A la chandelle Un parcours ludique et poétique autour de la versification Suivez les flèches!
Un soir de novembre, Nicolas se plongea en esprit dans la lecture d’un récit de Gérard de Nerval, pourchassant comme lui des rêves évanouis …
« À ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l’air pur des solitudes, nous buvions l’oubli dans la coupe d’or des légendes, nous étions ivres de poésie et d’amour. » Gérard de Nerval, Sylvie Chapitre 1 : Nuit perdue
Un passage en particulier retint l’attention de Nicolas : quand au chapitre 6 le narrateur suit Sylvie chez sa vieille tante à Othys et que tous deux s’amusent à fouiller dans ses fripes à la recherche de dentelles anciennes …
Je la suivis, montant rapidement l'escalier de bois qui conduisait à la chambre. − O jeunesse, ô vieillesse saintes ! − qui donc eût songé à ternir la pureté d'un premier amour dans ce sanctuaire des souvenirs fidèles ? Le portrait d'un jeune homme du bon vieux temps souriait avec ses yeux noirs et sa bouche rose, dans un ovale au cadre doré, suspendu à la tête du lit rustique. Il portait l'uniforme des gardes-chasse de la maison de Condé ; son attitude à demi martiale, sa figure rose et bienveillante, son front pur sous ses cheveux poudrés, relevaient ce pastel, médiocre peut-être, des grâces de la jeunesse et de la simplicité. Quelque artiste modeste invité aux chasses princières s'était appliqué à le pourtraire de son mieux, ainsi que sa jeune épouse, qu'on voyait dans un autre médaillon, attrayante, maligne, élancée dans son corsage ouvert à échelle de rubans, agaçant de sa mine retroussée un oiseau posé sur son doigt. C'était pourtant la même bonne vieille qui cuisinait en ce moment, courbée sur le feu de l'âtre. Cela me fit penser aux fées des Funambules qui cachent, sous leur masque ridé, un visage attrayant, qu'elles révèlent au dénouement, lorsque apparaît le temple de l'Amour et son soleil tournant qui rayonne de feux magiques. « O bonne tante, m'écriai-je, que vous étiez jolie ! − Et moi donc ? » dit Sylvie, qui était parvenue à ouvrir le fameux tiroir. Elle y avait trouvé une grande robe en taffetas flambé, qui criait du froissement de ses plis. « Je veux essayer si cela m'ira, dit-elle. Ah ! je vais avoir l'air d'une vieille fée ! » « La fée des légendes éternellement jeune !...» dis-je en moi- même. GERARD DE NERVAL – Sylvie - Chapitre 6 : Othys (1854)
Nicolas se prit au jeu. Il décida d’aller à son tour fouiller le grenier de la maison, où il n’était pas entré depuis des années …
Un bric-à-brac de meubles estropiés et d’objets oubliés attendait le visiteur …
Tout au fond, une vieille malle attira son regard.
Elle était pleine de chiffons, tissus, poupées, livres et papiers poussiéreux …
Sur un vieux papier fripé, il eut la surprise de découvrir un poème dont le charme immédiatement le ravit. Hélas, le papier était taché d’encre et rongé par le temps. Des mots étaient effacés : ce beau poème serait-il à jamais perdu ?
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme celui-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine : Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur angevine.
Une enquête sur internet permitinternet à Nicolas d’identifier aisément la forme du poème = un sonnet Origines : du latin sonare, « sonner », le sonnet, né en Italie avec PETRARQUE et DANTE, avait été introduit en France au début de la Renaissance, par MAROT notamment (auteur du premier sonnet français), puis utilisé par DU BELLAY, RONSARD, LOUISE LABE … Forme : il s’agissait d’une forme fixe de 14 vers répartis en deux quatrains et deux tercets Structure : le poème trouvé par Nicolas semblait avoir l’organisation du sonnet marotique = des quatrains aux rimes embrassées (A B B A) et des tercets aux rimes suivies puis embrassées (C C D E E D) Usages : le poème du grenier était aussi conforme aux usages qui s’étaient répandus en France. La règle de l’alternance des rimes masculines et féminines semblait s’être peu à peu imposée et l’alexandrin, le vers de 12 syllabes, était devenu le vers le plus fréquent … Clément Marot Pétrarque Dante Du Bellay Ronsard Shakespeare
Nicolas mémorisa grâce à internet internet les principales règles de la versification La syllabe est l’unité de base du vers : Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête. (Victor Hugo) il / ti / r e, / traî / n e, / geint, / ti / r e en / co / r e et / s'ar / rêt e La syllabe est un groupe de sons émis d’un seul souffle = le plus souvent un son- consonne et un son voyelle - À la fin d'un vers, on ne compte jamais le « e » muet : « s’ar / rêt(e) - A l’intérieur d’un vers : on prononce le « e » s’il est suivi d’une consonne : « ti / r e, / traî / n e, / geint » on ne prononce pas le « e » s’il est suivi d’une voyelle : « ti / r( e ) en / co / r( e ) et » - Le nombre de syllabes détermine le type de vers utilisé : octosyllabes, décasyllabes, alexandrins … - Le nombre de vers détermine le type de strophe utilisée : distique, tercet, quatrain, quintil, sixain …. - Les rimes peuvent être plates (AABB), croisées (ABAB), embrassées (ABBA) peuvent être pauvres (1 son commun), suffisantes (2 sons communs), riches (3 sons communs et plus)
SAUREZ-VOUS AIDER NICOLAS A RECONSTITUER LE SONNET EN RETROUVANT LES MOTS MANQUANTS ?
1er Quatrain Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme celui-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! PROPOSITIONS VERS 1 ● 1 – Clafoutis 1 – Clafoutis ● 2 – Voyage 2 – Voyage ● 3 – Rêve PROPOSITIONS VERS 4 ● 1 – Dents 1 – Dents ● 2 – Paroles 2 – Paroles ● 3 - Parents 3 - Parents Ulysse et Circé Tableau d'Allori (1575) Strophe suivante HELP ! ● Fiche versification Cliquer sur le mot choisi pour vérifier la réponse
VERS 1 PROPOSITION 1 Clafoutis Impossible ! ce mot fait 3 syllabes l’alexandrin n’aurait que 13 syllabes au lieu de 12 « heu / reux / qui / com / me U / lys / se a / fait / un / beau / cla / fou / tis » En savoir plus sur l’alexandrin Retour au sonnet
PROPOSITION 2 Voyage Bon choix ! Le nombre de syllabes est correct = 2 « voy / age » 1 2 La rime en « age » est conforme au schéma de rimes embrassées : « voyage » / « âge » VERS 1
PROPOSITION 3 Rêve Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une pomme-grenade une seconde avant l'éveil, par Salvador Dali Nom d'une pipe en bois ! Cela fait 11 syllabes, en effet le « e » à la fin du vers est muet. De plus, ça ne rime pas. « heu / reux / qui / com / me U / lys / se a / fait / un / beau / rêv(e) » VERS 1 A découvrir : une fiche sur les rimesles rimes A découvrir : une fiche sur les rimesles rimes
PROPOSITION 1 Dents Erreur ! Cela ne fait que 11 syllabes. Vi / vre en / tre / ses / dents / le / res / te / de / son / âge VERS 4
PROPOSITION 2 Paroles Enfer et damnation ! Cela fait 13 syllabes. Vi / vre en / tre / ses / pa /ro /les / le / res / te / de / son / âge VERS 4
PROPOSITION 3 Parents Excellent ! Le nombre de syllabes est correct = à suivre Vi / vre en / tre / ses / pa / rents / le / res / te / de / son / âg(e) VERS 4
2ème Quatrain Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une rovince, et beaucoup davantage ? PROPOSITIONS VERS 6 ● 1 – Cheminée 1 – Cheminée ● 2 – Chicha 2 – Chicha ● 3 – Moquette 3 – Moquette PROPOSITIONS VERS 8 ● 1 – Ville 1 – Ville ● 2 –Rue 2 –Rue ● 3 – Province 3 – Province Petit village de Provence Strophe suivante HELP ! Fiche versification Cliquer sur le mot choisi pour vérifier la réponse
PROPOSITION 1 Cheminée Bonne réponse ! on obtient les 12 syllabes de l’alexandrin Fu / mer / la / che / mi / née / et / en / quel / le / sai / son VERS 6
PROPOSITION 2 Chicha Bachi-bouzouk de tonnerre de Brest ! Cela ferait 11 syllabes ! Fu / mer / la / chi / cha / et / en / quel / le / sai /son VERS 6
PROPOSITION 3 Moquette Bougre de phénomène de moule à gaufres de tonnerre de Brest ! cela ferait 11 syllabes ! Fu / mer / la / mo / quet / te et / en / quel / le / sai / son VERS 6
PROPOSITION 1 Ville mille milliards de mille millions de mille sabords ! cela donne 11 syllabes Qui / m'est / une / vil / le et / beau / coup / da / van / ta / ge ? VERS 8
PROPOSITION 2 Rue Sapristi ! cela ferait 11 syllabes ! Qui / m'est / une / rue / et / beau / coup / da / van / ta / ge ? VERS 8
PROPOSITION 3 Province « Coquelicots en Provence » de Christian Guinet Oui ! cela donne les 12 syllabes de l’alexandrin Qui / m'est / une / pro / vin / ce et / beau / coup / da / van / ta / ge ? VERS 8
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine : 1er tercet PROPOSITIONS VERS 10 ● 1 – Ténébreux 1 – Ténébreux ● 2 – Audacieux 2 – Audacieux ● 3 – Rond 3 – Rond « Un palais romain sous l'Empire » de DUBAN Félix Strophe suivante HELP ! Fiche versification Cliquer sur le mot choisi pour vérifier la réponse
PROPOSITION 1 Ténébreux Diable de zouave ! cela ne fait que 11 syllabes ! Que / des / pa / lais / ro / mains / le / front / té / né / breux VERS 10
PROPOSITION 2 Audacieux « Petits audacieux » de Louise Labbé Bien joué ! cela fait les 12 syllabes attendues ! Que / des / pa / lais / Ro / mains / le / front / au / da / ci / eux 12 VERS 10
PROPOSITION 3 Rond Bon sang ! cela donne 9 syllabes ! Que / des / pa / lais / ro / mains / le / front / rond
2eme tercet Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur angevine. PROPOSITION VERS 14 ● 1 - Mer 1 - Mer ● 2 - Floraison 2 - Floraison ● 3 - Douceur 3 - Douceur Ulysse sur le Tibre latin Fin du parcours HELP ! Fiche versification Cliquer sur le mot choisi pour vérifier la réponse
VERS 14 PROPOSITION 1 Mer Oups ! Le compte des syllabes n'est pas bon, mais : Et / plus / que / l'air / ma / rin / la / mer / an/ ge / vin(e)
VERS 14 PROPOSITION 2 Floraison Non Non Non ! Le compte des syllabes n’est pas bon. Et / plus / que / l'air / ma / rin / la / flo / rai / son / an/ ge / vin(e)
VERS 14 PROPOSITION 3 Douceur En plein dans le mille ! Et / plus / que / l'air / ma / rin / la / dou / ceur / an / ge / vin(e) Le compte des syllabes est bon.
LE SONNET ÉTAIT ENFIN RECONSTITUE! Les mots, retrouvés L’auteur, identifié Le charme, renforcé Nicolas ne cessait de relire le sonnet pour méditer l’invitation poétique de Du Bellay à l’amour et à la vie
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme celui-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine : Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur angevine. JOACHIM DU BELLAY Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Pour vous remercier de votre aide, Nicolas vous invite à son tour … ● à en découvrir la chanson de Ridan à en découvrir la chanson de Ridan ● à aimer Sylvie, le beau récit de Gérard de Nerval: à aimer Sylvie, le beau récit de Gérard de Nerval ● à apprécier d’autres poèmes de Du Bellay : à apprécier d’autres poèmes de Du Bellay : ● à lire un poème de Rimbaud qui aimait aussi beaucoup les greniers à lire un poème de Rimbaud qui aimait aussi beaucoup les greniers
En guise d’au revoir Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue... — et dont je me souviens ! GERARD DE NERVAL, Fantaisie
TESTEZ VOS CONNAISSANCES Au terme de ce parcours, pouvez-vous : 1- Rappeler les règles de prononciation du e à l'intérieur et à la fin d'un vers ? 2- Raconter les origines du sonnet ? 3- Expliquer ce qu'est un sonnet marotique ? 4- Par qui a t-il été introduit? 5- Rappeler quelles sont les différentes catégories de rimes possibles : dans leur disposition ? dans leur qualité ? 6- Dire quelques mots sur la vie et l'œuvre de Du Bellay ? 7- Rappeler quel chanteur français à fait une adaptation de ce sonnet et expliquer quelles en sont les particularités ? 8- Rappeler ce que Du Bellay faisait dans son grenier ? 9- Expliciter quelques thèmes essentiels dans l'œuvre du poète Gérard de Nerval ?
A la chandelle Un parcours ludique et poétique autour de la versification