L'ordre en matière condensée : des cristaux liquides aux quasi-cristaux A.P. Tsai Sylvain Ravy Synchrotron-SOLEIL ravy@synchrotron-soleil.fr http://www.lps.u-psud.fr/spip.php?article531 P. Piéranski
23 lignes de lumière (2011) SOLEIL (26 -> 2013) Diffraction/Diffusion Spectroscopie : Absorption, Photo-émission Imagerie : X, Infra-rouge Synchrotron 3e génération 2.75 GeV Opérationnel 2007
Prix Nobel de Max von Laue 1914 Année Internationale de la Cristallographie Prix Nobel de Max von Laue 1914 Munich 1912 : Mineralogistes (P. Groth) : cristaux Théoriciens (A. Sommerfeld) : Interaction lumière matière Physique expérimentale (W. Röntgen) : Rayons X Max von Laue Walter Friedrich Paul Knipping Sulfate de cuivre Vitriol bleu
Les trois types d’ordre… Peut-on définir l’ordre et le cristal ? Plan Corrélation de paire Les trois types d’ordre… …et quelques exemples Origine de l’ordre Peut-on définir l’ordre et le cristal ?
1-Fonctions de corrélation de paire
Fonctions de corrélation de paire 𝑣𝑎=𝑉/𝑁 Volume atomique moyen Fonction de corrélation de paire dépendante du temps 𝑑𝑛 𝒓,𝑡 =𝐺 𝒓,𝑡 𝑑 3 𝒓 𝑑3𝒓 𝒓,𝑡 Moyenne spatiale, statistique, temporelle G(r,t) : TF dans le temps et dans l’espace par diffusion de neutron O 𝑡=0 Fonction de corrélation de paire instantanée G(r,t=0) 𝑑𝑛 𝒓,𝑡=0 =𝛿 𝒓 𝑑 3 𝒓+ 𝑔(𝒓) 𝑣 𝑎 𝑑 3 𝒓 Diffusion des rayons X : TF de g(r) Fonction de corrélation densité-densité : 𝐺 𝒓,𝑡 ~ 𝜌( 𝒓 ′ ,0)𝜌( 𝒓 ′ +𝒓,𝑡)
La fonction de distribution de paire 𝑑𝑛 𝒓 =𝛿 𝒓 𝑑 3 𝒓 +𝑔(𝒓) 𝜌 𝑎 𝑑 3 𝒓 Pics premier voisin deuxième voisin etc. Largeur du pic : fluctuation de distance Intégrale du pic : nombre de voisins
Corrélations orientationnelles Ici, 𝑔(𝒓) ne dépend que de |𝑟| Ce n’est pas le cas général. g(r) q Fonction de corrélation d’orientation : 𝜓 6 = 𝑒 𝑖6𝜃 𝑜 𝒓 = 𝜓 6 (0) 𝜓 6 (𝒓)
2-Les trois types d’ordre
Les trois types d’ordre 𝑑𝑛 𝒓 =𝛿 𝒓 𝑑 3 𝒓 +𝑔(𝒓) 𝜌 𝑎 𝑑 3 𝒓 Comportement à grande distance de 𝑔(𝒓) définit trois types d’ordre : Ordre à courte distance 𝑔(𝒓) ~ exp(−|𝑟|/𝑥) x : longueur de corrélation Ex : verre, liquide Ordre max. à 1D Quasiordre à grande distance 𝑔(𝒓) ~ 𝑟 −𝜂 Pas d’échelle de longueur Ex : Smectiques, cristaux 2D Ordre max. à 2D Ordre à grande distance 𝑔(𝒓) n’a pas de limite à l’infini ! Ex : Cristaux Pics de Bragg exp(-|r|/x)
Caractérisation de l’ordre… approche expérimentale Ordre à grande distance : diffraction Rayons X Électrons Neutrons Cristal de C60 Quasi-cristal Existence de taches de Bragg Largeur limitée par la résolution Sinon : diffusion diffuse Diffusion répartie continûment Eau Cristal liquide smectique
3-Exemples
Ordre à courte distance Ordre à 1D a+da Liquides, amorphes, verres na+nda État amorphe (désordonné, mal ordonnée) Amorphe recristallise lorsqu'on le réchauffe. Métaux, Silicium, eau. Verre repasse par l'état liquide : transition vitreuse. Silice, Soufre, Glycerol, Se (+As), Obsidienne Liquide : même fonction de distribution, mais dynamique.
Fusion et quasi-ordre à longue distance… Fusion à 2D Contrairement à la fusion classique, La fusion 2D passe par une phase intermédiaire Fusion à 3D Chou, Science 1998 Cristal 2D Hexatique Liquide g(r) |r|-h exp-(r/x) o(r) OGD g(r) OGD exp-(r/x) o(r) Solide Liquide Mise en évidence dans les cristaux liquides Brock, PRL57, 98 (1986), Colloïdes (Petukhov, 2006)
Quasi-ordre à longue distance QOGD rare à 3D Vortex dans les supraconducteurs de type II Entre Hc1 et Hc2 phase d'Abrikosov Verre de Bragg (Giamarchi et al. 1994) h impu. Expérience de décoration par des agrégats de Fe, observés au MEB (Kim et al., PRB60, R12589) Carte des déplacements de vortex par rapport au réseau parfait 106 µm, 37003 vortex
Le triangle de Sierpinski ne modélisent pas les structures réelles... Structures Fractales Auto-similarité Invariance d'échelle Dimension fractale d'Hausdorff (1918) : n(k)=kD Le triangle de Sierpinski D=log(3)/log(2)= 1,5849... Flocon de von Koch D=log(4)/log(3) = 1,261... L'éponge de Menger D=log(20)/log(3) = 2,7268... Fractales ordonnées ne modélisent pas les structures réelles...
Fractales irrégulières Agrégat de particules d'or D=1,75 ± 0.05 Dimension fractale Minkowski-Bouligant n(r)=(r/a)D g(r) ~ rD-d Structure de l'aimantation au point critique (Ising) D=1,75 Frontière mouvement Brownien (W. Werner) D=4/3 Brocolis D=2,33 Figures de Lichtenberg
Ordre à grande distance : le cristal... périodique Un cristal est un motif quelconque associé à un réseau Na Atome = * NaCl Groupement d’atomes C60 Molécule Nucléosome Macromolécule Motif Cristal
Le cristal... apériodique Cristaux incommensurables Propriété locale (ex : polarisation) possède une périodicité incommensurable avec celle du réseau. Ex : Onde de densité de charge, NaNO2 Cristaux composites Enchevêtrement de deux cristaux ayant des paramètres de maille dans un rapport irrationnel. Ex : Rb, Ba, Cs sous pression, Hg3-dAsF6 irrationnel Quasicristaux Systèmes présentant de l’ordre à grande distance et une symétrie interdite (5, 8, 10...) Pavage de Penrose Ordre à grande distance Pas de périodicité a b
Les cristaux incommensurables L’ADN a une structure incommensurable : Le pas D de la double hélice est incommensurable avec la distance P entre paires de bases Hélice de Boerdijk-Coxeter D Incommensurable : On peut faire varier continûment le rapport D/P P Watson, Crick, Wilkins, Franklin
Les cristaux incommensurables Dichalcogénure de tantale TaSe2 : Onde de densité de charge Modulation de la densité électronique à 2kF (kF vecteur de Fermi) Microscope à force atomique : Réseau moyen Microscope à effet tunnel : Onde de densité de charge E. Meyer et al. J. Vac. Sci. Technol. 8, 495 (1990)
Les cristaux composites Alcane-Urée Inclusion d’alcane dans des canaux d’urée B.Toudic et al, Science 319, 69 (2008) Ba sous 12 GPa (120000 atm.) Ba dans des canaux de Ba ! (cg/cn irrationnel) Enchevêtrement de deux cristaux périodiques ayant des paramètres de maille dans un rapport irrationnel R.J. Nelmes et al. Phys. Rev. Lett. 83, 4081 (1999)
Diffraction électronique d’un alliage d’Al-Mn Les quasicristaux Diffraction électronique d’un alliage d’Al-Mn (D’après D. Shechtman et al. Phys. Rev. Lett. 53, 1951 (1984)) Prix Nobel de chimie 2011 Quasicristaux découverts « par hasard » par Schechtman (1982) qui étudiait des alliages d’Al par trempe ultra rapide. Al-Ni-Co décagonal : Symétrie d’ordre 10 10 1 9 2 8 3 Taches de diffraction fines Ordre à grande distance ET Symétrie d’ordre 5 7 4 6 5 www.cbed.rism.tohoku.ac.jp/saitoh/saitoh.html
Les quasicristaux
Les quasicristaux
Taches de diffraction fines : Ordre à grande distance Al-Ni-Co décagonal : Symétrie d’ordre 10 Les quasicristaux 10 1 Taches de diffraction fines : Ordre à grande distance 9 2 8 3 4 Pavage de l’espace Sans vide ni recouvrement www.cbed.rism.tohoku.ac.jp/saitoh/saitoh.html 2 3 5 8 4 6 Seules symétries compatibles avec la translation : 1, 2, 3, 4, 6
Certains quasicristaux modélisés par Pavages de Penrose Certains quasicristaux modélisés par un pavage de Penrose Alliage Al-Fe-Cu (Marc Audier) 72° 36° Deux types de « tuiles » Règles d’accord
Avant Penrose… Pavage non périodique Vers un Pavage De Penrose Temple Darb-i Imam Isfahan, Iran, XVe (Lu & Steinhardt, Science 2007) Pb avec 5 et >7 découvert par Kepler en 1619 : « Harmonices Mundi » Pavage non périodique Ordre à grande distance SANS périodicité Symétrie d’ordre quelconque Symétrie d’ordre 12
États condensés intermédiaires : les cristaux liquides thermotropes Transitions de phases dépendent de la température Anisotropie de g(r) Téreptal-bis(p-butylaniline) TBBA Phase liquide isotrope T=236 °C Phase nématique T=200 °C Phase smectique A T=175 °C Phase smectique C
Ordre nématique n n Ordre smectique Ordre d’orientation à grande distance Dans la direction n Nématique n Ordre de position à courte distance Dans la direction n Orthogonalement à n Quasi-ordre à longue distance Dans la direction n « Quasi-période » a Smectique A a n Ordre de position à courte distance Orthogonalement à n Ordre smectique
Phases cholestériques Molécules allongées et chirales Structure hélicoïdale, basée sur le nématique Pas P de 1 mm à 2 mm dépend de T Thermomètres
Molécules discotiques et phases colonnaires Ordre de position à courte distance Selon les colonnes Molécules discotiques Ordre de position à grande distance Orthogonalement aux colonnes
Cristaux liquides lyotropes Transitions de phases dépendent d’une concentration Molécules amphiphiles (savon) Cristal Micelles Tubes Lamelles Phase cubique Tête hydrophile Queue hydrophobe Phase cubique Diagramme de phases Bulles d’air facettées D’après P. Sotta, J. Phys. France,
4-Origine de l’ordre
Le potentiel d’interactions Origine de l’ordre Le potentiel d’interactions Potentiel d’interaction U(r) : mini autour de 1,5-2 Å et 3-4 Å Ex : Dans la vapeur d’eau distance moyenne 30 Å (gaz parfait) Dans l’eau liquide 3 Å (ordre de type liquide) Forme du potentiel détermine les propriétés physiques : Distance d ’équilibre donnée par dU(r)/dr=0 : structure. Rigidité donnée par d2U(r)/dr2 : élasticité, dynamique (spectre des phonons), conductivité thermique, chaleur spécifique. Anharmonicité de U(r) : dilatation thermique.
Des interactions au type d’ordre-1 Pas de prédiction de structure connaissant les interactions Quelques modèles simples : empilement compact À 2D, empilement compact : réseau hexagonal infini À 3D, empilement de couches hexagonales : cubique faces centrées, hexagonal compact. C‘est l’empilement le plus compact (Th. Hales 1998) ; compacité =0.74 Pas forcément périodique (fautes d’empilement) Gaz rares, ~ 2/3 des métaux (c.f.c. ou h.c) Mais métaux alcalins (c.c), Fea (c.c.) Feg(c.f.c). B A C 3 6 1 5 Ordre Icosaèdrique Hexagonal compact Cubique faces centrées Cuboctaèdre Icosaèdre Construction d’un cristal atome par atome…
Des interactions au type d’ordre-2 Empilement 3D compact de 4 atomes : Tétraèdre Impossibilité métrique de paver l’espace par des tétraèdres (angle dièdre = 70,528°) Mais LOCALEMENT, empilement de tétraèdres déformés Icosaèdre Impossibilité de paver l’espace avec des tétraèdres quelconques, le même nb partageant une arête commune. FRUSTRATION TOPOLOGIQUE Interactions favorisent un ordre local « icosaèdrique » incompatible avec un système infini. Frustration engendre des défauts (liquides, verres) 7.36°
Des interactions au type d’ordre-3 Agrégats icosaédrique plus stables Diffraction électronique sur Cu, Ni, CO2, N2, Ar Transition icosaédrique-c.f.c. si la taille augmente (1000 Ar, 30 CO2) La structure de symétrie icosaédrique n’est pas stabilisée On ne connaît pas de quasi-cristaux mono-élément (Binaire Cd-Yb Tsai, Nature 2000)
Cristal réel : Les défauts Dimension 0 Lacunes, intersticiels www.techfak.uni-kiel.de/matwis/amat/def_en/makeindex.html Défauts topologiques Induisent des déformations qui concernent l’environnement atomique local, comme le nombre de voisins Lacune Toujours présentes (2.10-4 Cu à 300 K) Diffusion, centres colorés Intersticiel Plasticité (Impureté) Dopage des semi-cond. Couleur des joyaux Plasticité Dimension 1 Dislocations (plasticité des métaux) Désinclinaisons (2D, cristaux liquides) Dislocation Désinclinaison Dimension 2 Surfaces, fautes d’empilements Surface Faute d’empilement Joint de grain
Glissement d’une dislocation Zone GP (Guinier-Preston) Amas d’atomes dans une matrice Durcissement des alliages d’Al (Concorde) Plaquettes dans alliage Al-1.7at.%Cu D’après M. Karlík et B. Jouffrey, J. Phys. III France, 6 (1996) 825 Cisaillement d’une zone GP par une dislocation coin Microscopie électronique haute résolution
5-Peut-on définir l’ordre et le cristal
Ordre apériodique Si on peut indexer le diagramme de diffraction d’un corps de dimension D par un nombre fini N d’indices (Cas de tous les « cristaux » connus) Ce corps est apériodique si N>D. C’est la coupe d’un cristal périodique dans un super-espace de dimension N par une variété de pente(s) irrationnelle(s)
Exemples à 2D Coupe le réseau 2D Par un bande de pente irrationnelle Nombre d’or : (1+√5)/2=1,618 + Projection des points sur la droite = Suite de Fibonacci Pavages de Penrose : Coupe 2D de cristaux 4D
D. Gratias et al., Annu. Rev. Mat. Res. (2003) Définitions Ordre à grande distance « Par cristal on désigne un solide dont le diagramme de diffraction est essentiellement discret » Cristal IUCr 1991 Ordre géométrique « Un ensemble infini de points de l'espace est géométriquement ordonné, s'il est engendré par un algorithme déterministe de complexité finie. » D. Gratias et al., Annu. Rev. Mat. Res. (2003)
Ordre à grande distance Ordre géométrique Tous les cristaux connus peuvent être construits à partir de règles simples Ordre géométrique Ordre à grande distance Certains pavages itératifs n’ont pas d’OGD (?) Exemples : le pavage pinwheel : « moulin », ou le pavage binaire Générateurs de nombres pseudo-aléatoires (Mersenne twister : période de 219937 − 1 )
Conclusion Interaction entre atomes ou molécules génère une large palette de structures, bien au-delà du « simple » cristal périodique Influence du type d’ordre sur les propriétés physiques… Rôle des défauts et de la température…