L’éthique féodale et les passions chez Corneille Paul Bénichou, Morales du grand siècle (1948): étude des rapports entre les conditions sociales de la vie et les doctrines morales au XVIIe siècle en France. Paul Bénichou
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Œuvre de Corneille: triomphe de l’éthique féodale. Le terme féodal, appliqué à Corneille peut à première vue sembler anachronique, « mais il n’en est pas d’autre pour désigner ce qui, dans la psychologie des gentilshommes du XVIIe siècle, persiste des vieilles idées d’héroïsme et de bravade, de magnanimité, de dévouement et d’amour idéal, ce qui s’oppose aux tendances plus modernes de l’aristocratie à la simple élégance morale ou à l’honnêteté ».
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Renouvellement d’enthousiasme guerrier: la guerre de Trente ans et la Fronde. Corneille: exaltation des valeurs traditionnelles de la classe aristocratique: individualisme, exaltation du moi et des passions. Les passions ne s’opposent pas à la loi morale: elles incitent aux actions sublimes.
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Conception optimiste de la nature humaine, qui insiste sur la liberté de l’homme et sur sa grandeur. Distinction entre âmes bien nées et âmes communes. Il faut préférer la gloire aux passions moins nobles comme l’amour: dilemme apparent entre amour et honneur.
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Amour fondé sur l’estime pour l’être aimé et sur une sympathie profonde entre les âmes (amour idéalisé des romans): Il est des nœuds secrets, il est des sympathies, Dont par le doux rapport les âmes assorties S’attachent l’une à l’autre, et se laissent piquer Par ces je ne sais quoi, qu’on ne peut expliquer. Rodogune, I, 5, vv. 359-362
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Homme cornélien: orgueil qui se contemple, qui se donne en spectacle et qui veut susciter l’admiration du public. Sur le plan stylistique: recherche du sublime, figures recherchées, métaphores puisées dans l’arsenal de la poésie « précieuse » ou « baroque »: Sire, mon père est mort, mes yeux ont vu son sang Couler à gros bouillons de son généreux flanc, Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles, Ce sang qui tant de fois vous gagna des batailles, Ce sang qui tout sorti fume encore de courroux De se voir répandu pour d’autres que pour vous. (Le Cid, II, 7, vv. 665-670)
L’éthique féodale et les passions chez Corneille Débat contemporain sur la vertu romaine (Montaigne, Guillaume du Vair, La Mothe La Vayer): glorification du stoïcisme, du courage et de la tempérance des Romains qui avaient atteint la perfection morale sans l’appui de la révélation chrétienne. Guez de Balzac: «Aux endroits où Rome est de brique, vous la rebâtissez de marbre».
La démolition du héros Échec de la Fronde et crise des valeurs aristocratiques. L’empreinte du jansénisme: la méfiance envers les instincts et les passions. Optimisme éthique des jésuites/pessimisme radical des jansénistes. Parti pris de défiance et de sévérité envers l’homme. La grandeur humaine ne subsiste qu’à l’état de trace après la Chute.
La démolition du héros Blaise Pascal (1623-1662): le misanthrope sublime (Voltaire). Lettres provinciales (1656-57): la polémique contre les casuistes. Les Pensées : un projet d’apologie de la religion chrétienne. Les «papiers d’un mort»: l’inachèvement de l’ouvrage. Édition de Port-Royal (1670): Pensées sur la religion et sur quelques autres sujets.
La démolition du héros Un tableau de la misère de l’homme: le coeur de l’homme est un chaos de contradictions. Le scepticisme et l’anti-humanisme: il n’est pas de vérité hors de la Révélation. “Qu’on s’imagine un nombre d’hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant l’un l’autre avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour”, Pensées, éd. Le Guern, 405.
La démolition du héros La Rochefoucauld (1613-1680): les rêves héroïques et l’austérité sans illusions. La Fronde et le salon de Mme de Sablé. Les Maximes (1665): un portrait de l’homme à la lumière de Saint-Augustin. L’épigraphe du livre: «Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés». Démasquer la fausse sagesse des Anciens: contre le stoïcisme.
La démolition du héros Ces auteurs insistent sur l’inconstance, la bizarrerie, les contrariétés (contradictions) de l’homme. La puissance du hasard et des passions: « Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé », Pascal, Pensées, 392. Les humeurs: « Le caprice de notre humeur est encore plus bizarre que celui de la fortune », La Rochefoucauld, Maximes, 45. L’imagination, la coutume, l’amour propre (puissances trompeuses): « Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà », Pascal, Pensées, 56.
La démolition du héros La gloire n’est pas une vertu, mais une manifestation d’amour propre. Tragédie de Racine: rencontre d’un genre littéraire nourri de sublime moral avec une idéologie d’origine janséniste hostile à l’idée de sublime et de grandeur morale. L’homme est la proie de ses passions et de ses instincts. Passion amoureuse: désir de possession et de domination.