d’écriture collective constitueraient un précédent papier, à commencer par les « cadavres exquis » des surréalistes. Les récits collectifs

11 Frontières du récit interactif
1 - Typologie des récits interactifs Jeu vidéo Simulation Document hypertexte Récit interactif Si l’on essaie de situer le récit interactif par rapport à d’autres domaines. Net art Œuvre collaborative Frontières du récit interactif

12 1 - Typologie des récits interactifs
Jeu vidéo Simulation Manipuler Document hypertexte Accéder Récit interactif Produire Net art Œuvre collaborative Frontières du récit interactif

13 1 - Typologie des récits interactifs
Jeu vidéo Simulation Manipuler Document hypertexte Accéder Récit interactif Récit hypertextuel Récit cinétique Récit collectif Produire Net art Œuvre collaborative Frontières du récit interactif

14 2 – L’architecture matérielle du récit
Fragmentation en différentes unités (les 24h d ’Adrien) Non-linéarité dans l’enchaînement des unités (Apparitions inquiétantes) Fragmentation en unités autonomes : Bien évidemment, la structuration d’un récit en différentes unités autonomes n’est pas spécifique au récit interactif, mais le support numérique contribue à renforcer cette écriture fragmentaire (à la fois dans le travail d’écriture de l’auteur et dans l’esprit du lecteur). Correspondance entre format d’une unité narrative et format écran La prise en compte du support écran peut contribuer pour sa part à renforcer l’écriture fragmentaire.

15 L’architecture matérielle du récit
Structure : combinatoire généralisée

16 L’architecture matérielle du récit
Structure : combinatoire restreinte

17 L’architecture matérielle du récit
Structure : Arborescences divergentes

18 L’architecture matérielle du récit
Structure : Arborescences en boucles

19 2 – L’architecture matérielle du récit
Jeu sur l’accessibilité L’auteur peut jouer sur l’accessibilité, c’est-à-dire sur la façon dont le lecteur peut accéder au fragment suivant. le mode de manifestation matérielle du lien : visible vs caché (invisible, visible à la demande, visible par survol) Serial Letters : liens cachés le type d’accès du lien : lien statique vs dynamique (aléatoire, conditionnel, adaptatif) Penetration : liens conditionnels

20 2 – L’architecture matérielle du récit
Ouverture sur l’extérieur et accès à un « hors-récit » (Non-roman épisode 2 CNN) Non-clôture Le contenu dynamique d’une unité narrative Sur un support papier, une unité narrative statique sera toujours identique. Le support informatique donne la possibilité de concevoir une unité narrative dynamique qui verra son contenu changer selon certains paramètres. Ce contenu dynamique d’une unité narrative tient aux caractéristiques du support d’enregistrement sur un ordinateur. le calcul permet de reconstruire une multitude de formes d’appropriation à partir d’une même forme d’enregistrement.  Cette possibilité est notamment exploitée dans la littérature générative. Tout dépend ici de la nature des données constitutives du récit multimédia : fixes, évolutives, ou encore génératives.

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22 Fictionalisation du réel extradiégétique

23 Non-clôture S’il n’y a plus de clôture matérielle :
Non-roman : circularité (lecture toujours inachevée) Pause : la clôture comme épisode (exploration des fins, logique des mondes possibles) Afternoon a story : non-clôture du récit (tentation du livre infini) Déplacement de la clôture en tant que fin d’un récit vers la clôture en tant que fin d’une expérience de lecture La clôture est l’un des principes de l’intrigue aristotélicienne : un récit doit avoir un début et une fin. Mais si, contrairement à un récit papier, un récit interactif ne présente plus de clôture matérielle, que peut-on observer ? Nombreuses sont ainsi les expériences d’hypertextes de fiction non clos[1]. Dans l’épisode 2 de NON-roman, lorsque le lecteur arrive au terme de la soirée des personnages, le dernier lien hypertexte le conduit de nouveau au début de l’épisode. Il y a donc bien une fin identifiée, mais le lecteur est incité à reprendre aussitôt la lecture pour essayer un nouveau parcours : la fin n’est qu’une péripétie et la lecture, dans cette circularité, reste toujours inachevée. Dans Pause[2], François Coulon propose une cartographie de tous les épisodes sous forme de roue : le lecteur peut dès lors consulter à la suite tous les fragments qui constituent les fins possibles du récit. Dans cette exploration séquentielle des différentes fins possibles, la clôture d’une histoire devient un épisode dans le parcours de lecture. Le modèle canonique d’hypertexte de fiction, Afternoon a story de Michael Joyce[3], ne propose quant à lui pas de fin identifiable : la lecture est terminée quand le lecteur estime avoir fait le tour du récit. On observe un déplacement de la notion de clôture en tant que fin d’une histoire vers la clôture en tant que fin d’une expérience de lecture. [1] Jean Clément recense ainsi les récits hypertextuels ne présentant ni incipit ni clôture, parlant de la « tentation du livre infini », tentation bien antérieure à la littérature informatique. [2] CD-ROM Pause, de François Coulon, Kaona, 2002. [3] Michael Joyce, Afternoon, a Story, Eastgate Systems, Inc., Cambridge MA, 1987.

24 Lecteur « en chair et en os »
3 –Le dispositif narratif récit Lecteur « en chair et en os » Auteur « en chair et en os » narrateur - personnages- narrataire

25 3 –Le dispositif narratif
Jeu sur la frontière entre : lecteur et narrataire Intégration du monde réel du lecteur dans le monde de la fiction (Non-roman)

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27 Permettre au lecteur d’écrire un courrier électronique réel à un personnage dans le cadre du récit, c’est effacer la frontière entre le narrataire, fonction dans le dispositif de représentation qu’est le récit, et le lecteur réel en chair et en os. Le dispositif permet à l’auteur de NON-roman de jouer sur la frontière entre le narrataire, fonction dans le dispositif de représentation qu’est le récit, et le lecteur réel. Ainsi, dans l’épisode 4, le lecteur prend connaissance de missives adressées à Madame et émanant du fan club de Jésus Chanchada, acteur dans le sitcom favori de celle-ci. Mais s’il clique sur le lien jesus », il voit s’ouvrir une fenêtre de son logiciel de messagerie : il a la possibilité d’envoyer un courrier électronique réel à un personnage de fiction. L’espace de travail du lecteur, avec son logiciel de messagerie électronique, se trouve ainsi intégré dans l’univers fictionnel de NON-roman. Ce n’est plus en tant que narrataire que le lecteur est interpellé, comme chez Diderot ou Calvino, mais en tant que lecteur en chair et en os, appelé à produire du texte. L’auteur s’amuse à instaurer insensiblement une confusion entre narrataire et lecteur, confusion autorisée par la navigation hypertextuelle. Ici, c’est le rapport entre le monde supposé « vrai » de la fiction et le monde « réel » du lecteur qui est repensé. L’auteur se livre à un véritable jeu sur la frontière entre réalité et fiction. Le lecteur est interpellé tout à la fois en tant que narrataire du récit et lecteur réel.

28 3 –Le dispositif narratif
Jeu sur la frontière entre : lecteur et narrateur Choix du point de vue par le lecteur (Non-roman) Le lecteur manipule le temps de l’histoire (Trajectoires) Le lecteur peut passer d’un lieu à l’autre de l’histoire (Daysinaday) Le lecteur devient narrateur Le lecteur peut se voir attribuer des prérogatives du narrateur : choix du type de focalisation, don d’ubiquité… Le lecteur a la possibilité de s’intéresser à un personnage plutôt qu’à un autre et de suivre ses pas. Il acquiert ainsi une prérogative du narrateur qui est de déterminer le type de focalisation.

29 Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe
Le lecteur a à sa disposition un calendrier de 24 jours correspondant à la durée de l’histoire. Le lecteur a à sa disposition un calendrier de 24 jours correspondant au temps diégétique, et peut accéder par lien hypertexte à n’importe lequel de ces jours. C’est l’une des actions permises au lecteur sur la narration, en l’occurrence l’ordre dans lequel les événements sont racontés.

30 3 –Le dispositif narratif
Jeu sur la frontière entre : lecteur et personnage Le lecteur « joue » le rôle d’un personnage (Non roman, drame interactif Facade)

31 3 –Le dispositif narratif
Jeu sur la frontière entre : lecteur et auteur

32 Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe
En ce sens, le paratexte du « roman interactif et génératif » Trajectoires précise que le « code informatique fait partie de l’œuvre ». Le paratexte du « roman interactif et génératif » Trajectoires précise que le « code informatique fait partie de l’œuvre».

33 Ce récit incite d’ailleurs le lecteur à manipuler des fichiers informatiques : à chaque « page », en cliquant sur un fragment d’image précédant chaque fragment textuel,…

34 … le lecteur a la possibilité de télécharger un fichier graphique .

35 Il obtient ainsi à chaque téléchargement une image qui est en fait un fragment d’une image plus grande : s’il a la curiosité d’assembler ces différents fichiers grâce à un logiciel graphique (le nom de chaque image donne une indication sur son emplacement dans le puzzle), il découvre alors le visage des deux coupables de l’histoire. On passe du lisible au manipulable. Le lecteur assemble des fichiers graphiques pour découvrir le visage des deux coupables. On passe du lisible au manipulable.

36 Le Livre des Morts, de Xavier Malbreil
Une autre façon d’exhiber le dispositif est de le montrer à l’œuvre en tant que processus. Il s’agit pour l’auteur, non pas tant de proposer un « produit » à son lecteur, mais d’inscrire le récit interactif dans un processus.

37 Par exemple, le dispositif peut intégrer progressivement aux données proposées par un auteur les données introduites par un interacteur : le récit est ainsi constamment en évolution. Dans le Livre des Morts, le lecteur est amené à répondre à des questions au cours de son voyage dans le monde des morts. Ces réponses sont intégrées dans le récit. Le lecteur les retrouvera lors d’une lecture ultérieure, pourra les modifier ainsi que consulter les réponses données par les autres lecteurs à ces mêmes questions. Ces questions portent sur sa propre vie et constituent en quelque sorte sa mémoire. Livre des Morts : processus de fictionalisation de la mémoire des lecteurs (la mémoire du lecteur est fictionalisée, au sens elle devient partie intégrante de la fiction). Le Livre des Morts est en effet avant tout une réflexion et un travail sur la mémoire. Selon Xavier Malbreil, il s’agit de « donner un lieu sur le réseau où la mémoire soit invitée à se poser sur les mémoires informatiques. Cette mémoire intime, qui est mémoire vivante, toujours en mouvement, elle pourrait se confondre, geste prométhéen, avec la mémoire, in memoriam, que nous gardons de nos morts. Mémoire, mémories, mémoriam. Le liber memorialis, ce carnet de notes, carnet du nôtre, carnet de nous incarné, nous le retrouvons ici. Carnet de notes cybernétique, qui gardera notre mémoire, mais qui la gardera vivante. » Le Livre des Morts se présente comme un jeu sur les frontières : entre la vie et la mort bien sûr, mais aussi entre lecture et écriture, entre réalité et fiction (le lecteur répond aux questions dans le cadre de la fiction, sa mémoire se trouvant par là même « fictionalisée »), entre l’intime et le public (les réponses les plus intimes pouvant, si on le souhaite, être rendues publiques), entre la mémoire et l’oubli (si on modifie ses réponses, on ne garde pas trace de la version précédente). Il peut s’agir aussi de l’insertion d’algorithmes adaptatifs permettant d’adapter l’œuvre au comportement du lecteur et ainsi de faire co-émerger le récit et son lecteur, de manière transductive. Ce type de pratique vise en effet à donner au lecteur l’impression d’une co-constitution dynamique de l’œuvre et du lecteur. In fine, l’activité du lecteur est au service de la mise en exergue du dispositif. Le dispositif intègre progressivement au récit les données introduites par l’interacteur : le lecteur est fictionalisé

38 Ainsi, le récit Abîmes…

39 …suggère à son lecteur d’aller voir le code source d’une page HTML pour y trouver d’autres informations, d’autres indices (Affichage-Source dans le navigateur). Abîmes est un récit expérimental de Emmanuel Raulo et Morgan Fraslin dans lequel l’histoire est étendue au code HTML proprement dit : « Le scénario est de type « cyber-punk », à la manière des films comme Matrix ou Passé virtuel, dont l’action se situe dans un univers déjà considéré comme virtuel dans le scénario. L’histoire prend la forme d’une quête initiatique dans laquelle le personnage principal doit découvrir qu’il évolue dans un monde imaginaire et comprendre, pour pouvoir retourner au monde réel, les raisons pour lesquelles il a été conduit dans un tel univers. Il lui faut pour cela apprendre à accéder au code HTML des pages pour y trouver des révélations et des liens cachés vers d’autres pages du récit ». Le récit Abîmes suggère à son lecteur d’aller voir le code source d’une page HTML pour y trouver d’autres informations, d’autres indices.

40 « Jeu » entre forme d’enregistrement (le code) et forme de restitution
« Jeu » entre forme d’enregistrement (le code) et forme de restitution. L’auteur, qui produit du code HTML, permet au lecteur de manipuler et de modifier le même matériau de production. Le lecteur a même la possibilité de supprimer les marques de commentaires dans le code afin, après enregistrement du fichier, d’afficher un autre contenu à l’écran. Il y a dans ce récit tout un « jeu » entre forme d’enregistrement (le code) et forme de restitution. Dans ce cas, l’auteur, qui produit du code HTML, permet au lecteur de manipuler le même matériau de production.

41 3 –Le dispositif narratif
Jeu sur la frontière entre : lecteur et auteur Le lecteur manipule des fichiers informatiques (Trajectoires) L’auteur fait manipuler à son lecteur le matériau de production (Abîmes) Le lecteur devient scripteur (Le Livre des Morts) Le lecteur est incité à produire du texte qui fera partie intégrante du récit (les 24h d ’Adrien)

42 4 – Questionnements Des problématiques et tentatives anciennes
Écriture fragmentaire et non-linéaire Déconstruction de la fiction pas nouvelle. Des débuts du roman (Sterne, Diderot…) jusqu’à la “ modernité littéraire ” (Joyce, Saporta, Queneau, Perec, Calvino, Borges, Roubaud...), certains auteurs ont cherché à remettre en question les lois du récit linéaire. Ex. : Marc Saporta, Composition N°1, 1962. Le rôle du lecteur Italo Calvino, dans Si par une nuit d'hiver un voyageur, a tenté de faire du lecteur un personnage du livre, se livrant au jeu de la confusion personnage/narrataire/lecteur. Ne croyons pas pour autant que les diverses tendances identifiées dans le récit interactif (écriture très fragmentaire, non-linéarité systématisée, rôle du lecteur dans la narration…) n’existaient pas auparavant dans le récit classique. Écriture fragmentaire et lecture non-linéaire L’ancêtre emblématique de cette remise en question est sans doute Tristram Shandy, de Laurence Sterne. En voici quelques extraits : “ S'il se trouve d'ailleurs des lecteurs à qui il déplaise de remonter si loin dans ce genre de cause, je ne puis que leur conseiller de sauter par dessus le reste de ce chapitre, car je déclare d'avance qu'il a seulement été écrit pour les curieux et les chercheurs. [...] Posez le livre et je vous accorde une demi-journée pour deviner les causes probables d'une telle attitude. Composition n° 1, de Marc Saporta (1962), offre un exemple de combinatoire totale, sans doute unique dans l'histoire du roman. Brisant les habitudes de lecture et les contraintes liées aux caractéristiques matérielles du livre relié, l'auteur présente son oeuvre sous la forme d'une pochette contenant 150 feuillets détachés. Chaque feuillet constitue un module romanesque. Dans sa préface, l'auteur indique que “ le lecteur est prié de battre ces pages comme un jeu de cartes. De couper, s'il le désire, de la main gauche, comme chez une cartomancienne. L'ordre dans lequel les feuillets sortiront du jeu orientera le destin de X. ” Le nombre de combinaisons possibles (!150) est de nature à décourager toute tentation de lecture exhaustive. Le rôle du lecteur La volonté de donner un rôle plus important au lecteur dans le récit n’est pas non plus une conséquence de l’apparition de l’ordinateur. Ainsi Italo Calvino, dans Si par une nuit d'hiver un voyageur (79), a tenté de faire du lecteur un personnage du livre, se livrant au jeu de la confusion personnage/narrataire/lecteur. “Tu vas commencer le nouveau roman d'Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Détends-toi, concentre-toi.”[…] - Encore un moment. Je suis juste en train de finir Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino.” Mais si les tentatives identifiées dans le récit interactif étaient déjà à l’œuvre dans certains récits classiques, dans quelle mesure peut-on dire du support qu’il joue un rôle ?

43 4 – Questionnements Le rôle du support : un « passage à la limite »
L’évolution des supports : tentative de « manipulabilité » toujours plus importante. Avec le numérique, médiation du calcul : tout devient manipulable. Système délinéarisé, hypertextuel avant d'être textuel.  L’évolution des supports d’inscription correspond en effet à une tentative de manipulabilité toujours plus importante (passage du rotulus ou du volumen au codex). Le support numérique s’inscrit ainsi dans une continuité. Néanmoins, on peut parler de “ passage à la limite ” dans la mesure où toute la médiation est calculée ; avec le support numérique, tout devient manipulable (évolution qui introduit néanmoins une rupture dans la mesure où il s’agit d’un “ passage à la limite ”). Avec le numérique, l’accès à l’information n’est jamais direct, mais repose sur la médiation du calcul. Dans un récit papier, la notion de calcul est déjà présente : mais ce calcul est réalisé par l’auteur et le lecteur (il est d’ailleurs intéressant de constater que l’émergence de la combinatoire avec Leibniz coïncide peu ou prou avec la naissance du roman). Le support papier, lui, reste statique ; il a une structure matérielle qui le rend manipulable, mais cette manipulabilité est potentielle. Le support informatique permet aux auteurs de reprendre ces problématiques anciennes et d’aller plus loin encore. Il ne révolutionne pas le récit, mais permet de concrétiser des tentatives que le support papier ne permettait pas de voir parfaitement aboutir. Ainsi, nous avons vu que de nombreux récits ont tenté de rompre avec la linéarité ; néanmoins, avec le numérique, c'est la première fois qu'on a en soi, intrinsèquement, un système délinéarisé. D'emblée le système est hypertextuel avant d'être textuel ; il s’agit d’une hypertextualité qui peut s'aborder localement comme une textualité.

44 4 – Questionnements Le rôle du support : un « passage à la limite »
Le dispositif technique n’est plus le même dans le cas d’un récit interactif : il est demandé au lecteur d’être actif sur le support lui-même. C’est cette instrumentation de l’activité du lecteur dans le dispositif qui entraîne une reconfiguration de cette activité. Le support numérique permet de prolonger et de pousser jusqu’à leurs limites des problématiques et des tentatives qui existaient dans des récits écrits pour le support papier. Il contribue notamment à la réalisation d’un rêve très ancien : faire participer le lecteur à l’élaboration du récit. De même, les théoriciens ont toujours mis l’accent sur l’activité du lecteur ; néanmoins, sur un support dynamique, cette activité est désormais intégrée dans l'ensemble du dispositif. Mais à partir du moment où cette intégration est réalisée, l'instrumentation de cette activité du lecteur va entraîner une évolution de cette activité. Le support numérique contribue ainsi à la réalisation d’un rêve très ancien : faire participer le lecteur à l’élaboration de l’œuvre. Bien sûr, toute lecture contribue à créer le texte qu’elle parcourt et chaque lecteur est, à sa manière, co-auteur de l’œuvre que sa lecture actualise. Mais les limites du support papier n’ont pas permis d’accéder complètement au désir des auteurs de faire participer davantage le lecteur à leur création. Ainsi, le récit interactif intègre dans son mode de fonctionnement ce qui avait été souligné par les théoriciens du récit et réalise ou prolonge ce qui avait été tenté par nombre d’auteurs. Le support agirait donc comme révélateur. Le “ passage à la limite ” introduit par le support numérique met au premier plan certaines potentialités du récit qui étaient restées jusque-là secondaires ou peu exploitées.

45 4 – Questionnements Que reste-t-il de l’histoire ? Le caractère fragmentaire du récit ainsi que la délégation, dans une certaine mesure, de la narration au lecteur font que l’histoire peut n’être plus « racontable ».

46 4 – Questionnements De la temporalité à la spatialité Le récit interactif, souvent, ne trouve plus sa justification dans l’histoire racontée, mais dans le dispositif de lecture/écriture qu’il propose. Passage de la chronologie à la cartographie. Temporalité d’une histoire => spatialité d’un dispositif Mais dans la mesure où le récit est avant tout représentation d’une temporalité, peut-on encore parler de récit ? Nous avons observé que le récit multimédia, souvent, ne trouve plus sa justification dans l’histoire racontée, mais dans le dispositif de lecture/écriture qu’il propose. Les personnages n’ont plus d’épaisseur, n’évoluent pas dans le temps. L’ordre des unités narratives pouvant être modifié d’une lecture à l’autre, la dimension temporelle s’efface au profit d’une dimension spatiale. On remarque ainsi un passage de la chronologie à la cartographie. Ce n’est plus la temporalité d’une histoire qui construit le récit, mais la spatialité d’un dispositif. Mais dans la mesure où le récit est avant tout représentation d’une temporalité, peut-on encore parler de récit pour caractériser les nouvelles formes narratives qui se dessinent actuellement ?

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48 4 – Questionnements Un récit peut-il être à vivre ? Donner au lecteur la possibilité de “ jouer ” le rôle d’un personnage, c’est basculer d’une histoire racontée à une histoire à vivre, de la narration au jeu dramatique, dans lequel le joueur vit l’histoire sans la médiation d’un narrateur. S’agit-il encore de récit ?

49 4 – Questionnements Un récit peut-il être co-construit par un lecteur ? Au “ faire croire ” du narrateur répond traditionnellement le “  croire ” , l’adhésion (ou non) du lecteur. Demander au lecteur de co-construire l’histoire qu’il est en train de “ lire ”, c’est lui demander dans le même temps de faire croire et de croire à une même histoire… Peut-on réellement concilier narrativité et interactivité ?

50 5 – Enjeux et perspectives
narratifs littéraires : ouvrir la littérarité épistémologiques : interroger certaines notions (récit, texte, figure…) pédagogiques : enseigner l’écriture numérique Littéraires narrativité et interactivité ouverture de la littérarité Les récits littéraires interactifs tendent à ouvrir la littérarité en nous amenant à considérer comme littéraires des œuvres qui a priori ne répondent pas aux critères classiques de littérarité (texte non établi ni figé, dimension multimédia, interventions matérielles du lecteur). En posant la question d’une nouvelle esthétique mais également d’un changement important du paradigme littéraire, les récits littéraires interactifs constituent des expériences littéraires aux frontières. On pourrait parler de passage à la limite de la notion même de littérature. Doit-on envisager que la littérature va se déliter dans ce passage à la limite, ou bien considérer que ces œuvres peuvent constituer un nouveau paradigme permettant d’ouvrir la littérarité ? - Scientifiques (interrogent les notions de récit, de texte, mais aussi par exemple la notion de figure) C’est ce que j’appelle la valeur heuristique de la LN. Pédagogiques : enseigner l’écriture numérique avec les récits interactifs, pour surmonter les difficultés liés à l’intersémiotisation des médias, à la lecture hypermédia et à la dialectique auteur-lecteur. (les récits interactifs comme moyen d’enseigner l’écriture interactive) Quant aux enjeux économiques, ils peuvent se dessiner avec les nouvelles formes de récit.

51 5 – Enjeux et perspectives
Perspectives : nouvelles formes de récits interactifs Livre interactif Récits pour tablettes (type iPAd) fondés sur la manipulation gestuelle Ex: Pinocchio : Webdocumentaire Ex: les webdocumentaires du journal Le Monde : Drame interactif Ex : Facade - En termes de perspectives, je vais insister sur 6 nouvelles formes de récits interactifs. Les enjeux économiques se dessinent avec ces nouvelles formes de récits. - Livre interactif Récits pour tablettes (type iPAd) fondés sur la manipulation gestuelle Ex: Pinocchio : Alive au pays des merveilles : Dracula : - Webdocumentaire - Drame interactif : Entre narration et jeu dramatique, entre RI et jeu vidéo

52 Pinocchio pour iPad

53 Webdocumentaire La Zone
Webdocumentaire La Zone

54 Facade, Andrew Stern and Michael Mateas
Trailer :

55 5 – Enjeux et perspectives
Perspectives : nouvelles formes de récits interactifs Film interactif Ex : HBO Imagine Récits interactifs participatifs sur les réseaux sociaux Expérience de récit participatif Facebook : Récits interactifs urbains Locative narratives, projet GPS : Global Poetic System - Film interactif - Récit interactif collaboratif Nouvelles formes de récits en ligne : Récits sur Twitter, Facebook, blogs, wikis - Récits numériques liés à des espaces physiques J.R. Carpenter : In absentia, récit avec Google Maps Locative narratives => Projet GPS : global poetic system Renée Bourassa : « les récits urbains » Le récit interactif sort de l’espace de l’écran 

56 HBO Imagine

57 HBO Imagine

58 HBO Imagine

59 HBO Imagine

60 Récit interactif et participatif Facebook

61 Locative narratives fictions hypermédiatiques posant des questions de rapport entre narrativité et spatialité (Cf. Bourassa) Commencent par les récits en ligne qui utilisent les outils cartographiques Jusqu’à ceux qui investissent l’espace urbain on est loin de l’hypertexte historique. Récits qui posent la question du rapport à l’espace physique couplé à des bases de données.

62 Locative narratives

63 Paul Ricoeur : « De nouvelles formes narratives, que nous ne savons pas encore nommer, sont déjà en train de naître, qui attesteront que la fonction narrative peut se métamorphoser, mais non pas mourir. » (Temps et récit 2) Base de récits interactifs :


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