Les discriminations à l’école Certains sont plus égaux que d’autres ou Certains sont plus égaux que d’autres jacques.fierens@fundp.ac.be 1
C’est quoi, une discrimination à l’école ? Une rupture d’égalité ? C’est quoi l’égalité ? Une proportion ? Une proportion de quoi ? Une proportion de droits ? De quels droits ?
Les clauses de non-discrimination sont inscrites partout dans le droit applicable en Belgique : Les Etats parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. Art. 2, § 1er, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. A cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. Art. 11 de la Constitution
…et notamment dans la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination Toute distinction directe fondée sur l'un des critères protégés constitue une discrimination directe, à moins que cette distinction directe ne soit objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires. Article 7 de la loi du 10 mai 2007 Toute distinction indirecte fondée sur l'un des critères protégés constitue une discrimination indirecte, - à moins que la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre qui est au fondement de cette distinction indirecte soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires; ou, - à moins que, en cas de distinction indirecte sur base d'un handicap, il soit démontré qu'aucun aménagement raisonnable ne peut être mis en place. Article 9 de la loi du 10 mai 2007 Une discrimination est toujours interdite ; une distinction ou une différence de traitement n’est pas toujours interdite
Les Belges sont égaux devant la loi ; Art. 10, al. 2, de la Constitution La non-discrimination et l’égalité, c’est exactement la même chose …et le même problème, vieux comme le monde L’égalité n’est pas l’identité, mais une proportion Ekastô apodidonai dikaion esti Platon « Rendre à chacun son dû » « Suum cuique tribuĕre » Cicéron, Ulpien, Justinien, saint Ambroise, saint Augustin …
Aristote, Ethique à Nicomaque. « Le juste, donc, implique quatre termes au moins, et le rapport entre la première paire de termes est le même que celui qui existe entre la seconde paire, car la division s'effectue d'une manière semblable entre les personnes et les choses. Ce que le terme A, alors, est à B, le terme Γ le sera à Δ; et de là, par interversion, ce que A est à Γ, B l'est à Δ » Aristote, Ethique à Nicomaque. Ce que les droits et avantages de Bart… La situation de Bart… … est à la situation de Linda sont aux droits et avantages de Linda et
Il va de soi que si A = B, si Bart est identique à Linda, alors la part de chacun, ses droits, ses chances, ses avantages et ses désavantages doivent être identiques = alors = Si Par contre, si A ≠ B, si Bart est différent de Linda, alors la part de chacun, ses droits, ses chances, ses avantages et ses désavantages doivent nécessairement être différents, sous peine de rompre l’égalité (on appelle parfois cela, à tort, la « discrimination positive ») Jurisprudence constante de toutes les hautes juridictions internationales ou nationales : Le principe d’égalité et de non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.
la question devient : sous quels aspects deux enfants ou deux jeunes sont-ils juridiquement identiques, et sous quels aspects sont-ils différents ? Les enfants sont juridiquement identiques quant à leurs droits fondamentaux Il n’est par contre pas illégal (bien que parfois moralement choquant) que certains enfants soient plus ou moins riches, plus ou moins instruits, habitent mieux que d’autres, aillent en vacances, etc., même si ces avantages dépassent les standards minimums imposés par les droits fondamentaux
/ La discrimination existe donc : soit quand les droits fondamentaux d’un seul, identiques aux autres sous ce point de vue, ne sont pas respectés soit quand les différences admissibles entraînent des conséquences disproportionnées, donc inadmissibles / Dans ces deux cas l’égalité est rompue :
Parmi les droits fondamentaux, il y a le droit à l’éducation 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances : a. Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ; b. Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin ; c. Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ; d. Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles ; e. Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire. 2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention. 3. Les États parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l'éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. Art. 28 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant
…ou le droit à l’instruction Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. Article 2 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme Le droit à l’éducation et à l’instruction ont un contenu détaillé, comprenant l’accès, la gratuité ou l’aide financière, la lutte contre l’abandon scolaire, l’encadrement de la discipline, la définition de la place des parents, etc. Sous ces aspects, tous les enfants ou tous les jeunes sont identiques et doivent être traités de manière identique
On se décide (pour une fois) ? L’éducation doit avoir certains buts et ils doivent aussi être identiques pour tous L’éducation, c’est la survie de la Cité… L’éducation reproduit les inégalités L’éducation, c’est laisser faire la nature… L’éducation fait accéder à une véritable égalité L’éducation, c’est mortel… On se décide (pour une fois) ?
1.Les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à : a. Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ; b. Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ; c. Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ; d. Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone ; e. Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel. 2. Aucune disposition du présent article ou de l'article 28 ne sera interprétée d'une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d'enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l'éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l'État aura prescrites. Art. 29 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant
Le droit fondamental à l’éducation n’admet le traitement différencié que pour l’enseignement supérieur (Art. 28 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant) Mais la seule différence qui peut être prise en compte est celle des capacités Bart n’a pas accès à l’enseignement supérieur Les capacités de Bart Les capacités de Linda Linda a accès à l’enseignement supérieur
Comme on le voit, toute proportion est en réalité une mesure, et toute discrimination une démesure Le droit (dans les démocraties) passe son temps à mesurer et à rechercher la proportion humaine entre les mesures = 15
Mais le droit, l’égalité, la juste proportion se nourrissent surtout d’apparences… … y compris en ce qui concerne les droits fondamentaux des enfants et l’égalité en matière scolaire 16
Quelques difficultés en lien avec le respect de l’égalité Avant la mise en œuvre du droit, il y a une éducation nécessaire à la conscience d’être sujet de droit Cette éducation ne concerne évidemment pas que l’enfant, mais tous ses interlocuteurs Peu d’initiatives directes et systématiques relatives à la promotion des droits de l’enfant ? … et encore moins au droit L’éducation aux droits fondamentaux est-elle explicitement prévue dans les programmes scolaires ?
Conclusions (?) La non-discrimination est de l’ordre du droit Qui a peur des droits de l’enfant ? (cf. réticences non seulement en droit scolaire, mais aussi en matière d’aide sociale, en matière de châtiments corporels…)