Les concepts et les objets de la morphologie dynamique

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Transcription de la présentation:

Les concepts et les objets de la morphologie dynamique Master 1 – 2005

3 principales traditions pour l'étude de l'espace :  Les typologies agraires des géographes Les paysages ruraux de l'Europe d'après René Lebeau (1969). Source : Lebeau 2000

Les 2 grands types traditionnels de paysages agraires français Openfield Bocage Plan cadastral du finage de Bleid en Belgique. Calque d'une photographie IGN d'une partie de la commune de Languidic (Morbihan). Source : Lebeau 2000

 La photo-interprétation archéologique Villa gallo-romaine au "Bois de Moreuil" dans l'Oise. Source : Bréart 1999 Réseau parcellaire laténien et romain à Genlis (Côte-d'Or). Source : Chouquer 1996a

 Les modélisations du peuplement et du territoire : l'archéologie spatialiste Territoires théoriques des sites gallo-romains sur la commune de Blou (Maine-et-Loire). Source : Zadora-Rio 1987

Sans renier ces approches, proposition d'une nouvelle voie d'étude fondée sur la remise en cause de quelques principes sous-jacents à ces démarches :  la stratigraphie des formes du paysage  leur classement chrono-typologique  la linéarité de l’histoire des formes  Archéogéographie = étude des dynamiques hybridées dans l’espace et le temps d’une portion préalablement délimitée de la surface de la terre, dans le but à la fois de contribuer à la reconstitution de l’histoire périodisée des formes et à la connaissance des dynamiques de long terme qui constituent les héritages.  Morphologie dynamique = étude de la dynamique des formes (viaires, parcellaires, habitats) de l’écoumène, à plusieurs échelles d’espace et de temps. 1. La « logique du lieu » : passage du point de vue morpho-historique au point de vue morpho-dynamique (Cf. Marchand 2003) 2. Les réseaux de formes 3. Les modalités de la transmission des formes dans le temps (Cf. Robert 2003)  

Carte au 1/25 000e de la région de Padoue, sur la feuille de Noale. Centuriation de Padoue Morpho-histoire = recherche dans laquelle le morpho-historien tente de corréler systématiquement les régularités trouvées avec des événements historiques et en particulier politiques. + conception stratigraphique du paysage (paysage-palimpseste). Source : Marchand 2003

qui révèle une orthogonalisation en cours des formes paysagères. Comparaison entre deux cartes italiennes sur la région de Carpi par compilation qui révèle une orthogonalisation en cours des formes paysagères. HYSTERECHRONIE : Modalité spatio-temporelle qui permet de qualifier le décalage entre une structure spatiale et la formation sociale synchrone. Plusieurs processus explicatifs : - la création de lignes planimétriques isoclines ou au même emplacement que des limites antiques - la rigidification de lignes planimétriques d'origine antique ondulantes - la transformation de la hiérarchie des lignes planimétriques qui fait passer le seuil de la représentation cartographique Source : Marchand 2003

Les fouilles de Bologne-Casteldebole : illustration de la discordance et de la disparité initiale des formes parcellaires Source : Marchand 2003

Autre exemple : Tor di Mezzavia di Fracasti au S-E de Rome.

2. Les réseaux de formes Le changement de perspective est important : - la centuriation romaine est sans doute plus "belle" aujourd’hui car elle est plus prégnante et ses lignes se sont "durcies"… - …mais pour opérer ce renversement, nécessité d'abandonner l’"objet" franc des historiens au profit d'un objet "flou" plurimillénaire : un objet géographique dynamique, complexe, transmis, transformé. = entreprise de déconstruction et de reconstruction d'un objet traditionnel de la géographie historique (la centuriation) s'appuyant sur l'analyse de la "logique du lieu" C’est la prise en compte de cette "logique du lieu" qui a permis de réévaluer ces objets et d’en révéler de nouveaux. 2. Les réseaux de formes

La structuration des formes en réseau est un phénomène général. Cadastre napoléonien de Cergy Photo IGN de la commune de Marcé (1967) Source : Robert 2003a © IGN

Les différents types de réseaux Les réseaux physiques : exemple des réseaux hydrographiques. Réseau fluvial peu hiérarchisé en rive gauche de la Garonne et hiérarchisé en rive droite de la Seine. Source : Derruau 2001

Les réseaux d'origine physique : exemple des corridors hydro- parcellaires associant des éléments anthropiques et naturels en fonction du rapport à l’eau. Analyse morphologique de la commune de Sorigny (Indre-et-Loire). Caroline Pinoteau Source : Pinoteau 2003

Les réseaux physiques réguliers : exemple de la huerta de Murcie dans les environs de Era Alta (Espagne). R. Gonzales Villaescusa Source : Gonzales Villaescusa 2002

Les réseaux planifiés géométriques réguliers Centuriation de Sextantio-Ambrussum (Lunellois, Hérault). Bastide médiévale de Rabastens-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées). Source : Favory 1996 Source : Lavigne 1997

 Les formes sont plus souvent mixtes que planifiées ou de formation. Le problème de la distinction entre réseaux formés et réseaux fondés  Les réseaux de formation peuvent contenir en leur sein des formes planifiées Les "planifications discrètes" de St-Cricq-du-Gave (Landes).  Les réseaux planifiés peuvent s'adapter à des contraintes du milieu à l’échelle des blocs parcellaires malgré une superstructure géométrique Source : Lavigne 2002  Les réseaux planifiés peuvent intégrer des éléments antérieurs non-planifiés  Les réseaux planifiés évoluent ce qui entraîne des modifications du dessin initial  Les réseaux planifiés présentent une diversité de formes  Les formes sont plus souvent mixtes que planifiées ou de formation.

Les réseaux de formation Morphologie :  Les trames quadrillées non orthonormées Région de Beaugency (Loire et Loir-et-Cher). Sandrine Robert Source : Robert 1996a

Plateau de Melun-Sénart (Seine-et-Marne) Sandrine Robert Plusieurs réseaux identifiés par autant de couleurs. Source : Robert 1996b

G. Chouquer et A. Dodd-Opritesco Région du Baugeois (Maine-et-Loire) étudiée dans le cadre des opérations d’archéologie préventive de l'A85. G. Chouquer et A. Dodd-Opritesco Source : Lavigne 2003

Région du Gâtinais oriental (Seine-et-Marne). Claire Marchand Source : Marchand 1997

Région de Beaugency (Loire et Loir-et-Cher). Sandrine Robert  Les réseaux radiaux (essentiellement viaires) polarisés par l'habitat Région de Beaugency (Loire et Loir-et-Cher). Sandrine Robert Source : Robert 1996a

Chronologie des réseaux de formation  Ils sont le fruit d'une structuration pluri-millénaires et d'une adaptation aux contraintes du milieu.  De quelques difficultés préalables : - Les fouilles donnent des datations diverses de la Protohistoire à nos jours. - Toutes les régions n'ont pas forcément connu les mêmes rythmes de transformation. - Les structures parcellaires sont difficiles à dater précisément. - Manque de données pour les périodes antérieures qui peut induire la réflexion.  Mais la période gauloise apparaît, dans un certain nombre de cas, comme un moment privilégié de la mise en place des réseaux de formes.  Puis réification continue jusqu’à la période moderne avec une certaine fixité des lignes de force (morphogènes) et une évolution de détail du parcellaire.  Renoncer aux typo-chronologies et aux modèles morpho-historiques et étudier ces réseaux en tant que "système ouverts auto-organisés".

3.1. Les explications traditionnelles de la transmission 3. Les modalités de la transmission des formes dans le temps  3.1. Les explications traditionnelles de la transmission  Le maintien intégral des structures et des formes  Le maintien de la forme en plan Exemple de l'amphi romain de Poitiers Source : Robert 2003a

Conservation du tracé de l'enceinte XIVe dans le parcellaire de Tours (unité 1). Source : Noizet 2004

- par le rôle des pouvoirs publics garantissant le maintien du foncier  Les morphologues ont tenté d'expliquer ce phénomène par plusieurs modalités de transmission (non exclusives) : - par la mémoire humaine et le lien matériel ("loi de persistance du plan" de Pierre Lavedan, début XXe) - par le rôle du foncier qui enregistre longtemps les structures disparues  - par le rôle des pouvoirs publics garantissant le maintien du foncier - par le lien avec un type d’habitat particulier  - par le technique et l’économique (bon sens paysan, lien champ-outillage, nature de certaines mesures agraires) Explications fondées sur la continuité linéaire d’une forme originelle entrecoupée de ruptures correspondant à des transformations sociales et économiques importantes.  histoire discontinue des formes en fonction des périodes historiques académiques.

3.2. Les nouvelles modalités de transmission des formes  De nombreux cas de persistance des formes = DIACHRONIE La centuriation de Sextantio-Ambrussum autour de Lunel-Viel (Hérault). Source : Favory et al. 1994

Le Teilleul et le Louvaquint sur la commune de Montours (Ille-et-Vilaine) fouillés par I. Catteddu. Source : Lavigne 2003

 Des cas de transformation des formes = TAPHOCHRONIE Le bocage armoricain : discordance entre les formes antiques et les formes représentées sur le cadastre napoléonien (anisoclinie et anisotopie). Source : Gautier et al. 1996

 De nombreux cas de dissociation entre la trace et la forme La coupe de Pierrelatte : transmission de la forme en plan au-delà du modelé et des hiatus sédimentaires (UCHRONIE). Source : Berger et Jung 1996

La coupe de Pierrelatte en plan 5 dimensions à restituer : latitude longitude profondeur hauteur dynamique Uchronie = modalité de transmission dans le temps et dans l’espace qui se constate lorsqu’une structure ou un élément d’une forme imprime dans le sol un potentiel qu’un fait social ultérieur fait rejouer à un moment imprévu de l’histoire du lieu. La modalité s’exprime alors par isotopie (au même endroit que l’élément directeur), isoclinie (selon la même orientation) ou isoaxialité (dans le même axe). Source : Chouquer 2003a

 Des cas de persistance de formes sans traces Exemple: la centuriation B d’Orange est morphologiquement bien conservée dans le paysage actuel alors que le nombre d’axes perceptibles en archéologie est relativement faible (23%). Exemple : sur les 237 ha sondés sur l'emprise de Toyota-Onnaing (Nord), le réseau parcellaire le plus prégnant morphologiquement n’a pas été perçu.  Problème de la taphonomie des vestiges et de la complexité des processus spatiaux.  Des cas de hiatus entre la manifestation matérielle de la trace et la forme en plan

Conceptualisation de la transmission des formes à partir de l'exemple d'un pont à Cergy (S. Robert) Source : Robert 2003a

3.3. Principe fondamental : distinction entre trace matérielle/modelé et forme en plan La trace matérielle = résultat d’une action concrète réalisée à un moment donné et localisée en x, y, z. Elle est associée à une fonction lorsqu'elle est active puis peut passer à l’état de ruine et de trace fossile. Temps physique de la décomposition. La forme en plan = elle se maintient au-delà de ses différents modelés et fonctions et dépend de processus complexes. Ce n’est pas la "montée" du vestige matériel qui en assure le maintien mais son inscription dans une structure d’ensemble organisée. 3.4. La temporalité complexe et dynamique des formes : l'auto-organisation  Auto-organisation = capacité d’un ensemble complexe de formes à évoluer en système organisé, sans l’intervention d’une planification volontaire portant sur sa structure d’ensemble (mais pouvant intégrer un épisode planifié local). Cette auto-organisation est animée d’une résilience globale.

Résilience = aptitude d’un ensemble de formes à maintenir sa structure alors que les formations sociales ont changé et le transforment, jusqu’à un point de rupture. Paradoxalement c’est grâce à ces changements incessants que la structure peut perdurer = principe de stabilité dans le changement.  Ces 2 notions permettent d’expliquer le maintien d’une structure ancienne du paysage en dehors d’une continuité matérielle entre la trace et la forme. MAIS il ne s'agit pas d'un phénomène de fixation définitive sinon d’un processus complexe de désorganisations/réorganisations successives, de changements incessants à un niveau micro-local.  La pérennité agit plus au niveau du maintien global d’un type de structure qu’au niveau du détail de chaque modelé et forme parcellaire. D'où l'importance d'une réflexion sur les échelles en archéogéographie.  Rôle primordial des morphogènes dans ce processus : ils transmettent l'orientation de la structure qu'ils constituent.

CONCLUSIONS  Quelques idées de base à retenir :  Cela invite à : - Le paysage est un construit entre des éléments physiques et des éléments sociaux, en continuelle interaction, mais largement impensé  Il n’y a pas de point de vue synchronique qui pourrait s’abstraire de ce construit. - L’approche unique des formes paysagères par l’histoire de la planification est impossible. - Dans le paysage c’est la complexité et le non-planifié qui sont la norme alors que le planifié est le plus souvent l’exception. - Les formes possèdent une dynamique autonome, productrice d’une histoire qui ne se calque pas directement sur l’histoire des sociétés. Elles durent dans le temps au-delà de la perception ponctuelle que peuvent en avoir les sociétés.  Cela invite à : - Abandonner la notion de "paysage-palimpseste", réductrice. - Ne plus poser la question de la structuration des formes en termes de genèse ce qui revient à chercher un événement fondateur. - Abandonner la conception linéaire du temps pour une conception plus dynamique. - A réhabiliter le point de vue spatial par rapport au point de vue périodisé ("logique du lieu").